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Jean-Louis Asselin de Cherville - bio


JEAN-LOUIS ASSELIN DE CHERVILLE.

Il y a des hommes qui, par leurs études et leurs profondes connaissances, semblent être appelés à jouir d’une certaine renommée, et qui cependant restent dans l’oubli, tandis que beaucoup de médiocrités finissent par acquérir un nom.
Le personnage dont nous allons parler est peu connu de ses compatriotes, parce qu’il a vécu loin de sa patrie. Nous allons tâcher de réparer le trop long oubli dans lequel nous l’avons laissé enseveli.
Jean-Louis Asselin, dit Cherville, vice-consul de France, premier drogman de la cour d’Alexandrie, naquit à Cherbourg, le 10 juillet 1772. Il montra de bonne heure un goût particulier pour l’étude.
Il commença ses humanités à Cherbourg , et les termina à Valognes. en l’année 1790. Comme il se destinait à l’état ecclésiastique, M. Bécherel, évêque de Coutances, lui conféra la tonsure, dans le chœur de l’église de Cherbourg, en 1792. Les événements de 1793 lui firent abandonner cette carrière. Se trouvant compris dans la classe des jeunes gens que la Convention nationale appelait alors pour servir la patrie, il devint soldat, mais l’éducation qu’il avait reçue le fit appeler à l’école normale, que le gouvernement venait de former à Paris. Asselin s’y distingua par son amour pour les différentes sciences qu’on y enseignait. Cette école ayant été supprimée en 1794, il revint à Cherbourg, où il resta sans emploi jusqu’au 15 décembre 1795, époque à laquelle il fut appelé de nouveau à Paris pour y exercer les fonctions de commis à la Trésorerie nationale (ministère des finances), fonctions qu’il remplit jusqu’au 5 juillet 1802.
Etant sorti de cette place, il se livra avec ardeur à l’étude des langues orientales jusqu’au 15 avril 1806. M. le Ministre des relations extérieures, pour le récompenser de l’application qu’il avait mise à étudier ces langues, voulut bien parler de lui à Napoléon, qui, sur-le-champ, l’employa dans le département des affaires étrangères, en qualité de second drogman du ’consulat de France au Caire.
Asselin exerça honorablement ces nouvelles fonctions jusqu’ au 4 septembre 1816, où il fut nommé vice-consul de France et premier drogman du consulat-général en Egypte.
Ce fut dans cette place que Jean-Louis Asselin, goûtant un peu de repos, se perfectionna dans l’étude des langues orientales, et mit le comble à sa réputation de savant orientaliste. I1 était en relation avec tous les hommes de lettres qui visitaient l’Egypte. Pendant son vice-consulat, il parcourut une grande partie de l’Orient, et recueillit dans ses excursions scientifiques une infinité de livres manuscrits , composés par les plus savants écrivains de l’Orient. Il en traduisit et en commenta plusieurs. Jean-Louis Asselin fut mis en retraite le 31 décembre 1821, Débarrassé entièrement du tracas des affaires que lui suscitait sa place, il se livra avec ardeur à la continuation d’un travail d’une grande importance et d’une vaste étendue ; le but de ce travail consistait à retracer l’origine des nations , par là comparaison et l’analyse des dialectes. Nous ignorons jusqu’à présent si cet ouvrage a été achevé et l’endroit où il se trouve. Asselin mourut au Caire le 25 juin 1822, dans la 50e année de son âge, regretté des savants et des gens de bien. Sa bibliothèque manuscrite, composée de quatorze cent soixante volumes, a été acquise par le gouvernement français et placée à Paris à la bibliothèque royale.
