Le50enligneBIS

Jean Morel - bio ancienne


JEAN MOREL.

Jean Morel, frère du précédent, naquit aussi au Teilleul, vers l’année 1539. Quoique de médiocre condition, il trouva le moyen de faire de fort bonnes études [1] ; il les termina ensuite, par l’exercice du bel art de l’imprimerie, probablement chez son frère, qui était alors imprimeur du roi pour la langue grecque, et sous les leçons, ainsi que le bon exemple d’Antoine de Chandieu, ministre du roi de Navarre, au service duquel il s’était mis. C’est ce que nous apprend en peu de mots Théodore de Bèze, dans son Histoire ecclésiastique des églises reformées de France ; il s’exprime en ces termes :

« Jean Morel estoit un jeune homme d’environ vingt ans, pauvre escolier aiant emploïé une partie de sa jeunesse à l’imprimerie, lequel estant entré au service d’un des ministres de Paris.... monstra bien qu’il avoit profité à bon escient en servant son meistre. » [2]

L’Histoire des Martyrs s’étend beaucoup plus sur la vie de cette victime, et nous donne sur lui de nombreux détails : « Jean Morel, y dit-on, servoit deux ministres, dont l’un estoit au roy de Navarre.... Morel n’avoit encores atteint l’aage de vingt ans et toutefois estoit fort bien versé aux estudes des bonnes lettres. Et combien qu’il fust de pauvre maison et n’eust moyen de poursuivre ses études qu’en servant à d’austres escoliers, et mesmes eust employé une partie de sa jeunesse a l’imprimerie : si avoit-il tellement profité, que bien peu de nostre tems ont approché de sa dextérité à repousser les adversaires de la vraye doctrine, ce qui apparoistra par les escripts qu’il a laissés devant sa mort. «  [3].

« Et aiant, suivant le genre particulier de son tems, embrassé les opinions des reformez et fait à ce dessein un voyage à Genève, il ne tarda pas à devenir une des plus tristes victimes de cet esprit d’intolérance et de persécution qui s’éleva si violemment contre eux vers le milieu du XVIe » siècle, mais en même tems un des plus merveilleux exemples de pieté, de courage et de constance, qui éclatèrent alors en si grand nombre : aiant este saisi, emprisonné, cruellement et longuement tourmenté, probablement empoisonné et enfin inhumainement déterré, et réduit en cendres, le 27 février 1559. » [4]

Plusieurs, tels que La Croix, Melchior Adam, Teissier, Baillet, La Caille et Mattaire, se contentent de dire en deux mots qu’il a été brûlé par les tribunaux de l’inquisition parisienne, pour son hérésie et pour ses doctrines religieuses. Bèze lui-même ne fait qu’ajouter : Jean Morel, digne d’estre remarqué entre les plus constans martyrs de nostre tems car s’il y eut jamais homme cruellement traité en prison, et pourmené de siège en siège, jusques à estre esbranlé par la tentation, ça esté ce jeune homme, merveilleusement constant en ses souffrances. Finalement, il mourut de mauvais traitemens ès prisons, non sans soupçon d’avoir esté empoisonné : et depuis fut déterré et son corps bruslé le 27 de février. » [5].

Mais pour bien connaitre toutes les persécutions suscitées à ce jeune homme, et pour étudier les formes des procédures inquisitoriales de cette époque, il faut lire dans l’Histoire des martyrs, huit différents interrogatoires terribles qu’on lui fit subir, et la peinture effrayante des supplices éternels et des cachots affreux qu’on lui imposa tour-à-tour. C’est à quoi nous exhortons les esprits avides d’émotions ; pour nous, nous rapporterons ici seulement l’historique de ces odieuses formalités, dans les termes propres de ce récit qui emprunte la parole de Jean Morel lui-même :

 » Jean Morel, y dit-on, fut constitué prisonnier pour avoir esté saisi de livres en sa maison , — c’est à dire en celle de « deux ministres qu’il servait, comme l’observe Bèze, p. 140, —par une troupe de larrons, qui sous le tiltre de sergeans, pilloient la chambre de sa demeurance. Avec lui furent prins deux ministres de l’église, lesquels il servoit ; dont l’un à l’instant se racheta d’entre les mains du sergeant qui le tenoit par une picce d’argent, les livres n’estant point encore descouverts ; et l’autre (nommé Antoine de Chandieu, Bèze, p. 140) ayant esté mené prisonnier au Chastelet, fut délivré le lendemain à la requestre du roy de Navarre, n’estant point encores connu pour ministre.—Selon Bèze, p. 140 et 141, ce roy alla luy-même l’advouer de sa maison, et le ramena sain et sauf. C’est ce que reconnaît aussi Melchior Adam, Vitar. theologor. exteror. p. 155, où il a écrit celle de Chandieu , sous le nom de Sadeel, qu’il prenait quelquefois. — Mais Morel demeura, pour ce que l’heure estoit venue, que Dieu s’en vouloit servir..... Ses premiers interrogatoires furent devant les juges du Chastelet…. Le premier.... par le lieutenant criminel, environ le 9 de juin 1558. Le second par deux docteurs de Sorbonne, le samedy suivant ….Le troisième le lundi d’après par les mesmes,.... après lequel ils s’en allèrent faire rapport au lieutenant, qu’il n’y avoit plus d’espoir en moy : et je fus descendu en une fosse, ou l’eau degoutoit sur moy quand j’estois couché, et y fus vingt quatre heures. Le lendemain, on m’en retira et me mit-on en une autre, qui n’estoit guères meilleure. Avant que j’eusse disputé contre les docteurs, j’estois en une des plus belles prisons. Or mon frère qui est l’imprimeur du roy en grec, ayant entendu que j’estois prisonnier et en danger de mort —-(aussi avois-je reçu sentence de mort en moy ) — fist tant avec les juges qu’il me vint visiter, accompagné d’un autre docteur : non par charité, mais craignant le deshonneur du monde ; car, il n’a apprins que c’est honneur. Il me vouloit donc destourner de batailler contre Goliath , comme faisoient les frères de David.

