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Gorges - Notes historiques et archéologiques


Gorges, Gorgis.

Le mot Gorges, d’après certains étymologistes, signifie passage d’une rivière entre deux hauteurs. Quoi qu’il en soit, Gorges est cité comme une des plus anciennes paroisses de la contrée.

L’église se compose du chœur, d’une nef et de deux chapelles.

Le chœur est voûté en pierre, et ses arcs doubleaux tombent sur des colonnes à chapiteaux garnis de volutes ; il est éclairé au nord par des fenêtres longues et étroites, et au midi par deux fenêtres sans caractère ; sa partie la plus ancienne peut dater du XIVe siècle, peut-être de la fin du XIIIe.

La nef, aujourd’hui voûtée en bois, a dû l’être en pierre ; car on remarque encore, le long des murs, des demi-colonnes dont la partie inférieure se termine par un petit crochet, et dont les chapiteaux sont ornés de volutes. La voûte a été abaissée ; l’existence de l’ancien toit est attestée par le profil ou l’arête encore visible de la toiture primitive : ce changement date sans doute de l’époque où un violent incendie, arrivé dans le mois de septembre 1613, endommagea l’église et consuma plusieurs maisons voisines.

Les fenêtres qui éclairent la nef au nord et au midi sont longues, étroites et légèrement cintrées. Celles des chapelles offrent le même caractère.

Le mur absidal est droit, percé de deux fenêtres à ogive, sans moulures et aujourd’hui bouchées. On remarque, dans le mur occidental, une grande fenêtre à deux baies séparées par un meneau, et garnie d’un simple cordon. Cette fenêtre a son cintre rempli d’un quatre-feuilles trilobé, ornement dont on a fréquemment fait usage au XIVe siècle.

La tour, placée au point de jonction du chœur et de la nef, est quadrilatère, et soutenue par quatre piliers formés de colonnes groupées et engagées. Les arcades, à l’intérieur, sont à ogive et retombent sur des chapiteaux couverts de volutes et dont l’abaque ou le tailloir est de forme ronde. Les moulures ou tores sont bien profilées et les scolies bien évidées. Des arcades ogivales, garnies de colonnes avec chapiteaux ornementés, sont appliquées à l’extérieur sur chaque façade ; deux de ces arcades sont aveugles et deux autres sont percées d’une longue ouverture. Cette tour est du XIVe siècle ; mais elle a été réparée en 1767 : un petit toit à double égout la couronne.

Le portail présente une arcade dont l’archivolte se compose de quatre tores, qui descendent sur des colonnes cantonnées en croix. On remarque sur les chapiteaux un tailloir rond, des crochets et des feuilles d’eau.

Le font baptismal est formé d’une cuve carrée, d’une longueur de 88 centimètres et d’une hauteur de 47. Quatre colonnettes ornées d’un simple tore la soutiennent et reposent sur une base carrée, du centre de laquelle s’élève un gros fût. On remarque une figure à chaque angle de la cuve. Peut-être sont-ce des anges qu’on a voulu représenter.

Chaque panneau de la chaire offre un des évangélistes avec ses attributs. Le dais est soutenu par des figures dont le corps se termine en cariatide.

Sur le mur méridional de la nef, il existe une inscription que couvrait un des tableaux du Chemin de la croix, quand je visitai l’église. Ce tableau ayant été enlevé, M. l’abbé Lecardonnel, vicaire de Saint-Jores, a eu l’obligeance de me relever ainsi cette inscription : (Lettres gothiques)

Michel Gavey pbre natif de ceste paroisse reconnaissant
des biens quil a recupx de la main libérale de Dieu à delaissey
une maison et jardin prez leglise pour tenir escole publiqz et cent
soulz de rente sur une pièce de terre qui butte au chemin Gohier dont jouist Franc
........pour célébrer une messe du st sacrement chacun jeudy de la s. par le maistre
descole item et cent soulz de rente sur une maison et jardin
l. butte le chemin dausvair dont jouit pierre leroux. Et pour
avoir droit de sépulture à ceste église luy Pierre et Elie Gavey ses
freres et successeurs et entretenir 2 cierges au grand autel aux festes
solennelles et faire un service de 3 messes a notte chacun an
le lundi de Pasqz et dire une messe le iour de lassomption
nostre dame par le maistre descole. Le tout comme il est contenu aux
contratz passez devant les tabellions de Lithaire 1er devant
Jacque Yon et Jean Deslandes 1600 le 2 devant Guillaume Menue
et Deslandes 1608 le 3 devant Eustace et Louis Salmon 1619
item noble homme Robert Samson donez 30 livres de rente à leglise dont
y a 12 livres pour le maistre descole. Mémento mori.
pater noster ave maria
.

