Le50enligneBIS
> Paroisses (Manche) > def > Ducey > Histoire > Ducey - Notes historiques et archéologiques

Ducey - Notes historiques et archéologiques


NDLR : texte de 1845, voir source en bas de page.


JPEG - 1.8 ko

a commune de Ducey est une presqu’île arquée, dont le contour est découpé par le cours sinueux de la Sélune, et dont la corde, tirée au nord, est tracée par la rivière d’Oir et d’autres petits cours d’eau qui la séparent de Marcilly et des Chéris. Le sol y est pittoresque et varié : on y trouve des vallées, des marais, des montagnes, une belle rivière, des bois, dont le principal est le bois d’Ardenne. [1] La Sélune, les rochers du Jalours, le bois d’Ardenne, les vastes prairies qui s’étendent en face du bourg et du château, présentent la réunion de tout ce qu’on peut désirer pour un paysage complet. En quelques endroits, principalement à l’endroit appelé les Ilots, la Sélune est semée de bas-fonds verdoyans. Dans le bourg même de Ducey, on remarque un îlot planté de peupliers : jeté entre les deux ponts, auprès du vieux moulin, il est le centre d’un fort joli tableau.

Le nom de Ducey, écrit Duxeium dans les documens antiques, comme on le verra dans ce chapitre, semble être un nom d’homme et fait supposer un chef normand Duc, Duci ou Duxi, comme Vessey, Aucey, Macey, Boucey, Marcey, dérivent des noms normands Veci, Alci, Maci, Boci, Marci, qui se trouvent dans le Domesday. Il y a deux Duci dans le Calvados. Quoique ce nom ne soit pas dans le Domesday, il est probable qu’un seigneur de ce nom alla à la la Conquête ou passa en Angleterre, car il y a dans ce pays une famille de Ducey.

Parmi les monumens de Ducey se présente en première ligne le château.

Sur le bord de la Sélune, entre de vastes prairies qui sont une plaine de verdure en été et un lac en hiver, et un champ immense appelé le Domaine, s’élève la masse grise et rouge d’un château qui n’a d’élancé que le coin de ses pavillons et la colonne de ses cheminées. Bâti en 1624 par Gabriel II, fils du grand Montgommery, il est une imitation lointaine, ou plutôt une dégénérescence de cette Renaissance qui sut associer l’art et la richesse. Le château de Ducey est plus riche que beau, plus fastueux qu’élégant. Si l’on excepte les belles voûtes des caves, les lignes dures et sèches heurtent le regard : les arêtes des revêtemens de briques, les italiennes anguleuses, les pilastres de granit, l’entablement du balcon, les cheminées carrées et le couronnement des fenêtres s’associent pour donner une impression générale de dureté et de monotonie. Les lignes brisées et harmonieuses, les caprices et la variété de la Renaissance disparaissent devant la loi générale d’étiquette, de faste et de tenue régulière du siècle de Louis XIV. L’art, abandonnant l’architecture, se réfugia dans les intérieurs.
Aussi, à Ducey, comme à Brecey, l’ornementation est-elle plus remarquable que l’architecture. Quoiqu’il en soit, cette construction est digne du plus grand intérêt, à raison même de ses imperfections, et comme specimen de cette architecture de transition de la Renaissance ou plutôt d’imitation italienne. [2] D’ailleurs elle réveille le souvenir de grands noms : le château de Ducey est le château des Montgommery. Cette grande famille, surtout son illustre chef, est pour le pays ce que César, la reine Anne, Brunehaut sont pour beaucoup d’autres : tout ce qui est vieux rappelle Montgommery : les vieux châteaux, les vieilles armures, les grandes prouesses, la tradition locale lui attribue tout, et son histoire c’est le roman et la légende. [3]

