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Georges-René Pléville Le Pelley - bio ancienne


LE VICE-AMIRAL PLÉVILLE-LE-PELEY.

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Granville

Quidquld ex Illo, amavimus , quidquid mirati mansurumque est in anilmis hominum, in œternitate lemporum, fama rerum. Tacit, in Àgricol.

Si la marine française offre à la postérité des amiraux plus célèbres que Pléville-le-Peley, elle n’en compte pas qui aient été doués d’un plus beau caractère, d’une probité plus pure et plus sévère, d’un désintéressement plus noble et plus sincère. Sous plus d’un rapport, cet homme ressemblait, dans sa vie publique, à un Romain du siècle de Fabricius : il y avait chez lui quelque chose d’antique qui faisait anachronisme avec les mœurs de son temps.

Georges-René Pléville-le-Peley naquit à Granville le 29 juillet 1726. Bercé au murmure des flots, élevé au bruit de la tempête, la mer fut en quelque sorte son premier élément ; aussi se passionna-t-il de bonne heure pour la vie maritime. Dès sa tendre enfance, son plus grand plaisir était de voir les bâtiments mouillés dans le port ou de contempler du haut du roc quelque voile au large ; et, s’il manquait à la maison paternelle, c’était dans un bateau de pêche ou à bord d’un navire amarré au quai qu’on le retrouvait toujours. Il enviait le sort des enfants de son âge embarqués comme mousses, et demanda bientôt à s’embarquer aussi. Ses parents le destinaient à une autre profession : au lieu de l’enrôler à bord selon son désir, ils l’envoyèrent au collège de Coutances. Le jeune Pléville fit usage de tout ce qu’un enfant peut employer pour fléchir son père, les prières et les larmes ; mais la résolution qu’il s’efforçait de combattre était un parti pris en famille ; on fut inexorable.
Ne pouvant changer la volonté paternelle, il obéit au penchant irrésistible qui l’entraînait vers la marine, et s’évada du collège pour aller s’embarquer. C’était en 1738 ; il avait alors douze ans. Il se rendit furtivement au Hâvre, où il se fit admettre en qualité de mousse, sous le nom de Vivier, à bord d’un navire en partance pour la pêche de la morue. Il avait pris ce faux nom pour mieux échapper aux recherches dont son escapade allait le rendre f objet de la part de sa famille. Ainsi, à l’exemple de tant d’autres personnages célèbres, ce fut malgré ses parents, et à leur insu, que Pléville-le-Peley embrassa la carrière dans laquelle il s’est illustré si honorablement.
Après six années consécutives de navigation de long cours dans les parages les plus orageux du globe, Pléville, devenu un marin expérimenté, quoiqu’il n’eût encore que dix-huit ans, passa lieutenant sur un corsaire du Hâvre, armé contre les Anglais à qui Louis XV venait de déclarer la guerre.
Ce fut vers cette époque qu’il retourna à Granville, afin de se réconcilier avec sa famille. Un père est rarement inflexible pour un enfant qu’il aime : Le jeune Pléville obtint son pardon, et, de plus, la permission de poursuivre la carrière qu’il avait prise.
Il s’embarqua sur un corsaire de Granville. Ce bâtiment fut rencontré sous l’île de Jersey, quelques jours après sa sortie du port, par deux corvettes anglaises, qui l’écrasèrent sous le feu croisé de leurs canons. Pléville-le-Peley eut la jambe droite emportée par un boulet dans ce malheureux combat, et fut fait prisonnier avec ses compagnons de fortune.