La tour renferme quatre cloches. Sur deux on lit le millésime 1810, et sur une autre le millésime 1818. La plus ancienne porte l’inscription suivante :

LAN 1624 J’AI ETE NOMMEE ANNE
PAR DAME ANNE VAULTIER FEMME ET EPOUSE
DE NOBLE HOMME GUILLAUME DE SCAINTE-MERE-EGLISE
SIEUR D’OCTEVILLE ET NOBLE ET DISCRETE PERSONNE
MESSIRE THOMAS DE JOUCOURT Pbre
CURE DE GORGES POUR LA PORTION DE PARIS
ET DISCRETE PERSONNE Me. FRANÇOIS LE CLERC P.
CURE DE GORGES POUR LA PORTION DE CAMPION.

L’église est sous l’invocation de la sainte Vierge. Elle dépendait de l’archidiaconé du Bauptois et du doyenné du même nom. Dès le XIIIe siècle, et sous le règne de saint Louis, la paroisse avait trois portions curiales et autant de patrons.

La première, nommée portion du Roi ou de Paris, payait une décime de 40 livres. Le roi en avait le patronage, à la représentation de Thomas de Gorges dont le fief avait été confisqué par Philippe-Auguste. Le curé de cette portion était seul décimateur, ce qui lui valait alors 70 livres. Le presbytère de la portion de Paris sert aujourd’hui de maison d’école pour les garçons.

Robert de l’Espeisse avait le patronage de la seconde portion qui se composait de son fief de l’Espeisse. Elle était taxée à 38 livres de décime. L’abbaye de Blanchelande, dont le seigneur de l’Espeisse fut un des bienfaiteurs, obtint le patronage de cette portion et le droit de collation à la cure. Le curé percevait toutes les dîmes, et recevait ainsi, dans le XIIIe siècle, 70 livres. Son presbytère existe encore ; la cour s’accède par deux portes cintrées, l’une grande, l’autre petite.

La troisième portion se nommait portion de Camprond, du nom du seigneur qui en avait le patronage, et qui, en 1250, l’aumôna au prieur et au chapitre de la collégiale de Mortain. Elle payait une décime de 38 livres, et rapportait au curé, seul décimateur, 40 livres. Dans le cours du XIVe siècle, Martin du Mesnil-Normand en était curé, et le patronage en appartenait à Guillaume de Camprond, écuyer. Elle avait une acre de terre que le comte de Mortain lui avait donnée, et sur laquelle le doyen et les chanoines du bienheureux saint Guillaume [1] de Mortain avaient coutume de prendre 30 sous. Il existait sur cette portion un manoir avec cour, grange, étables et puits. [2] L’ancien presbytère est devenu le presbytère actuel de la paroisse ; il a aussi ses deux portes cintrées, dont une grande pour les voitures, et l’autre petite pour les personnes à pied.

Cette division existait encore à l’époque de 1789, et les trois portions portaient toujours les noms de Paris ou du Roi, de l’Espeisse et de Camprond.

Il existait jadis sur la paroisse de Gorges deux chapelles, nommées l’une Sainte-Anne-des-Marais, et l’autre Saint-André. Celle-ci payait une décime de 12 livres, et était à la présentation du vicomte de Saint-Germain.

La chapelle Sainte-Anne était, dans le cours du XIVe siècle, d’un revenu de 20 livres. Nicolas de Minières en était alors vicaire, du don de monseigneur Philippe, roi des Français par la grâce de Dieu : cujus magister Nicholaus de Milleriis est uicarius de dono domini Philippi Dei gratia Francorum régis. [3] Les revenus, en 1663 et en 1673, étaient de 200 livres. Cette chapelle, qui figure sur la carte de Cassini, au milieu des marais, a été récemment réparée ; sa cloche ne date que de 1813.

