Le50enligneBIS
> Personnalités de la Normandie > Seigneurs, ducs, comtes ... > Les Ducs de Normandie > Les Ducs héréditaires de Normandie > 03. Les Ducs héréditaires de Normandie - Richard 1er Sans Peur

03. Les Ducs héréditaires de Normandie - Richard 1er Sans Peur

Troisième duc de Normandie. (943 - 996.)


NDLR : Richard Ier de Normandie, dit Richard Sans-Peur (° ca 930-† 996), est le fils naturel du duc de Normandie Guillaume Longue-Épée et de Sprota, [1] et le troisième duc de Normandie ; en fait, ses prédécesseurs et lui-même dans un premier temps se qualifient de jarl et/ou comte des Normands. Il est le premier à se qualifier de marquis.


NDLR : texte de 1860, voir source en bas de page.


JPEG - 50.1 ko
Statue de Richard 1er

La mort prématurée de Guillaume laissait le trône entre les mains d’un enfant à peine âgé de dix ans. La minorité de Richard offrait aux ambitieux une occasion facile. Ils ne tardèrent pas à en profiter.

A peine les seigneurs normands, sincèrement dévoués à la famille de Rollon, eurent-ils juré foi et hommage à leur jeune duc et assuré ses vertus à venir, en lui choisissant de dignes tuteurs, que le roi de France, le même Louis IV d’Outre-mer à qui Guillaume Longue-Epée avait fait rendre deux fois son royaume envahi, conçut l’injuste projet de profiter de la minorité de son vassal pour recouvrer la Normandie.

Hugues, comte de Paris, offrit de l’aider dans cette entreprise, en y mettant la condition de partager les dépouilles. Toutes les mesures étant prises, Louis IV accourut à Rouen, où il avait droit de paraître en qualité de suzerain, et, sous le prétexte d’informer contre les meurtriers de Guillaume, il s’empara du jeune Richard et s’imposa comme son tuteur.

Les seigneurs normands s’aperçurent aussitôt de ce qui allait arriver. Leur patriotisme se réveilla. Ils étaient tous fils et petits-fils de ces aventuriers qui avaient reçu de Rollon de bonnes terres et de beaux châteaux ; ils devaient reconnaissance à sa famille, et Richard en était le seul rejeton. A peine le roi de France se fut-il emparé de lui, que l’on commença à entendre des murmures de tous côtés. Un jour même, ils assiégèrent son palais, et comme plus tard la mère de Louis XIV, le roi de France, pour calmer leurs soupçons, fut obligé de se montrer à une fenêtre, portant dans ses bras le noble enfant.

L’ambition ferme souvent les yeux et donne un courage frénétique. Louis IV eut celui de faire occuper par ses soldats les principales places de la Normandie, et de s’enfuir précipitamment de Rouen à Évreux, emmenant avec lui sa précieuse proie. Il montrait tant d’audace, qu’on n’osa l’arrêter ; on aima mieux faire semblant de le croire. Il voulait, disait-il, conduire Richard à Laon, pour lui faire partager l’éducation et les jeux de son fils Lothaire.

On l’y conduisit en effet ; mais Osmond, le gouverneur du jeune prince, homme instruit et prudent, remarqua avec peine que Laon était une des plus fortes places du royaume et que son jeune maître y était gardé à vue. Ses soupçons augmentèrent, lorsqu’il sut que le roi de France, au lieu de punir Arnould, comte de Flandre, du meurtre de Guillaume Longue-Épée, venait de déclarer qu’il avait bien mérité de la patrie.

Cependant, comme si tout était tranquille, Osmond semble s’occuper uniquement de l’éducation de Richard. Il lui enseigne le maniement des armes, le fait monter à cheval, et le jette dans tous les tumultes de la chasse. Un jour même, son élève et lui allèrent si loin, que le roi de France, fort inquiet, fit courir après son prisonnier et le fit ramener violemment. Sa colère alla même jusqu’à menacer Richard de le faire énerver, supplice affreux à l’usage des rois détrônés. C’était plus qu’il n’en fallait pour confirmer les pressentiments d’Osmond. Dès ce moment il ne songea plus qu’à fuir.

