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Lithaire - Notes historiques et archéologiques


Lithaire, Litahare, Lutheare, Lutheara, Littehard, Lintehare, Lhuiteare, Literia, Litheuire, tels sont les noms par lesquels on trouve cette localité désignée dans les anciennes chartes et les actes du moyen-âge.

Le mot Lithaire, suivant les uns, vient de licht-horn, deux mots qui, dans la langue germanique, signifient montagne de belle vue, et, suivant d’autres, de ces mots lit-hou, qui veulent dire belle vue, en langue danoise. Il est certain que, placé près des ruines du château, le visiteur jouit d’un point de vue varié et fort-étendu.

On arrive à l’église par des chemins, les uns couverts et d’une pente douce, les autres escarpés et hérissés de rochers de grès quartzeux.

La nef, sauf les retouches qu’elle a subies, est de l’époque romane ; ses murs au nord sont encore en grande partie du XIe ou XIIe siècle, et offrent de l’opus spicatum, ainsi que des petites fenêtres cintrées, comme on en faisait à cette époque pour les églises de campagne. Ces fenêtres ont environ deux pieds de hauteur et quatre pouces de largeur.

Le mur méridional de la nef est percé de trois fenêtres à ogive simple, sans ornements. L’église de ce côté a été refaite en grande partie.

Le chœur, au nord, est éclairé par des fenêtres du XIVe siècle. Cette portion de l’église est postérieure à la nef.

Un arc triomphal partage le chœur et la nef ; le mur absidal est droit ; toute l’église est voûtée en bois.

Une porte romane est ouverte dans le mur occidental ; son cintre est en forme d’anse de panier, et un simple cordon forme son archivolte qui retombe sur des colonnes romanes ; le battant de cette porte offre la date de 1695 ; celui de la porte de la chapelle méridionale présente aussi un millésime, celui de 1677 ; ces deux battants sont couverts de têtes de clou dessinant des espèces de losanges. Il est à désirer que ces deux anciennes portes soient conservées avec soin, et qu’on se garde bien de les remplacer par des portes de maison bourgeoise, peintes en imitation de bronze ou de bois veiné, décoration anti-monumentale et du plus mauvais goût.

Une tour quadrilatère et couronnée par un toit en bâtière est placée au nord, à l’extérieur, entre chœur et nef : sous son étage inférieur, il existe une chapelle qui est mise en communication avec l’église par une arcade en pierre. Cette tour est privée du coq symbolique et traditionnel.

Le font baptismal se compose d’une cuve octogone dont la circonférence est de 2 mètres 40 centimètres, et la hauteur de 45 centimètres ; un cordon en forme de torsade règne autour ; elle repose sur un pédicule octogone, haut de 35 centimètres et placé sur un piédestal carré.

La chapelle méridionale de l’église est sous le vocable de saint Jean-le-Fort (s. Génefort ?). Sur un bas-relief, au pied de la statue du saint, on remarque de petits enfants emmaillotés. Saint Jean le Fort est en grande vénération dans le pays, et on lui présente les enfants malades et infirmes.

On remarque dans le cimetière un de ces ifs antiques et énormes, qui semblent destinés à survivre à toutes les générations et rappellent ce qu’un.grand écrivain a dit de l’if des cimetières : On aimait à voir le gros if qui ne végétait plus que par son écorce. [1] Sa circonférence est de 5 mètres 8 centimètres ; il est creux, et au milieu s’en trouve un autre dont le contour est d’un mètre 34 centimètres. Ce végétal, aussi curieux pour le naturaliste que pour l’antiquaire, est sans doute contemporain de l’église. J’ai toujours trouvé les plus beaux ifs près des églises des XIe ou XIIe siècles, ce qui donne à penser qu’ils sont contemporains de la construction de l’église près de laquelle ils s’élèvent.