Faits historiques

La voie romaine dite le chemin Perray, allant d’Alauna, Valognes, à Cosedia, Coutances, passait par Gorges. On a trouvé dans le voisinage de cette voie romaine plusieurs médailles et monnaies qui attestaient le séjour des Romains dans le pays. Quelques-unes de ces monnaies étaient d’or, à l’effigie de l’empereur Julien.

L’histoire de Gorges consiste un peu dans celle des immenses marais dont ses paroissiens ont dû, presque chaque siècle, défendre la possession. Je rappellerai succinctement les phases de ces contestations séculaires, les rattachant autant que possible aux autres faits historiques intéressant la paroisse.

Raoul de Gorges était à la conquête de l’Angleterre, et son nom figure sur presque toutes les listes. C’était un des chefs qui commandaient les troupes du val de Sienne, armées de longs bâtons garnis de pointes en fer. [4] Il obtint en Angleterre des domaines plus étendus et plus nombreux que ses fiefs de Normandie : sa famille y devint très-puissante par le mariage de l’un de ses descendants, Raoul de Gorges, avec une héritière des Morville, qui lui apporta en dot de grands biens, et entre autres plusieurs seigneuries dans les comtés de Dorset et de Sommerset. Sous le règne de Henri III, ce Raoul fut shériff du comté de Devon, gouverneur d’Exeter, et du château de Sherburn.

Son fils Raoul, Radulphm de Gorgiis, est cité aussi comme un des plus grands capitaines de son temps. Mis par Edouard 1er à la tête d’une armée que ce prince envoyait en Gascogne, Raoul fut fait prisonnier par les Français dans un instant où il était occupé à rendre la justice : cum sederet pro tribunali ad judicium faciendum.

Lorsque Philippe-Auguste réunit la Normandie à la couronne en vertu de l’arrêt de la cour des pairs rendu contre Jean-Sans-Terre, les seigneurs anglo-normands ne pouvant servir militairement deux maîtres à la fois, et deux maîtres ennemis, furent obligés d’opter entre leurs fiefs de Normandie et ceux qu’ils possédaient en Angleterre. Il parait qu’alors le seigneur de Gorges, dont les domaines en Angleterre étaient considérables, délaissa de préférence ses terres de Normandie, et imita en cela presque tous les autres barons. Alors ces terres et ces fiefs qui, dans l’origine, n’avaient été donnés par le souverain qu’à charge d’aveu, de foi et d’hommage, et d’un service militaire, rentrèrent dans les mains du roi, à titre d’écheoites, [5] soit pour cause de félonie du vassal, soit pour cause de refus de service envers son souverain ou suzerain, et formèrent cette masse de fiefs qui augmentèrent tout à coup le domaine royal en Normandie. Le fief de Gorges fut confisqué comme les autres.

Les biens de la couronne, et même les grands fiefs, n’étaient pas inaliénables à l’époque du XIIIe siècle [6] : on trouve beaucoup de chartes de Philippe-Auguste et de ses premiers successeurs qui constatent le don, l’aliénation ou l’inféodation à cens, de terres relevant du domaine ou des grands fiefs.

Le fief de Gorges et plusieurs autres furent donnés d’abord à la veuve de Philippe le Long, et ensuite au duc d’Orléans ; on lit en effet, dans l’acte de réformation du domaine de Saint-Sauveur-Lendelin de l’an 1476 : « Etat des rentes dues par les tenants de la table de Gorges et St Germain aux termes de Pâques et St Michel à cause de l’inféodation des terres et marais de Gorges, lesquelles rentes et revenus, fiefs et tènements et autres droits et dignités furent en l’an 1326 baillés en douaire à royne Jehanne [7] et depuis en l’an 1347 en saisine et propriété à feu Monsieur le duc d’Orléans Philippe. » [8] Ainsi, il y avait eu primitivement inféodation des terres et marais de Gorges, moyennant des rentes dues en froment, avoine, pains, poules, œufs et argent. Ce même papier-terrier offre le délai ! de plus de soixante parties de rentes qui toutes étaient dues, à l’un ou à l’autre terme de Pâques ou de la Saint-Michel, par les tenants ou leurs héritages dans la paroisse de Gorges.