Parmi les savants qui voyagèrent en Egypte, de son temps, on compte MM. les comtes de Forbin et de Marcellus, qui lui firent l’honneur de le visiter. Voici ce qu’on lit sur notre compatriote dans un ouvrage sur le Levant, publié par M. le comte de Forbin, en 1819 : [1] « Je voudrais parler bien plus longuement de plusieurs Francs » que j’ai connus au Caire, et dont j’ai reçu de nombreuses preuves de bienveillance. M. Asselin de Cherville, vice-consul de France, unit beaucoup de savoir à la plus grande modestie. Il est très-versé dans la connaissance des langues orientales : ses études, ses recherches, offriront un jour le plus grand intérêt. »
Le passage suivant extrait des souvenirs de l’Orient par M. le comte de Marcellus, n’est pas moins intéressant : » Je fus introduit par M. Asselin de Cherville lui-même dans le laboratoire où il accumulait les nombreux manuscrits qu’il avait recueillis à grands frais, et où il achevait ses commentaires et ses traductions. Absorbé depuis long-temps par ses profondes études, cet orientaliste avait contracté 1 habitude de la retraite et du silence. Je le trouvai vêtu du costume ottoman, courbé sur ses feuillets et ses parchemins, tel que l’école hollandaise représente Erasme avec une longue robe et un bonnet de fourrure au milieu de ses » livres et de ses propres écrits. M. de Cherville » renonçant à toute distraction extérieure, s’était imposé une grande tâche. Il cherchait à retracer l’origine des nations par la comparaison et l’analyse des dialectes. « Je lutte contre l’immense barrière opposée à la civilisation du monde, me disait-il ; tous les efforts des Anglais et de nos missionnaires français (les plus ingénieux » et les plus zélés de nos modernes philanthropes) échouent contre le même obstacle : la différence des langages ; et cette différence est surtout plus marquée en Afrique. On ne peut dépasser quelques centaines de milles, au midi ou à l’occident de l’Egypte, sans rencontrer des peuples nouveaux, qui, par leurs idées morales, leurs besoins et surtout leur langage, sont éternellement étrangers les uns aux autres. Placé au Caire, centre du commerce et point de réunion des nations policées de l’Orient comme des peuples sauvages du Sud, j’ai voulu connaître tous les dialectes du Nil, depuis ses sources jusqu’à ses embouchures, et les idiomes des vastes déserts qui nous environnent. Enfin, malgré l’aversion naturelle et les préjugés des Musulmans, même les plus lettrés envers un chrétien, je suis parvenu à fonder une sorte d’Académie de traducteurs, dans le sein de la » mosquée d’El-Arhar. »  » M. de Cherville me fit voir les innombrables manuscrits, fruit de ses travaux, qui reproduisaient pour moi la prodigieuse fécondité des écrivains espagnols ; j’ai retenu les titres de plusieurs de ces importantes élucubrations.  » D’abord, la traduction entière de la Bible en dialecte abyssinien ; cet ouvrage, refusé à Paris , fut acheté au prix de mille livres sterling (25,000 fr. ) par la Société biblique de Londres ;  » L’examen critique des historiens arabes de l’Egypte ;  » Des dictionnaires comparatifs des idiomes parlés et si rarement écrits dans la Nubie, le Sennaar, le Darfour, les Oasis des îles de la Mer Rouge et des Arabes du désert, en Afrique ; des Aghouans, des Kurdes, et des Malais en Asie ;  » Des traductions de Lokman, de Pilpay , des œuvres complètes de Saady, et des plus célèbres poètes arabes et persans ;  » Enfin, le catalogue des manuscrits que renferment les bibliothèques du Caire. Je me laisse entraîner par mon goût pour les vieux livres, à raconter trop longuement ce que je vis chez M. de Cherville, et je ne dis pas seulement la moitié des écrits que- je feuilletai ou qu’il énuméra lui-même. » [2]