JPEG - 41.1 ko
Le jeune Richard s’enfuit de Laon

Intelligent et plein de courage, le petit Richard se met au lit. Il refuse toute nourriture et devient pâle et blême comme un enfant qui va mourir. Ses gardes, le voyant si malade, se relâchent un peu de sa surveillance ; ils ne font plus sentinelle à la porte ; un jour même qu’il y avait fête au château, et que les ménestrels, dans les salles basses, chantaient aux varlets et aux pages leurs plus joyeux refrains, Osmond s’aperçoit qu’il n’y a plus personne dans les corridors. Aussitôt il entre chez le jeune Richard, l’enveloppe dans une botte de foin, l’attache sur la croupe d’un cheval, et, déguisé lui-même en palefrenier, il sort ainsi de la ville de Laon, sans que personne lui barre le passage, et emporte au galop son précieux fardeau jusqu’à Senlis. Le comte de Senlis et le seigneur de Coucy, réveillés par cette bonne nouvelle, promettent de prêter main-forte au jeune duc, et toute la Normandie pousse un cri de joie à la nouvelle de cette délivrance.

Les seuls qui ne se réjouirent pas furent le roi de France et Arnould. Celui-ci avait toujours à craindre que Richard ne vînt lui demander raison du meurtre de son père. Il pressa le roi de déclarer la guerre à la Normandie. L’ambitieux Hugues de France joignit ses instances à celles d’Arnould, et Louis IV entra en campagne.

Le danger était grand. Les Normands, avec cette finesse d’intelligence qui les caractérise, comprirent qu’ils ne pouvaient se défendre que par la ruse. Pour rétablir les chances de la guerre, il était important de briser l’alliance entre le comte Hugues et le roi Louis.

Bernard, le chef de la maison d’Harcourt, s’avance au-devant du roi de France, avec tout le clergé et toute la noblesse ; il vient lui offrir la soumission de la ville de Rouen. Les guerriers paraissent ne vouloir plus combattre que sous l’oriflamme. « Recevez, disent-ils, une fertile province qui, venue de vos ancêtres, se range librement sous votre sceptre. »

Le roi se laissa prendre à ces démonstrations. Il descendit dans la maison du comte d’Harcourt, qui, à la fin du dîner, lui adressa le discours suivant : « Je suis triste et joyeux, sire : joyeux de voir que désormais la Normandie fleurira sous votre sceptre, et triste d’entendre que vous vous soyez dépouillé de la plus belle, plus riche et plus grande partie, pour en investir le comte de Paris, agrandir sa maison et servir de marchepied à son ambition. Désormais, quand Hugues voudra empiéter une partie de votre sceptre et courir sur le ventre de vos armées, la noblesse normande lui ouvrira le chemin. Vingt mille hommes sages et valeureux, jadis le bras droit de Longue-Épée, seront armés contre vous au premier son de la trompette. Cherbourg, Saint-Lô, Avranches, Coutances, Bayeux, Caen, Lisieux, Alençon, Falaise, Séez, Évreux, les meilleures villes de la Normandie, sont incloses en la part que vous lui faites ; et penser les remettre en vos mains après qu’elles auront reconnu Hugues pour seigneur, ce serait croire l’impossible facile. Repassez un peu, sire, par votre mémoire, combien de fois cet ambitieux a voulu déjà s’élever et entreprendre sur vous, et vous jugerez comment, plus riche d’hommes, de places fortes et de biens, il abaissera les cornes de son ambition et vous obéira. Non, sire, ne permettez pas que ce pays, le plus fertile du monde, qui se jette entre vos bras et vous reçoit pour seigneur, tombe en la puissance de votre ennemi. Plutôt, sans permettre qu’il le ruine davantage, ajoutez à votre couronne ce beau fleuron de la Normandie tout entier. »

Ce discours, non moins que la soumission apparente de la Normandie, jeta dans l’âme du roi de France une confiance si entière, qu’il écrivit au comte Hugues, pour qu’il eût désormais, lui Hugues le Grand, à renoncer à l’entreprise commencée, puisque la Normandie recevait le roi de France à bras ouverts, et qu’ainsi le roi n’avait besoin de personne pour la soumettre. Le comte de Paris obéit ; mais dès ce moment Louis IV eut un ennemi de plus et un puissant auxiliaire de moins. C’était ce que les Normands avaient prévu.

A leur tour ils font faire des propositions à Hugues, qui les accepte ; vingt-deux navires leur apportent une armée de Danois auxiliaires, sous les ordres du redoutable Aigrold, et la guerre est déclarée à la France.