Les marais de Gorges devaient faire partie, dans le XIe siècle, du comté de Mortain ; car, lorsque le comte Robert fonda la collégiale de Mortain, il donna à l’une des prébendes la dîme du marais de Gorges, et decimam de Gorgie maresco. [9] Vers la fin du XIIIe siècle, les habitants de Gorges, ceux de Baupte et de Coigny, furent en procès pour les marais de Gorges. Le bailli de Cotentin le termina l’an 1290 par la sentence suivante :

« A tous ceulx qui ces lettres verront le baillif de Costentin salut. Comme contens fut meu entre les parroissiens de la ville de Gorges dune part, et les parroissiens des villes de Baupte et de Coignies de lautre, sur ce que les parroissiens de ladite ville de Gorges disoient et proposoient contre les parroissiens de Baupte Coingnies que à tort et contre raison les avoient desaisis des communes des maresqs de Gorges assis et estants par devers eulx entre le doigt de Bricquebosc et comme le doyt se pourporte que eulx et leurs ancessours en avoient usé bien et paissiblement comme de leur droict depuis longtemps que il ne povoit venir en mémoire de lhomme ; lesdits parroissiens de Baupte et de Coingnies affirmant tout le contraire cest assavoir que à eulx droicture et non pas esdits parroissiens de Gorges lesdites communes appartenoient et en avoient usé eu temps passé comme de leur droit ; ces raisons et plusieurs autres proposées de lune partie et de lautre et cette contens par longtemps démenée et maintenue entre eulx :

Sachiez que à la parfin pour cette contens pendante entre les parroissiens devantdits savoir la vérité et mettre ce à droiclt fin, les parties contentieuses par procurators ou attournès souffisamment establis en droict par devant nous en ladite ville de Gorges prouchaine et joignante des communes dessus dites, la chose veue souffisamment par grande foison de bonnes gens, et oyes par emprès un et entendus toutes les raisons de l’une et de l’autre proposées, trouvé fut et attaint tout clerement par lenqueste et par le serment de vingt et quatre hommes sachant et tenus sans soupechon et sans nul saon et reculx par laccord desdites parties et qu’ils soient résidants et manants des susdites villes ou parroisses prouchaines à la chose contencieuse, cest assavoir que les parroissiens de Gorges dessusdits avoient droict en la manière quils proposoient par devant nous es communes dessusdites et pour ce lesdits attournés aux parroissiens de Beaupte et de Coingnies amendent lenquete attendue et lesdits parroissiens de Gorges sen allèrent comme de leur droit en plainiere saisine des communes dessusdites. Ce fut faict enquis et donné lan de grâce mil deux cens quatre vingt dix le mardy emprès la feste sainct Mathyas lapostre à la requeste des parroissiens de Gorges dessusdits, sauves la droicture le roy et laultry. »

On sait combien furent fréquentes, dans les XVIe et XVIIe siècles, les recherches des biens domaniaux. Les maîtres des eaux et forêts, ou des commissaires extraordinaires pris dans la haute magistrature, en étaient chargés successivement et à des époques souvent très-rapprochées. Chaque commissaire, sans tenir compte de ce qu’avait fait son prédécesseur, débutait toujours par saisir tout ce qui avait l’apparence d’un bien domanial, et par ordonner à ceux qui prétendaient y exercer des droits d’avoir à produire leurs titres. C’est ainsi qu’en 1575 la maîtrise des eaux et forêts de Carentan enjoignit aux habitants de Gorges de faire apparoir de leurs droits et titres si aucuns en ont. Les habitants de Gorges en représentèrent pour montrer le droit de propriété et de possession qu’ils ont aux terres et marais estant au détroit de ladite paroisse de Gorges..., à raison desquels ils paient grand nombre de rentes au roi notre sire en sa comté et recette de St Sauveur Lendelin...., suppliant la majesté du roi notre souverain seigneur les maintenir en leur possession desdits marais. Le 25 avril 1581, ils obtinrent de M. Brouauld, maître particulier des eaux et forêts, à Carentan, une décision conçue en ces termes : « Se sont présentés les communs et parroissiens de Gorges lesquels nous ont remontré que de tout temps immémorial les communes et marais dudit lieu de Gorges furrent fieffés à leurs prédécesseurs habitants dudit lieu par trente trois lignes ou parties de rentes mentionnées, et contenues en l’ancien chartrier et journaux de la recette du roi en son domaine de St Sauveur Lendelin par eux payés chacun an à ladite recette à cause desdits marais et sans aucun contredit ou empêchement des gens et officiers de Sa Majesté ni aucune personne que ce soit ....Pourquoi vu lesdites lettres et possessions par nous délibérés avec les avocat et procureur du roy, de l’avis et consentement d’iceux, nous avons perpétué lesdits parroissiens dudit lieu de Gorges à jouir et user desdits marais et communes selon et ainsy qu’ils en ont ci devant joui et possédé de temps immémorial suivant la teneur de leurs droits, en payant par lesdits coustumiers les cens, rentes et droits qui, pour raison de ce, sont dus et accoustumés d’estre payés à sadite majesté. ».

