Une des femmes les plus distinguées de notre époque et la seule illustration artistique dont la ville de Cherbourg soit le berceau, Mme de Mirbel, si connue pour son admirable talent de miniaturiste, a été enlevée prématurément le 30 août dernier par le choléra-morbus qui a fait 400,000 victimes en France dans le cours de l’année 1849. Cette personne éminente, dont les arts déplorent la perte, mérite particulièrement une notice biographique dans L’Annuaire du département qui lui a donne l’existence.
Mme de Mirbel, née Lizinca-Aimée-Zoé Rue, vint au monde à Cherbourg le 26 juillet 1796 (8 thermidor an IV). Son père, Gilles-Marie-Georges Rue, était alors contrôleur de la marine ; sa mère Eulalie-Zoé Bailly de Monthion, était sœur du général de ce nom. Elle passa sa première enfance dans sa ville natale. Mais, sous le Consulat, son père perdit son grade et fut envoyé dans les fonctions inférieures de sous-commissaire de l’inscription maritime au Sas-de-Gand, où sa famille le suivit pour ne plus revenir à Cherbourg. Quelques années après, vers 1806, M. Rue ayant été éliminé de la marine. Lizinca, âgée de 9 à 10 ans, alla résider à Paris chez son oncle, le général de Monthion, qui eut pour elle une tendresse paternelle, et s’attacha à lui donner une éducation brillante.
Issue d’une famille dont toutes les branches étaient riches, excepté la sienne, la jeune fille, douée d’une âme élevée, appréciait sa position et songeait à la pauvreté de ses parents au milieu du faste qui l’entourait. Loin de se laisser éblouir par l’éclat du luxe, et par les hommages que lui attiraient sa beauté naissante et son esprit précoce, elle n’avait qu’un rêve, une idée fixe inspirée par un sentiment noble et généreux : c’était de se suffire à elle-même par son talent, pour recueillir auprès d’elle sa mère et un plus jeune frère.
Enfin, à 18 ans, après avoir long-temps cherché la voie qui pouvait la conduire à l’accomplissement de son désir, elle crut avoir trouvé sa vocation dans la miniature [1] et entra chez le peintre Augustin.
De ce moment, chacune des heures de Lizinca eut son emploi : telle fut consacrée au dessin à la maison ou dans l’atelier, telle à la lecture, telle autre aux travaux de l’aiguille, dans lesquels elle excellait. Levée dès quatre heures du matin, toujours prête, et cependant jamais pressée, elle vivait le jour au sein de la plus sévère étude, et le soir au milieu du monde où elle rivalisait de grâce et d’élégance avec les personnes de son âge. Ainsi se passait sa studieuse jeunesse, dévorant le travail avant tout, et préludant par un labeur opiniâtre au succès de l’avenir.
« Toutefois, le péché originel des miniaturistes , c’est l’ignorance du dessin,-dit un biographe de Mme de Mirbel. Lizinca Rue pouvait bien apprendre, dans l’atelier d’Augustin, à faire tenir la couleur sur l’ivoire, à devenir habile aux petits procédés du métier ; mais le dessin, mais l’art lui échappaient. Un ami de sa famille, grand connaisseur en peinture. et qui ne la pratique pas sans talent, M. Belloc, lui conseilla de quitter l’atelier et de se livrer exclusivement et sans relâche à l’élude du dessin. Elle suivit ce conseil, et, sous ta direction amie de cet artiste, elle redoubla d’efforts et copia les maîtres en vue de son art spécial. Les jeunes artistes, à quelque branche qu’ils se vouent, ne savent pas assez , de nos jours, ce qu’il leur resterait du commerce avec les grands hommes de l’art, de cette lutte avec la science des Romain, la splendeur et la force des Vénitiens, la fidélité des Hollandais. Le talent de Mlle Rue s’y fortifia rapidement, et elle préluda bientôt à ses débuts en faisant la miniature d’une nièce de M. Rousseau, alors l’un des maires de Paris et depuis pair de France. Toutefois, éclairée par ce premier essai, elle se décida à travailler encore avant de se jeter dans la lice où brillaient alors des talents distingués en possession de la faveur publique : son maître Augustin, le vieil Aubry, Isabey, Saint.
Tels étaient les principaux miniaturistes en réputation lorsque Lizinca Rue produisit ses premiers portraits : le président Amy, Louis XVIII, le duc de Fitz-James, Perronet, valet de chambre du roi. Le premier et les deux derniers de ces portraits sont restés au nombre de ses chefs-d’œuvre.
