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Bouillon - Notes historiques et archéologiques


NDLR : Bouillon est une ancienne commune du département de la Manche, aujourd’hui Jullouville. [1]


NDLR : Notes de l’année 1845 : Voir source en fin d’article


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n carré long, dirigé de l’est à l’ouest, avec une longue bande tracée sur la grève par le Thar, figure assez bien le plan de Bouillon. Quant au relief, c’est la moitié de la vallée du Thar, depuis la ligne de l’eau jusqu’au rebord du coteau, double ligne qui forme les limites du nord et du sud ; la mer baigne la commune à l’ouest ; le ruisseau du Pont de Leseaux à l’est. Dans l’angle sud de ce côté est la forêt de Bouillon. Cette situation péninsulaire et aquatique se révèle dans les appellations topographiques, le village de Leseaux ou Lez-Eaux, le village sur Thar, celui de la Rivière, la Mare de Bouillon, la Hougue ou hauteur au bord de l’eau.

Robert Cenalis traduit Bouillon par Ager Boarius sive Bovillus : c’est une de ses étymologies primesautières qui n’ont d’autre mérite que de peindre l’homme et son temps. Nous croyons que ce mot est un nom propre d’homme, et probablement celui du chef normand qui reçut cette parcelle du territoire de la Neustrie. Ce nom est celui de Bolle ou de Bollo, qu’on retrouve plusieurs fois dans le Domesday, et même dans les chartes du XIe et du XIIe siècle relatives à cette paroisse. Ainsi une charte du XIe nous donne le nom de Roger de Boillon, et la charte de donation de l’église à l’évêque d’Avranches au XIIe offre l’expression même du Domesday : « Carta W. episcopi de ecclesia de Bollon.... patronatus medietatis ecclesie S. B. de Bollon. » Nous avons déjà trouvé ce nom propre comme un des élémens du mot la Boulouze. D’ailleurs ce radical se retrouve dans les nombreuses localités de Bouillon, Bouilly, Bouillé, et Bouillat. Il est plus transparent encore dans Bolbec et Bolleville.