Les habitants de Gorges obtinrent encore, le 24 septembre 1618, du lieutenant-général des eaux et forêts du Cotentin, siégeant à Carentan, une nouvelle sentence de mainlevée d’une saisie domaniale, qui fut rendue de l’avis uniforme du procureur du roy et des conseux de la juridiction.

Dans la première moitié du XVIIIe siècle, Richelieu devenu tout puissant, n’avait pas seulement à se défendre de tous côtés au dehors, et à entretenir plusieurs armées ; il avait encore à apaiser les troubles de l’intérieur, et à réprimer entre autres la rébellion du comte de Soissons, excitée par son despotisme : cependant le Trésor était aux abois par suite de cette tension extraordinaire de toutes les forces de l’Etat. Aussi ne vit-on jamais inventer plus de ressources fiscales et recouvrer les nouvelles impositions avec une dureté plus impitoyable. On tenait surtout à faire acquitter par les gens de main-morte [10] le droit d’amortissement, [11] dont le paiement avait été tant de fois éludé. Louis XIII, pour y parvenir plus facilement, avait institué une cour souveraine siégeant au Louvre : son édit éprouvait cependant de vives résistances. Il fallait les faire cesser : aussi la chambre souveraine ayant égard à la remontrance du procureur du roi, « et pour faciliter autant qu’il se pourra le secours que Sa Majesté attend du payement desdites taxes, permit-elle aux gouverneurs, administrateurs, principaux et marguilliers des hopitaux, maladreries, confréries, collèges, fabriques et autres communautés de vendre et bailler à bail à longues années telles parts et portions des maisons, héritages et rentes à eux appartenant qu’il serait nécessaire pour le payement des sommes auxquelles ils ont esté taxés par la chambre. » La paroisse de Gorges fut taxée à 2,800 livres, et pour payer cette somme, elle fieffa au seigneur de Camprond une partie de marais appelée aujourd’hui l’île du Hommet.

Le marquis de Courcy obtint, en 1763, la concession, à titre de châtellenie, de plus de 2,000 acres de marais sur les rives de la Sève, de la Taute et de l’Ouve jusqu’aux Veys du Cotentin. Cette concession, qui avait pour cause, disait-il, le bien public et l’intérêt de l’agriculture, et qui comprenait les marais de Gorges et ceux du Bauptois, inquiéta vivement les habitants de Gorges. Le duc de Coigny, à cause de la baronnie de Gyé, réunie à son duché, attaqua aussi cette concession dans l’intérêt de ses vassaux des paroisses du Plessis, de Saint-Jores, Baupte et Coigny. Le roi lui-même qui avait craint que la demande du marquis de Courcy, quoique colorée du beau nom d’intérêt général, n’eût une cause moins respectable, ne l’avait accueillie que par des lettres-patentes, afin que, lors de leur enregistrement par le parlement de Normandie, ce grand et si respectable corps de la magistrature pût, usant de ses droits, rendre justice à ceux des sujets de Sa Majesté que la concession aurait lésés. Les prévisions bienveillantes du roi ne manquèrent pas de se réaliser : le parlement, par son arrêt du 9 avril 1767, fit défense audit sieur marquis de Courcy et à tous autres de troubler les habitants et paroissiens en général de ladite paroisse de Gorges. Louis XV, aussitôt après cet arrêt, donna une grande preuve de son respect pour les décisions de la justice ; car, de son propre mouvement, il révoqua les concessions faites au marquis de Courcy. C’est le plus bel exemple qu’un prince puisse donner que celui de son respect pour les arrêts de la justice, alors que, malgré les actes émanés de son autorité souveraine, ils consacrent les droits inviolables de la propriété.

