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Réné Laurens, seigneur de La Barre - bio ancienne


LE PRÉSIDENT LÀ BARRE.

Aucun dictionnaire biographique n’a consacre aucune ligne au président La Barre, qui cependant a publié un ouvrage qui compte trois éditions, sinon davantage. Nous allons essayer de réparer cette omission, autant que nous le pourrons, car la vie du président La Barre est fort imparfaitement connue, et seulement par quelques passages de ses propres écrits.

René Laurens, seigneur de La Barre, naquit à Mortain. On ignore la date de sa naissance. Il fil ses premières etudes à Sourdeval, puis les acheva à Paris. Voici, du reste, ce qu’il dit de lui, dans le Formulaire des Elus, page 11 de la 3e édition : " Après avoir fait nies études à Paris, et régenté, suivi quelque temps la cour, et fréquenté les grands, fait le voyage d’Italie et visité les diverses contrées de l’Allemagne et de la Suisse, Dieu me fit la grâce en 1595 d’estre pourveu en tiltre d’office du premier (président) au terroir de ma naissance, en la ville de Mortain, ou je suis résidant pour le présent. " Le Président La Barre connut à Paris le président Fauchet : " J’y ay veu (à la chambre du Trésor) et cogneu le président Fauchet, homme docte et bien verse aux antiquitez de la France, dont l’âme soit en bénédiction, comme eu est la mémoire. On ne sait quand mourut le Président La Barre, mais il publiait, en 1610, son Formulaire des Elus, et il vivait encore en 1624, comme l’atteste son livre, page 100.

Il donna, en 1590, une édition de l’Apologétique de Tertulien, avec des remarques sur cet auteur. Il publia, en 1612, une traduction de la vie de saint Guillaume Firmat, avec des notes ou il parle de son Traité des Pèlerinages. Il composa, en 1616, un Formulaire des Elus, pour l’instruction de ses confrères, lorsqu’il fut nomme Président de l’Election de Mortain. Ce dernier ouvrage est un volume de 741 pages, petit in-8", la lecture en est fastidieuse ; mais il se fait remarquer par une certaine liberté de pensée et une certaine hardiesse de plume. Il y a là matière a un petit tableau des mœurs et des usages du XVIe siècle ; car il se trouve dans ce livre mille choses qu’on n’y soupçonnerait pas. Du reste, le President La Barre en avertit lui-même dans son épitre dédicatoire à Messieurs les Esteuz de Normandie : " Au demeurant, sera possible trouvé hors œuvre que je me sois un peu égare sur les imposts, foires, marchés, sallages, breuvages, espèces et monnoyes ; mais je l’ay fait pour contenter les plus curieux et toujours pour le mieux, et afin d’instruire nostre jeunesse ou nouveau Esleu, rapportant que’ques recueils de nos anciennes estudes, et afin aussi que les ennemis et haineux de nostre ordre, et autres qui vilipendent la vacation, sçachent qu’il y en a en icelle qui sçavent avec le jetton manier quelquefois la plume, et aux heures de relaiz feuilleter les bons livres pour leur esbatement, et s’esbatant servir au public ès siècles advenir. »

Ce Formulaire est une sorte de Manuel qui indique aux officiers d’une Election les matières dont la connaissance leur est attribuée. Nous allons en transcrire le titre ; car il nous a paru assez curieux : Nouveau Formulaire des Eluz auquel .sont contenues et déclarées les fonctions et devoirs desdits officiers, et sommairement ce qu’ils sont tenus sçavoir et faire pour l’acquit de leur charge, ensemble quelques recherches touchant les tailles, taillon, subsides, crelles, imposts, tributs et péages, foires, marchez, sallades, quatriesmes, huitièmes, et autres deniers qui se lèvent sur les boires et breuvages, tavernes et taverniers,

Avec un Traitté des monnoyes et des métaux. Le tout par la diligence du Président La Barre.

Erudimini qui judicatis terram. Psalm. 2.

Troisième édition reveue et corrigée. Paris, chez Anthoine Robinot, au Palais, au bout de la petite salle, M.DC.XXVIII.