Entre la pointe de Carolles ou Pignon-Butor et le rocher du Thar ou le Caillou-Sainte-Anne s’étend une vallée semi-circulaire, petite plaine de sable aux dunes légèrement ondulées, où serpente un petit lac, épanouissement de la rivière du Thar : c’est la Mare de Bouillon, dont le bassin est bordé d’une frange de scirpes et de roseaux, et qui, se resserrant pour traverser ces mielles dans un lit plein de potamots et de callitriche, va se décharger dans la mer, près d’un pont rustique appelé le Pont-Hoguerie. Ces sables arides n’alimentent qu’une chétive végétation, celle qu’offre d’ailleurs une grande partie du littoral voisin ; c’est le Roseau des sables, le Convolvulus soldanelle, la Sabline, l’Euphorbe littorale, le Glaux maritime, les Panicauts, les Chausses-Trapes, etc. Sous le Pignon ou cap Butor se trouve l’Anthyllis vulnéraire, et dans les haies de la commune la rose qui porte le nom de Rose d’Avranches. [2] Ce site est admirable en lui-même et par sa variété : c’est un petit abrégé de la nature, ou la réunion de ses différentes formes, la mer, le désert sablonneux, le lac immobile, la rivière capricieuse, la montagne âpre et nue, la prairie verte, le champ cultivé. La Mare de Bouillon est l’étalement de la rivière qui limitait les diocèses de Coutances et d’Avranches, et qu’on peut appeler la rivière sacrée du pays. Ses deux rameaux supérieurs ont leur origine sous deux églises, l’un dans la fontaine du Fougeray, sous l’église de Noirpalu, et l’autre auprès du cimetière de la Mouche : dans son bassin sont semés un grand nombre d’édifices religieux, les deux églises de sa source, celle de la Haye-Pesnel, le prieuré d’Hocquigny, la chapelle Saint-Jacques, l’abbaye de la Luzerne, l’église de Saint-Ursin, celle de Saint-Léger, et à son embouchure celles de Quéron et de Bouillon.
Avant la Révolution, cette Mare avait une lieue d’étendue ; mais, par suite du curage opéré par les habitans de Bouillon et de Saint-Pair, le lit de la rivière s’est rétréci, la Mare a diminué, et même un rocher, jusqu’alors ignoré, a montré sa tête dans les basses eaux de l’été. Sur cette plage, il y avait un petit port dont les pêcheurs devaient à l’église un plat de poisson le dimanche des brandons. Il y avait encore, avant 1500, plusieurs parcs en pierre appelés pescheries. [3] La Mare de Bouillon n’a peut-être pas toujours existé. La tradition la considère comme une espèce de Mer-Morte qui aurait englouti des villages : aux basses eaux, raconte-t-on, on y aperçoit encore des habitations, à telles enseignes qu’un pêcheur embarrassa un jour sa rame dans l’orifice d’une cheminée ; mais les rocs sous les eaux ont peut-être été transformés en maisons par l’imagination populaire. Cependant M. de Gerville fait passer la voie romaine à travers le terrain submergé, et assure qu’on y retrouve des restes d’anciennes habitations. [4] Ce lac est désigné dans les chartes du Mont-Saint-Michel sous le nom de Mara de Boullo. La nomenclature des chartes renfermées dans l’armoire du Trésor [5] renferme un titre de Littera Normanni Langlois de Mara de Boullo. Ce monastère avait la dîme des pêches de ces parages et de cet étang, tandis que l’évêque de Coutances avait la dîme des soles [6] plus au nord, depuis le Caredel jusqu’au Thar. Nous lisons dans le Livre Terrier du Mont un article intitulé : « Marre de Bouillon... Jean Louvel, sieur de Leiseaux, doit par chacun an, terme de S. Michel, deux plats de poisson de la Marre de Bouillon, et au défaut du poisson 16 sous. Il doit prester deux fois l’an ses batteaux et fillets pour pescher à ladite Marre. » [7]
Il paraît certain qu’au Moyen-Age les cétacés étaient communs sur les côtes de Normandie, et on trouve dans beaucoup de chartes normandes mention des dîmes de baleines. Ainsi Le Conquérant donna à la Trinité de Caen la dîme des baleines prises à Dives. [8] Des titres du Mont Saint-Michel confirment cette observation : l’un est intitulé : « Recognitio carthe de piscibus ad Tardum [9] vid. balena, pospeis, grospellis. » Un autre du cartulaire est intitulé : « Littera pro balena. » On lit encore dans le même recueil : «  Quod jus balene ad nos pertinet. » Il se pourrait toutefois que cette expression désignât en général les grands poissons, baleines, cachalots, phoques, etc. [10] Cette plage de la Mare de Bouillon se divise en trois espaces, l’estran ou la partie du rivage découverte à la basse mer, la mielle ou les sables mobiles, et l’arène terrée, partie plus ferme, intermédiaire entre le sable et la terre franche. L’estran est à la mer, l’arène terrée est au pâturage, la mielle est aux vents. Pourquoi ne serait-elle pas à l’homme ?
Après les beaux travaux qui ont couvert de bois de pins les 120,000 hectares des dunes du golfe de Gascogne, et fixé le sol des Landes, on pourrait bien fertiliser de vastes espaces sablonneux comme ceux des bords de la baie du Mont-Saint-Michel et de la côte de l’arrondissement de Coutances. A voir l’élévation du prix des terres, le mouvement des défrichemens, l’élan qui emporte les villes dans les campagnes, on peut bien légitimement rêver l’époque où des bois verdoieront sur ces arènes légères, et mireront leurs têtes dans les flots bleus de notre océan, ou marieront leur voix à celle de la mer irritée. Mais comment fixer ces sables si brûlans l’été, si mobiles sous le pied du voyageur, qui tourbillonnent au souffle du vent ? comment fixer les dunes et les mielles ? La nature a donné elle-même à ces sables la plante qui doit les fixer. Le roseau des sables (Arundo arenaria), appelé Gourbet dans les Landes, et Milgreu dans le nord du département de la Manche, ou une graminée appelée Oyat, qu’on sème dans les dunes du Pas-de-Calais, sont les premiers végétaux, le premier tissu qui doit enchaîner ces sables. A l’abri de ces plantes et de quelques autres qu’y disperse la nature, les bugranes, les lotiers, on sème des ajoncs et des genêts, et parmi eux des pins dont ils protégent la jeunesse. « La perméabilité du sol, l’humidité constante qu’y entretient la capillarité, favorisent la rapide extension des racines, et la forêt d’arbres verts s’élève. L’une des plus belles de France est celle dont sont aujourd’hui couvertes les dunes qui blanchissaient, il y a soixante ans, l’horizon à l’ouest de la Teste de Buck : c’est là que Bremontier a fait ses premiers essais ; ces arbres ont été semés par lui, et leurs troncs robustes, leurs cimes verdoyantes ........... » [11]