L’église est sous le vocable de saint Thomas ; elle faisait partie de l’archidiaconé du Bauptois et du doyenné de La Haye-du-Puits. Le roi, dans le XIIIe siècle et au commencement du XIVe, en avait le patronage et présentait à la cure ; mais, en l’année 1322, il abandonna ses droits en faveur des chanoines de la Sainte-Chapelle, auxquels le pape Jean XXII concéda plusieurs églises, au nombre desquelles était celle de Luthehaire. Depuis lors et jusqu’à la révolution, la Sainte Chapelle a eu le patronage de cette église. [2]

A l’époque où le Livre noir fut écrit, le curé était seul décimateur ; il avait 10 livres sur la bourse ou cassette du roi, son chauffage et le pâturage pour ses animaux. C’est sans doute à cause de cette concession, qui s’était maintenue, qu’en l’année 1673, M. de Chamillard, conseiller du roi et député pour la réformation des eaux et forêts, reconnut que le curé de Lithaire avait droit à 300 fagots dans les bois de Montcâtre, de Mortefemme et du Coudray, ou à 15 livres de rente.

Dans le XIVe siècle, le curé, qui continuait à dîmer seul sur toute la paroisse, avait aussi un manoir presbytéral, et payait pour droit de visite deux sols, pour la chape de l’évêque 18 deniers, et pour la débile 15 sous. [3]

Il existait au pied du château, vers le sud-ouest, une chapelle sous le vocable de saint Etienne, pour laquelle, chaque année, le curé recevait 10 livres tournois du vicomte de Carentan : Ibi est quedam capella prope castrum de qua dictus rector percipit a vicecomite de Karentonio decem libras tur. pro quolibet anno. Cette redevance, la même sans doute que celle qu’il recevait sur la cassette du roi, lui était encore payée dans les XVIIe et XVIIIe siècles pour fondations attachées à la chapelle St Etienne, dans le château de Lithaire. Le curé de Lithaire prenait aussi le titre de chapelain de Saint-Etienne.

La chapelle de Saint-Etienne était placée dans une enceinte en forme de demi-cercle, qui ne datait que du moyen-âge. On a trouvé dans cette enceinte des ossements humains en grande quantité. On prétend que la chapelle a été substituée à un autel druidique ; il serait possible qu’en effet elle eût été bâtie sur l’emplacement d’un autel païen : souvent on trouve une église élevée sur l’emplacement d’un édifice consacré aux faux dieux. La chapelle Saint-Floxel, à Coutances, qui plus tard s’appela la chapelle Saint-Maur, a dû remplacer un temple druidique : les cathédrales de Bayeux et de Séez occupent l’emplacement de constructions romaines. On raconte que la cathédrale de Rouen, élevée par saint Mellon, au IVe siècle, fut bâtie sur la maison d’un païen que le saint évêque avait converti : suivant la tradition, l’église Saint-Paul, à Rouen, remplace aussi un ancien temple païen.

Prieuré de Brocquebœuf

Il existait dans la paroisse un prieuré nommé le prieuré de Brocquebeuf, sous le vocable de saint Jacques, et de l’ordre de Prémontré ; il payait une décime de 38 livres, et le prieur percevait 20 livres sur l’église de Monlgardon. On trouve, en 1680 et 1681, comme prieur commendataire, Messire Denis de la Barde, président aux enquêtes du parlement de Paris ; l’abbé de Bayonne en était titulaire en l’année 1789.

Dans des actes anciens ce prieuré est désigné sous le titre de prieuré et baronnie de St Jacques de Brocquebœuf, et le prieur y prend le titre de prieur-baron de Brocquebœuf. Les religieux qui furent appelés par les fondateurs de l’abbaye de Blanchelande vinrent du prieuré de Brocquebœuf. [4]

La chapelle de ce prieuré n’a pas été détruite ; elle sert aujourd’hui de bâtiment d’exploitation ; sa voûte est en pierre, et ses arceaux, croisés à angles aigus, retombent sur des modillons en forme de verre évasé. On remarque à leur point de jonction des armes qui sont de... au chevron de.....chargé d’un croissant de..... accompagné de deux étoiles de.....