Le Formulaire des Elus est divisé en sept livres, subdivisés eux-mèmes en un plus ou moins grand nombre de chapitres. Il est terminé par un Traité des espèces et monnoyes, de la matière, forme et figure et usage d’icelles, adressé à Monsieur de Montholon, Conseiller du Roy en ses Conseils d’Estat et privé. Ce Traité, qui renferme douze chapitres témoigne de l’érudition variée de l’auteur. Comme on le pense bien, on y rencontre de singulières opinions et certaines idées excentriques. La numismatique alors n’était pas encore sortie de ses langes.

Nous allons extraire du Formulaire des Elus quelques passages plus particulièrement relatifs aux mœurs et aux usages de l’époque où vivait le Président La Barre. Notre auteur parle ainsi du vêtement des élus : « Les Esleuz se doibvent souvenir qu’ils sont juges, et partant qu’ils se doivent monstrer prudens et modestes en habits décens, selon leur qualité : les présidens avec la robbe ou le manteau long ; leur lieutenant avec la grand robbe selon sa réception comme sédentaire, et les autres vestus décemment en gens d’Estat : voire estre pris d’âge compétent, ni trop jeunes ni trop vieux. Retenus en leurs gestes et comportemens, ni jureurs ni blasphémateurs ; en leur séance arrestez et vénérables, escoutant les causes, et donnant leurs advis posément et de bon sens, sans criailler ni entreprendre que pour la raison, et encore sans passion (pages 44 et 45). »

Il parait que les Normands étaient très-friands de noblesse comme l’atteste l’anecdote que raconte le Président La Barre : « Entrant Henry IV, à Caen, l’an 1599, voulut par manière de gratification annoblir les Eschevins : deux acceptèrent sa grâce, mais le troisième le remercia humblement, préférant le train de la marchandise, seul support de ses moyens : chose remarquable à un Normand ; car pour la pluspart sont fort friands de noblesse. Ce qui leur procède de gentillesse de nature, cherchant toujours de s’avantager, majores nido extendere pennas, et s’affranchir des tailles et subsides, dont ils sont fort grevez, ne regardant pas le plus souvent que l’entretien de telle qualité requiert d’avoir des moyens, du moins mille escus de rente, pour vivre honnestement (page 67 et 68).

Les réclamations du Président La Barre ont souvent pour objet la réforme des abus existant dans la répartition ou le prélèvement des taxes. Au nombre et à la gravité de ses plaintes, on peut juger quelle était l’étendue du désordre dans celte partie de l’administration. Grande était alors la misère des collecteurs : « Aujourd’hui (1624) il ne reste plus qu’un sould par livre aux pauvres collecteurs, qui leur est une grande perte A cette heure que la moitié de leur droit leur est ostée, il n’y .aura pas presse, ni à estre collecteur ni à recevoir les deniers du roy, qui ne peut tourner qu’a un grand retardement d’iceux. Les pauvres collecteurs no pouvant trouver qui face la collection pour eux, faute de pouvoir trouver deniers pour faire les advances, demeurent sous le faix, à la mercy des sergeans et coureurs, ruinez de biens pourriront ès prisons .Et -où pris tout cela ? a pauvres gens qui n’ont qu’une vache ou deux, et pas tant vaillant, ni du bled à se passer la moitié de l’année. Sur les autheurs de tel advis, le peuple sans doute crie vengeance et criera sans cesse….. O bon Dieu ! quel désordre de ce malheureux siècle ! Faut-il que tant de gens de bien ne voyent goutte en telles affaires (page/100 et 101) ! »

Voici quel était l’emploi des deniers provenant de l’octroi des villes : « Il y a des deniers communs et patrimoniaux, comme ils les nomment, qui appartiennent aux communautez, et aux villes, se consistais en louages de maisons, estaux et estalages, boutiques ; rentes et revenus, et autres redevances qui se prennent sur places publiques, fieffées ou arrentées, sur terres, prairies, moulins et autres choses appartenantes au public : dont les deniers provenans, sont de bon employ, se distribuans a tout plain de bonnes œuvres utiles et charitables, aux réparations dos ponts, des portes et des pavez, et à salarier les prédicateurs, régens et maistres d’escoles, et à fournir aux despences communes, aux feux de joye, torches du saint sacrement ; aux entrées et réceptions des roys ; pour celuy qui gouverne l’horloge, pour les portiers, trompettes et autres (pages 113 et 114). »

L’auteur du Formulaire s’exprime ainsi sur les dépenses des Rois : « En fait d’imposts, leur façon estant de n’aller jamais au rabais, en diminuant, pour l’esgard de leurs despences, tailles et imposts, mais tousjours en grossissant et enflant le fisque, à l’attenuation toutefois du corps politique et du pauvre peuple (page 121 et 122).

