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Jean Brohon - note de Léopold DELISLE


Jean BROHON.

La bibliothèque impériale possède un volume manuscrit, qui n’a pas encore, je pense, été signalé à l’attention de nos compatriotes, et qui présente un certain intérêt pour l’histoire littéraire de Coutances. C’est le n° 673 du fonds de Gaignières ; il avait été donné, en 1709, à ce célèbre amateur, par l’abbé de Castres. Il contient le manuscrit original, et en partie autographe, de plusieurs opuscules de Jean Brohon, docteur-médecin et astrologue coutançais. Du Verdier a consacré à cet auteur une courte notice , que je demande la permission de transcrire ici :

JEAN BROHON, docteur en médecine, a écrit la Description d’une merveilleuse et prodigieuse Comète, et apparition effroyable d’hommes armés et combatant en l’air sur l’horison de Constantin, en Normandie, et autres lieux circonvoisins : plus un Traité présagique des Comètes, et autres impressions de la nature du feu ; imprimée à Paris, in-8°, par Matthieu le Jeune, 1568 [1].

Le manuscrit de Gaignières nous fait connaître trois autres opuscules du savant coutançais : — une Description historique de la ville de Coutances ; une Harangue adressée à Charles IX ;— des pièces de vers.

La première de ces compositions a pour titre : Description de l’origine, fondation , érection, singularités et façons de titre de Coustances en Normandie. C’est un ouvrage sans valeur ; mais il faut en conserver le souvenir, car c’est l’un des premiers essais d’histoire locale qui nous soient parvenus. Le seul passage de la Description qui me semble mériter d’être mis en lumière est relatif au trésor de la cathédrale. « A jour passé, dit notre auteur, estoient en icelluy temple de moult riches et précieuses reliques, avec la chappe de sainct Lo, evesque du dict lieu et natif de Courcy, laquelle avoit esté fort long temps en terre sans tâche ny corruption aulcune, faicte d’une merveilleuse industrie et artifice. Ensemble y estoit ung nouveau testament, gardé comme relique, couvert d’or et escript en parchemin le plus beau et le plus net qui se peust veoir en aulcun lieu, et lettre manuelle, qui n’estoit ny grecque ny latine ny hébraïque ny arabique, mais multiforme différente et variable : l’une lisible comme latine ; l’autre illisible et estrangiere comme phantastique. »

Les pièces de vers, au nombre de trois, ont été composées en l’honneur de la conception de la Vierge. La première est une épigramme latine dont le sujet a été emprunté à Appien. Voici le litre des deux autres : Rondeau de la Tour pacifique et inexpugnable ;— Ballade de la vertu et merveilleux effectz du Mithridat vray antidote et contrepoison incomparable.

La harangue a été prononcée lors du passage de Charles IX à Coutances. Je la transcris, pour donner une idée du style de Jean Brohon :

• DECLAMATION EN FORME DE RECEPTION OU HARENGUE CONGRATULATOIRE A I.A MAJESTE DU ROY TRES-CHRESTIEN CHARLES IX.

Combien, Sire, que Jésus Christ, le roy des roys, seul et vray monarque auquel Dieu son père a donné toute puissance au ciel et à la terre , ayt jadis institué estably et ordonné en gênerai tous les roys et princes terriens, en signe de son unique et très-sacrée majesté , ce neantmoins, Sire , il luy a pleu et de sa grâce a voulu signantement et en especial, comme par une autonomasie et excellence , sur tous les aultres instituer, eslire et ordonner ung roy de France très-chrestien, très-victorieux et invincible, avec sa postérité, pour conserver et virilement deffendre la liberté, privilège et auctorité de son église tant aymée et combatre vertueusement et debeller tous les ennemys persécuteurs et adversaires d’icelle. Ce que très-bien et très-vertueusement a faict par cy devant vostre très-auguste et royale majesté, Sire, et encore faict de jour en jour, nonobstant voz jeunes ans, rébellion de voz propres subjectz et vassaulx et malice injure et calamité du temps, et tellement qu’on peut bien dire que jamais Alexandre le Grand, Jules Cæsar, ny Hector de Troye, ny le vaillant Xerxes de Perse, ne Scipion, ny Hannibal l’Aphricain ne feirent de telles prouesses que a faict vostre sacrée majesté, Sire. Mais aussy quoy ne vous a pas et à vous et à voz prédécesseurs et successeurs en premier lieu a ceste fin esté transmis divinement et miraculeusement envoyé des cieulx, par un columb blanc, la saincte ampole pleine de liqueur céleste, pour oingdre et sacrer vostre premier antecesseur et premier roy très-chrestien le bon Clovis ? Est-ce point une très-digne et sacrée décoration au très-noble diadème et couronne de France, laquelle certes excède toutes les aultres, d’autant que lé soleil surpasse tous les astres planettes et corps célestes ? Est-ce point un beau don céleste et présent plus que methaphisique et supernaturel, Sire , par lequel avez aussy receu la puissance de garir d’une maladie incurable, déplorée, et totallement de tous médecins et chirurgiens abandonnée, laquelle les Grecs appellent Charades, les latins Strume, et les François Scrophules ou escrouellcs, qui sont, dict Galien, glandules ou inflammations schirreuses et endurcies ? Que diray-je plus outre ? 0 roy très-chrestien et invincible, vous ont point esté envoyés et par un ange divinement les troys fleurs de lis d’or que portez en champs céleste et d’azur en vostre tant noble escu, et tant d’aultres singularitez et merveilles, privilèges et dignitez, tellement que pour ne bien dire et conclure avec le prophète royal David : Quod Deus non fert taliter nationi ? Sont-ce donc pour causes suffisantes pour debvoir deuement inciter et grandement animer et esmouvoir vostre très-digne majesté , Sire, à soustenir deffendre et garder et inviolablement faire garder et maintenir la saincte foy catholique et religion chrestienne, avec l’honneur de Dieu et de son église, comme vrayement a faict par cy devant vostre dicte majesté et faict de jour en jour, en continuant, de postérité en postérité, ce beau nom tiltre superlatif et tant vénérable epithete très-chrestien ? Or puis donc, Sire, qu’il a pleu a vostre très-digne et haulte majesté visiter, consoler et de vostre refulgente présence ja pieca tant désirée illustrer vostre pauvre et nécessitante, mais dévote et très-obeissante cité de Coustances, plaise vous recepvoir le deu hommage, très-humble révérence, serment de fidélité inviolable, avecques un cœur entier, qu’elle voz présente très-humblement et affectueusement, comme à son souverain seigneur, protecteur et roy naturel, suppliant vostre très-digne majesté, Sire, l’avoir tousjours en recommandation et vous présentant finalement ce beau motet et chant harmonieux que les enfants des Hébreux chantèrent jadis tant mélodieusement à la venue et entrée du roy des roys de Hierusalem : Benedictus qui venit in nomine Domini ! Alléluia ! « 

Le voyage de Charles IX, dont il s’agit ici, eut lieu dans le cours de l’année 1563, probablement dans la seconde moitié du mois d’août [2].

Léopold DELISLE

Notes

[1] Les Bibliothèques françoises de La Croix du Maine et de Du Verdier ; édit. de 1773, IV, 366.

[2] Voy. Delalande. Histoire des guerres de religion dans la Manche. p. 69