Sa captivité dura peu. De retour en France, il obtint, malgré sa mutilation, le grade de lieutenant de frégate dans la marine royale, et embarqua en cette qualité à bord du vaisseau l’Argonaute, commandé par Tilly-le-Peley, son oncle. Il passa ensuite sur le vaisseau le Mercure, qui faisait partie de l’escadre envoyée, en 1746, sous les ordres du duc d’Amville, pour reprendre le Cap-Breton. Dans le combat que cette armée eut avec les Anglais, le Mercure se signala par sa valeur. Pléville-le-Peley, officier de manœuvre à bord, fut mis hors d’action au plus fort de l’affaire : un boulet lui enleva sa jambe de bois et le renversa du banc de quart sur le pont. « Le boulet s’est trompé ; il n’a donné de besogne qu’au charpentier, » dit-il en riant à son capitaine, qui s’informait s’il était blessé.
Il reçut, en 1748, le commandement de la corvette l’Hirondelle, de 14 canons de 6, avec laquelle il s’empara de trois bâtiments anglais de la compagne des Indes, portant ensemble 44 bouches à feu. Une de ces prises n’amena qu’après un engagement opiniâtre, dans lequel le capitaine Français, par un hasard remarquable, eut encore sa jambe de bois emportée par un boulet. Pléville, qui s’était déjà fait une belle réputation par son courage et ses talents, se vit contraint de renoncer pour quelque temps à la navigation, sa santé délabrée ne lui permettant plus de supporter les fatigues de la mer. Il fut alors employé dans les arsenaux. Administrateur habile et probe, fonctionnaire vigilant et éclairé, homme énergique, travailleur infatigable, les services qu’il rendit dans les ports le firent nommer lieutenant de vaisseau en 1762. Il occupait le poste alors très-important de lieutenant de port à Marseille, lorsque la frégate anglaise l’Alarme, battue par la tempête dans la soirée du 1er mai 1770, s’affala sur la côte de Provence, au milieu des rochers sur lesquels elle courait le danger imminent de se briser. Ce sinistre donna à Pléville l’occasion de déployer ses connaissances nautiques, son sang-froid et son courage. Averti de l’état de détresse du bâtiment étranger, il rassemble à la hâte les pilotes du port, s’entoure des marins les plus intrépides, et à leur tête vole au secours de l’Anglais, en affrontant au milieu des ténèbres d’une nuit d’orage les périls de la mer en fureur. 11 s’amarre à un grelin, s’affale le long des rochers, et parvient avec sa jambe de bois à bord de la frégate dont il prend le commandement. Le bâtiment avait déjà donné plusieurs coups de talon, il commençait à toucher ; Pléville ordonne une manœuvre qui le remet à flot : son courage surmonte les obstacles, ses connaissances théoriques et pratiques aplanissent les difficultés, et l’Alarme, arrachée aux dangers de la côte, sauvée d’un naufrage certain, est conduite comme par miracle dans le port de Marseille. Cette frégate était commandée parle capitaine John Jervis, mort amiral de la flotte britannique, et connu dans les fastes de la marine sous le nom de lord Saint-Vincent.
L’intrépide dévoûment du lieutenant du port de Marseille fut dignement apprécié en Angleterre. Les lords de l’amirauté lui donnèrent un éclatant témoignage de la reconnaissance du gouvernement britannique, en chargeant le capitaine Jervis de retourner à Marseille avec sa frégate l’Alarme, pour remettre en leur nom à Pléville-le-Peley un présent fort riche, et une lettre par laquelle ils lui exprimaient les sentiments que sa conduite leur avait inspirés.
La lettre était ainsi conçue :
« Monsieur, la qualité du service que vous avez rendu à la » frégate l’Alarme fait la noble envie et l’admiration des Anglais. Votre courage, votre prudence, votre intelligence, vos talents ont mérité que la Providence couronnât vos efforts. Le succès a fait votre récompense ; mais nous vous prions d’accepter, comme un hommage rendu à votre mérite et comme un gage de notre estime et de notre reconnaissance, ce que le capitaine Jervis est chargé de vous remettre de notre part.