Tout d’abord l’œil est frappé de ce qui manque à cet édifice. On reconnaît trois lacunes, car il n’y a qu’un pavillon, une aile, un perron latéral, et une mutilation, car le toit du perron a dévoré quatre fenêtres, et par suite trois lucarnes : or ces lucarnes, un peu fleuries, sont la seule ligne gracieuse de cet édifice fastueux. Quand on a franchi le perron aux colonnes de granit d’un seul jet, avec des chapiteaux corinthiens en tuffeau, au fronton armorié, on se trouve en face de l’escalier central, dont les quatre piliers carrés plongent dans les caves ou s’élancent vers les combles, et portent sur leurs flancs bordés de raides italiennes les paliers et les volées qui s’enroulent en spirale autour de cet axe gigantesque. On descend sous les voûtes des caves et des cuisines, qui sont la partie architecturale la plus remarquable du château : on peut signaler la vaste cuisine, dont la cheminée ferait un appartement aux hommes de nos jours, la prison et son cachot, le charnier, la salle de bains. [4]
Plusieurs appartemens des autres étages méritent d’être décrits, et nous remettent en mémoire ces gentilshommes du XVIIe siècle, dans la richesse de leurs châteaux, et dans l’indépendance de leur isolement. La Salle-des-Gardes nous rappelle le Moyen-Age : mais dans cette salle le chevalier porte autant de dentelles et de rubans que de fer. C’est la plus vaste pièce du château. Ses poutrelles portent des traces de cartons à peintures blafardes. La cheminée est riche : des consoles en granit portent un entablement de bois, orné de trophées et d’emblèmes. Un tableau remplissait le trumeau. La Chambre Dorée a dû mériter son nom. Les solives sont ornées d’arabesques, avec de petits pendentifs en cuivre. Une frise peinte court au haut des parois et en bas règne un lambris à compartimens, représentant alternativement un paysage ou des figures mythologiques et des arabesques ; de médiocres grisailles assombrissent les flancs de la cheminée. Celle-ci est fastueuse : huit colonnes se superposent par deux, les unes en marbre rouge, les autres en marbre noir, pour soutenir le manteau dont le trumeau a conservé une mauvaise peinture mythologique. Le cabinet voisin est fort intéressant pour ses briques peintes ou ornées. [5] Au-dessus de ces appartemens est une pièce nue aujourd’hui, qu’on appelle la Chambre-des-Nourrices. La salle dite le Grand-Premier est célèbre, [6] à cause d’un tableau qui orne la cheminée. La plaque du foyer est un écusson. Le manteau porte un fronton ou triangle interrompu à la base. Le fameux tableau est au-dessus. Il représente une ville embrasée et un guerrier en costume antique, brandissant son glaive et levant son bouclier du côté de la ville. Au-dessus est la devise : Marte, non fortuna. On a vu là Montgommery mettant le feu à Pontorson. Cette idée ne nous semble légitimée par rien : la ville n’est point Pontorson, le guerrier est le symbole du héros qui suit Mars et non la Fortune, symbole d’une grande vérité appliqué à Montgommery. Ce tableau est donc une allégorie et non une page historique : c’est une devise peinte et dramatisée.

Il a dû y avoir à Ducey un château féodal, et tout porte à croire qu’il occupait à peu près l’emplacement du château actuel : cependant la forteresse féodale a dû se poser sur une position plus forte, et s’élever sur cette falaise qui est auprès et qu’on appelle le Pâtis. [7] D’ailleurs, les archives du château attestent l’identité de l’emplacement. Un correspondant de M. de Gerville a cru retrouver les ruines de la forteresse de Ducey à Mortrie, dans un village isolé, à plus de quatre kilomètres de Ducey, [8] et a prétendu que ses matériaux avaient servi à la construction du château de Ducey. Qu’il y ait eu un château-fort à Mortrie, c’est une chose certaine : l’emplacement, le mouvement du terrain, la tradition [9] en font foi ; mais il n’est pas vrai que le château de Ducey ait été à Mortrie, car il n’eût pas été le château de Ducey. D’ailleurs celui de Mortrie a été détruit long-temps avant la construction de celui-ci : il fut détruit en 1473, [10] et M. de Gerville dit lui-même qu’en 1562 Montgommery avait à Ducey une habitation qui fut démolie par son fils, quand il bâtit le château actuel, c’est-à-dire en 1624. [11] En outre, en 1346, les Anglais, commandés par Renaud de Gobehen, brûlèrent les faubourgs d’Avranches, et ruinèrent le bourg et le manoir de Ducey.