Quelque temps après, en 1823, Mlle Lizinca Rue, alors âgée de 27 ans, épousa M. Brisseau de Mirbel, professeur de botanique au Jardin-des-Plantes. membre de l’Institut, et l’un de nos savants les plus distingués.
L’habile artiste voyait dés celle époque l’aristocratie dt Paris se presser dans son atelier ; la faveur de Louis XVIII lui avait donné la vogue dans le grand monde.
Chacun de ses portraits était pour elle une nouvelle étude. Saint procédait par hachures , Isabey par pointillé, Augustin lavait et cachait son travail ; Lizinca s’inspira de cette méthode de son maître, et c’est le seul emprunt qu’elle ait trouve à lui faire, mais elle eut le goût d’en éviter l’excès Elle varia les tons de sa couleur suivant la complexion de ses figures, elle serra son modelé avec une délicatesse extrême. Personne ne connut mieux qu’elle la charpente d’une tête humaine : la chair eut la souplesse qui lui est propre, les cheveux eurent le moelleux de la nature, et les yeux, unissant la finesse au fini, deux qualités si distinctes dans l’art, peignirent la pensée du modèle. L’un des caractères les plus remarquables du talent de M"" de Mirbel, c’est qu’elle oubliait tout système en se mettant à l’œuvre : elle arrivait sans manière devant la nature, elle cherchait à la prendre sur le fait et se livrait à l’inspiration. Ainsi qu’elle l’a dit elle-même, dans un écrit élégant et plein de sens, où elle a apprécié son art comme elle le traitait : « La nature est assez féconde en effets variés pour offrir au peintre habile les moyens de faire valoir ses figures sans s’écarter du vrai. »
Elle débuta à l’exposition de 1849 et obtint une médaille de 2e classe ; pareille récompense lui fut décernée à l’exposition de 1822. Les miniatures et les aquarelles qu’elle envoya au salon de 1827 lui méritèrent la médaille d’or de 1re classe. A partir de cette année, ses ouvrages figurèrent avec honneur à toutes les expositions, sauf celles de 1837, 1838 et 1843.
Il serait difficile de donner la liste des miniatures qu’a peintes Mme de Mirbel pendant les trente années de sa carrière artistique. Quelques-unes sont des chefs-d’œuvre, toutes sont éminemment remarquables. Elle excellait surtout dans les portraits d’hommes et de femmes âgées ; la mère de M. Guizot, par exemple, est peinte avec un art incomparable. Il y a d’elle, néanmoins, des portraits de jeunes femmes d’une rare élégance et d’une perfection achevée. Energie et finesse, grâce et science, Mme de Mirbel réunissait les qualités les plus précieuses que puisse avoir le miniaturiste. La facilité de sa touche et l’harmonie de son coloris étaient admirées des connaisseurs les plus sévères et fort prisées de l’aristocratie, à laquelle la brillante artiste avait voué son talent. Son pinceau était essentiellement patricien ; il reproduisait les traits des gens de haut parage, mais ne se commettait guère avec le commun des humains. Aussi, sous la restauration, fut-elle peintre de la maison des rois Louis XVIII et Charles X.
Mme de Mirbel était dans tout l’éclat de sa gloire et de son talent et promettait de fournir encore une longue carrière, lorsqu’une attaque de choléra vint inopinément la ravir au monde le jeudi 30 août 1849, dans sa 54e année. En elle disparut la reine de la miniature : sa mort fut une perte immense et un deuil pour les arts.
Favorisée par la nature au physique et au moral, Mme de Mirbel possédait tout ce qu’il fallait pour plaire : c’était une fort belle femme, très-soigneuse de sa personne et surtout de sa santé, un des caractères les plus aimables, une des intelligences les mieux douées ; spirituelle sans viser à l’esprit, sa conversation était aussi variée qu’attrayante. Son talent de miniaturiste, le plus parfait peut-être qu’on ait jamais vu, s’est entouré d’un éclat qui promet à l’artiste les honneurs de la postérité.
VÉRU’SMOR.
NDLR :
[1] Ce genre de peinture inconnu aux anciens, et si nouveau encore en Italie au commencement du xiv siècle , que le Dante ne peut le désigner que par une périphrase, est un art d’origine française. On l’appela d’abord enluminure, du nom des enjolivements des manuscrits. Miniature dérive du vieux mot français mignard, délicat, léger, gentil, agréable