On distingue dans les bâtiments du prieuré des portes cintrées et de grandes fenêtres que divisent des pierres en croix. Les murs d’une salle, près de la cuisine, sont encore couverts d’une tapisserie fond rouge. Dans la chambre du prieur, la cheminée est soutenue par des colonnes de l’ordre ionique, et sur le devant elle est garnie d’un rang de dents de scie. [5]

Suivant une ancienne tradition, il y a eu à Lithaire une maison de Templiers, dont les biens auraient été réunis à ceux de la Sainte-Chapelle ; elle était sans doute placée dans cet endroit de la paroisse nommé la Templerie ; du moins une pièce de terre porte encore ce nom. Ce qui a pu donner lieu à cette tradition, c’est qu’un domaine important, dépendant de la baronnie de Lithaire, avait été donné aux Templiers ; mais à l’époque de la destruction de cet ordre fameux, Philippe le Bel aliéna ce domaine à charge de redevances de service militaire au château, et de remplir les fonctions de sergent fieffé de Lithaire. C’était du moins ce titre que portait, en 1463, celui qui alors possédait ce domaine.

Dans une autre partie de la paroisse, appelée Fontenay, à peu de distance de l’église, il a dû y avoir une maladrerie. On remarque dans la maison où l’on dit qu’elle était établie des fenêtres dont les arcades sont en accolade, ce qui annonce la fin du XVe siècle ou le commencement du XVIe ; ces fenêtres sont aussi divisées par des croix en pierre. Toutes ces constructions sont évidemment bien postérieures à l’époque où devait exister la prétendue maladrerie.

Antiquités druidiques

On trouve à Lithaire, près des ruines du vieux château, une pierre branlante connue sous le nom de Logan de Lithaire. Elle est placée sur la pointe d’un rocher, dans la direction du nord-est, et au nord du bois nommé la Plese, attenant à l’église ; une forte impulsion lui imprime un faible mouvement oscillatoire qui dure très-peu d’instants. Il est à désirer qu’on respecte ce monument qui a vu se succéder tant de générations, et qu’on le conserve comme un vieux témoin des siècles passés. Celte simple pierre, d’une mince valeur intrinsèque, il est vrai, est d’une valeur scientifique et historique fort importante. L’autorité locale doit donc veiller à la conservation de ce monument druidique auquel se rattachent des souvenirs, et qui, d’ailleurs, attestant la haute antiquité de Lithaire, est digne, à ce point de vue, de tout l’intérêt des habitants.

Quelle était la destination de ce monument ? question difficile à résoudre, et qu’il m’appartient moins qu’à tout autre de juger. On ne peut offrir sur ce point que de simples conjectures. Les pierres branlantes ont dû jouer un grand rôle dans le druidisme ; mais malheureusement les recherches faites à ce sujet n’ont eu aucun résultat satisfaisant. Leur origine et leur destination sont encore enveloppées d’un voile épais. Ces pierres ne sont évidemment l’ouvrage ni du hasard ni de la nature, et la main de l’homme seule les a érigées. Suivant la tradition la plus générale, elles ont un caractère surnaturel et religieux ; ce qui donne à penser que le culte a été le motif de leur érection et qu’elles servaient aux cérémonies religieuses. Leur mouvement d’oscillation avait un but. Les prêtres et les chefs des druides y avaient-ils recours pour faire connaître au peuple la volonté de leurs dieux par le mouvement oscillatoire qu’ils imprimaient à la pierre ; ou bien le nombre des oscillations était-il un moyen de divination ou d’interprétation ? Ces pierres n’étaient-elles que des idoles, comme plusieurs autres pierres druidiques ? Le temps et des études prolongées pourront seuls éclairer les observateurs, et amener la solution de ces difficultés.