Il est impossible de préciser l’époque à laquelle s’éleva un château à Ducey : seulement il est probable que ce fut à la fin du IXe siècle, du moment où Rollon eut divisé la Normandie entre ses leudes ou fidèles. Ce fut un chef du nom de Duci ou Duxi qui reçut ce fief, et selon l’usage général, lui donna son nom. Ranulfe de Ducey, guerrier de la Conquête , est le premier seigneur cité avant le commencement du XIIe siècle. Il y a dans le Cartulaire du Mont-Saint-Michel une charte de donation du Fougeray [12] par son fils, Robert de Ducey, du temps de l’abbé Bernard. Le donateur y fait mention de son père, ce qui peut reculer la série connue jusque vers le milieu du XIe siècle, et même indéfiniment, puisqu’il parle de ses ancêtres. Voici cette Carta de Fulgereio, très-intéressante par elle-même et par ses souscripteurs :

« Notum sit omnibus presentibus et futuris quod ego Robertus de Duxeio pro remedio anime mee et patris mei vigilia Purificationis sancte Marie veni in capitulum sancti Michaelis ibique terram de Fulgereio que alodum patris mei et antecessorum meorum fuerat ecclesie sancti archangeli Michaelis et ipsius monachis finetenus dedi et concessi, ut hanc terram teneant et perpetuo possideant absque omnium sequentium heredum meorum et omnium aliorum calumpnia et contradictione..........Rannulfus et Rannulfus de Grandevilla. G. filius Rob. de Duxeio. Cecilia uxor. G. de Boce. Rogerius de Brafes. » [13]

Ce même Robert de Ducey signa la charte par laquelle Ranulphe Avenel donna au Mont Saint-Michel l’église de Sartilly : « Concilio Roberti de Duxeio et amicorum. » [14] Son fils Guillaume confirma cette donation par la charte suivante, qui rappelle la forme de l’investiture usitée au Mont Saint-Michel, et signale Guillaume comme un homme distingué.

« ...Haec autem datio facta est per brachium sancti Autberti super altare et juravit ibidem super quatuor evangeliorum quod hoc donum inconcussum maneret in sempiternum. Ut autem hoc mente libera concederet Bernardus venerabilis memorie abbas unum palefredum tanto viro dignum et fratri suo duos solidos in memoriam hujus rei dedit. » [15]

A la fin de ce siècle, en 1180, le seigneur de Ducey était Joscelin : « Gauf. Duredent reddit de Joscelino de Duxeio pro piscaria. » [16]