Aux flancs de ce bassin sont suspendus des villages, des corps-de-garde, [12] dont un offre de robustes ruines, des huttes de douaniers et des églises, celle de Quéron et celle de Bouillon. Celle-ci, dédiée à saint Jean-Baptiste, s’élève à mi-côte, et son clocher blanc se détache sur le fond sombre du coteau, du sein d’un village, aux maisons sales et décrépites. Elle remonte à une époque reculée. Des traces de la construction originelle se voient dans la maçonnerie de la base, dans la côtière du midi, et dans les deux fenestrelles de la tour. Ces vestiges, d’ailleurs peu caractérisés, peuvent remonter au XIIe siècle. Les arcs doubleaux qui se croisent sous la tour avec flexibilité et élégance, leurs colonnettes et celles du chœur appartiennent à la rondeur et à la pureté du XIIIe siècle. Les grands arcs ouverts sous la croisée, qui sont d’une ogive aiguë, à archivoltes plates, et la partie supérieure de la tour, peuvent être attribués à une époque assez récente, au XVIIe siècle. Le porche latéral pourrait être contemporain. Le reste a été bâti par nos pères. Les fonts sont remarquables par leur étrangeté : c’est une boîte de bois assez semblable à un bahut. [13] Cette église, petite et sombre, n’a pas de transepts. Ce chœur, qui rappelle la chapelle de l’Hôpital d’Avranches, fut fait à peu près dans le même temps par les évêques d’Avranches, qui avaient reçu une partie de l’église par un legs de la fin du XIIe siècle, et qui avaient affecté cent sous du revenu à cette Maison-Dieu : « Domus Dei Abr. ad sustentationem pauperum. » Une seule statue a quelque mérite d’antiquité : c’est un saint Jean-Baptiste de bois, écussonné sur le socle. Il n’y a pas de dalles mortuaires ; mais le cimetière en renferme trois : c’est assez dire qu’elles ne sont pas anciennes. Elles portent les noms de Pierre Le Boucher, ancien professeur, curé du lieu pro majori, 1780, de messire Martin, ecuier, chevalier, seigneur et patron de Bouillon, le père des pauvres et l’ami de tous, de M. Lepron-Vaumoisson, 1835.

L’épitaphe du curé nous rappelle qu’il y avait deux cures à Bouillon ; elles avaient pour présentateurs le Chantre de Cléri, pro minori, et l’évêque d’Avranches, pro majori. [14] Voici la notule du Pouillé pour 1648 : « pro majori l’évêque 200 liv. pro minori Clery 200 liv. » [15] ; et celle de la Statistique de 1698 : « les deux cures valent chacune 200 liv., 730 liv. de taille, 122 taillables. » [16] Cette moitié de patronage fut donnée à l’évêché d’Avranches à la fin du XIIe siècle par Nicolas de Verdun, d’après la charte suivante : «  Noverit universitas vestra quod cum Nicholaus de Verdum miles patronatum medietatis ecclesie S. J. Bapt. de Bollon qui ad ipsum jure hereditario pertinebat canonice et secundum Deum in puram liberam et perpetuam elemosinam eciam nobis misericorditer concessisset, nos volentes ut quod collatum est tam devoto animo in pios usus cedat et expendatur............. » [17]

