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La Feuillie - Notes historiques et archéologiques


La Feuillie, Foliata, Foilliata, Fuilleia, Foilleia.

L’église n’offre aucun intérêt, et, lorsque je la visitai, les paroissiens me parurent montrer peu d’empressement pour sa décoration intérieure. Elle se compose du chœur, d’une nef et de deux chapelles, ce qui lui donne un caractère cruciforme.

La nef est du XIe ou XIIe siècle. Ses murs ont subi des reprises, et cependant ils offrent encore, le mur méridional surtout, des assises de cette maçonnerie, nommée opus spicatum. On y remarque, au midi, une porte cintrée, aujourd’hui murée. Quoique, de ce côté, les fenêtres soient étroites, elles paraissent en avoir remplacé d’autres qui, sans doute, dataient aussi du XIe ou XIIe siècle. Les autres fenêtres sont insignifiantes.

Une tour quadrilatère, terminée en bâtière, est placée à l’extrémité du chœur, vers le nord.

A la voûte de la chapelle septentrionale, on lit :

PIERRE CABAR FONDA CETTE CHAPELLE, EN 1626.

L’autel et les deux portes de la sacristie ont été donnés par Urbain Poignant, et datent de 1774. Le rétable offre l’Adoration des Mages. Saint Nicolas, comme patron de la paroisse est à droite, et saint Louis à gauche. [1] L’autel est orné de deux colonnes. La chaire est de 1777.

Le font baptismal se compose d’une cuve octogone, placée sur quatre petites colonnettes, ornées d’un simple chapiteau et de tores ou moulures rondes.

Chaque cloche porte une des inscriptions suivantes :

L’AN 1812, J’AI ÉTÉ BÉNITE PAR M. PIERRE SALMON,
CURÉ DE LA FEUILLIE, ET NOMMÉE EUGÉNIE-ALEXANDRE
PAR M. ALEXANDRE NIGAULT DE VAUVERS,
JUGE AU TRIBUNAL CIVIL A PARIS, ET PAR MADAME
EUGÉNIE SURCOUVE, FEMME DE M. LESCAUDEY DE MANNEVILLE.
EN PRÉSENCE DE JEAN LEGOUIN, FILS SIMÉON
ET MAHIER, FILS JACQUES, MAIRE ET ADJOINT.
*****
L’AN 1812, J’AI ÉTÉ BÉNITE PAR M. PIERRE SALMON
CURÉ DE LA FEUILLIE, ET NOMMÉE MARIE-LOUISE
PAR M. GILLES LECLERC DE VAUX-CLAIRE,
LIEUTENANT CIVIL ET CRIMINEL AU CI-DEVANT
BAILLIAGE DE PÉRIERS, ET DEMOISELLE
ANNE-FRANÇOISE AVRIL, FILLE DU SIEUR AVRIL,
JUGE-DE-PAIX DU CANTON DE PÉRIERS, EN PRÉSENCE
DE JEAN LEGOUIN, FILS SIMÉON ET MAHIER FILS JACQUES,
MAIRE ET ADJOINT.

L’église est sous le vocable de saint Nicolas. Dès l’année 1134, elle est appelée ecclesia beati Nicolay de Foliota, dans une charte donnée par Algare, évêque de Coutances, et confirmative de plusieurs patronages à l’abbaye de Lessay. Elle payait une décime de 35 livres, et se trouvait comprise dans l’archidiaconé de la Chrétienté et le doyenné de Périers. L’abbaye de Lessay en avait le patronage : c’était Robert de La Haye-du-Puits qui lui avait donné cette église. Turstin Haldup et son fils Odon, lorsqu’ils fondèrent cette abbaye, lui donnèrent la dîme de leur moulin de la Feuillie et de ses pêcheries : Et decimam molendini de Foilliata et de piscariis. Une bulle du pape Urbain III, donnée en l’année 1186, confirme à cette abbaye l’église de la Feuillie, ses dîmes et la dîme du moulin : Ecclesiam de Foleia cum decimis et ceteris pertinentiis suis... decimam molendini de Folleia. [2]