Le roi, pris à l’improviste, fut obligé de livrer bataille. Ses soldats furent tous tués et mis en déroute, dans les environs de Croissanville, et le roi fait prisonnier. Après l’action, les Danois s’arrêtèrent à dépouiller les morts. Les cavaliers chargés de garder le roi de France, épris du désir de butiner comme les autres, l’abandonnèrent pour aller au pillage. Le roi se sauva. Il entrait déjà dans la forêt de Touques, quand un cavalier rouennais le reconnut et le prit. Louis, tombé d’un péril dans l’autre, pour éviter la mort, conjure le cavalier de le sauver et de le conduire à Laon, en lui promettant de grandes richesses et les plus belles charges de sa cour. Le cavalier, aveuglé par de si belles promesses, oublie ce qu’il doit à sa patrie et s’engage à le sauver. Il le conduit dans une maison qu’il avait dans une île près de Rouen. Cependant celui qui s’était d’abord chargé de la garde du roi de France s’aperçoit que son prisonnier s’est échappé. Il le fait chercher, le trouve et le remet en prison.

Le jeune duc de Normandie fait son entrée solennelle dans sa capitale au milieu des feux et des cris de joie.

Une conférence a lieu à Saint-Clair-sur-Epte. Louis, Richard et Hugues y assistent. On y stipule que le roi de France renonce à ses prétentions, reconnaît Richard comme duc de Normandie, l’exempte du service militaire et consent à donner en otage ses deux fils Louis et Carloman.

Hugues, admirant sans doute combien la captivité du roi à Rouen avait changé la fortune tout à l’heure si précaire de la Normandie, veut aussi, lui, profiter de l’occasion et retient Louis prisonnier.

La reine, alarmée, court en Allemagne implorer le secours d’Othon, son frère. Celui-ci s’unit à Arnould, comte de Flandre, le meurtrier de Guillaume Longue-Épée, pour secourir l’héritier du trône. Une armée considérable s’avance et met le siége devant Senlis. Après avoir échoué devant cette ville, elle se dirige vers Paris.

Les Parisiens font une vigoureuse résistance et forcent les coalisés à se retirer. Ceux-ci, ne pouvant se venger de Hugues, veulent au moins faire payer chèrement à Richard, son allié, les secours qu’il lui a fournis.

Ils s’emparent de Pontoise, ravagent le Vexin et s’approchent de Rouen. Les Normands vont au-devant d’eux jusqu’à Bihorel. Une bataille s’engage ; au milieu de l’action, Richard tue de sa propre main le neveu de l’empereur, en s’écriant : « Si je perds mon pays, au moins ce ne sera pas de toi. »

Malgré la valeur du jeune duc, le succès demeura incertain.

Les habitants de Rouen avaient tout préparé pour une vigoureuse résistance. Othon perdit bientôt l’espoir de s’en emparer. Il délibéra alors s’il ne devait point renoncer au siége qu’il avait entrepris. Arnould craignit d’être abandonné par Othon et livré aux Normands, qui lui auraient fait payer cher l’assassinat de leur duc. Il décampa pendant la nuit avec toutes ses troupes, et cette puissante coalition n’eut d’autre fruit que la liberté du roi. On dit qu’en apprenant cet heureux triomphe, Hugues le Grand s’écria, en s’adressant à ses fils : « Je désire, mes enfants, que vous formiez vos plus belles actions à l’air de celles du duc de Normandie, et que son bon conseil soit la règle de votre prudence. »

La paix générale ayant été conclue à Senlis (952), par l’intervention du pape, le comte de Paris voulut reconnaître les services de son fidèle allié Richard, en lui confirmant la promesse qu’il lui avait faite de la main de sa fille Emma. Cette princesse était très-jeune ; mais, dans la verdeur de son printemps, elle montrait les fleurs d’une grande beauté.

Le roi de France mourut deux années après, laissant pour successeur son fils aîné, nommé Lothaire. Le comte de Paris aurait pu s’emparer de la couronne ; mais il aima mieux régner sous le nom du jeune roi. Il se trouva ainsi maître de presque toute la France ; mais il ne jouit pas longtemps du pouvoir. Il mourut en 956, après avoir donné le duc de Normandie pour tuteur à ses enfants.

Richard se trouva ainsi, pour un moment, héritier de la puissance de Hugues. Maître de la Normandie et des États du comte de Paris, il fut le véritable chef de la France.

Alarmés de la puissance de Richard, les princes voisins essayaient de se défaire de lui. La reine-mère, de son côté, lui cherchait partout des ennemis. Elle s’adressa à Thibaut, comte de Blois, et au comte de Flandre, Arnould, qui saisissait toutes les occasions pour attaquer les Normands. Une coalition presque aussi redoutable que la première fut formée contre Richard.