Antiquités Romaines

Montcatre, Montcâtre s’écrivait autrefois Montcastre ; ce nom est composé de deux mots, mons et castra. Dans quelques chartes de l’abbaye de Lessay, on lit : de Monte-Castor ou Mons Castrorum. Le camp de Montcâtre était à la limite des cantons de la Haye-du-Puits et de Périers, à la jonction des paroisses du Plessis, de Lastelle, de Gerville et de Lithaire, à une demi-lieue de la voie romaine de Valognes, Alauna, à Coutances, Cosedia ; il est regardé comme remontant aux premiers temps de la domination romaine dans le pays, et comme devant être celui de Quintus Titurius Sabinus, un des lieutenants de César, qui combattit les Gaulois commandés par Viridovix, et qui occupait, dans la lande de Laulne, un emplacement nommé les Castillons. On sait que les Romains choisissaient de préférence, pour leurs camps, des terreins en pente douce, exposés au midi, afin de profiter du soleil qui leur était si utile en hiver, et qu’ils faisaient grand cas du voisinage des rivières qui leur donnaient l’eau pour leurs besoins, et leur servaient aussi à défendre les approches du camp : à tous ces avantages, il cherchaient à réunir la possibilité de se placer sur un point très-élèvé, d’où la vue s’étendit sur un vaste horizon, et qui leur permit de dominer sur les contrées voisines ; ils avaient ces avantages à Montcâtre, d’où la vue embrasse une étendue de plus de dix lieues.

Faits Historiques

Le seigneur de Lithaire fit partie de la noblesse normande qui accompagna le duc Guillaume à la conquête de l’Angleterre, une des plus grandes et des plus heureuses expéditions qui furent jamais entreprises. Robert Wace le cite ainsi :

E li sire de Litehare. [6]

Les autres historiens indiquent aussi le sieur de Lintehaire [7] ou le seigneur de Lithare [8] ou encore le sieur de Litehaire. [9]

Après la conquête, des concessions importantes furent faites à des seigneurs du nom de Litheare ; mais on connaît peu de faits historiques sur ces seigneurs. On sait cependant que leur château et leur châtellenie étaient le chef-lieu d’une baronnie considérable ; on cite encore dans la paroisse un lieu nommé la Baronnie.

Dans les grands rôles de l’échiquier de Normandie de l’an 1195, on voit que, lors des comptes du bailliage de Cotentin, Geoffroi Sire Home rend compte de 50 livres de l’aide des chevaliers de l’honneur de Lithaire, ainsi que d’une autre de la même terre, et qu’il s’acquitta de ces 50 livres en les versant dans le trésor : Gaufridus Sire Home redd. compot. de 50 lib. de auxilio militum honoris de Lutheara et alio auxilio ejusterre. In thesauro liberavit et quietus est.

Un des membres de la famille d’Aubigni, le comte d’Arundel, possédait le château de Lithaire, quand Philippe-Auguste confisqua la baronnie de Lithaire et la réunit au domaine. Ce château, d’après le registre des fiefs, devait le service de deux chevaliers et demi : Honor de Lutehaire quem dominus rex tenet in manu sua per escaetam debet domino régi servicium duorum militum et dimidii.

Si le roi confisqua le fief de Lithaire, il ne fit détruire ni démolir entièrement le château, qui existait encore dans le XIVe siècle, et était cité au nombre des forteresses où l’on faisait guet et garde ; car le rôle des fiefs du bailliage de Coutances, établi en 1327, par les ordres de Godefroi ou Guillaume Le Blond, grand bailli de Cotentin, porte : "Guillaume de Bruilly tient du roy en la vicomté de Carentan, le fieu de Velye, à cause duquel il doibt garder le chasteau de Lithaire, un jour et une nuit en temps de guerre."