Le Président La Barre parle ainsi des Rois : « Ce bouffon de Sicile remarquant la paucité des bons roys, disoit qu’ils se pouvoient tous escrire au rond d’un petit anneau, tant il les estimoit en petit nombre ! Rarement se trouvent-ils qui n’ayent blessé leur peuple de quelque imposition (page 141). »

Voici, relativement à l’altération des monnaies, un passage qui appartient à l’histoire. Il est bon de le recueillir, car l’auteur était témoin oculaire : « Véritablement on ne peut toucher aux espèces qu’il n’y aille de l’intérêt du public. On ne les enforce jamais, mais on les affoiblist tous jours pour y gaigner la façon du moins ; et lorsqu’il s’y fait quelque refonte et descry, le peuple y est toujours préjudicié. Nous avons veu le désordre de l’an 1614, qu’on ne voyoit que pièces estrangères, qui s’exposoient à tel prix qu’on vouloit, le soir d’une façon, le matin d’autre, tousjours en haussant, au lieu desquelles on tiroit nostre bon or et bon argent de France : le marc d’aucuns ne fut guères apprécié qu’aux deux tiers des nostres de prix, tant d’or que d’argent. Les Cours n’en vouloient point, encore moins les receveurs-généraux et particuliers ; ainsi le peuple qui en avoit, avoit de l’argent et n’en avoit point ; ayant a négocier en court, à payer espices , ou à payer aux receptes, estoit contraint d’achepter de la monnoye de France à perte de cinq ou six souls par escu, peine et coustage intolérables. Sur tel désordre arriva le réglement après, en l’an 1615, deffendant de n’exposer ni recevoir plus autres espèces qu’au coin et armes de France, et lorsque le royaume en estoit presque épuisé, et lors fut la grande confusion. Au change on perdoit le tiers et plus, et plusieurs qui avoient emprunte deniers pour trafiquer en sont pauvres. Et Dieu sçait de ces pièces estrangères et de tel billon qu’elles espèces on nous a faites de dix souls et autres. Dieu nous garde de voir jamais tel désordre. Telle année se nomma par aucuns l’année des pertes, pour la remarquer à l’advenir, tant pour la stérilité de biens que rabbais des monnoyes, que pour l’assemblée des estats-généraux à Paris, qui après plusieurs séances, et avoir recogneu les maux de l’Estat, se départirent sans y donner remède et sans rien faire :

Le descry des monnoyes, les estats de feintize, Font remarquer à mal l’an mil six cens et quinze. (pages 142, 153, 155 ).

Le Président La Barre songeait, dès le temps même ou il vivait, à tout ramener à l’unité ; écoutez-le : De présent que les choses sont revenues à leur poinct et retombées au periode du meilleur et plus utile gouvernement, sous la puissance d’un seul, le plus expedient seroit de réformer le tout à un, les coustumes, les poids et les mesures, laissant le passé, et réglant l’advenir (page 148). »

Noire auteur trouve même moyen, dans le chapitre 21 du livre 2, de parler de la faiblesse de notre nature. « Certainement nostre vie n’est qu’imbécilité : disons ce mot en passant, toujours accompagnée et confite en folie ; elle se commence par l’enfance pleine d’enfantillages et singeries ; accrue, elle se joint a une femme qui est la folie mesme, et se finist en décrépitude. »

Nous voyons, au chapitre 25 du 2e livre, page 234, que le jeton était encore, au XVIIe siècle, en usage pour le calcul : « Aucuns s’y sont voulu ayder des reigles d’arithmétique, mais la division manque en son quotient à trouver les moindres sommes, et puis les chiffres sont trompeurs. Pourquoy la chambre des comptes, dont toute l’occupation est à nombrer, calculer et compter, les a suspects, et n’approuve bonnement que le ject et jetton, se servant fort peu de la plume, pour n’en estre la forme cogneue que de peu de gens, ni commune. »