La calomnie n’avait pas épargné cet orientaliste. C’est M le comte de Marcellus qui nous l’apprit dans une lettre en réponse à quelques renseignements que nous lui avions demandés sur sa personne. Mous allons donner un extrait de cette lettre, qui fait autant d’honneur à notre concitoyen qu’elle flétrit en même temps la calomniateurs :

« Paris, 22 avril 1843. Je voudrais, Monsieur, pouvoir répondre à votre lettre d’une manière plus satisfaisante sur M.  Asselin de Cherville, l’orientaliste. Je ne passai que peu de jours auprès de lui au Caire. en 1820. J’avais, en ma qualité de Secrétaire d’ambassade, la mission de contrôler sa gestion consulaire et d’inspecter ses travaux. Je tins à les faire connaître, et j’eus à cœur de justifier mon savant compatriote de quelques accusations qui s’étaient élevées contre lui. Le comte de Forbain, mon beau-père, avait, dans son voyage qui précéda de trois ans le mien, porté un témoignage tout aussi favorable de M. Asselin, et nous avons souvent depuis parlé ensemble de notre admiration pour ses patientes études. Veuillez recevoir, etc. Le Comte De Marcellus. « 

Nous devons l’indication des principaux ouvrages manuscrits de la collection d’Asselin de Cherville, à l’obligeance de MM. Champollion-Figeac et Renaud , conservateurs au département des manuscrits de la bibliothèque royale. Nous transcrivons ici cette note telle que ces MM. nous l’ont donnée :

  • 1° Géographie d’Edrisi, en arabe, avec des cartes. Cet ouvrage ne doit pas être confondu avec le traité publié en arabe et en latin, sous le titre de : Geographia Nubiensis ; celui ci n’est que l’abrégé du premier. De plus, le présent volume est accompagné de carte qui facilite l’intelligence du texte.
  • 2° Traduction arabe d’Atala, ouvrage de M. de Chateaubriand.
  • 3° Recueil de proverbes, en arabe, par Meydany.
  • 4° Un tableau de toutes les sciences, en arabe, un vol. in-f°
  • 5° Commentaire sur les séances de Hariri, par Scberyschy , le texte et le commentaire sont en arabe.
  • 6° Vie des hommes illustres de l’islamisme, par lbn-Khallekan, en arabe. Cet ouvrage commence aux premiers temps de l’islamisme, et se termine an milieu du XII1’ siècle de notre ère.
  • 7° Histoire moderne de l’Egypte, par Djeberti, en arabe. L’auteur se trouvait au Caire au moment de l’expédition française, et le récit de cette célèbre campagne tient une place considérable dans l’ouvrage.
  • 8° Commentaire sur les poésies d’Omar-Ibn-Faredh, en arabe. Omar était un poète du XIIIe siècle de notre ère, voué à la vie contemplative et appartenant à l’ordre des Sofis. Ses poésies sont encore très-recherchées des Sofis.
  • 9° Chronique universelle, en arabe, par Youssouf, de Damas. Celte chronique s’étend jusqu’au XVIIe siècle de notre ère, et fournit des renseignements sur une époque postérieure a la rédaction des principaux traités arabes du même genre.
  • 10" Histoire du sultan Mahmoud le Gasnevide, qui, vers la fin du Xe et au commencement du XIe siècle de notre ère, régna sur la Perse Orientale et le nord de l’Inde, en arabe, par Otby.
  • 11° Traité de rhétorique , en arabe, par Ibn-Alatir.
  • 12° Commentaire sur les poésies de Motenabbi, poète du Xe siècle de notre ère, le tout en arabe.
  • 13" Histoire romanesque du sultan Bibars- Boudokdar, qui régnait sur l’Egypte et la Syrie au XIIIe siècle de notre ère, en arabe.
  • 14° Ketab Alferoussyé, ou traité des machines de guerre et des matières incendiaires , en arabe.
  • 15° Poésies de Hassan, fils de Rabet, en arabe. Hassan était contemporain de Mahomet, et Mahomet le chargeait quelquefois de répondre aux attaques de ses ennemis.
  • 16° Une vie de Mahomet, en arabe, en plusieurs volumes, et où se trouvent des détails inédits.
  • 17" Commentaire sur le traité de grammaire arabe, intitulé : Alfyya, par Ibn-Akyl. Le texte et le commentaire sont en arabe ; mais le premier est en vers et le second en prose. La bibliothèque royale ne possédait pas ce commentaire quand M. de Sacy publia son édition de l’Alfyyâ, accompagnée de notes.
  • 18° Commentaire sur les poésies d’Ybn-Zeydoun, par Séfédi, en arabe. lbn-Zeydoun était un poète arabe d’Espagne du XIe siècle de notre ère.
  • 19° Traduction arabe de l’astronomie de Lalande.
  • 20° Un volume dépareillé de la chronique arabe, de Nowairi. Cette chronique se compose d’un grand nombre de volumes, et la bibliothèque royale n’en possède pas d’exemplaire complet. Ce volume se rapporte au règne du sultan Biban, si fécond en événement.
  • 21° Un volume petit in-4°, renfermant divers traités arabes, notamment la géographie d’Ibn- Sayd, et une histoire abrégée des guerres des Croisades. I
  • 22° Traité de toutes les sciences, composé par une société appelée du nom de Jkhouan Alsafa, ou frères de la pureté, en arabe.
  • 23° Traité de chirurgie, en arabe , avec des figures, par un médecin arabe d’Espagne, nommé Aboulcassem, et dont le nom a été changé en Albucassis.
  • 24° Recueil des poésies de six poètes arabes contemporains de Mahomet et même antérieurs. Ces poètes sont : Amrou-Alcais, Nabega, Alcama , etc. Le texte est ici accompagné de quelques courtes notes. La copie est très-ancienne et fort belle.
  • 25° Le poème de Ferdouci, intitulé : Schah-Namé, ou livre des Rois, et qui renferme l’ancienne histoire de la Perse , depuis la création du monde jusqu’à l’invasion des Mahométans , au VIIe siècle de notre ère. Ce poème est en persan. L’exemplaire est d’une bonne exécution et orné de peintures.
  • 26° Un vocabulaire cofte arabe, intitulé : Sollam ou Echelle, etc.