Dans le cours du XVIIIe siècle, des réparations furent exécutées à la tour et à l’une des chapelles de l’église. Les habitants de Gorges, pour subvenir à la dépense de ces travaux, affermèrent plusieurs parcelles de leurs marais : ils s’assemblèrent, le 31 mai 1770, « volontairement au son de la cloche, et en conséquence de l’annonce faite aujourd’hui et de trois annonces précédemment faites par trois dimanches aux prônes des messes paroissiales de ladite paroisse de la réquisition du sieur François-Richard Lelièvre, sieur des Mares, syndic de ladite paroisse, les sieurs curés, paroissiens et communs habitants d’icelle pour délibérer les affaires de leur communauté, et principalement pour bannir et affermer au plus offrant et dernier enchérisseur plusieurs morceaux de marais, appartenant à leur communauté, à prendre dans le marais de Gorges, pour les deniers provenant du prix d’iceux vertir et être employés à faire les réparations urgentes et nécessaires à la tour et chapelle de leur église. Lesquels sieurs curés et paroissiens présents par les sieurs Claude Colin, prêtre, curé de ce lieu pour la portion du Roi, David Leguelinel, aussi curé de ce lieu, pour la portion de Camprond, et Armand-Auguste Leforestier, écuyer, sieur de St Malo, et Nicolas Le Coq, sieur des Mons, Me Nicolas Rihouet, Richard Leloutre...., et autres communs habitants de ladite paroisse, les présents faisant fort pour les absents, ont délibéré.....  » Ils affermèrent dix portions de marais pour 350 livres 4 sous.

Fiefs

La paroisse et les marais de Gorges relevaient du domaine du roi par la vicomté de Saint-Sauveur-Lendelin. Dès les temps les plus reculés jusqu’à l’époque de 1789, la paroisse a compris trois fiefs nobles, comme elle a eu trois portions curiales.

Le fief de Gorges, appelé portion du Roi ou de Paris, dépendait, au commencement du XIIIe siècle, de l’honneur (de honore) de Méautis. Philippe-Auguste le confisqua sur Thomas de Gorges, [12] et un arrêt de l’échiquier de Pâques 1212 ordonna la destruction du château qui appartenait à ce seigneur.

Le fief de l’Espeisse dépendait aussi de la baronnie de Méautis. Robert de l’Espeisse, qui le tenait du roi, était obligé au service d’un chevalier : Robertus de Spissia tenet inde feodum unius militis apud Spissam de Gorges et alibi. [13]

Le fief de Camprond, dont le manoir se trouve au sud-ouest de l’église, appartenait en 1390 à Thomas de Camprond, en 1518 à Jacques de Camprond, en 1554 à Eustache de Camprond, en 1586 à François de Camprond, sieur de Gorges et de Blihoust (Bléhou), et en 1688 à Nicolas de Camprond. Ces seigneurs de Camprond se qualifiaient de seigneurs de Gorges : leur fief, en 1762 et 1767, appartenait au marquis d’Ourville, qui avait recueilli leur héritage.

L’emplacement du château de Gorges ne peut être indiqué ni reconnu d’une manière certaine. On m’a signalé à l’entrée du marais de Gorges, près de la chapelle Sainte-Anne, un terrein qui devait offrir autrefois la forme et les restes d’une enceinte en terre. On ne retrouve aujourd’hui ni enceinte, ni motte, ni tertre, annonçant qu’une tour féodale, élevée dans cet endroit, aurait servi de point de défense.

Il existe près du Hommet, à l’est de la paroisse de Gorges, à l’endroit dit la Plancterie, un lieu nommé le Castel de Gorges : ce serait, d’après la tradition, l’emplacement d’une forteresse qui servait de point de défense contre les attaques du château du Plessis. Le castel de Gorges fut sans doute détruit, comme inutile, lorsque Guillaume le Conquérant, pour punir Grimoult du Plessis de sa félonie, fit raser sa forteresse. La butte sur laquelle il était assis est à peine reconnaissable, tant les fossés dont elle était entourée sont aujourd’hui comblés. Deux pièces de terre voisines se nomment l’une le gardin Potier, et l’autre le Clos guerrier.

