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Louis-Aimable-Victor Lambert - bio


L'ABBÉ LAMBERT

Il y a des hommes qui, par leurs talents, leurs profondes lumières et leurs bonnes actions, sont appelés à jouir de la renommée pendant leur vie, et dont la mémoire survit à peine à leur mort. C’est pour obvier à cette fatalité si commune, que nous allons retracer la biographie d’un personnage que Cherbourg compte au nombre de ses enfants les plus distingués.

Louis-Aimable-Victor Lambert, prédicateur ordinaire du Roi, vicaire-général du diocèse de Poitiers, naquit à Cherbourg le 14 juin 1766. Il fit ses études au collège Saint-Louis à Paris, et s’y distingua parmi ses condisciples. Peu de temps après avoir reçu les ordres sacrés, il fut choisi pour précepteur des enfants de la famille de M. de Juigné. Les malheureux événements de la Révolution ayant éclaté, il émigra avec cette famille, qui conserva toujours le souvenir de sa science et de sa vertu. Débarrassé des soins qu’exigeait l’éducation des jeunes gens qui lui étaient confiés, il fut admis dans la Congrégation de Pères de la Foi, et prêcha plusieurs missions en Allemagne avec succès. Son zèle sur la terre étrangère ne se borna pas seulement à la prédication évangélique, il secourut encore avec empressement les prisonniers français et leur prodigua les secours de la religion.

Quand la France ne fut plus agitée par les convulsions politiques, l’abbé Lambert prêcha à Lyon, puis tour à tour dans les principales villes du royaume, où son éloquence pleine de feu, jointe à l’onction de sa parole, opéra un grand nombre de conversions. Il prêcha à Poitiers en 1805, année du grand Jubilé, et il vint à Cherbourg en 1809. Cette ville conserve encore le souvenir de ses prédications.

Le pape Pie VII ayant rétabli la Société de Jésus, la Congrégation des Pères de la Foi fut dissoute par la réunion de ces derniers aux Jésuites. Alors l’abbé Lambert s’attacha au diocièse de Poitiers, à la sollicitation de M. l’abbé de Moussac, qui en était vicaire-général. Il fut nommé chanoine et théologal, puis il fut placé à la tête de la mission fondée en 1815.

C’est avec plaisir que nous retraçons ici le récit d’un trait d’héroïsme qui fit connaître toute la bonté de son cœur, lorsqu’il se précipita, au péril de ses jours, entre les glaives croisés de deux soldats qui cherchaient à s’arracher la vie.

Le Moniteur du 13 août 1819 s’exprime ainsi à ce sujet :

« M. l’abbé Lambert, théologal de Poitiers et supérieur de la mission, venait de prêcher dans un village voisin de la ville. Retournant à Poitiers, il rencontra cinq militaires dont deux se disposaient à se battre en duel ; aussitôt le respectable ecclésiastique s’élança auprès des combattants, et les conjura, par tout ce que la religion, la raison et l’humanité peuvent lui inspirer de plus touchant, de s’abstenir d’une action criminelle devant la société comme devant Dieu. Vains efforts ! ils sont sourds à sa voix, et n’écoutant que la fureur qui les transporte, ils brandissent leurs sabres l’un contre l’autre. Alors M. Lambert se prosterne au milieu d’eux et leur dit : — « Vous » voulez donc vous battre, mes enfants ? Eh bien, me voilà ; c’est sur ma tète que vous frapperez ! » — Stupéfaits, ils s’arrêtent et restent quelque temps immobiles ; puis bientôt émus et attendris par l’aspect vénérable de ce pasteur versant des larmes, priant Dieu pour eux et s’exposant pour eux à la mort, ces braves s’écrient tous deux en même temps : — « Voilà nos sabres, Monsieur, c’est vous qui nous avez vaincus. La paix est faite et nous allons nous embrasser. « — M. l’abbé Lambert les a serrés à son tour dans ses bras en leur offrant une pièce d’argent ; il les a engagés à aller boire à la santé du Roi, et au rétablissement de la concorde entr’eux.—Monsieur, lui répondent les deux militaires, vous avez fait envers nous un acte de dévoùment et de charité ; l’honneur ne nous permet pas de rien accepter dans cette circonstance.—Ils se retirèrent en bénissant le ministre de la religion.