Les prêtres étaient alors très-nombreux en Normandie : ou sait qu’ils étaient exempts de la taille : « En Normandie province chargée d’imposts, soit par dévotion ou pour se libérer des tailles, il y a plus de prestres, de gens d’église et de fondations ecclésiastiques que autre part : par expérience ce peuple foisonne en ministres de l’autel, et semble presque en fournir le reste de la France. Et s’il falloit descharger chaque famille à mesure qu’elle feroit des prestres, il y aurait bien de la descharge pour les uns, et de la surcharge pour d’autres. Me souvient, estant escolier a Sourdeval, y avoir ouy conter quarante-cinq prestres en toutes les meilleures maisons de la paroisse, et ores en la paroisse de Barenton y en avoit soixante, outre bon nombre de clercs qui aspirent à l’estre. Les pauvres y acheminent leurs enfans tant qu’ils peuvent : mais les riches bien d’autre façon, qui ont de quoy les faire estudier (page 226). « 

Par le Président La Barre nous apprenons quelques détails sur les événements du temps. Plein de pitié pour les misères des collecteurs, le magistrat de Mortain dit qu’il ne les a jamais pressés, et il engage les élus à suivre son exemple : » J’ay toujours insisté pour les pauvres collecteurs ; quelque assistance qu’on leur puisse faire, peu s’eschappent ès grandes paroisses qui n’y perdent leur bien. Me souvient, en l’an 1599, pour la contagion, en 1603, des flux de sang, en 1616, des langueurs, qu’il fallut attendre l’hyver en suivant et bien davantage, avant que d’oser toucher aux meubles. Et en 1615, se fist un lel souslèvement de soldais et soudrilles par les paroisses qu’il ne fallut rien demander pendant qu’ils eurent les armes entre mains, ni long-temps après : » (page 284.) .

Il faut voir comme le président de l’élection de Mortain s’élève avec force contre les impôts toujours croissants : « Tantost, dit-il, il n’y a rien de reste en la nature, en l’art, en la manufacture que l’on n’ait assujetty à quelque tribut, comme si c’estoit mal fait, et s’il falloit payer amende d’estre industrieux et laborieux. Tout ce qui vit en l’air, ès eaux et en la terre est sujet à imposts : il n’y a rien qui s’en exempte : terres, personnes, marchandises sont redevables. »

Ce chapitre sur les impôts est très-curieux à lire- : le bon sens, la raison, la justice y respirent. Comme notre auteur flétrit les exacteurs ! comme il montre bien que le peuple riche est la gloire du souverain ! Le meilleur prince est celui qui n’écrase pas ses sujets sous le poids des taxes Il cite l’exemple du Bon Pasteur. Extrayons de ce chapitre l’anecdote suivante :

François II, duc de Bretaigne, allant un jour à Renes pour introduire la gabelle, eut de rencontre sur le chemin un pauvre paysan qui portoit son coq Sous son bras, et menoit sa fille et sa femme, menaçant, si l’interrogea où il alloit : le paysan lui respondit qu’il alloit à Renes se desfaire de ces trois mauvaises bestes , de sa femme et de sa fille , pour les mettre en service, et vendre son coq pour avoir quelque argent pour gaigner pays, et qu’il falloit tout quitter à cause des imposts. Le duc, piqué de ce mot, se retint de son dessein, et ne fist pas ce qu’il s’estoit proposé : ayma trop mieux retrencher de sa despence, et fist fort bien." (page 351.)

Le deuxième chapitre du 4e livre est bien curieux ; l’auteur recherche quelle est l’origine des tributs ; ce qu’ils étaient chez les Hébreux, les Assyriens, les Babyloniens, les Egyptiens, les Perses, les Grecs, les Romains, et ce qu’ils sont chez les peuples modernes. Il termine par cette conclusion : « Quelque part donc que l’on aille, du Levant au Ponant, et du Nord au Sud, là où il y a a prendre, les roys et princes veulent avoir leurs redevances. »

Au chapitre 1er du 5e livre, le président La Barre mentionne l’établissement de la foire de Guibray : « Guillaume-le-Conquérant, aimant Falaise , à cause de sa mère , Arlette ou Arluyne de Verpré , qui en estoit native , donna les foires de Guibray, qui durent huit jours, se rencontrans au plus beau temps de l’année, le 16 d’aoust, dans un beau bourg et bien basti, au milieu de Normendie, ayant ses juges, gardes et officiers et ses franchises et libértez. Pour monstrer de plus en plus ses bienveillances vers les Falaiziens ; les déclara francs et exempts de toutes coustumes, péages et travers ès foires et marchez de Normendie. »