On indique aussi comme l’emplacement d’un château-fort une grande ferme, située à peu de distance de l’église, nommée la cour de Gorges ou la grande maison de Gorges, ou encore le manoir de Camprond. C’est sur ses ruines qu’on a élevé le colombier qui se voit dans la cour, entourée de bâtiments dont quelques-uns offrent des portes cintrées. L’ancien manoir a été en partie remplacé par des constructions nouvelles : il était flanqné de deux tourelles dont l’une existe encore ; ses fenêtres étaient à deux baies, divisées par une croix de pierre. On y remarque, au rez-de-chaussée et au premier étage, deux grands appartements ayant chacun une vaste et belle cheminée décorée de moulures, de colonnettes avec chapiteaux, et de pilastres cannelés. Il ne parait pas qu’il ait jamais été entouré de fossés.

Ce manoir et son domaine ont appartenu au marquis de la Houssaye d’Ourville. Ils sont aujourd’hui la propriété de l’une de ses petites-filles.

On trouve encore à Gorges un manoir féodal du XVIe siècle, nommé le château de Metterville. Il se compose d’un bâtiment principal et de deux petits pavillons avancés. On y remarque des fenêtres divisées par des croix de pierre ; les plus étroites le sont par un simple meneau, formant traverse, disposition qui se trouve assez constamment dans les châteaux de la fin du XVIe siècle ou du commencement du XVIIe. Les cheminées y sont vastes, et ornées de pilastres dont la partie supérieure est à plusieurs retraits.

L’escalier est placé dans une tourelle carrée, formant saillie à l’extérieur ; ses murs sont percés de petites ouvertures terminées par un rond-point ouvert. Sous l’un de ses degrés en pierre, j’ai lu cette inscription en lettres gothiques : Ce seizeieme iour de may 1568 ce logys fuct faict et basty. Ce manoir appartenait à la famille Leforestier de Saint-Malo.

On rencontre à Gorges deux anciennes familles : la famille Lecoq, qui fut anoblie en 1544, et la famille Malherbe, à laquelle le village de la Malherberie, près le presbytère de Camprond, doit son nom. C’est à cette ancienne famille, qui figure à Gorges dès le XVe siècle, qu’appartient le maire actuel de la commune, M. Jean Malherbe.

Source :

Notes

[1] La collégiale de Mortain dédiée à Saint-Evroult finit par être connue sous le nom d’église de Saint-Guillaume, à cause d’un grand miracle qui s’y fit sur le tombeau du bienheureux Guillaume Firmat.

[2] Voir le Livre noir et le Livre blanc de l’évêché.

[3] Voir le Livre blanc de l’évêché.

[4] Histoire militaire des Bocains, par Richard Ségnin.

[5] Echéoites, biens échus per eschaetam, dit le Livre des fiefs du roi Philippe-Auguste. Au surplus, ces mots eschante, escaete, eschoite, ont plusieurs significations différentes. Ils désignent souvent l’héritage qui, par la mort de son propriétaire, appartient à des mineurs ou à des femmes, et qui devient ainsi sujet à garde noble.

[6] L’inaliénabilité du domaine de la couronne que les ordonnances de Charles le Bel et de Charles V paraissent avoir voulu consacrer, ne l’a été définitivement que par l’édit de François Ier du 30 juin 1539.

[7] Veuve de Philippe le Long en 1322, morte en 1329.

[8] Frère du roi Jean. Ce duc d’Orléans mourut sans postérité en 1375.

[9] Mémoires de la société des Antiquaires de Normandie, tome XVII, page 335

[10] Les gens de main-morte étaient tous les corps et toutes les communautés qui, possédant par une succession de personnes, ne produisaient aucune mutation par mort, et ne pouvaient disposer de leurs biens sans l’autorisation du prince ou celle de la justice.

[11] Le droit d’amortissement était une redevance que les gens de mainmorte payaient au roi comme indemnité de la perte que l’Etat éprouvait de ce que leurs biens n’entraient point dans le commerce.

[12] Liber feodorum domini regis Philippi.

[13] Liber feodorum domini regis Philippi.