Robert, frère de Guillaume, laissa une fille qui se maria à la fin du XIIe siècle à G. de Husson. On lit à l’année 1180 des Rôles de l’Echiquier : Will. de Hueceon deb. c. li. pro relevio honoris de Duxeio. Les Husson furent seigneurs de Ducey pendant tout le XIIIe siècle. Dans le XIVe siècle les seigneurs de Ducey étaient les Meullaut et les Pontbriants. [17] Dans ce siècle, Ducey fut ravagé et pris par les Anglais, principalement par Renaud de Gobehen ou Cobham. Duguesclin les en chassa et établit son quartier à l’abbaye de Montmorel dont les Anglais et les Navarrais avaient fait un lieu de dépôt pour leurs prisonniers. [18] Au commencement du XVe siècle, la seigneurie de Ducey, qui était en litige entre Jean de Meullent et Hector de Pontbriant, fut donnée à G. Nessefeld par le roi d’Angleterre. [19]. En 1450, après la bataille de Formigny, Ducey fut sans doute évacué par les Anglais et occupé par les troupes du connétable de Richemont qui vint recevoir la capitulation d’Avranches. Les Pontbriant rentrèrent dans leur ancienne seigneurie. En 1465, Marie de Pontbriant était dame de Ducey. [20] En 1486 elle l’était encore. Un seigneur du nom de Pierre de la Bouessière succéda aux Pontbriant ; en 1500, la seigneurie était à Marie de Maros, veuve de P. de la Bouessière. [21] En 1528, Charles de Troussebois, mari de Jeanne de la Bouessière, dame de Ducey, faisait une transaction avec les religieux de Montmorel. [22] Vers le milieu de ce XVIe siècle, en 1560, mourut Jacques Ier de Lorges, comte de Montgommery, originaire d’Ecosse, capitaine distingué, attaché au service de François Ier, qui avait épousé Claude de la Bouessière. Son fils Gabriel Ier, qui devint le grand Montgommery, celui qui blessa mortellement Henri II dans une joute d’armes, succéda aux biens de ses cinq frères et sœurs. Ce nom célèbre est écrit dans l’histoire générale du pays, dans celle de la province, et est associé dans l’Avranchin à beaucoup de faits et de monumens. Nous le retrouverons en divers lieux, et nous ne ferons pas une biographie spéciale de Montgommery : disons, à notre point de vue, qu’il arrangea en prêche la chapelle St-Germain. Il se maria avec Isabeau de la Tiral, qui fut après sa mort dame de Ducey [23] : il fut décapité en 1574. Il eut de ce mariage quatre garçons et quatre filles. La sentence de Villenage portée contre ses enfans n’eut pas de suite. [24]
A la fin de ce siècle, son fils aîné Gabriel II était seigneur du comté de Ducey : [25] il était marié à Suzanne de Bouquetot, [26] dont il eut cinq garçons et une fille. Ce fut lui qui éleva le château actuel en 1624, avec les débris de l’ancien manoir de Ducey, ou peut-être aussi du manoir de Mortrie. [27] Ce seigneur eut une haute position locale par ses richesses et sa place officielle, et comme le chef du calvinisme de l’Avranchin. Il fut le gouverneur de Pontorson, dont les fortifications furent rasées en 1621. Louis XIII, ayant appris qu’il avait fait fortifier cette place, qui était le boulevart des protestans, lui fit proposer de s’en défaire pour un dédommagement. Le comte de Lorges y consentit, et Blainville fut nommé gouverneur. [28] C’est alors que, quittant Pontorson, sa forteresse et l’habitation dite Maison de Montgommery, il se retira à Ducey où il bâtit son château, dans lequel il mourut en 1635. Il fut déposé dans le caveau du prêche, sur lequel a passé récemment la grande route. [29] Il laissa plusieurs enfans : Louis de Montgommery eut la seigneurie de Ducey : un titre de 1647 l’intitule seigneur de ce lieu. [30] En 1670, Louis de Montgommery et Anne de Macheroul, sa compagne, se firent une mutuelle donation de leurs biens. Il mourut en 1680. Sa veuve se retira en Angleterre pour cause de religion, et on lit dans la Statistique de 1698 : « Le seigneur de Ducey est la dame de Montgommery, comtesse de Quintin, retirée à Londres pour cause de religion. » [31] Elle épousa ensuite le comte de Mortagne. [32] En 1714, le château et la terre de Ducey furent vendus. Quelques années après ils passèrent dans la famille du duc de Chaulnes, ensuite dans celle de Julien de Poilvilain, comte de Cresnay, qui, en 1791, vendit cette propriété au comte de Gambiazo, alors doge ou plutôt maire de Gênes, plus tard membre du sénat français. Les armes des Montgommery étaient d’azur au lion d’or armé et lampassé d’un casque de comte avec la devise : Garde bien. Par allusion au coup de tronçon de lance porté à Henri II, un membre de la famille portait une lance brisée dans son cimier. [33] Par une singulière fatalité, Jacques de Montgommery, dans un amusement de jeunes seigneurs, blessa François 1er d’un coup de tison à la tête et mit ses jours en danger : Gabriel de Montgommery tua Henri II d’un coup de lance dans une passe d’armes. [34]