Il parle encore, au même chapitre, des foires établies à Mortain : « L’an 1613, Louys XIII, à présent régnant, octroya la foire de la Saint-Michel à l’Ermitage de Mortain , en faveur de Mlle Anne duchesse de Montpensier, et comtêsse dudit. Mortain, à qui Dieu doint alliance et lignée en toute prospérité. Précédente celle-cy, Mortain a deux autres de la concession de Louis XII ; l’une le premier de may, et l’autre le samedy d’après la Trinité. »

Le président La Barre commence son 6e livre par l’éloge du sel : il indique la manière de le faire , sa nécessité, ses divers usages. On voit que, dès le temps même ou vivait l’auteur, le sel etait employé comme excellent engrais-. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil.

, Le 7e livre du Formulaire des Elus s’ouvre par un curieux éloge du vin. L’auteur prend chaleureusement sa défense contre les détracteurs de cette divine liqueur : - L’église, dit il, n’a jamais improuvé l’usage du vin : tant s’en faut ; elle s’en sert à diverses occasions : au saint sacrifice de la messe, aux nopçages, à la communion et autres cérémonies chrestiennes. O que bénite est la plante de vigne dont le suc et le vin est employé à tant sacrosainct usage ! .. L’auteur parle de la diversité des vignes et des vins, avec force citations puisées dans les livres grecs et latins et dans la Sainte Ecriture. Il n’oublie pas les vins de la Basse-Normandie : « Ils sont, dit-il, tant verts et aqueux qu’ils n’ont gueres-besoin d’eau, si ce n’est pour les adoucir ; le Colihou , près de Rouen, le Trenche-boyau d’Avranches, et le Rigaut d’Argences monstrent assez à les ouyr nommer ce qu’ils sont, dont a esté fait par contrepoint tel quolibet :

Le vin Trenche-boyau d’Avranche, Et Rompt-ceinture de Laval A mandé a Rigaut d’Argences Que Colihou aura le gal.

L’auteur raconte, dans ce chapitre , les merveilleuses propriétés du vin , et, dans le chapitre deuxième . il s’exprime ainsi sur le plaisir de boire : « De vray, le plus grand et durable plaisir qu’ait l’homme en sa vie est au boire. Le manger est pénible ; il faut mascher, remascher et masticoter sa viande pour en avoir le goust et l’avaler ; le boire est plus, prest, et toutefois qui se coule petit à petit, comme l’on veut. »

Il parle aussi d’un breuvage usité en Basse-Normandie : . ""Les Ecossois encore du jourd’buy font du breuvage de lait clair, gardant le megne du beurre, et autre lait, qu’ils mettent à surir dans vaisseaux de bois ou de terre, meslans trois fois et davantage d’eau que de lait. En la Basse-Normandie , pour l’abondance qu’ils ont de vaches, amassent un lait sûr -pour leur caresme, le nommant du caudel. » .

Le 3e chapitre traite des pommes et pommé. Il s’ouvre par la pomme du paradis terrestre qu’Eve présenta à Adam. Le fruit défendu était-il une pomme ou non ?—Longue et curieuse dissertation à ce sujet. — Arbre du bien et du mal ; fruit du bien et du mal. Eloge de la pomme : « C’est un beau tiltre d’honneur à la pomme et au pommier d’estre nommez et qualifiez de la bouche de leur créateur pour arbre et fruict de science de bien et mal, non qu’ils fussent tels en nature, mais en signification et preuve de l’advenir, et que la bonté de leur plant s’est continuée et continue, comme des plus utiles et commodes de tous autres , soit pour le manger ou pour l’extraction du jus qui s’en fait, liqueur fort propre et salutaire pour le breuvage des humains et entretien de leur nourriture. » —Mais qui le premier a fait le cidre ? C’est un Normand, répond notre auteur. « Le sidre amende mis ensemble. Pourquoy on le met dans tonnes et tonneaux d’excessive grandeur, de quarante et de cinquante pipes, de moins aussi et de davantage, telles que se voyent y avoir plusieurs ès bonnes maisons et abbayes, à S. Estienne de Caen, à Savigny et à Sainte Barbe en Auge, et ailleurs. »