Au sud de l’église de Bouillon, sur le versant qui regarde la Mare de Bouillon, Granville et la mer, s’élève la Pierre levée, Menhir [18] de Bouillon, et populairement la Pierre-au-Diable. On raconte que Satan, chargé de ce bloc, qu’il était allé prendre à Chausey sans se mouiller les pieds, le portait pour la construction du Pont-au-Bault : il gravissait déjà ce Pignon-Bute-d’Or ou Butor qui recèle ses trésors, lorsqu’il aperçut un prêtre avec son étole. A la vue de cet adversaire, il laissa choir son fardeau : ses cinq griffes sont restées empreintes dans le granit, et à l’endroit de la rencontre s’est élevée une croix, image de la foi en face de l’œuvre du démon. [19] Ce menhir est une pierre conoïdale de granit brun, profondément enterrée, et surgissant au-dessus du sol d’environ trois mètres avec six de circonférence. Le sommet est plat, et l’homme qui est debout sur ce piédestal promène sa vue au loin sur Granville, la mer, et la vallée variée du Thar. La croix voisine est un tronc couvert de nœuds, posé sur un monolithe rayé de tores et de doucines. [20] Cette pierre est dans la direction de la voie romaine d’Alaunium à Condate par Fanum Martis, [21] qui est jalonnée dans l’arrondissement d’Avranches par le menhir de Longueville, à son entrée, par Saint-Pair ou Fanum Martis, le Menhir de Bouillon, les Châtelliers de Carolles, et par un grand nombre de noms topographiques. Ainsi, en ce lieu, trois civilisations sont évoquées par un triple monument, par la pierre druidique, la voie romaine, la croix chrétienne, et l’œil du souvenir entrevoit en même temps le Druide, le Légionnaire, et le Prêtre. La double nature du menhir, qui était à la fois le jalon de la voie et l’obélisque de la sépulture, est peinte dans des vers qu’Homère consacre à la borne de la carrière. [22]

Des fouilles au pied de ce Menhir auraient l’avantage d’en déterminer les dimensions, et pourraient amener la découverte d’objets antiques. [23]

C’est sur cette côte de Bouillon, après le récit de ces croyances légendaires, qu’il conviendrait peut-être le mieux de placer une légende antique, relative aux habitans des côtes de la Gaule vers l’Angleterre, racontée par Procope [24] : c’est le passage des âmes, tradition celtique qui existe encore en Bretagne.

« Beaucoup de villages bordent le rivage de la Gaule qui répond à la Bretagne dans lesquels habitent des pêcheurs, des laboureurs, et d’autres personnes qui naviguent pour cette île pour cause de commerce, soumis aux rois des Francs, mais exemptés jadis de tributs, à cause d’une fonction dont je vais parler. Les indigènes racontent qu’ils ont, chacun à son tour, la charge de passer les âmes. C’est pourquoi ceux qui doivent se tenir prêts à la remplir la nuit qui suit le jour où leur tour a été marqué, se rendent chez eux aux premières ténèbres, se livrent au sommeil et attendent le chef de l’expédition. Au milieu d’une nuit sombre, leur porte est heurtée, et ils s’entendent appeler à l’ouvrage par une voix sourde. Sans retard ils se lèvent, et vont vers le rivage ignorant quelle force les pousse. Cependant entraînés là, ils voient des barques préparées, vides d’hommes, non pas leurs propres barques, mais d’autres. Quand ils sont à bord, ils prennent les rames, et sentent que les navires sont chargés de tant de passagers que plongés jusqu’au pont et au bordage, ils s’élèvent à peine d’un doigt au-dessus de l’eau. Ils ne voient personne, et après avoir ramé moins d’une heure, ils abordent en Bretagne, quoique, quand ils se servent de leurs propres navires, non à la voile, mais à la rame, ils font le passage à peine en un jour et une nuit. Arrivés à l’île, ils comprennent que le débarquement est opéré, il s’éloignent, après avoir déchargé soudainement leur navire, et tellement allégé qu’il ne plonge plus que la quille. Ils ne voient personne, personne naviguer avec eux, personne débarquer, seulement ils affirment qu’ils entendent du navire une voix, qui semble livrer à des êtres qui les reçoivent les noms de chacun des passagers, mentionner leurs dignités d’autrefois, et les appeler en ajoutant le nom paternel. Si quelques femmes passent ensemble, elles appellent nominalement les hommes avec lesquels elles ont vécu dans les liens du mariage. Voilà ce que disent les indigènes. » [25]