Enfin,’ quelques feuilles détachées de manuscrits arabes sur parchemin, en ancienne écriture nommée Confique, un paquet de manuscrits en caractères arabes, mais écrits dans une langue inconnue jusqu’ici ; et plusieurs volumes de la traduction du Pentateuque hébreu, en langue éthiopienne et dialecte ahmérique Désirant avoir quelques notions sur l’importance des écrits des auteurs dont les noms figurent dans les notes ci-dessus, nous nous sommes adressé au savant M. Couppey, qui a bien voulu nous donner les renseignements suivants ;

  • 1" Edrisi naquit à Ceuta , en Afrique , en l’an 1099 de notre ère ; il entreprit une géographie de l’univers ; elle est curieuse, surtout en raison des idées merveilleuses, erronées, qu’on avait dans son siècle sur les diverses parties du monde , sur notre Europe surtout, et en raison aussi des connaissances plus étendues qu’on avait alors sur l’intérieur de l’Afrique. Elle mériterait d’être traduite intégralement ; la partie qui concerne l’Espagne l’a été eu latin et en espagnol, et un abrégé de tout l’ouvrage a été fait en latin sous le titre de Geographia Nubiensis. Les cartes qu’on annonce y être jointes, si elles ont la date de l’ouvrage, y ajouteraient un très-grand prix. Du reste, la géographie arabe d’Edrisi existe en manuscrit dans plusieurs bibliothèques de l’Europe ; elle n’a pas été imprimée.
  • 2° Meydany, poète arabe du XII’ siècle, ère chrétienne, a composé un recueil de proverbes arabes, qui n’a pas cessé d’avoir une grande renommée chez cette nation. Son ouvrage manuscrit existe dans les bibliothèques d’Europe où l’on fait collection, d’ouvrages orientaux. Un savant hollandais, Schultens, en avait entrepris une traduction complète ; il en a publié des extraits dans deux de ses ouvrages. Meydany n’a jamais été traduit en français , ni en entier, ni partiellement
  • 3° Un tableau de toutes les sciences en arabe. M. Champollion ne cite ni le nom de l’auteur, ni la date de l’ouvrage. Quoiqu’il en soit, ces sortes d’encyclopédies sont les meilleurs documents qu’on puisse consulter pour l’histoire littéraire. Si on veut bien connaître un siècle ou une nation, sous le rapport intellectuel, qu’on lise un traité de ce genre composé dans ce siècle-là et pour l’usage de cette nation.
  • 4° Hariri, célèbre écrivain et poète arabe, né en l’an 1051 de notre ère , n’a point été traduit, si ce n’est par extraits, ni imprimé, si ce n’est à Calcutta seulement. Ses ouvrages, fort communs comme manuscrits, doivent avoir joui d’une haute estime, si on en juge par la multitude des scholiastes et de commentateurs dont ils ont exercé l’érudition, le jugement et la sagacité. Les principaux sont une grammaire arabe et cinquante séances de narrations dans le genre des contes orientaux.
  • 5° Ibn Kallekan. Ce Plutarque arabe des hommes illustres de l’islamisme est curieux, intéressant, et n’a pas été traduit. Il n’est pas rare en manuscrit dans les bibliothèques d’orientalistes. Les Didot l’ont édité en arabe l’an dernier en un volume in-4°, du prix de 50 francs.
  • 6° Histoire moderne de l’Egypte en arabe par Djeberté. Nous ne l’avons point aperçue dans divers catalogues de livres orientaux, Ne se trouvera-t-il pas un bon traducteur qui apprenne aux Français de quelle manière la glorieuse campagne de Bonaparte en Egypte est racontée par des auteurs nés au sein de tant de préjugés et d’erreurs !
  • 7° Omar-ibn-faredh, poète arabe célèbre, naquit en 1181. Il n’a pas été imprimé ; les manuscrits n’en sont pas rares ; il eut dans son temps parmi ses coreligionnaires la réputation d’un prophète, d’un inspiré. Quelques extraits ont été traduits en diverses langues de l’Europe.