Dans le XIIIe siècle, le curé était seul décimateur, et il avait environ quinze vergées de terre aumônée. Sa cure valait alors vingt livres. Dans le siècle suivant, la dîme se partageait en deux portions : la grande et la petite. L’abbé de Lessay avait les deux tiers de la grande portion, ce qui lui valait 60 livres. Le curé de Sainte-Opportune avait l’autre portion, qui lui donnait 30 livres. Le chapelain du seigneur de Pirou avait un trait de dîme, qui lui rapportait 60 sous. Le curé en avait un autre valant 10 livres, avec un manoir bâti sur une acre de terre aumônée.

Faits historiques

Dans les premiers jours du mois de mai 1852, un habitant de la Feuillie, travaillant la terre de son jardin, trouva un vase en terre cuite, contenant environ 8,000 pièces de monnaies minces et blanches, datant des XIe, XIIe et XIIIe siècles, et appartenant aux règnes de Philippe Ier, Louis VI, Louis VII, Philippe-Auguste, Louis VIII, saint Louis et Philippe le Hardi (1060 à 1285).

Une partie se composait de monnaies seigneuriales. Ainsi, on en trouvait d’Herbert Ier et d’Herbert II, comtes du Mans, de l’an 1016 à l’an 1062 ; de Robert, comte de Dreux ; de Samson de Mauvoisin et de Henri, troisième fils de Louis le Gros, archevêques de Reims, de 1140 à 1175 ; du cardinal archevêque de Reims, Guillaume de Champagne, oncle de Philippe-Auguste, et régent du royaume pendant la troisième croisade ; d’Albéric de Hautvillars, archevêque de Reims ; d’Eléonore de Vermandois ; de Guillaume III, comte de Ponthieu ; de Raymond, comte de Toulouse ; de Renaud de Dammartin, comte de Boulogne, fait prisonnier à la bataille de Bouvines, [3] mort au château de Péronne, en 1227 ; de Thibault, comte de Champagne ; de Simon, comte de Châteaudun ; d’Alphonse, comte de Poitiers et de Toulouse ; de Charles d’Anjou, roi de Sicile, tous les deux frères de saint Louis ; et de Jean le Roux, duc de Bretagne. [4]

Dans le pays, on ne connait pas d’événements historiques qui se seraient passés dans la contrée, aux époques où ces monnaies étaient en circulation, et auxquels leur présence pût se rattacher. Peut-être furent-elles enfouies sous le règne de Philippe de Valois, alors que commencèrent, entre la France et l’Angleterre, ces longues guerres qui durèrent plus d’un siècle.

Saint Louis, en l’année 1269, donna à fieffe perpétuelle, à Jean Desjardins, de Périers, et à ses héritiers, pour 30 sous de rente, payable, chaque année, à la Saint-Michel, la pêcherie de son vivier de la Feuillie, sans pouvoir détruire la chaussée, ni détériorer le moulin, et sous la condition de respecter les droits d’autrui. [5] Alors, le Roi possédait le moulin qu’on voit sur la rivière d’Ay, au-dessous de l’église ; il lui venait du partage du comté de Mortain, après la mort de Philippe de Boulogne ; car, le premier lot qui échut au Roi comprenait la Feuillie : Hec est prima lotia, dit l’acte.., Criencie ; Foilleia.... Rex cepit istam lotiam, actum apud Rothomagum in scacario pasche, anno gracie mccxxxv mense aprilis. [6] Ce qui parait encore confirmer ce fait, c’est qu’en 1249, le Roi paya aux exécuteurs testamentaires du comte de Boulogne, à cause du moulin de la Feuillie, 12 livres 5 sous. [7]

