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Saint-Jean-du-Corail-des-Bois - Notes historiques et archéologiques


NDLR : texte de 1845, voir source en bas de page.


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ette petite commune [1] est de forme très-irrégulière : c’est en général un pentagone dont deux côtés sont tracés par la rivière du Pas-David ; une ligne idéale la limite à l’est ; les Monts-Jouy, point culminant du pays, la limitent au nord. Le sol est encore assez boisé pour expliquer le dernier affixe de son nom patronal, Saint-Jean-du-Corail-des-Bois, qui le distingue de Saint-Jean-du-Corail, commune de l’arrondissement de Mortain. Ce nom de Corail vient, à ce qu’on croit, du granit rouge qui se trouve dans le sol de ces deux communes. Cette petite paroisse, supprimée depuis le commencement de ce siècle et réunie à Saint-Nicolas-des-Bois, vient d’être rétablie. L’église offre une particularité très-remarquable : ce sont des transepts en coin ou triangulaires. Nous n’en connaissons pas d’autre exemple. La construction est à peu près toute de la même époque et ne doit pas remonter bien au delà du XVIIe siècle. Ce qu’elle a de plus ancien, ce sont les pierres angulaires et les ourlets des pignons. Le pignon occidental est surmonté d’un clocheton carré en bois ; quelques fenêtres, dont le linteau supérieur est légèrement arqué, appartiennent au XVIIIe siècle. Au flanc septentrional est un petit cintre à chambranle ronde.
Il y a dans cette église quelques anciennes sculptures qui rappellent une église antérieure : dans une niche élevée à l’extérieur, au levant, se voit un saint de style Moyen-Age ; dans une niche d’un autel latéral est une crucifixion en pierre mutilée, une sainte Barbe sans tour, une pieta qui va disparaître comme indécente. Les peintures dignes de quelque intérêt sont des arabesques rocailles en bleu aux portes qui flanquent le maître-autel et deux devants d’autel en végétation fantastique du XVIIIe siècle. Il y a des pierres tombales de 1638 et de 1639. La croix du cimetière est carrée et lourde : à l’entrée est le dé et le premier fût d’une autre croix dont le croisillon gît dans des débris. La grange-dîme, qui était située entre l’église et le presbytère, n’existe plus.

En 1648, d’après le Pouillé du Diocèse de cette époque, l’église de Saint-Jean-du-Corail, qui avait pour patron le seigneur du lieu, rendait 300 liv. [2]

En 1698 la cure valait 300 liv. : la paroisse payait 221 liv. 13 s. 6 d. de taille et renfermait 34 taillables. Les nobles étaient G. et F. Daniel, et J. Le Breton. [3]

L’église était à la présentation du seigneur.

Le logis de Saint-Jean-du-Corail n’a rien de remarquable que son large escalier. Il possède une chapelle où il y a encore une vierge : il a été long-temps dans la famille du Buat.

En 1764, cette paroisse, qui faisait partie de la sergenterie du Val-de-Sée, renfermait 20 feux. [4]

Une hauteur de cette commune, d’où l’on jouit d’un horizon immense, s’appelle le Mont-Jouy, et de son sommet l’on voit une montagne qui porte le même nom à une dizaine de lieues de là, le Mont-Joie, près Saint-James, et un autre Mont-Joie de l’arrondissement de Mortain : trois marchepieds du maître de l’Olympe. Au pied d’un de ses versans est un endroit appelé les Deux-Croix : une des croix est de bois, l’autre est de pierre carrée, renflée vers la base avec la légende suivante sur le dé : Deus, miserere mei. On sait que les hauteurs étaient consacrées à Jupiter, [5] et que les Monts Jou, Jouy, Joie sont très-communs. Deric et Sainte-Fois ont prétendu que le Mont-Saint-Michel avait porté ce nom de Mont-Jou, Mons Jovis ; mais nous n’avons vu cette idée dans aucune des archives du monastère : le Cartulaire, qui en renferme l’histoire la plus authentique, n’en parle pas.

Quoiqu’il en soit, c’est une chose remarquable que l’Avranchin renferme tant de Monts-Joie, quatre dans une distance de dix lieues, Mont-Joie dans l’arrondissement de Mortain, MontJouy en Saint-Jean-du-Corail, Mont-Joie à Noirpalu, Mont-Joie près de Saint-James.