Richard de Vauville, sous Philippe-Auguste, tenait de la baronnie (de honore) de Lithaire un fief de chevalier à Vauville : Ricardus de Vauvile tenet inde (de Lutehaire) feodum unius militis. Guillaume de Vauville tenait de la même baronnie un fief de haubert (loricœ) à Omonville-la-Rogue. [10] Beaucoup d’autres fiefs dépendaient de cette baronnie ; les principaux étaient ceux que possédaient Richard des Moitiers, Robert Taillefer, Richard de Saint-Germain, Guillaume Roges, Geoffroy du Rotour ou Rotoz, Guillaume Le Fêvre, Guillaume des Préaux (de Pratellis), Jean d’Anneville-en-Saire, Henri d’Aboville, Foulques de Commendal, Gautier de Sainte-Marie, et Thomas de Lafière. [11]

La famille Le Berceur, en faveur de laquelle, en l’année 1703, fut érigé le marquisat de Fontenay [12], a possédé dans les XVIe, XVIIe et XVIIIie siècles la fief-ferme de Lithaire, qui aujourd’hui n’est plus connue que sous la dénomination de ferme de Fontenay. Cette famille figure, dès 1570, comme propriétaire du domaine et de la seigneurie de Lithaire. Hervé Le Berceur est cité au nombre des barons et des nobles du pays qui servirent dans les armées de Louis XIV : il était seigneur de Fontenay, d’Emondeville et de Lithaire, commandant de la ville et du château de Cherbourg ; il épousa, en 1664, Marie-Anne-Jacqueline de la Luzerne, fille d’Antoine de la Luzerne [13], chevalier, marquis de Brévands, grand bailli de Cotentin, qui lui-même était fils d’Antoine de la Luzerne et d’Eléonore de Franquetot de Coigny [14]. De son mariage, il eut Henri Le Berceur, marquis de Fontenay, qui lui aussi fut grand bailli de Cotentin. La famille Le Berceur portait d’azur à la fleur de lis d’or soutenue d’un croissant d’argent.

La famille Mauconvenant de Sainte-Suzanne parait avoir possédé un fief noble à Lithaire ; car, en 1769, on trouve messire Adolphe-Charles de Mauconvenant, chevalier, capitaine au régiment de Colonel-général-dragons, seigneur et patron en partie de Lithaire et autres lieux.

Une ancienne famille du nom de Lithaire, qui portait de gueules à deux fasces d’or, accompagnées de six croisettes de même, existait encore dans la paroisse, dans les XVIIe et XVIIIe siècles. On trouve, entre 1695 et 1780, François de Lithaire, écuyer ; noble dame Françoise de Lithaire, veuve de Pierre de Lisle ; Marie de Lithaire, mariée au seigneur de Boisroger ; Gisles de Lithaire, et Thomas de Lithaire, écuyer.

Dans un rôle de l’échiquier de Normandie, pour l’année 1203, on voit que Lithaire dépendait de la baillie de Coutances : balliva de Constanciis ou ballia Constanciensis.

Lithaire fut autrefois le siège d’une vicomté qui datait des premiers temps des ducs de Normandie ; on cite encore dans la paroisse un lieu nommé la Vicomté. On trouve comme vicomtes de Lithaire, en 1650, Guillaume Frerel, écuyer, sieur du Couesel, conseiller du roi, et, dans les premières années du XVIIIe siècle, Jacques de Mauconvenant, écuyer, seigneur et patron de Sainte-Suzanne. Un édit du roi, du mois de janvier 1748, supprima la juridiction du vicomte de Lithaire qui siégeait à Lessay, et la réunit au bailliage de Saint-Sauveur-Lendelin séant à Périers.