Il n’y avait pas de château à Bouillon, mais une très-ancienne maison, flanquée d’une tourelle à escalier. La ferme dite du Logis en rappelle le souvenir, avec celui de ses seigneurs. Le chef normand qui donna son nom à cette commune n’a laissé d’autre souvenir que ce nom : ses successeurs immédiats n’ont pas même laissé ce souvenir. Un Baudoin de Bouillon est cité par Masseville comme ayant été à la Conquête [26] : le Domesday renferme, comme Tenants en chef et comme Sous-Tenants dans le comté de Dorset, Bollo et Bollo presbyter. [27] Une charte du Mont Saint-Michel, du XIe siècle, mentionne Roger de Boillon ; une de la Luzerne, vers 1200, cite Rad. de Boillun. Aux XIIe et XIIIe siècle, nous trouvons les de Verdun : Nicolas de Verdun donna l’église à l’évêque d’Avranches. En 1316 ou 1315, Normand Langlois, donna sa seigneurie de Bouillon aux religieux du Mont Saint-Michel, et se fit moine dans leur monastère, [28] ce qu’un annaliste du Mont a exprimé sous cette forme : « Don et demission de la fieuferme de Bouillon au Mont 1315. » [29] Cette abbaye resta suzeraine de Bouillon pendant plus d’un siècle. Dans le XIVe, Bouillon avait pour seigneurs les Herault, illustre famille qui a laissé son nom à un village voisin, le Hamel-Herault, et le donna à la sergenterie dont Bouillon faisait partie. Au commencement du XVe siècle, elle offrit un spectacle assez commun alors sur la terre désolée de Normandie : F. Herault se renferma dans le Mont Saint-Michel, et son écusson, trois merlettes ou pies de sable au champ d’argent, fut peint sur les murs de la basilique ; [30] Olivier Herault reçut ses biens de Henri V, roi d’Angleterre et de France. [31] Cette famille tomba en quenouille dans ce siècle, et Louise Herault, dame et patronne honoraire [32] de Bouillon, donna sa main à un sieur Martin, seigneur de Chantepie et des Chambres. [33] Les armes des Martin sont trois pies de sable deux et un sur champ d’argent, et sont de Herault. Un seigneur anglais porte les mêmes armes. [34] Cette famille est ancienne, car, en 1200, André Jehan Martin, écuyer, fit un échange du fief de la Meilleraie, situé en Saint-Aubin-des-Préaux, avec le Mont Saint-Michel. [35] Les Martin ont possédé cette seigneurie jusqu’en 1789, et le dernier seigneur du Logis a été Louis Martin. Aujourd’hui, il n’y a plus que la Ferme du Logis, et le seul monument d’aspect féodal que renferme Bouillon est le beau colombier de la maison de Rainfray. [36] A la fin du XVe siècle, Jean du Pray fut déclaré non noble à Bouillon. [37]

Bouillon est rattaché à Saint-Pair par le Pont de Leseaux, jeté sur le Thar, à peu de distance du village Sur-Thar, et du village proprement dit de Leseaux, qui est en Saint-Pair. Les noms de ces deux villages ont une semblable origine ; l’un signifie village sur le Thar, et l’autre village près ou lèz les eaux, ou lèz eaux. Ce dernier offre un intérêt historique : les seigneurs qui en recevaient leur nom sont sans cesse cités dans les chartes du Mont Saint-Michel. [38] Les fréquentes souscriptions des Leseaux auraient de quoi étonner si l’on ne savait qu’ils étaient héréditairement camériers de l’abbé, ce que constate la charte suivante :

« Lorsqu’entre moi G. de Leiseaus, chevalier, et l’abbé du Mont Saint-Michel était faite une convention sur le service de camérier.... j’ai reconnu que j’étais le camérier inféodé de l’abbé et mes héritiers après moi, ainsi que quand moi ou mes héritiers nous ferons notre service au Mont, nous recevrons chaque jour par nous ou notre représentant deux pains monastiques monachales et trois mesures de la boisson du monastère et deux deniers tournois et six pièces de chandelle mince de cire sex pecias candele minute de cera et une somme raisonnable pour deux chevaux sans fer duos caballos sine ferro ; mais si à cause de nos affaires, avec la permission de l’abbé ou de son représentant, nous nous éloignons du Mont, pendant notre absence nous recevrons seulement un pain et la boisson, selon la forme précitée, jusqu’au terme assigné à notre retour ; mais si nous tardons au-delà, nous ne percevrons rien des choses susdites jusqu’à ce que nous soyons revenus à notre service. Mais si, sans la permission de l’abbé ou de son représentant, nous nous éloignons du Mont, alors nous serons complètement privés tant du pain que de la boisson, jusqu’à ce que nous soyons revenus à notre service. En outre si l’abbé nous emmène à ses affaires, nous chevaucherons avec lui à ses frais, et notre procureur recevra dans l’abbaye seulement les reçus du pain et de la boisson.... Fait aux Assises d’Avranches l’an 1218. »

