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Daniel Saint - notice ancienne


NOTICE SUR DANIEL SAINT,

peintre en miniature

Une plume savante a tracé, dans l’Annuaire de la Manche de 1850, une notice remplie d’intérêt, sur la vie et les ouvrages de Mme de Mirbel, « la seule illustration artistique, dit M. Vérusmor, dont la ville de Cherbourg ait été le berceau. » Le chef-lieu du département de la Manche, Saint-Lo, peut placer à côté du nom de la célèbre miniaturiste le nom d’un autre artiste qui, dans le même genre, fut son devancier, et qu’elle ne surpassa jamais, si elle parvint quelquefois à l’égaler. Sans prétendre établir de parallèle entre deux talents rivaux, et sans essayer surtout de donner à l’un la préférence sur l’autre, nous sommes au moins très-autorisé à dire que la presqu’ile du Cotentin peut compter au nombre de ses titres de gloire la naissance de deux artistes que nul autre n’a surpassés, au XIXe siècle, dans un genre aimable, où il est bien plus difficile de réussir qu’on ne le croit communément, et qui, avant eux, ne comptait parmi ses adeptes qu’un bien petit nombre d’illustrations.

Né le 12 janvier 1778, d’un père qui exerçait avec succès la médecine à Saint-Lo, Daniel Saint montra, dès ses premières années, de rares dispositions pour les arts du dessin, et même pour quelques branches des arts mécaniques. Des convenances de famille avaient fait désirer à la sienne de le faire entrer dans le corps du génie, et, dans cette vue, Son père le conduisit à Paris, au commencement de l’année néfaste de 1794, afin de l’initier à l’étude des sciences mathématiques, étude à laquelle devait s’unir, pour un apprenti ingénieur, celle des arts du dessin. Saint n’avait plus qu’à se perfectionner dans ceux-ci, tandis que, dans les autres, il avait presque tout à apprendre. On sait, sans qu’il soit nécessaire de le dire, de quel côté se porta sa préférence, long-temps contrariée par les vœux paternels, mais soutenue, de son côté, avec une persévérance que les privations, pas plus que les remontrances, ne purent obliger à se démentir. Ce ne fut qu’au bout d’une lutte de plusieurs années que le jeune artiste, justifié par le succès, fit enfin reconnaître à tous qu’il avait pris le parti qui devait le conduire le plus sûrement à la réputation et à la fortune.

Doué de cette justesse de coup-d’œil et de cette fermeté de résolution sans lesquelles il est difficile de parvenir à rien, Saint sentit de prime-abord que, pour réussir dans la carrière des arts comme dans toute autre, il fallait commencer par le commencement, et que, pour un peintre, la première condition du succès était de savoir dessiner. Il n’était guère âgé de plus de vingt ans lorsqu’il entra dans l’atelier de Regnault, dont, alors, la place dans l’Ecole française était marquée immédiatement après celle de David. L’élève profita au mieux des leçons du maître, et il garda très-long-temps l’habitude de dessiner à la lampe, soit chez lui, soit dans divers ateliers. Parmi les études dont il enrichit son portefeuille dans ces laborieuses soirées, se trouvaient un grand nombre de dessins de la plus heureuse exécution, et, s’ils ont été dispersés, c’est une perte pour l’art et pour la mémoire de l’artiste.

A l’aurore du siècle, la miniature ne comptait guère que deux maîtres, le brillant Isabey et le patient Augustin ; le premier, doué d’une facilité qui le conduisait quelquefois tout près de la négligence, sans jamais pourtant l’éloigner de la grâce ; le second, soigneux jusqu’à la minutie, difficile jusqu’au scrupule, et n’arrivant à la perfection du résultat que par des procédés qui eussent rebuté la constance de tout autre. Ce fut à celui-ci que Saint demanda une première direction, .lorsque, quittant le crayon pour le pinceau, il se voua à l’étude de la miniature. Il ne fit, chez Augustin, que quelques copies, et passa bientôt de son atelier dans celui d’Aubry, jeune peintre qui, sans avoir la vogue des deux déjà nommés, tenait un fort bon rang à leur suite, et a produit des ouvrages très-remarquables. Ce fut chez lui que Saint fit ses premiers portraits d’après nature, gratis, bien entendu, car, quelles que soient les dispositions annoncées par un artiste à son début, ses premiers essais ne sont jamais payés qu’en complaisance de la part de ceux qui veulent bien lui faire le sacrifice de leur temps, et, il en faut convenir, Saint très-difficile pour lui même, à l’exemple de son maître Augustin, demandait alors beaucoup de temps au modèle dont il transportait les traits sur l’ivoire.