Il y avait à Ducey une église au moins au XIIe siècle, car Guillaume de Ducey donna dans ce siècle l’église de Saint-Pair-de-Ducey à l’abbaye naissante de Montmorel. Il y joignit la chapelle de Saint-Germain, bâtie près de la motte de son chastel. L’église actuelle, sans art ni architecture, est toute jeune et n’offre rien à la description. Toutefois il y a un reste d’appareil roman dans le mur septentrional, vestige probable de l’édifice qui fut donné par Guillaume. Le Moyen-Age est rappelé par des fragmens de vitrail, et deux statues, l’une de saint Fiacre, l’autre de saint Julien, qui sont dans la sacristie. D’anciennes pierres tombales servent de linteau inférieur aux fenêtres. Dans le cimetière est une croix venue de l’abbaye de Montmorel, à laquelle appartenait l’église de Ducey. Ce Guillaume de Ducey fut un bienfaiteur des églises, comme le prouve encore la charte suivante inscrite au Livre Vert : « Carta G. de Duisseio. Noverit universitas vestra me dedisse in perpetuam elemosinam ecclesie Dei et sancti Andree de Abrincis ad opus luminarii ejusdem ecclesie pro sainte anime mee et antecessorum meorum v sol. cen. ad festum santi Remigii annuatim reddendos, in feodo Ricardi Pirre IIII sol. et in feodo Jnete filie Veillon... et in feodo Guimumdi, etc. » (La terre de la Guimondaie. )

Un curé de Ducey, Simon, reçut en 1273 de Montmorel, pour son église Clausum au Berger ; un autre, N. Georges, donna dans le XIVe siècle 20 s. de rente au Mont St-Michel. [35] En 1648, l’église du lieu rendait 300 liv. En 1698, la cure valait 400 liv. Il y avait deux prêtres avec le curé. La paroisse payait 1087 liv. de taille, versées par 330 taillables. [36] En 1764, Ducey, qui était de la sergenterie de Pigace, renfermait 206 feux. [37]

La chapelle de Saint-Germain, donnée au XIIe siècle à Montmorel par Guillaume de Ducey, servit à bâtir le prêche qui vient de tomber devant l’irrésistible élan de la grande route, qui a passé sur le caveau sépulcral et le jardin des Montgommery, comme le symbole du passage de la démocratie sur les ruines de la féodalité. La chapelle de Saint-Germain fut transformée en prêche par les Montgommery, ou plutôt le prêche fut bâti de ses débris. [38] A Ducey les noms de saint Pair et de saint Germain se trouvent unis, comme ils le furent dans l’histoire : ils se trouvèrent ensemble au concile de Paris en 559. [39] Une autre chapelle, dite de Saint Antoine, s’élevait encore, vers Saint-Laurent-de-Terregatte, à peu de distance du pont de la Sélune, à l’endroit où il y a une croix. Cassini indique encore dans le bois d’Ardenne une chapelle Saint-Blaise qui était en ruines de son temps, et qui est désignée dans les chartes sous le nom d’Hermitagium quod est in Ardena. Le prêche de Ducey formait, avec ceux de Brecey, du Grand-Celland, de Cormeray, de Pontorson, tous les temples calvinistes de l’arrondissement d’Avranches. Un historien de l’Avranchin a compris au nombre des dons de G. de Ducey à Montmorel le lieu de la Touche.