Lithaire, dans le cours du XIIIe siècle, avait un forestier, chargé sans doute de l’administration et de la surveillance des bois dans le pays. Ce forestier donna lieu à des plaintes : Nicolas de Villers, grand bailli de Cotentin, dut faire une enquête sur sa conduite ; il confia cette mission au curé du lieu, "pour ce que, suivant ses expressions, il avoit trop à fere de plusours besoignes, et pour la reson de la marine guarder, dont nostre seignor le roy l’avoit chargié" [15]. Le forestier de Lithaire, vers la fin du XIVe siècle, prenait le titre de verdier, comme nous l’apprend un acte en faveur des religieuses de Saint-Michel-du-Boscq, dans lequel on lit : "Le 18 avril 1397, Costa Maillot, lieutenant général de noble homme messire Jean de Garantiere, chevalier, seigneur de Chesy, enquesteur des eaux et forests pour le roy, des terres que souloit tenir le roi de Navarre en France et en Normandie, mande au verdier de Lithaire que quoiqu’il ait uni aux mains du roy toutes les coutumes, franchises et usages que chacun de quelque qualité qu’il soit dist avoir sur les bois, jusqu’à ce qu’il ait fait apparoir de son droit, il ait néanmoins à laisser jouir les religieuses de Saint Michel du Boscq. [16]

On trouve aussi, en 1559, des sentences rendues par le lieutenant, en la verderye de Lithaire, de M. le grand-maître des eaux et forêts au bailliage de Cotentin.

Ces fonctions de forestier ou de verdier de Lithaire s’expliquent facilement, quand on sait que dans la paroisse de Lithaire on trouvait la forêt de Montcâtre, les bois d’Etanclin, de la Poterie, de Hupelande et de Limor. La forêt de Montcâtre appartenait, en 1689, à Mademoiselle d’Orléans ; elle devint ensuite la propriété du roi, et en 1723, le grand-duc de Toscane en jouissait à titre d’apanage. Le bois d’Etanclin appartient aujourd’hui à M. le duc de Plaisance ; celui de la Poterie faisait partie, en 1719, du domaine non fieffé de la baronnie de Gyé que possédait alors M. de Matignon. On voit qu’en l’année 1723, le curé de Lithaire, qui avait droit de dîme sur le bois de la-Poterie, transigea avec M. de Matignon, et se contenta du treizième denier. [17] Le bois de Hupelande portait aussi le nom de bois de Lessay, à cause des droits d’usage qu’y avaient les moines de l’abbaye de Lessay. Les dîmes de ce bois, en 1698, donnèrent lieu à un procès entre Michel Langevin, curé de Gerville, et les religieux de Lessay. Le bois de Limor appartient à la famille de Praslin.

Une foire annuelle se tient à Lithaire le 7 mai ; elle existait dès le XIVe siècle ; car "au commencement du XVe siècle, Regnaut Quelier, sergent fieffé du Buisson de Montcastre, prenait 16 deniers sur la foire de Lithaire. Vers la même époque, Robert Le Forestier, écuyer, était, à cause d’un fief sis à Mobec, exempt de coutumes dans les foites de l’abbé de Lessai et dans celles de Lithaire." [18]

Chateau de Lithaire

Ce qui vous impressionne vivement lors qu’on est sur l’esplanade et assis près des ruines du vieux château de Lithaire, c’est le demi-horizon, si vaste, si grandiose qui s’offre à vous dans un rayon de plusieurs lieues. Vos regards embrassent, à l’occident, la mer que sillonnent de nombreux bâtiments et du milieu de laquelle apparaît l’île anglaise de Jersey ; au nord et vers l’orient, ils se reposent sur des prairies, des bois, des villages et de nombreuses églises placées ça et là, dont les clochers qui s’élèvent-vers le ciel, semblent rappeler au voyageur que le grand spectacle qu’il admire n’est pas de ceux qu’il soit donné à l’homme de créer.