Si la mention du Pont-de-Leseaux nous engage à mettre en Bouillon une notice sur le fief de ce nom, qui appartient à Saint-Pair, [39] nous mettrons encore en cette commune ce que nous avons à dire sur le fief de Chasney, parce que, dans les chartes, il est associé à la seigneurie de Bouillon. Ces deux fiefs formaient un fief de haubert : « An. 1218. in Assisia episcopi Abr.... recognovit quod debebat reddere de feodo lorice de Chasnei et de Boillon. » [40] Dans les Assises de 1225 furent établis les devoirs du fief de Chaney : « In Assisia Abr. ann. D. 1225 fuit inquisitum de feodo de Chanei cum pertinenciis suis ...... in hunc modum : Nicholaus de Verdum miles placita sua faciebat de feodo de Chanei cum pertinenciis suis... respondebat de auxilio exercitus cum eveniebat... Hugo de Granvill, Rogerus de Ruppella, G. de S. Petro... audierunt prefatum Nicholaum cognoscentem se tenere feodum de Chanei et de Champeissons et de Lolif.... » Dans la liste des chevaliers et écuyers qui devaient garder le Mont en temps de guerre est D. Normandus de Chaunay en compagnie des seigneurs voisins, Th. Consel de feodo de Gastignie, Rad. de Granvilla, G. de Leseaux. [41]

L’abbaye de Saint-Sever possédait, d’après une bulle d’Adrien IV de 1158 : « Apud Bullum terrant unius carucae et unam piscariam in mari super fluvium Thar ; » celle de la Luzerne : « Terram quam W. de Verduno tenet de nobis ad Boillon. 1162. » « Unam piscariam in mare juxta Boillun. 1194. »

C’est ainsi que Bouillon ne manque pas plus des illustrations de l’histoire que des beautés naturelles.

Source :

Notes

[1] Bouillon fusionne avec Carolles, Saint-Michel-des-Loups et Saint-Pair-sur-Mer le 1er janvier 1973. La nouvelle commune prend le nom de Jullouville. Saint-Pair-sur-Mer puis Carolles reprennent leur autonomie respectivement le 1er janvier 1978.

[2] M. de Gerville, Mém. de la Société Linnéenne. Voici l’histoire de cette rose, que l’on conserve au Jardin des Plantes d’Avranches sous le nom de Rosa Abrincensis, et qu’a citée dans sa Flore de Normandie M. de Brébisson comme une variété du Rosa Gallica. Elle fut trouvée par M. Le Chevalier, professeur à l’École Centrale, qui raconta ainsi sa découverte à Ventenat, membre de l’Institut : « Comme vous vous occupez, dans un superbe ouvrage, de publier les nouvelles plantes, il serait possible qu’on n’eût pas encore décrit un rosier que j’ai trouvé auprès d’Avranches, sur la haie d’un jardin. Je ne me rappelle avoir vu ce rosier nulle part, pas même à Paris. Il se rapprocherait du rosier musqué à fleur simple, mais sa fleur est beaucoup plus grande, ses pétales ont une légère teinte.... » Ventenat le caractérisa par le nom de Rosa affinis moschatae, mais il a gardé le nom de sa patrie, et il est connu sous le nom d’Abrincensis. Voir notre biographie de M. Le Chevalier, p. 13.

[3] Nous devons ces détails, et la plupart des renseignemens généalogiques de ce chapitre, à M. Martin de Bouillon.

[4] Villes et Voies romaines en Basse-Normandie : « La ligne droite passe par la Mare de Bouillon. » P. 11 et 14.

[5] Armariolum. Mss. n° 34.