Dans le cours du XIVe siècle, la défaite de Poitiers [8] et la captivité du roi Jean donnèrent à Godefroy de Harcourt, qui possédait la seigneurie et le château-fort de Saint-Sauveur-le-Vicomte, les moyens et la liberté de parcourir et de ravager la Basse-Normandie ; mais bientôt il abandonna ses projets, et reprit le chemin de Saint-Sauveur-le-Vicomte, où était sa principale forteresse. Le roi de France avait alors, dans Coutances, sous le commandement de Robert de Clermont, quelques troupes qui lui étaient restées fidèles, parmi lesquelles étaient entre autres nobles chevaliers le sire Raoul de Rayneval, le sire de Réville et le sire de Tréauville. Tous ces braves résolurent de marcher contre le seigneur de Saint-Sauveur-le-Vicomte. Quand messire de Harecourt qui « étoit hardi et courageux durement, sçut que les François étoient venus en la cité de Coutances, si les désira grandement à trouver sur les champs et assembla tout ce qu’il pouvoit avoir de gens d’armes, d’archers et de compagnons, et dit qu’il chevaucheroit devers eux. Si se partit de Saint-Sauveur-le-Vicomte, et pouvoient être environ cinq cents hommes... Ce propre jour , continue Froissart, chevauchoient les François et envoyé leurs coureurs découvrir. Si rapportèrent à leurs seigneurs que ils avoient vu les Navarrois. D’autre part aussi messire Godefroy de Harecourt avoit envoyé ses coureurs qui avoient chevauché un autre chemin et considéré le convine de François, bannières et pennons et quelle quantité ils étoient.... »

Ce fut à la Feuillie, à quelques lieues de Coutances, d’après la tradition, que les troupes se rencontrèrent, dans un champ que Froissart appelle un Vignoble ; [9] mais laissons parler ce bon chroniqueur, cet excellent historien :

«  Quand messire Godefroy eut apperçu l’ordonnance, si se retraist tout sagement et tout bellement au fort d’un vignoble, enclos de drues haies, et entrèrent toutes ses gens là-dedans ceux qui y purent venir. Quand les chevaliers françois qui là étoient en virent la manière, ils se mirent tous à pied, ceux qui à cheval étoient demeurés, et avironnèrent le fort et avisèrent comment ils pourroient entrer. Si allèrent tout autour tant que ils trouvèrent voie ; et se aherdirent (se serrèrent les uns contre les autres) entre eux pour entrer là-dedans. A cette entrée de l’enclos s’engagea un combat opiniâtre ; les Français perdirent beauooup de monde ; mais, enfin, ils forcèrent la brèche, et Raoul de Rayneval parvint à planter sa bannière au milieu du vignoble. Les gens de Monseigneur, continue Froissart, si s’enfuirent et partirent la plus grand’partie, et ne purent souffrir les François. Quand messire Godefroy de Harecourt vit ce, et que mourir ou être pris il convenoit, car fuir il ne pouvoit, mais plus cher avoit à mourir que a être pris, il prit une hache et dit à soi même que il se vendroit ; et s’arrêta sur son pas, pied avant autre, pour être plus fort, car il étoit boiteux d’une jambe, mais grand’force avoit en ses bras. Là se combattit vaillamment, longuement et hardiment, et n’osoit nul attendre ses coups.
Quand les François en virent la manière, et qu’il donnoit ses coups si grands qu’ils le ressoingnoient, si montèrent deux hommes d’armes sur leurs coursiers et abaissèrent leurs lances, et s’en vinrent tous d’une empeinte sur le dit chevalier et l’aconsuivirent (l’atteignirent) tous ensemble d’un coup de leurs glaives, tellement qu’ils le portèrent par terre. Quand il fut chu, oncques puis ne se releva. Lors s’avancèrent aucuns hommes d’armes à tout épées de guerre fortes, dures et étroites, et lui enfilèrent par dessous au corps, et là le tuèrent sur place... Cette avenue vint environ la Saint Martin en hiver, l’an mil trois cent cinquante six.
 » [10]

Dans le cours du XVIIe siècle, on comptait trois fiefs nobles à la Feuillie : le fief du Roi relevant du domaine de Saint-Sauveur-Lendelin, et dont le vicomte de Périers était le sénéchal ; le fief ou branche de la baronne de Cavilly, en la paroisse de Sainte-Opportune ; et le fief de Créances, relevant du comté de Créances.