D’après le président La Barre, le meilleur mode de pressurage est en Normandie ; puis vient l’éloge du cidre ; c’est le plus délicieux breuvage, après le vin. Mais quelle est l’étymologie du mot cidre ?— « Quant au mot sidre, dit notre auteur, qui le tirerait de Sydrac, luy donneroit un bon parrain. » Longue digression à ce sujet ; il invoque, à l’appui de son opinion, l’hébreu, le grec .et le latin. Ensuite vient un pompeux éloge de la pomme : « Quand il n’y aurait que l’odeur et senteur des pommes, on ne lui pourrait mescognoistre ou dénier son insigne qualité. Les raisins n’ont rien de tout cela. » Ici l’auteur énumère les qualités médicinales de la pomme : « Quand le médecin Riolant s’oublia de dire en une de ses leçons à Paris que les pommes et usage du pommé engendraient la lèpre, le docteur Cahaignes, médecin de Caen, le sçut fort bien relever, et vengeant l’injure faite à sa patrie luy remonstrer que les pommes ni le sidre ne trainoient point cela de vice avec eux, n’y ayant en Normandie beaucoup moins de ladres qu’ailleurs. Les ladreries y sont ores presque toutes désertes. »

 » Usant du sidre, le médecin Paulmier, menacé d’une phtisie par une fluxion qui lui tomboit sur les poulmons, prévint son mal, le surmonta, et vescut encore fort longuement, jusques qu’à ce que d’une extrémité en l’autre, par trop de réplétion, une apoplexie nous l’osta, au grand regret de ses amis ; car de son art il estoit fort secourable.’ »

Dans le chapitre 5e, le président La Barre parle des tavernes, des hôtelleries et des cabarets. Il nous raconte l’origine des tavernes ; il nous cite les peuples renommés pour leur hospitalité. •, De présent encore dit-il, la noblesse françoise se monstre libérale et magnifique à tous passans et pèlerins. »— Le christianisme a civilisé et adouci les mœurs des nations les plus barbares. Partout, dans toutes les villes, il y a des hôpitaux, et, dans les abbayes, il y a des chambres pour les étrangers. — A ce propos, le président La Barre raconté une petite anecdote : « L’empereur Rodolphe premier bastit Azel, abbaye fort opulente, à cette mesme intention de recevoir et substenter toutes sortes d’honnestes gens, et principalement les pauvres indigens et souffreteux ; pour ce fist graver en lettres d’or sur la porte :

Porta patent esto, nulli claudaris honesto ! .

y mettant pour abbé Martin, lequel homme mesquin et chiche voulut apposer une virgule après nulli, frustrant l’empereur de sa fondation : pourquoi il fut déchassé, et l’abbaye bailliée à un autre occasionna ce mot de rizée propter unum punctum Martinus perdit Asellum, qu’on tourne abusivement, pour un point Martin perdit son asne. »

Il parait qu’alors les hôteliers rançonnaient les voyageurs. L’auteur s’élève avec une vertueuse indignation contre les taverniers qui vendent tout à un prix excessif : « Qui gaigne torsionnairement, dit-il, hazarde son âme et fait péril de conscience, mettant malheur sur soy et sur ses biens, et fait que ses magasins d’iniquité ne prospèrent guères. Qui ruine tant de gens de ce mestier, sont leurs tromperies et surventes. A ce propos, me souvient d’un, qui faisant fraude à ses créditeurs, passoit par mer en Angleterre, traisnant un siuge avec luy, ayant une grosse bourse pendue à son col , du meslange qu’il avoit fait d’eau avec vin et sidre ; son singe doucement luy arracha cette bourse , et se voyant escrié de son maistre, la jeta dans la mer. Alors ce brouillon de tavernier n’eut autre chose à dire, sinon qu’on disait à bon droit, d’où va vient, et que cet argent estoit venu de l’eau, et qu’il y estoit retourné. On le pratique journellement, que ce qui vient de flot, s’en retourne de marée. Dieu a establi certains progrez en l’ordre des choses , qui en font cognoistre la durée ou la mutabilité : l’équité et la loyauté en toutes choses sont moyens attractifs ; de prospérité et bon succez. »

V.-E. PlLLET.