Dix-sept jours après cet événement, la lithographie consacra ses crayons à retracer ce trait de courage. Elle représente l’Abbé au moment où il dit aux soldats : « Eh bien, c’est sur ma tête que vous frapperez ! »

M. de Bouillé, évêque de Poitiers, nomma l’abbé Lambert grand-vicaire en 1820.

Le 2 avril 1821 notre Abbé eut l’honneur de présenter au Roi une vie de M. de Juigné, ancien archevêque de Paris, et le 14 avril 1823 il fut admis de nouveau à lui en présenter une seconde édition.

M. l’abbé Lambert fut un des deux ecclésiastique qui assistèrent aux derniers moments du général Berton, condamné à mort pour crime de conspiration. Comme on avait fait courir le bruit que ce Général avait refusé les secours de la religion, l’abbé Lambert en écrivit au Rédacteur du Journal des Débats, afin d’affirmer le contraire ; nous transcrivons ici sa lettre comme faisant partie du domaine de l’histoire politique :

« Poitiers, le 15 octobre 1822.

« Monsieur le Rédacteur,

  • J’ai eu, pendant un mois, de fréquents entretiens avec le » général Berton. Il n’a jamais refusé les secours de la religion ; il me promettait de remplir tous les devoirs qu’elle impose, si son arrêt de mort était confirmé par la Cour de cassation. Le jour de l’exécution de Berton, je me rendis de grand matin à la prison avec M. Beàudoin, prêtre-missionnaire. Je lui exposai la nécessité du sacrement de pénitence et lui rappelai la promesse qu’il m’avait faite si souvent de mourir en chrétien. Il m’écouta en silence, m’embrassa et accepta le confesseur que je lui présentai. Berton s’est confessé deux fois avant son départ de la prison. Lorsque le moment de marcher à la mort fut arrivé, Berton devint d’une faiblesse extrême : la pâleur de son visage, l’altération de tous ses traits le rendaient méconnaissable. J’ai accompagné le général Berton jusqu’à l’échafaud, avec M. Beaudoin. Il ne nous a point dit de le laisser tranquille, ni aucune autre parole désobligeante.
  • Je suis, etc. Lambert, Vicaire-général de Poitiers. »

L’abbé Lambert prêcha à la Cour en 1825 et y fut goûté. Sa modestie, sa douceur et sa simplicité lui conciliaient tous les cœurs. Sa charité s’étendait sur les établissements diocésains, les églises délabrées, et surtout sur les pauvres, qui furent l’objet spécial de ses dernières volontés. Il mourut à Poitiers le 3 Octobre 1833, âgé de 67 ans.

Plusieurs de ses discours ont été imprimés ; nous en donnons la nomenclature :

1° Oraison funèbre de Louis XVIII, Poitiers, 1824 ; 2° Oraison funèbre de M. Charles-François Daviau-du-Bois-de-Sanzay, archevêque de Bordeaux, Poitiers, 1827 ; 3° Discours sur la puissance de la Croix, Poitiers, 1827 ; 4° discours sur la Providence, dédié au Cardinal-Archevêque de Toulouse, Toulouse, 1828 ; 5° Oraison funèbre de MM. de la Rochejacquelein, généraux-en-chef de l’armée vendéenne, prononcée à St-Aubin-de-Baubigné, le 8 juillet 1828, en présence de S. A. R. Mme la Duchesse de Berry, et dédiée à Mme la marquise de la Rochejacquelein, Poitiers , 1828 ; 6° Oraison funèbre de François-Henri de la Broue-de-Vareilles, ancien évéque-comte de Gap, dédiée à M. de Bouillé, évéque de Poitiers, Poitiers, 1831.

Les oraisons funèbres de MM. de Sanzay et de Vareilles sont tout-à-fait remarquables. On n’y trouve point, comme dans les discours d’apparat, une foule de flatteries et de matières usées ; mais, au contraire, tout ce que dit l’orateur vient du fond de son âme. Il parle avec la plus intime conviction de prélats qu’il a connus dans l’exil et dont la piété et les mœurs ont été justement et généralement appréciées.

Quant à l’oraison funèbre de MM. de la Rochejacquelein, on reproche à l’auteur d’avoir emprunté quelques passages à l’oraison funèbre du vicomte de Turenne, par Fléchier.

L’oraison funèbre de Louis XVIII, les discours sur la puissance de la Croix et sur la Providence, sont écrits avec un style noble, facile et fleuri. M. Lambert se répète quelquefois, et ses discours sont fortement empreints des idées politiques de son temps ; néanmoins on y reconnaît un orateur distingué.

Victor Le Sens (de Cherbourg).