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Histoire du Seigneur de Hambye et de son Ecuyer.


 [1]Dans l’antique château de Hambye, près Coutances, dont la dernière tour est tombée en 1830, vivait jadis un brave chevalier qui partageait ses affections entre une épouse douée d’une grande beauté et la gloire des combats. En ce temps-là l’ile de Jersey était désolée par un monstre qui en dévorait les habilans. C’était un énorme serpent ou dragon ailé , dont le corps était couvert d’écaillés et la force immense. Le seigneur de Hambye aborde à Jersey pour le combattre , accompagné d’un seul écuyer. Les insulaires le conduisent en tremblant vers l’ endroit où le serpent fait son séjour ; mais leur terreur est telle , qu’après avoir indiqué le lieu de loin avec la main, ils s’enfuient au plus vile, n’osant rester spectateurs de ce qui allait arriver. Le brave guerrier ne tarde pas à apercevoir le dragon se roulant en vastes sinuosités sur le gazon de la vallée. Il s’élance de suite,la visière baissée et la lance en arrêt, contre ce formidable ennemi,mais le fer se brise contre la dureté de ses écailles. Pendant que le chevalier tire son glaive , le serpent s’élance sur le cheval qu’une morsure empoisonnée ne tarde pas à priver de la vie. Le chevalier se débarrasse des étriers et ici commence un combat si effroyable, que l’écuyer n’y pouvant tenir, se sauve sur une-éminence voisine. Le bruit que faisaient les dents et les griffes de l’animal sur l’ armure en.acier, dont heureusement le chevalier était entièrement couvert, retentissait au loin. Quelques coups d’épée portés dans ses entrailles et son gosier en font couler abondamment le sang etle poison. Enfin après .une lutte de plus de deux heures, le monstre tombe et expire. L’écuyer, qui s’était rapproché quand il avait vu la chance du combat tourner en faveur de,son maître, s’empresse de le débarrasser de son armure qui, depuis ïa tête jusqu’aux pieds , est souillée et empestée par des flots du sang du dragon. Mais une lutte aussi longue avait épuisé les forces du héros ; après avoir repris haleine, il succombe au besoin du sommeil et s’endort. C’est alors que l’ écuyer , honteux dune lâcheté dont il craint la révélation , et de plus cédant aux, atroces projets que le démon lui suggère, profite de ce moment pour égorger son maître. Il va ensuite rejoindre les habitans de l’ile que la peur avait constamment tenus éloignes du lieu du combat, et, d’un air affligé , il leur en raconte l’issue, comme si le chevalier avait d’abord péri par ïes morsures du serpent , et comme si lui, son fidèle compagnon, avait vengé sa mort en plongeant son épée dans la gorge du monstre. Ce récit est cru ; le seigneur de Hambye est enterré au lieu de son malheur, et les crédules Jersiais ont la faiblesse d’attester, comme témoins oculaires, dans un écrit qu’ils remettent à l’écuyer, que les choses s’étaient passées ainsi que ce scélérat les leur avait racontées. Muni de ce témoignage qu’il avait eu soin de faire revêtir du sceau des principaux de l’ile il retourne à Hambye, et se présente comme le vengeur de son maître.
Il fut reçu dans là famille avec de grands honneurs, et personne ne parut soupçonner sa scélératesse. Quand le deuil de la dame châtelaine fut passé, il osa aspirer à sa main, et tous les parens semblaient agréer cette union. La dame seule éprouvait de ces répugnances invincibles, qui sont comme une voix intérieure plus sûre ordinairement que les raisonnemens. Le ciel ne permit pas que le criminel obtint le prix de son forfait et le frappa d’un châtiment exemplaire. Partout où il s’arrêtait, il lui semblait voir son maître debout devant lui, le gosier percé et ensanglante, et le regardant d’un air silencieux, Dans un moment où il se préparait à complimenter la dame du château, il aperçoit le défunt époux qui était auprès d’elle. Une autre fois , invité à un festin par La famille, lorsqu’il se dispose à prendre place à la table, c’est encore son maître qu’il trouve sur le siège même où il va s’asseoir. Alors le coupable n’y tient plus, il sort de la salle en poussant des cris ; saisi d’une fièvre ardente, il avoue son crime. Une information scrupuleuse eut lieu et confirma cet aveu. Dégradé de l’ordre sacré de la chevalerie. il fut pendu en dehors do château de Hambye. La veuve infortunée fit élever un tombeau à son mari dans l’ile de Jersey , sur une éminence qui s’appelle encore aujourd’hui la Hougue-Bie, comme qui dirait la colline de Bie. Hougue, dans l’ancien langage normand et dans le danois, signifie une hauteur ; [2] Hambye , dans le même langage, signifie le hameau de Bie, ham village, hameau, habitation, [3] Cette histoire, qui est racontée dans les chroniques de Sivrey, a été l’objet de quelques pièces de poésie en langue anglaise , et même un poète de Jersey en a composé une romance française, passablement tournée pour un Jersiais. [4]

Notes

[1] extrait de l’ Annuaire du département de la Manche, Volume 6, page 206

[2] Chroniques de Jersey, par Sivrey, pages 1 et 2.

[3] Dictionnaire celtique de Bullet. Depping sur les invasions des Normands, dans les notes.

[4] Chroniques de Sivrey, dans les notes de la 1re page