Je trouvai, près des ruines, un petit pâtre gardant son troupeau ; je l’interrogeai sur ce que l’on disait du château dans le pays. J’eus beaucoup de peine à en obtenir ces quelques mots : " On dit qu’il a été bati pa l’zanglais [19] et q’c’tait avant qu’en ne bâtit l’église qu’est ilà près ". Je récompensai cette érudition avec quelques pièces de monnaie, et aussitôt mon interlocuteur devenu plus communicatif consentit même à m’aider à mesurer la hauteur et l’épaisseur des murs du château.

Le château de Lithaire doit-il son existence aux Romains ou aux Normands ? Faut-il voir en lui un château-fort du moyen-âge, destiné à être habité et à servir de point de défense, ou un castellum exploratorium, un corps-de-garde, une vigie qu’établirent les Romains comme une espèce de sentinelle avancée, et où de petits détachements de troupes pouvaient trouver un refuge en cas de surprise ? Sans résoudre cette question, sur laquelle des antiquaires d’un mérite distingué n’ont pas osé se prononcer, n’est-il point possible que les constructions romaines destinées à ne former qu’un simple poste, qu’un corps-de-garde, aient été augmentées de quelques accessoires et converties en un château-fort du moyen-âge ? Il est certain que tous les travaux ne paraissent pas remonter à l’époque romaine, et qu’il en est qui sont d’une date moins ancienne.

Le voisinage de Montcâtre, où les Romains ont eu un camp, semble confirmer l’opinion de ceux qui admettent que ces conquérants ont occupé l’emplacement du château de Lithaire. N’a-t-on pas aussi trouvé, entre le château et un village nommé Amont-la- Ville, qui figure sur la grande carte de Cassini sous le nom Damonlaville, des restes de fourneaux, ainsi qu’une grande quantité de scories ou de mâchefer qui en provenait ? Leur présence parait justifier l’opinion généralement répandue qu’il y a eu, dans les environs de Montcâtre et de Lithaire, quelques-unes de ces forges que César a appelées ferrariœ, ou un établissement pour la fonte du minerai. Les dépôts de laitier ou de machefer forment la principale preuve de leur existence. Le minerai devait provenir des forêts de Brix et de Bricquebec. Peut-être serait-il difficile d’indiquer l’époque à laquelle remontent ces résidus ; on sait au surplus que les Romains fondaient près de leurs établissements le fer dont ils avaient besoin. Dans les scories que j’ai pu examiner, je n’ai trouvé ni poteries, ni briques à rebords ; il est vrai que ces tuiles à rebord ne seraient pas une preuve pour attribuer à l’époque gallo-romaine les forges qui ont pu exister à Lithaire ou dans les environs ; car postérieurement à cette époque, et pendant les IXe et Xe siècles, les tuiles à rebords ont continué d’être en usage. J’ai cherché à savoir si l’on n’avait point trouvé quelques débris de creusets, de fourneaux portatifs, comme on en faisait alors, mais mes recherches ont été sans résultats. Dans le moyen-âge, certains barons, dans la Normandie, avaient le droit exclusif d’extraire du minerai dans l’étendue des domaines qui relevaient de leurs fiefs : ce droit était assez important pour que ces seigneurs prissent dans leurs actes le titre de barons fossiers, c’est-à-dire de propriétaires de mines et de forges de fer.

Quoi qu’il en soit, le château de Lithaire est assis à la pointe d’un rocher de grès quartzeux escarpé et abrupte. Cette éminence fait suite à la chaîne de rochers qui sont dans le bois voisin de Montcâtre. Comme site et comme aspect, rien de plus curieux que ce mamelon rocheux sur lequel règne la belle ruine du château de Lithaire. L’élévation du point où il est établi permettait de dominer la campagne, d’observer les mouvements de l’ennemi, et de l’empêcher de se dérober à la vue de ceux qu’il voulait attaquer.

Les murs sont simples et dépourvus de ces accessoires qu’on rencontre dans les châteaux-forts ; ainsi, point de créneaux, de corbeaux, de machicoulis, de parapets ; ils ont peu d’élévation, mais une grande épaisseur ; ils sont en pierres brutes, de grès quartzeux, et jetées seulement dans un bain de mortier. Ces pierres ont été prises sur les lieux, et sont de la même espèce que les roches dont le sommet du mont et les chemins qui y conduisent sont hérissés.