La pêcherie de Ducey était importante au Moyen-Age : elle est souvent citée dans les anciens titres, surtout dans les Rôles de l’Échiquier, dont voici quelques articles : « Nigelus filius Roberti r. cp. pro Piscaria de Duxeio... In quietancia terre Roberti Avenel de feodo lorice sue de auxilio vicecom pro Piscaria de Duxeio... et de. x. li. hoc anno (1180) de Piscaria de Duxeio... Gaufridus Duredent reddit de Josselino de Duxeio x. so. pro eodem. » [40] La dîme de la pêche dans la Sélune, depuis Ducey jusqu’à la mer, appartint aux rois de France : elle passa ensuite aux évêques d’Avranches. Robert Cenalis, dans son Aveu à François Ier, déclara qu’il avait « le droit d’avoir la dixme du poisson dans la rivière de Sélune, qui anciennement appartenait au roi depuis le pont de Ducey jusqu’à la roche de Genets. » [41] Nous croyons que la pêcherie passa aux Montgommery, car dans un mémoire présenté dans le siècle dernier par un entrepreneur à cette famille, il est question de deux bateaux employés à la pêcherie. Ce vieux pont de Ducey est situé sur le chemin Montays, et fait maintenant une humble figure auprès du pont neuf, beau travail de solidité, à trois arches et à tailloirs ronds, où l’on remarque de beaux monolithes. [42] Le porche de Ducey, qu’on appelle improprement l’Entrée-des-Vieilles-Ecuries, dont l’archivolte ronde repose sur un cul-de-lampe, peut remonter au XIVe siècle. Il nous rappelle que Ducey, parmi ses nombreuses foires, en a trois qui existent de temps immémorial. [43] Les Porches ou Halles étaient au nombre de quatre et appartenaient aux Montgommery.

Le Doué Herbert, Doitum Hereberti, est cité dans les chartes et mentionné avec précision dans les Observations du savant Stapleton : « Wallis moritonii usque ad Petras albas et usque ad Doitum Hereberti, was one of the localities in Normandy exempt from the custom of fouage. The chapel of Saint-Marc, called des Pierres-Aubes, in the parish of Chalandrey was formerly of great celebrity, le Ductus Hereberti, le Douet, rises near it and falls into the Selune between Ducey et Vezins : from this point of junction the latter river and the Lair, Liger marked the limit. » Outre le Doué Herbert, il y a encore le Bois Herbert, dans le voisinage, à Poilley : il y a aussi la Terre des Doués, et près de l’église de Ducey, le Doué Saint-Pair, auprès duquel est un village d’où la tradition fait sortir Poisson, le père de madame de Pompadour. [44] Près de Ducey, sur le bord de la vieille route de Poilley on remarque le petit manoir des Bruyères, auquel ses portes cintrées, flanquées de deux tourelles aplaties, donnent une physionomie féodale. Entre Ducey et Saint-Quentin est le village du nom saxon de la Houle.

Un poète né sur les bords de la Sélune, vers le milieu du XVIe siècle, a orné de toutes les fleurs de la mythologie l’histoire des localités voisines, et a donné à Ducey une merveilleuse origine. De l’union du dieu de l’Ile Manière ou Lyrmano avec la nymphe Sélune naît Poilleion. Celui-ci poursuit en la prée une nymphe qui croit l’éviter en se jetant dans le sein de Sélune, et leur fils Duceion fonde la localité que nous décrivons. Le père, pour visiter facilement son fils, construit le vieux pont, et celui-ci bâtit un château sur la place où s’élève le château des Montgommery : [45]

Qui fist après bastir en ce lieu le dongeon
Du chasteau de Ducey, dressant sur la rivière...

En quittant cette localité pleine des souvenirs d’une aristocratie puissante, en saluant d’un regard son château fastueux, édifice silencieux et dégradé, en associant dans notre esprit le passé et le présent, séparés par la large barrière de la Révolution française, unissons-nous à ces réflexions d’un écrivain qui trouve souvent de la poésie et de la philosophie dans les monumens. « The armoriai bearings, which stood proudly at the portals of Brecey and Ducey, now attest in their mutilated state the unsparing warfare wich was waged by the populace against every thing that bore the evidence of nobility or high birth. "Fuimus, non sumus", may now be the appropriate motto over the mournful remains of ancient aristocracy : no blame however attaches to the successors, by right of purchase, to the demesnes of the plundered owners. » [46]

Cependant dans ce Moyen-Age où la force et la fortune étaient au seul noble, où le pauvre et le faible reportaient toute leur espérance vers le ciel, quelques voix protestaient contre cet état social. Voici des vers tirés d’un manuscrit du Mont Saint-Michel, qui révèlent quelques plaintes des basses-gens et la révolte amère et presque impie de la pauvreté :

Les basses gens quant la noblece
Daulcuns des saints oient descrire
Dient par courut et par ire
Dieu hait tousiours qui est egent
Il ne sainctist fors riche gent
Les poures sunt en touz pais
De Dieu et du munde hais
Mais cest très malve langage
Quar nul na vers Dieu avantage
 [47]

Source :

Notes

[1] Celt. Arden, bois : ainsi la forêt des Ardennes : ainsi l’abbaye d’Ardeine près Caen. Ce bois est baigné par la Sélune ou Ardée. Il y a probablement un rapport entre le nom de la rivière et celui du bois.