 » Environ quinze jours après, ils me vindrent voir : et ce combat fut beaucoup plus grand que le premier, tant à cause que j’avois connu familièrement ce docteur, que pour ce que mon frère estoit présent à ce 4e interrogatoire ou examen.

 » Le 5e par les mêmes, dans lequel je fus tellement tenté et esbranlé que petit à petit je commençai à m’escouler ; et lors, du tout tresbuché je fis abjuration, laquelle pour achever le comble de l’iniquité, je signai de ma main lasche et traistre... Or voici, devant Dieu, je ne mens point, incontinent que j’eus signé mes blasphèmes de ma main, mon seing me fut » comme le chant du coq à sainct Pierre ; car incontinent que je fus ramené en mon cachot, qui estoit le pire du Four l’Evesque, ou j’avois esté amené le mardi 12 de juillet ; ma conscience commença à m’accuser, si ce que je ne savois faire autre chose, sinon pleurer et lamenter mon peché

 » Condamné à renouveller son abjuration devant l’official, et desjà revenu à soi, il appella de cette sentence de renvoi, y et fut mené droit à la conciergerie du Palais, d’ou il fut tiré le mercredi 14 de décembre, pour subir son 6e interrogatoire par devant Messieurs les Présidens, et plusieurs conseillers de la grande chambre dorée ; qui se contentèrent de le renvoyer par devant l’official, qui lui fit subir un 7e interrogatoire, le 19 de décembre, et le déclara enfin hérétique, et retranché de l’église papale, le 16 de février suivant.

 » Dès le lendemain, il fut ramené en la conciergerie et le mardi suivant, il fut mené devant Benedicti, moine et inquisiteur de la foi, de la part duquel il essuia son 8e interrogatoire ou examen ; car, trois ou quatre jours après, il rendit son âme au Seigneur, fort soupçonné d’avoir esté empoisonné....

 » Or estant mort en cette façon il fut enseveli, et porté en terre selon la coutume des prisons ; mais, les meschants ne purent porter cela : il fallut monstrer leur inhumanité dessus le corps mort. Pourtant, le lendemain…… par conclusion du Procureur général du roy, il fut arresté que le corps seroit déterré, rapporté en la conciergerie, et mené dans un tombereau jusques au parvis du temple Nostre-Dame et là ars et mis en cendres ; ce qui fut exécuté le 27e jour de février 1559. » [6].

Assurément de semblables moyens employés pour convaincre des consciences égarées n’étaient guères propres à les faire revenir dans la droite voie de la religion catholique. En effet, le résultat qu’on en obtint fut diamétralement opposé à celui qu’on en avait attendu ; moins de quinze ans après, le 24 août 1572, dans l’horrible massacre de la Saint-Barthélemy, il fallut essayer de trancher d’un seul coup la tète de l’hydre aux mille tètes de la Réforme. C’était jouer la partie pour le tout.

H. Sauvage, Avocat.

Mortain. le 5 août 1850.

Notes

[1] On sait que les célèbres Amyot. Dossat et autres grands personnages ne se procurèrent la connaissance des belles lettres, qu’en suivant de jeunes écoliers de distinction au collège ; ce fut aussi un des moyens par lesquels Morel les apprit et s’y perfectionna.

[2] Bèze, hist. ecclesiast. des églises reformées de France, t. 1, p. 166.

[3] Jean Morel n’a laissé aucun ouvrage : c’est a tort qu’on lui attribue un livre intitule : l’Ame toujours impassible dans toutes les positions de la vie, fors en une seule qui est la grande. Paris 1558, in-12. Ce volume sur lequel M. Barbier a donné une note étendue dans la table de son Dictionnaire des Anonymes, peut bien moins encore être de Jean Morel, fils de Frédéric, né le 16 novembre 1594 ; il faut en chercher l’auteur parmi les 3 ou 4 Jean Morel. tous contemporains, cités par Prosper Marchand. La solution de celte difficulté n’est pas d’ailleurs très-importante.

[4] Histoire des martyrs, pages 486 et 487.

[5] Bèze, hist. ecclésiast. des églises reformées de France, t. 1, p. 166.

[6] Histoire des martyrs, page 486, et suivantes. Voir pour les deux frère Morel : —Dictionn. Histor. de Prosper Marchand, v* Morel, in f°.—Hist. des martyrs, édition de Genève de 1619, in f°.—La Croix du Maine, Bibliot. Française.—Baillet, Jugement des savans.—La Caille.—Ménage.—Mattaire, Histor. typograph. Paris.—De Thou, Historæ. —Miræus, Descriptor. ecclesiastic.—Mallinkrot, De orig. lypographiæ.— Teissier, Eloges des hommes savans, tirés de l’hist. de M. de Thou.— Bèze, Hist. ecclésiast.—Hofmann, Lexicon.—Melchior Adam.—Moreri, Dict, historique.— Chandon et Delandine, Dict. histor. 1804, t. VIII.—Feller, Ddict. historique, 1822, t. IX.—Biographie universelle, par un société de gens de lettres et d » savans, 1821, t. xxx, v* Morel.etc, etc., etc.