 » Au nom et par ordre de milords,

 » Stéphans. »

Le présent, d’une magnificence toute royale, consistait en une pièce d’argenterie en forme d’urne, sur laquelle étaient gravés des dauphins et autres attributs maritimes, avec un modèle de la frégate l’Alarme ; le couvercle, richement ciselé, était surmonté d’un triton. Ce vase, remarquable par l’élégance de la forme et le fini du travail, portait d’un côté les armes d’Angleterre, et de l’autre l’inscription suivante, destinée à conserver le souvenir de l’événement qui avait donné lieu à ce superbe présent" :

Georgio-Renato Pléville-le-Peley, nobili normano Grandivillensi, navis bellicœ portûsque Massiliensis, pro-prœfecto, ob navim regiam in littore Gallico periclitantem virtute diligentidque sud servalam. Septemviri rei navalis Britannicæ. MDCCLXX.

 » A Georges-René Pléville-le Peley, gentilhomme normand de Granville, lieutenant du port de Marseille, pour avoir sauvé un vaisseau du Roi en péril sur les côtes de France. Les septemvirs de l’amirauté de la Grande-Bretagne 1770. »

Dix ans plus tard, le dévoûment de Pléville-le-Peley pour le salut de l’Alarme trouva une récompense non moins honorable, mais d’un autre genre. Son fils, jeune officier de marine, ayant été pris sur une frégate, à la suite d’un combat, en 1780, et conduit en Angleterre, l’amirauté britannique le fit renvoyer en France, sans échange,- après l’avoir autorisé à choisir trois de ses camarades pour les amener avec lui- Cela n’était sans doute, dé la part des Anglais, qu’un acte de justice ; mais une aussi éclatante marque de reconnaissance pour un service rendu depuis tant d’années, est un exemple de gratitude trop rare chez les gouvernants pour que l’on n’en conserve pas la mémoire.
En 1778, une escadre armant à Toulon pour aller soutenir la cause des indépendants américains, Pléville-le-Peley fut désigné pour faire partie de l’expédition. Il embarqua comme lieutenant à bord du vaisseau le Languedoc, monté par le comte d’Estaing, amiral de l’escadre. Cette armée navale devait se rendre à l’embouchure de la Delaware, afin d’y bloquer l’amiral anglais Howe, que Washington aurait attaqué par terre ; mais l’ennemi, pressentant ce projet, se retira à Sandy-Hook, et il y avait dix jours, qu’il était sorti de la Delaware, lorsque le comte d’Estaing arriva à l’entrée du fleuve. La présence de l’escadre française devenant inutile sur la côte de Pensylvanie, l’amiral se porta sur Rhode-Island, et prit position devant la ville de New-Port, tandis que le général Sullivan et La Fayette débarquaient dans l’île avec 9,000 hommes. La prise de Rhode-Island paraissait infaillible, lorsque d’Estaing, quittant sa situation pour attaquer la flotte anglaise, fut assailli par une tempête qui le força d’aller se réparer à Boston, et l’expédition manqua son but. Notre escadre se rendit ensuite aux Antilles, s’empara de la Grenade et battit l’amiral Byron.
Pléville-le-Peley, qui réunissait aux qualités de l’excellent marin celles qui font 1 honnête homme, s’attira bientôt toute la confiance du comte d’Estaing. L’amiral connaissait sa grande activité ; il le savait administrateur éclairé et d’une probité sûre. Ce fut lui qu’il chargea d’aller vendre à la Nouvelle-Angleterre les nombreuses prises faites par nos vaisseaux. Pléville s’acquitta de celte mission délicate avec une habileté peu commune. Le compte qu’il en rendit à son retour à bord de l’amiral était si satisfaisant, que le comte d’Estaing voulut le récompenser de son zèle en lui allouant une commission de 2 p. 0/0 sur le produit de la vente, qui s’élevait à environ 15 millions. Pléville refusa ces cent mille écus de gratification en disant : « qu’il était satisfait du salaire que le Roi lui donnait pour le servir. » L’antiquité ne nous offre pas un plus bel exemple de désintéressement. Cela se passait pourtant il y a soixante ans. Dignement apprécié au Nouveau-Monde, Pléville reçut du gouvernement américain la décoration de l’ordre de Cincinnatus.
Rentré en France avec son amiral en 1780, il apprit en arrivant à Brest qu’il était nommé capitaine de vaisseau. Ce grade lui avait été conféré à la sollicitation du comte d’Estaing, qui l’avait demandé en échange de la gratification de cent mille écus qu’il n’avait pu lui faire accepter. C’était donc une récompense accordée à la vertu, mais d’autant plus juste qu’elle était en même temps le prix de longs et honorables services.