Il y réussit pourtant si bien que son troisième portrait, payé fort modiquement, à la vérité, fut immédiatement suivi de plusieurs autres, dont le succès commença sa réputation, et, en moins d’un an, le tira de la foule. S’écartant de la méthode d’Isabey, qui procédait par le pointillé, et de celle d’Augustin, qui avait recours aux glacis, à l’exemple d’Aubry, Saint employa les hachures, et, à l’aide de ce moyen, évitant à la fois l’inconvénient du procédé lâché de l’un et du travail léché de l’autre, il obtint des effets de vigueur dans les tons et de relief dans le modelé, qui ont donné sous sa main à la miniature la puissance de la peinture à l’huile, et que nul autre n’a jamais atteints au même degré..

Un compatriote de Saint, et, comme lui, enfant de la Basse-Normandie, l’excellent Robert Lefèvre, dont le talent eut, sous l’Empire et dans les premiers temps de la Restauration, une vogue si soutenue, aida beaucoup, par ses conseils, au développement du talent de Saint, et le seconda très-fructueusement d’une autre manière, en lui faisant faire de nombreuses copies réduites des portraits de divers membres de la famille impériale, portraits dont Robert Lefèvre avait, en quelque sorte, l’entreprise. A l’époque du couronnement, c’est-à-dire vers la fin de 1804, Saint avait déjà fait, guidé par ses propres inspirations, un pas immense dans sa carrière d’artiste. Trois grands portraits de femme, exposés au salon de cette même année, avaient révélé au public, dans la miniature, un nouveau talent, rival, à son début, des deux seuls qui fussent alors hors de ligne. Une étude surtout, pour laquelle avait posé Elisabeth, ce célèbre modèle d’atelier, d’après lequel Girodet a tracé l’immortelle figure d’Atala au tombeau, cette étude donc, où l’artiste avait retracé dans toute leur sévère pureté les lignes et le contour d’un type d’une irréprochable perfection, fixa la réputation de l’artiste. Aussi, bientôt, aux copies réduites des portraits de Robert Lefèvre, succédèrent, pour le jeune Saint, des portraits de l’impératrice Joséphine, de sa fille la reine Hortense et du prince Eugène Beauharnais, portraits faits d’après nature, et si bien réussis, qu’il eut à les reproduire sous divers costumes et dans diverses dimensions, ce qu’il fit toujours avec le plus grand succès.

En 1809 seulement, il obtint la faveur d’être admis auprès de Napoléon à l’heure du déjeuner. Là, obligé de saisir, pour ainsi dire à la volée, les traits de l’Empereur, sans que celui-ci posât un seul instant, l’artiste, malgré la gène d’un procédé si peu conforme à ses habitudes et à ses facultés, sut allier, dans cette étude, la plus parfaite ressemblance à la plus heureuse expression de physionomie ; jamais peintre ne donna un tel charme à cette tête d’un caractère si élevé, mais bien plus sévère qu’attrayant. Le succès du peintre suscita contre lui des jalousies d’où sortit une intrigue qui rompit ses relations avec la cour impériale, après le second mariage de Napoléon. Cet échec, non mérité et momentané, ne porta d’ailleurs aucun préjudice réel aux intérêts de Saint, qui était alors dans toute la force de son talent, et qui ajoutait sans cesse à sa vogue par le mérite des productions dont il enrichissait chaque nouvelle exposition de peinture. Malgré le prix élevé qu’il mettait à ses travaux, les commandes se succédaient sans intervalle, et le laborieux artiste trouvait encore le temps d’ajouter à ses moyens et à sa renommée par de grandes études d’après nature. Parmi celles qui lui firent le plus d’honneur, il faut citer le beau portrait de M. Parfait Augrand, graveur ; celui d’un bel enfant blond, à longue et soyeuse chevelure, et surtout deux portraits d’hommes âgés, qui font aujourd’hui partie de la collection du Louvre, véritables chefs-d’œuvre du genre : l’un, d’après le père Lanvin, ancien portier de l’auteur, et l’autre qui représente un astronome, dans l’intérieur de son cabinet. Enfin, un véritable tour de force couronna tant de travaux : ce fut le portrait d’une belle femme, un peu sur le retour, au teint fleuri, aux traits reposés, vêtue de blanc, coiffée d’un léger bonnet orné de rubans roses. Cette ligure s’harmonise de la manière la plus heureuse avec un fond de paysage .dans le genre Watteau, traité d’une façon supérieure ; on ne saurait trop regretter qu’un pareil chef-d’œuvre ne se trouve pas au Musée.
Dès les premiers jours de la Restauration, Saint eut part a la distribution des croix de la Légion-d’Honneur qui fut faite dans les rangs de la garde nationale de Paris ; ce fut une nouvelle preuve de la considération dont il jouissait comme artiste. Les succès naissants de Mme de Mirbel, et la faveur exclusive qu’elle acquit auprès de Louis XVIII, écartèrent Saint de la nouvelle cour, sans toutefois lui rien faire perdre de la faveur du public ; il fit même alors le portrait de M. Decazes, l’une de ses œuvres remarquables. Mieux traité sous le règne suivant, Charles X lui donna plusieurs séances, et la grande miniature que fit Saint d’après ce prince, si heureusement doué au physique, mit le sceau â sa réputation.