  • 8° La chronique universelle en arabe, par Youssouf, semble encore absente des catalogues de librairie et des dictionnaires biographiques ou bibliographiques. Une histoire universelle, comme un résumé des sciences et des arts, peint le plus complètement qu’il est possible l’état des études et des opinions de l’époque ou elle a été composée.
  • 9° L’Histoire du sultan Mahmoud le Gasnevide, qui vivait dans notre onzième siècle , a été écrite par un auteur contemporain des faits, et même coopérateur. Elle révèle bien des noms de sultans et de vizirs dont nos histoires universelles n’ont pas parlé. La scène des faits est d’abord dans cette partie de l’Asie qui est bornée par la mer Noire, la mer Caspienne, la- Scythie ou Tartarie, le fleuve de l’Euphrate et l’ancienne Perse, puis dans l’Inde , en deçà et au delà du Gange, où le sultan Mahmoud porte ses armes victorieuses et établit avec sa domination la religion de Mahomet, depuis long-temps embrassée avec enthousiasme et fanatisme par les populations turques. Il n’y point de merveilleux dans cette histoire, ce qui fait croire à sa vérité. Elle a été traduite en abrégé par M. Sylvestre de Sacy et insérée dans le 4e volume des notices des manuscrits de la bibliothèque du Roi.
  • 10 Traité de rhétorique en arabe par Ibn-Alatir. Cet auteur occupa de très-hauts emplois auprès des sultans de notre douzième siècle. Il a fait des traités de prosodie, et de l’art d’écrire.
    I1 eut deux frères également célèbres par leurs écrits ; tous furent plus ou moins poètes, car la poésie, plante exotique et d’une vie artificielle dans certaines contrées froides, est indigène et vivace sous le soleil des latitudes plus voisines des tropiques.
  • 11" Molenabbi, né en 915, d’une imagination ardente et d’une ambition démesurée, fit d’abord le prophète , et il donnait pour preuve de son inspiration la sublimité de son style, comme avait fait Mahomet en publiant les chapitres de son Koran, mais Molenabbi réussit mal ; battu avec ses partisans par un pacha qui . ne croyait pas qu’il dût venir un nouveau prophète après Mahomet, emprisonné et mis en liberté sous sa parole de ne plus prêcher, il ; ne s’occupa plus que de poésie. Il a composé beaucoup d’ouvrages, tous très-lus et très- commentés, entr’autres • Le Divan, recueil de poèmes, dont la bibliothèque royale possède plusieurs exemplaires manuscrits. Nombre de pièces de cet auteur ont été traduites dans des ouvrages allemands, dans la revue périodique intitulée Les Mines d Orient cl dans la Chrestomathie arabe de Sylvestre de Sacy.
  • 12° Novairi, né en Egypte en 1331, est auteur d’un grand et important ouvrage, une encyclopédie historique, dont la bibliothèque de l’université de Leyde possède seule un exemplaire complet ; les autres bibliothèques n’en ont que des parties plus ou moins considérables. Quelques historiens y ont puisé, entr’autres un historien italien de la Sicile sous la dénomination arabe. En général c’est un recueil précieux pour l’histoire avant et après Mahomet. Nous n’avons rien trouvé dans les catalogues des libraires tenant la librairie orientale, ni dans les Notices des manuscrits de la bibliothèque du Roi, ni dans les Mémoires de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, ni dans divers recueils de littérature arabe ou persane, rien qui nous ait mis à portée d’apprécier le mérite de l’histoire romanesque du sultan Biban, ni des poésies de Hassan, contemporain de Mahomet, ni des numéros suivants de la lettre de M.  