[2] Voir à l’art. de Brecey quelques considérations générales sur cette architecture. M. de Caumont n’a pas cité le château de Ducey dans ceux du XVIIe siècle : il a cité celui de Chiffrevast, son analogue.

[3] Ainsi le château de Saint-Jean-le-Thomas est-il attribué faussement à Montgommery. Ainsi faussement encore le tableau du château est-il interprété comme l’assaut de Pontorson par Montgommery. Tombelaine était à lui : des souterrains rattachaient cette île à Ducey. Le peuple a donné des proportions gigantesques à cet homme, d’ailleurs si terrible, que Garnier montre dans une vérité plus prosaïque, et qui était un diable quand il avait le cul sur sa selle.

[4] Cette zone est très-humide, et, malgré la force des voûtes et des murs, elle a semblé fléchir. Un mur à arcades règne dans toute la longueur : il a été construit par un propriétaire du château, M. de Cambiazo, ex-maire de Gênes, membre du sénat français, qui avait le château en 1791, et qui a laissé des souvenirs de noble générosité. Il est question de lui dans l’Histoire d’Italie de Botta.

[5] Quelques unes étaient aux armes des Montgommery. Le musée d’Avranches possède de belles briques illustrées de l’abbaye de Hambie. L’une représente des moines, une autre une vierge en prière, une Salutation. C’est dans cette pièce qu’ont été trouvées des armures qui sont au musée d’Avranches, et une culotte de cuir attribuée à Montgommery.

[6] Ces dénominations sont tirées de divers inventaires. Extrait de nombreuses archives du château.

[7] Le lieu s’appelait Motte ou Chastel.

[8] Les Châteaux du département de la Manche.

[9] La tradition met un baril d’or dans ces ruines, dont le plan est carré, avec des dépressions de fossés, et qui sont plantées de châtaigniers. Le nom de l’emplacement est les Petits-Bois, sans doute par opposition au bois d’Ardenne qui est en face. On prétend qu’on a fait bien des fois, mais inutilement, jouer les vergettes pour découvrir le trésor.

[10] Richard Séguin, Industrie du Bocage, p. 62.

[11] Châteaux. Art. Ducey.

[12] En Bacilly.

[13] Cartulaire.

[14] Cartulaire. Carta de Sartilleio.

[15] La charte suivante.

[16] Magnus Rotut. de Scaccario. Stapleton, p. 9, tome 1er. Geoffroi Duredent était prévôt d’Avranches.

[17] Nous trouvons dans les archives du château un titre de 1391 relatif au mariage de J. Cornille avec Marguerite Racappe.

[18] Voir l’article de Brecey et celui de Poilley.

[19] Registre des Dons, Confiscations, etc., par Charles Vautier, p. 117.

[20] Archives du château.

[21] Archivée du château. Actes de 1500, 1503, 1506, au nom de Marie de Maros.

[22] Archives du château. Il y a un acte de 1524 relatif à l’acquisition de trois maisons de Ducey appelées le Manoir.

[23] Archives du château. Acte de 1581 de dame Isabeau de la Tiral, dame de Ducey, stipulant pour Gabriel de Ducey, son fils mineur. Remarquons qu’elle ne prend pas, selon l’usage, le titre du veuvage.

[24] On connaît ses paroles à l’occasion de cette sentence : « S’ils n’ont pas la vertu des nobles pour se relever eux-mêmes, j’acquiesce à leur dégradation. »

[25] Acte de 1598 dans lequel J. Roger-Gabriel de Montgommery est qualifié de seigneur de Ducey, Cherencey-le-Heron, Champservon, etc. Archives du château.