Les religieux de l’abbaye de Lessay avaient à la Feuillie un moulin à eau et à blé, dont le revenu, en 1689, était de 480 livres. Dès l’année 1423, ils déclarent, dans un aveu, avoir, dans la paroisse de la Feuillie, un moulin d’eau.

Je ne dois pas oublier de mentionner un fait qui aurait, pour la paroisse de la Feuillie, une grande importance, s’il se vérifiait : c’est que la famille du grand Racine serait peut-être originaire de la Feuillie. Voici ce qu’on lit dans un rapport que M. Dubosc, le savant et laborieux archiviste du département, adressait à M. le Préfet, dans le mois de juillet 1852 : [11]

« J’ai rencontré, dans les archives du domaine de Saint-Sauveur-Lendelin, un titre qui prouve que Guillaume Racine, demeurant à Ambleville, au Vexin-le-François, avait des parents dans la paroisse de la Feuillie, au diocèse de Coustances, en l’année 1607. Ambleville étant à quinze lieues, au plus, de la Ferté-Milon, berceau de la famille du grand Racine, je me suis demandé s’il n’y aurait point eu, par hasard, quelques rapports entre cette famille et celle de Guillaume Racine. La bisaïeule de l’auteur d’Esther et d Athalie s’appelait Anne Gosset ; elle dut mourir vers 1593. Or, il arrive que le nom de Gosset se rencontre, dans le XVIe siècle, à la Feuillie, où celui de Racine a été fort commun dans tous les temps. » Cette dernière coïncidence doit naturellement augmenter les soupçons et provoquer de nouvelles recherches.

Source :

Notes

[1] Voir la note pag. 18. Annuaire de la Manche, 1854.

[2] Gall. christ., tom. XI, Instrum., col. 248.

[3] Bataille gagnée par Philippe-Auguste, le 27 juillet 1214, contre Jean Sans-Terre et Othon IV, empereur d’Allemagne.

[4] Mémoires de la Société académique de Cherbourg, ann. 1856, pag. 86.

[5] Voir l’art. Saint-Sébastien-de-Raids, Annuaire de la Manche. 1857, pag. 57.

[6] Cet acte de partage est du mois d’avril 1235. — Voir Mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie, tom. XVI, pag. 66.

[7] Anno domini m° cc° xl° nono mense mayo debentur hec executoribus testamenti domini Philippi quondam comitis Bolonie dominus rex.. Item de molendino de Foleie 12 libras 5 solidos. — Mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie, tom. XVI. pag. 325.

[8] Bataille perdue par les Français, le 10 septembre 1356, et dans laquelle le roi Jean fut fait prisonnier.

[9] La culture de la vigne, d’après M. Léopold Delisle, ne pénétra pas dans le Cotentin ; quelques essais, cependant, furent tentés dans des terreins où le voisinage de la mer adoucissait la température. Ainsi, en 1233, une partie de la dot d’Isabelle et de Raoul de Fougères, son mari, consistait en vignobles, situés à Agon (Annuaire de la Manche. 1857, pag. 57) : Apud Agonin in Normanniae totum redditum dominae Credonii et quidquid vitis ibi habet. Geoffroi de Montbray, évêque de Coutances, planta dans cette ville un verger et une vigne : Virgultum et vineam plantavit (Gall. christ, tom. XI, Instrum., col. 219.). Renaud d’Orval donna aux moines de Lessay un clos, nommé le Vignoble (Voir Annuaire de la Manche, 1853, pag. 53.). Etudes sur la condition de la classe agricole et l’état de l’agriculture en Normandie, au moyen âge, par M. Léopold Delisle, pag. 418 et suiv.

[10] Froissart. Chroniques de France. 2eme partie, liv. Ier, chap. 54 et 55. — Collect. des Chroniques. Edit. de M. Buchon, tom. III, pag. 260.

[11] Annuaire du département de la Manche, 1854, pag. 319.