La fortune de Saint était faite de toute manière. Sans trop se relâcher des habitudes d’une vie dont les commencements surtout avaient été si laborieux, il prenait alors aux jouissances de la société une part qu’il s’était long-temps refusée, et, non content de les aller chercher au dehors, il les offrait aux autres chez lui. Recherché pour son talent, estimé pour son caractère, ne hasardant que fort peu, sachant tout mettre à profit, il réussit à former une foule de relations où il trouvait à la fois agrément et utilité. Il sut même s’acquérir de hautes protections, et il sut les conserver. Plus ami du plaisir que ne semblait l’annoncer un extérieur dont la gravité tenait souvent de la tristesse, il parlait fort peu, mais savait écouter à merveille ; en un mot, sans jamais briller dans le monde, il y fut toujours bien placé.

Le caractère moral de Saint était des plus honorables. Toute sa vie, il se montra excellent fils, frère et parent dévoué. Sans être expansif, très-susceptible d’affection, et même de dévoùment, il avait plus de bienveillance dans les procédés que d’aménité dans les relations. Prévenu contre le mariage par une sorte de répulsion instinctive, cette disposition allait chez lui jusqu’à la bizarrerie, car non seulement il ne songea jamais à se marier, mais il ne pouvait voir sans humeur ceux auxquels il s’intéressait le plus renoncer au célibat pour leur compte personnel. Il passa donc sa vie entière avec un frère un peu moins âgé que lui, et qui, à son exemple, resté garçon, ne lui survécut que d’une année. Ainsi s’est éteint en eux le nom de la famille, aujourd’hui représentée par deux nièces établies à Saint-Lo de la manière la plus honorable.

Dans les dernières années do sa vie, Saint, qui s’occupait moins de la miniature, s’était adonné à l’aquarelle, où il ne réussit pas moins bien. Il forma plusieurs élèves distingués, parmi lesquels il faut citer MM. Cœuret, Milon et Meuret. Ses longs travaux, et peut-être aussi l’usage trop fréquent de veilles prolongées dans le monde, avaient altéré avant le temps sa robuste constitution. Il ne fit que languir depuis l’année 1842, où il éprouva une première attaque de congestion au cerveau ; et, malgré les soins dont l’entourait sa famille, il finit à Saint-Lo le 23 mai 1847, dans sa 70e année. Un monument d’un style simple et religieux marque la place où il repose à côté de ses parents.

La vie de Saint peut se résumer en deux mots : doué à un haut degré de capacité et de persévérance, ces deux grands moyens de réussir, ce fut un homme du caractère le plus honorable et un artiste du mérite le plus distingué [1].

P. A. Vuïillard.

Portfolio

impératrice Joséphine (Daniel SAINT)

Notes

[1] Quelque temps après la mort de Saint, il parut dans le Moniteur un. article nécrologique, dont l’auteur anonyme prétend que cet artiste célèbre fut un des élèves les plus distingués du grand peintre David. C’est une erreur de plus ajoutée a toutes celles dont fourmille cette notice. Saint n’eut jamais pour professeurs que Regnault, Augustin et Aubry. A l’apogée de son talent, il consulta souvent et avec fruit le chef de l’Ecole française, mais il ne travailla jamais dans son atelier.