Le mur septentrional a dû être détruit au commencement du XIIIe siècle, sur les ordres du roi de France, Philippe-Auguste.

L’enceinte du château formait un carré ; elle mesurait extérieurement, du levant au couchant, 13 mètres 80 centimètres, et du nord au midi, 13 mètres 70 centimètres ; l’intérieur avait, du nord au sud, 8 mètres 60 centimètres, et de l’est à l’ouest, 8 mètres 90 centimètres, ce qui donnait, pour les murs, une épaisseur d’environ 5 mètres. Le mur méridional existe encore en entier ; il est aujourd’hui envahi et enveloppé par un beau lierre séculaire, qui ajoute à son aspect antique.

On a pratiqué dans la muraille de l’est un petit appartement voûté qui a 2 mètres 41 centimètres du nord au midi, et 1 mètre 40 centimètres de l’est à l’ouest ; sa hauteur, à partir de l’intrados, est de 2 mètres 29 centimètres ; il est garni d’un soupirail ou d’une cheminée, suivant qu’il était à usage de prison ou de logement. On trouve au midi un autre petit appartement, espèce de guérite, d’où les sentinelles pouvaient surveiller ce qui se passait au sud et à l’ouest du château ; mais il est sans soupirail ou cheminée.— On ne remarque aucune pierre de taille dans les chambranles des portes, ni dans les angles rentrants des murs. [20]

Source :

Notes

[1] Chateaubriand, Génie du christianisme

[2] Plusieurs titres de la Sainte-Chapelle concernent la cure de Lithaire. Voir Mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie, tome XVII, pages 312 et 313.

[3] La débite était une somme de moins de vingt sols, que chaque curé payait annuellement à l’évêque.

[4] Voir Neustria pia, pag. 843 ; Gall. Christ., tome, XI, col. 945.

[5] Depuis ma visite au prieuré de Brocquebeuf, de grands travaux de réparation y ont été entrepris.

[6] Roman de Rou, vers 13554

[7] Dumoulin, Histoire de Normandie, livre VII.

[8] Chronique de Normandie, édit. de Martin Le Mégissier, Rouen, 1578, page 110, au verso.

[9] Masseville, Histoire de Normandie, tome I, page 202.

[10] Voir le registre des fiefs de Philippe-Auguste.

[11] Voir le registre des fiefs de Philippe-Auguste.

[12] Fontenay dans l’arrondissement de Valognes.

[13] Moreri, Dictionnaire historique, V. Luzerne (la), et Mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie, tome XIX, page 119.

[14] Elle était fille d’Antoine de Franquetot, seigneur de Coigny, président à mortier au parlement de Normandie.

[15] Mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie, tome XIX, page 85.

[16] Mss. de M. Toustain de Billy.

[17] Droit seigneurial qui se payait au seigneur pour son consentement à la vente des terres situées dans l’étendue de son fief ; car nul ne peut vendre, n’engager, si ce n’est du contentement du seigneur, la terre qu’il tient de lui par hommage. Basnage, sur l’article 171 de la coutume de Normandie.

[18] Annuaire du département dt la Manche. année 1850, page 539.

[19] Les constructions anciennes sont attribuées soit aux Romains, soit aux Normands ; mais j’ai remarqué que, le plus généralement, on les attribue aux Anglais dont l’occupation, moins éloignée de notre époque, a laissé de plus profonds souvenirs.

[20] Je dois, en terminant l’article sur Lithaire, témoigner ma reconnaissance à l’excellent M. Dubosc, curé de Lithaire, qui m’a obligeamment accompagné lors de mon excursion dans sa paroisse, et m’a fourni des renseignements qui m’ont été fort utiles.