Champollion-Figeac jusqu’au 25e numéro exclusivement dont plusieurs sont de nature à piquer la curiosité et importants pour l’histoire de F esprit humain. Quant à ce 25" numéro, le poème persan de Fadouci, intitulé Le Livre des Rois, c’est une des merveilles poétiques de l’Asie, c’est une histoire en cent vingt mille vers, composée dans le dixième siècle, dans cette harmonieuse langue de la Perse qu’on a nommée l’italien des langues asiatiques ; elle contient l’histoire des Rois persans depuis l’origine du monde jusqu’à l’établissement de l’islamisme ; jamais aucune traduction complète n’a été faite de cette épopée gigantesque , à laquelle on ne peut comparer que les poèmes indiens du Mahaborata, on des Pouranas. Dans ce moment où toutes les nations qui couvrent le globe se rapprochent, et que la civilisation, comme le calorique dans le monde physique, tend à se mettre en équilibre , en s’infusant partout, le temps n’est pas éloigné où ces œuvres historico - poétiques nous seront connues comme les poèmes d’Homère , Il y a beaucoup de merveilleux dans Ferdouci, et beaucoup d’événements qui dérangent les récits des histoires grecque et romaine. Des extraits en ont été traduits dans une multitude d’ouvrages, dans les Mines d’Orient, dans le traité de littérature persane de Gaultier-d’Arc, dans le Journal des Savants, etc. Les manuscrits n’en sont pas rares, mais, en raison des variantes, tous sont précieux, parce qu’une, bonne édition de Ferdouci ne pourra se faire qu’en comparant entre eux de nombreux manuscrits. Comme on le voit par les dates, presque tous ces auteurs ont vécu dans les dixième, onzième et douzième siècles. Ce fut effectivement l’âge d’or des littératures arabe et persane, lorsque l’Europe chrétienne était plongée dans l’ignorance. Les écrivains de cette époque sont encore, pour les mahométans, comme nous dirions, classiques. En comparant la liste donnée par M. Champollion – Figeac avec le passage des Souvenirs de l’Orient de M. de Marcellus, on est surpris de ne plus voir figurer dans le catalogue des livres de feu M. Asselin de Cherville les œuvres de Saady, un des premiers auteurs persans, les fables de Pilpay et de Lokman, les livres en copte, les manuscrits appartenant aux langues de l’intérieur de l’Afrique. Depuis le Caire jusqu’à Paris que de chances de soustractions ont pu se présenter ! Je déclare en finissant que j’éprouverais la plus vive contrariété, que j’aurais honte qu’on me supposât la vanité de me poser en orientaliste, ayant étudié et possédant les langues égyptienne, arabe et persane ; à peine en connaissons-nous les alphabets. Nous sommes sûrs des renseignements que nous venons de donner, mais nous déclarons les tenir de seconde main et ne les avoir puisés que dans les ouvrages des savants Européens sur la littérature de l’Orient, littérature que nous avons toujours aimée passionément depuis le temps où les Mille et une Nuits nous ont fait passer tant d’heures délicieuses dans notre enfance. Nous terminerons cet article en témoignant à nos lecteurs le profond regret que nous éprouvons de n’avoir pu recueillir quelques épisodes intéressants sur la vie privée de notre compatriote pendant son séjour au Caire.

La difficulté de correspondre avec sa famille, jointe à l’isolement dans lequel il vivait, nous a mis dans l’impossibilité de nous étendre davantage.

Victor Le Sens (de Cherbourg).

Notes

[1] Voyage dans le Levant, en 1817 et 1818’, par M. le comte de Forbin, (Paris 1819), page 288.

[2] Souvenirs de l’Orient, par le vicomte de Marcellus , ancien ministre plénipotentiaire, tome 1, page 201. Paris, 1839.