La Normandie fut attaquée à l’Est par les Flamands et par les partisans de Lothaire. Les coalisés voulurent passer la petite rivière d’Eaulne ; mais ils furent battus. Baudouin, fils d’Arnould, fut blessé et mourut peu de temps après.

Au Midi, la Normandie fut envahie par Thibaut, qui s’empara de la ville d’Évreux ; l’ennemi s’avança même jusqu’aux faubourgs de Rouen ; mais il fut repoussé par Richard et forcé de se retirer.

Les coalisés, se voyant battus, appelèrent à leur secours le comte de Perche et le comte d’Anjou. Les Normands, de leur côté, se voyant menacés de toutes parts, invoquèrent l’appui de leurs compatriotes du Nord, ainsi qu’avait fait Guillaume Longue-Épée.

Les guerriers danois débarquèrent à l’embouchure de la Vire. Ils se répandirent dans les États du comte de Chartres et y firent la guerre à leur manière, c’est-à-dire qu’ils pillèrent et brûlèrent tout, au point, dit Guillaume de Jumièges, qu’on n’entendait plus un seul dogue aboyer dans le comté de Thibaut.

Il fallut céder. On députa vers Richard. On intéressa ses sentiments religieux au rétablissement de la paix, qui fut enfin conclue. Les Danois remontèrent sur leurs barques, chargées de vivres, et ils cinglèrent vers l’Espagne.

Le nouveau triomphe du duc Richard de Normandie fut suivi d’une longue prospérité. A l’abri de toute attaque, il put contempler paisiblement les événements qui se passaient dans les pays voisins et les diriger selon ses intérêts.

Les arts trouvèrent dans Richard un protecteur éclairé. Il augmenta le monastère de Saint-Ouen, agrandit la cathédrale de Rouen, bâtit l’église de Fécamp et fit réédifier l’abbaye de Fontenelle ou Saint-Wandrille. Heureuse fantaisie qu’avaient alors les plus grands monarques d’attacher leur nom à quelques-unes de ces fondations pieuses, où il est si doux de rencontrer, dans ces époques de barbarie, un peu de solitude au milieu du bruit, la prière au milieu de ces mœurs débordées, la science et l’étude au milieu de cette ignorance profonde, de cette nuit des esprits et des âmes !

Pendant les dernières années de Richard s’accomplit l’un des plus grands événements politiques de ces temps-là : je veux parler de l’usurpation du trône de France par les Capétiens sur la famille de Charlemagne.

Après la mort de Lothaire (986), son fils Louis V lui avait succédé. Ce prince n’ayant régné qu’un an, la couronne appartenait à Charles, duc de Lorraine. Mais le nouveau comte de Paris, Hugues, plus ambitieux que ne l’avait été son père, se fit proclamer roi dans Paris et soumit par la force ceux des seigneurs qui s’opposaient à son avènement. Richard le servit imprudemment dans cette affaire, en lui soumettant la Flandre et le Vermandois. L’amitié qu’il gardait à son ancien pupille l’entraîna, dans cette circonstance, au delà de la prudente circonspection si habituelle aux Normands. Nous verrons plus tard les successeurs de Capet élever sur la Normandie les mêmes prétentions que les Carlovingiens.

L’année 996 vit enfin s’éteindre le vieux duc de Normandie, que les historiens ont nommé sans Peur. Il avait régné cinquante-quatre ans.

Sentant sa mort approcher, il s’était fait construire un tombeau dans sa bien-aimée ville de Fécamp, non dans l’église, mais dehors et sous une gouttière, afin, disait-il, que la pluie lavât son corps sale de tant de péchés. Ce palais mortuaire achevé, il ordonna que, pendant le reste de ses jours, on le remplît tous les vendredis de froment, pour le distribuer aux pauvres avec cinq sous ; ce qui fut fait pour le bien desdits pauvres et le salut de son âme.

« Ce prince était de riche et haute taille, avec le visage vermeil, la barbe longue et les cheveux épais. C’était le père nourricier des religieux et des pauvres, le soutien du clergé, le tuteur des orphelins, l’ennemi des superbes et l’amour des humbles. »

Il laissa de Gonnor, sa seconde femme, six enfants, parmi lesquels Richard, qui lui succéda ; Robert, archevêque de Rouen ; Emma, qui fut mariée à Ethelred, roi d’Angleterre ; Havoise, à Geoffroy, duc de Bretagne, et Mathilde, qui épousa Eudes, comte de Chartres.

Notes

[1] Elle est aussi connue sous le nom de Sprotta Adèle de Bretagne de Senlis