[26] Acte de 1593. Dame Suzanne de Montgommery contribua à la réparation du Pont-aux-Vaches sur Loir.

[27] Les titres du château montrent que Mortrie était aux Montgommery.

[28] Masseville, tom. VI, p. 105. On lit dans un Mémoire du temps : « Pontorson, place d’importance, pouvant donner quelque jalousie à la Basse-Normandie, étant commandée par le comte de Montgommery, personnage de la religion, grand capitaine et pécunieux, pouvant toujours lever à ses dépens un équipage de plus de deux mille hommes, pour tenir ses voisins en bride, s’ils se mettaient à mal faire ; mais il a tellement assuré le roi de son obéissance qu’il a offert de lui rendre la place quand il lui plairait. »

[29] On montre encore son marbre sépulcral, chargé d’une fastueuse inscription, telle qu’on ne l’eût pas faite pour le père. Il y est appelé Mars Gallicus, terror hostium, amor tuorum, quem cum audis, virtutem bellicam animo cogitas. Son épitaphe, et en grande partie son histoire, prouvent qu’il fut sujet fidèle :
Bene meritam de regibus suis et de patria mentem caelo reddidit 1635.
Montgommericum sub marmore cerne, viator
Si tamen haec virtus tanta latere potest.
Non una haec tellus tam grandem continet umbram :
Hanc in corde suo Gallia tota gerit
.

[30] Archives du château.

[31] Mém. sur la Gén. de Caen.

[32] Du temps de Masseville, Ducey était à la comtesse de Mortagne.

[33] The crest of some of the family is a broken lance. Avr. and its vicinity, p. 192.

[34] Voir Martin Dubellay pour l’affaire du tison.

[35] Nécrologe du Mont Saint-Michel.

[36] Mém. sur la Gén. de Caen.

[37] Expilly, Dict. des Gaules. Cet auteur met Ducey au fond d’un petit golfe, dans une contrée très-abondante, ou la volaille est fort commune. Cette dernière note vient au secours d’une curieuse étymologie de Robert Cenalis sur le nom d’une commune contiguë à Ducey, celle de Poilley, dont le nom dériverait de Pullus, à cause de l’abondance des poulets. Le Guide de Didot a conservé l’erreur assez commune qui attribue le château actuel de Ducey au grand Montgommery. Département de la Manche, p. 16. Les Chartes de Montmorel étant dispersées, on sait peu de chose sur l’histoire de l’église de Ducey.

[38] M. Foucault dit, dans sa Statistique de 1698, que le prêche était une ancienne chapelle. Mais c’est par erreur que l’auteur des Guerres de religion dans la Manche l’appelle la chapelle de Saint-Georges. La rue s’appelle la rue Saint-Germain.

[39] Annales Baronii, tom. VII.

[40] Magni Rotuli de Scaccario. Stapleton, tom. 1er, p. 9 et suiv.

[41] Aveu de 1535. Mss. de M. Cousin, tom. VI.

[42] L’ancien pont est cité dans le Traité de la construction des Ponts de Gauthey, édité par M. Navier, avec les notules suivantes : « Sélune à la mer. Ducé. Moellon. Cintre arc. 7 arches de 2,1 à 5,2. Largeur 6,1. Total des ouvertures 98,3. Surface du débouché 107. Ancien. » Tom. 1er, p. 126.

[43] Les douze autres datent du commencement de la Révolution. Ducey a acquis de l’importance depuis cette époque.

[44] Nous avons entendu ce jeu de mots d’un cicérone local : un petit poisson sortit du Doué Saint-Pair.

[45] Exercice poét. de Jan de Vitel, poète avranchois.

[46] Historical and descriptive Sketches of Avranches and its vicinity, by M. Hairby, p. 161.

[47] Mss. du Mont Saint-Michel, à la bibliot. d’Avranches. Poésies transcrites au XIVe siècle par un moine du Mont Saint-Michel, J. Delaunay, prieur au Mont Dol.