Tout ce quartier était une forêt, que Stapleton désigne sous le nom de foresta de l’Avranchin [6] : les localités limitrophes en ont conservé le souvenir dans leurs noms, Saint-Nicolas-des-Bois, Saint-Jean-du-Corail-des-Bois, la Chaise-Baudouin et la Trinité dont le nom est dans les chartes, Sancta Trinitas de Bosco Baldoini. [7] En Saint-Nicolas est encore le bois de ce nom et le Bois-de-César : Saint-Martin-des-Bois et Saint-Aubin-des-Bois appartiennent encore à cette contrée forestière. Généralement élevée, comme étant le faîte de séparation des bassins de la Sienne et de la Sée, elle a dû être un des principaux sanctuaires du druidisme et un des principaux points d’observation et de campement des Romains : la Pilière en la Trinité, le Bois-de-César en Saint-Nicolas peuvent être cités comme le souvenir ou symbole de ces deux époques.

Le nom, le site de cette commune, et ces détails conduisent naturellement à la terminologie forestière de l’Avranchin, c’est-à-dire aux noms qui se rattachent à l’idée de bois.

Les Brousses, les Broussettes, d’où est resté Broussailles, sont très-communes dans l’arrondissement d’Avranches : on trouve la Broussettière dans le Petit-Celland. En Braffais se trouvent les Essarts, broussailles, d’où le verbe Essarter. [8] Le Bosc, le nom latin de bois, Boscus, dont est resté bosquet et bocage, subsiste dans la rivière du Bosc à Granville. La Haie, la Haize, l’ancienne Haia, [9] est très-commun dans l’arrondissement et se retrouve dans toute la Normandie et le nord de l’Europe. La Hayère en Brecey, et peut-être la Hallerie et la Hallière, d’où viendrait Hallier, se rattachent probablement à la même racine. Les Plessis, bois fermé, en latin Plessia, sont très-communs. [10] Le Plant, Plantis ou Défoul, est le nom qu’on donne dans l’Avranchin à l’enclos planté qui entoure la maison. [11] Le Taillis, le Taillais, qui se trouve à Yquelon, est un nom très-commun et il est resté dans la langue générale. Le Bailliveau, le Baillivel en Saint-Planchers, la Garenne en Hocquigny sont aussi restés. Le Breuil, bois taillis a disparu : [12] il est resté dans les noms propres, dans son dérivé brouiller : il est sous la forme de Breil en la Mouche. Les Verdières rappellent les vertes forêts. [13] Les Touches sont peut-être plus usités dans l’Avranchin qu’ailleurs, surtout dans le canton de Saint-James. Autour de la Touche-Villeberge, se trouvent la Touche-Picot, Lande-Touche, [14] la Touche-de-Jouet, la Touche-Gâté. De ce nom qui signifie bois derrière une habitation, sont dérivés les Lalouche, les Destouche, du Touchet, etc. [15]

Ces études de terminologie topographique nous semblent avoir beaucoup de charmes, parce qu’il y a une union intime entre le génie philologique et le génie poétique, [16] et une grande utilité, parce qu’elles doivent redonner à la langue générale tous les élémens quelle a perdus. A un point de vue plus-élevé, la philologie, c’est-à-dire la recherche des apports de plusieurs langues dans une langue, est un des plus puissans agens de la fusion des peuples : la langue est le lien le plus fort de la fraternité. L’archéologie, en montrant le mélange des langues dans le passé, prépare leur fusion dans l’avenir.

Source :

Notes

[1] NDLR : En 1956, Saint-Jean-du-Corail redevient Saint-Jean-du-Corail-des-Bois, nom qu’elle portait avant le XIXe siècle, évitant ainsi la confusion avec l’autre Saint-Jean-du-Corail du canton de Mortain.

[2] Pouillé du Diocèse, p. 6.

[3] Mém. sur la Généralité de Caen.

[4] Expilly, Dict. des Gaules.

[5] On sait que c’était le cri de guerre des français : on a dit que ce mot signifiait ma joie. Robert Cenalis prétend qu’à la bataille de Tolbiac, Clovis, associant deux religions, s’écria : Saint-Denys Montjoie.

[6] Carta Normanniae sub regibus Angliae, en tête du 1er volume.

[7] Livre Vert. Voir l’article de la Trinité.

[8] Voir le Glossaire de Roquefort et le Ducange de D. Charpentier.

[9] Voir l’article de Saint-Jean-de-la-Haize.

[10] On peut remarquer combien la langue romane était riche : elle avait des expressions pour toutes les nuances.

[11] Ce dernier mot est peut-être pour refoul, lieu de décharge.

[12] Les Italiens ont ce mot Broglio, prononcé Brolio, d’où Imbroglio, embrouiller.

[13] Les garde-forêts s’appelaient aussi verdiers.

[14] Celle-ci est citée dans le Gallia Christiana et le Neustria Pia comme emplacement primitif de l’abbaye de Montmorel.

[15] Voir le Glossaire de Roquefort. Voir aussi Ducange au mot Toca-Tocha.

[16] Citons sous ce rapport Walter Scott en Angleterre, Charles Nodier en France, Leopardi en Italie.