En 1796, Pléville alla organiser la marine dans les ports d’Italie soumis à nos armes ; et, à son retour en France, il fut envoyé comme ministre plénipotentiaire au congrès réuni à Lille pour y traiter de la paix.
Ce fut pendant son séjour à Lille, le 19 juillet 1797, que le Directoire exécutif le nomma ministre de la marine et des colonies, en remplacement de l’amiral Truguet. Pléville-le-Peley entra aux affaires à une époque difficile. C’est lui qui eut la triste mission de donner les ordres pour rembarquement des déportés du 18 fructidor, conduits à la Guyane et jetés pêle-mêle dans les charniers de Sinamary et de Conanama. L’activité, les talents administratifs qu’il déploya dans toutes les choses de son département, rendirent d’immenses services à la patrie. Il fut homme d’Etat intègre, ministre honnête homme. Son austère probité dut souvent faire rougir les gouvernants d’alors, si toutefois la honte avait encore quelque empire sur eux. Voici, parmi les actes de son administration, un fait qui honore et peint son beau caractère. Le Directoire exécutif le chargea de faire une tournée d’inspection sur les côtes de l’Océan ; 40,000 fr. lui furent alloués pour cette mission. « Le modeste Pléville-le-Peley, dit François de Neufchâteau, ne prit de cette somme que 12,000 fr., n’en dépensa que 7,000 dans sa tournée, et, à son retour, voulut remettre le reste à la trésorerie nationale qui avait porté en compte les 40,000 fr.
Le gouvernement ne crut pas de sa dignité de souscrire à l’intention du Ministre. Pléville-le-Peley, ne pouvant insister et ne voulant pas non plus garder une somme à laquelle il ne se croyait aucun droit, voulut au moins qu’elle tournât à l’utilité de l’Etat, et la consacra à l’érection du télégraphe que l’on voit encore aujourd’hui sur l’hôtel du ministère de la marine. Et cependant il était peu riche, et sa famille, qu’il soutenait était extrêmement nombreuse.
Son administration, aussi habile que désintéressée, son dévoûment à son pays, ses longs services lui valurent le grade de contre-amiral en 1797, et celui de vice-amiral en 1798.
Au bout de neuf mois de ministère, Pléville-le-Peley, épuisé par le travail et plus que septuagénaire , se démit de son portefeuille trop lourd pour ses vieux ans. Le délabrement de sa santé lui rendit la retraite nécessaire : cependant il fut encore nommé au commandement de l’armée navale de la Méditerranée ; mais , arrivé à Toulon, ses infirmités l’obligèrent de demander son remplacement. Il se retira alors au sein de sa famille pour y terminer dans le repos une vie usée par’ l’âge et les fatigues. La fortune vint bientôt l’y troubler. Peu de jours après la révolution du 18 brumaire an VIII (le 24 novembre 1790), le premier consul Bonaparte l’éleva à la dignité de Sénateur. Enfin il fut fait Grand-Officier de la Légion-d’Honneur à la création de l’ordre. Ces hautes distinctions n’étaient pas des récompenses trop éminentes pour le mérite et la vertu du grand citoyen qui les recevait ; mais c’était beaucoup plus que le modeste amiral n’attendait.
Pléville-le-Peley, comblé de gloire et d’honneurs, mourut à Paris le 2 octobre 1805, dans sa quatre-vingtième année, succombant à une maladie de quelques jours. Il s’éteignit sans agonie, avec ce calme d’une conscience tranquille qui termine une vie sans reproche.

Vérusmor