[6] Décimam lingulacarum. Le Caredel est sans doute la Venlée.

[7] Mss. n° 151.

[8] Pluquet, Essai Hist. sur Bayeux, p. 260. Cet auteur dit qu’on trouve quelquefois dans d’anciennes maisons des vertèbres de baleines.

[9] Le Thar. Il est appelé Tarn dans la fameuse charte de Richard. Voir Saint-Pair. Le Tharel, son affluent, est appelé Tharnesiam dans une charte du Mont.

[10] Les esturgeons sont clairement spécifiés. Le droit de pêcher des esturgeons, réservé au Mont-Saint-Michel, est indiqué dans Thomas Le Roy.

[11] Rev. des Deux-Mondes. Les côtes de France et d’Angleterre par M. Baude.

[12] Ils datent de l’époque (1803) où le Premier Consul fit particulièrement fortifier les côtes de la Manche. Celui dont nous parlons a été voûté.

[13] Le Bahut, partie si importante de la sculpture du Moyen-Age, n’est point étranger à l’art et à l’archéologie : il suit les phases de l’architecture, et exprime, d’une manière plus réelle, l’imagination et l’esprit de cette grande époque. L’Avranchin ne manque pas de ces vieux meubles chargés de saints, de grotesques, d’arabesques, de lignes architecturales. Nous en connaissons peu qui aillent jusqu’au XIIIe, et portent la sévère élégance de cette époque. Nous en possédons un du XIVe. Il y en a beaucoup en style flamboyant. Le Musée d’Avranches en a un fort beau de cette époque : le presbytère de Saint-Pierre-du-Tronchet en renferme un joli qui vient d’un couvent de Capucins d’auprès de Rouen. Les monastères et les châteaux possédaient surtout les bahuts. On en trouve beaucoup de l’époque de la Renaissance et des siècles suivans. Le dressoir du Musée d’Avranches est de cette première époque. Nous en possédons deux, l’un venu du Mont Saint-Michel, et l’autre du Prieuré de La Bloutière. Nous en connaissons encore un à Tessy, venu de l’abbaye de Hambie. Le XVIIIe siècle se perd dans les arabesques : le bahut de cette époque n’est que festons et astragales ; il y associe l’allégorie mythologique. Nous avons un dressoir de ce type. Sur les bords de la Baie, se trouve fréquemment une armoire venue de Bretagne, dans le dernier siècle, meuble de château que la Révolution a jeté dans les chaumières. Elle se reconnaît à ses douze colonnettes torses et ses quatre battans. La saillie du relief et le fouillement des ombres tracent la chronologie du bahut : il se termine dans des ligatures plates et comme rabotées.

[14] Mss. de M. Cousin. État des Paroisses du Diocèse en 1745.

[15] Pouillé, p. 5.

[16] Mém. sur la Gén. de Caen.

[17] Livre Vert, fol. 14. Dans cette charte, que nous abrégeons, il est question du luminaire de la cathédrale d’Avranches, et d’une lampe consacrée, c’est-à-dire à l’édicule de Saint-Jean-Baptiste qui était dans le cimetière et dans les remparts. V. Avr.

[18] Les synonymes normands de Menhir sont Pierre levée, Pierre butée, Pierrefitte, Poupelée : ce dernier nom domine à Jersey.

[19] M. le docteur Follain, de Bouillon, à qui l’on doit de sérieux travaux sur l’histoire de Granville et l’histoire naturelle locale, s’est égayé en une légende sur la Pierre-au-Diable, dans laquelle il a dramatisé les traditions et expliqué la plantation de la croix. Les lignes suivantes reproduisent les croyances locales : « Tantôt le diable apparaissait sous la forme d’un mouton égaré qui semblait les inviter à le reporter au troupeau ; s’ils s’en chargeaient, ils le trouvaient si lourd qu’ils étaient obligés de le mettre bas, et le malin esprit manifestait son contentement par des éclats de rire. Tantôt ils trouvaient un grand cheval blanc, nommé dans le pays Virlin, qui leur offrait sa croupe : s’ils profitaient de son obligeance, il s’allongeait assez pour admettre sur son dos trois ou quatre personnes ; il les menait plus fort et plus loin qu’ils ne voulaient, et finissait par s’en décharger dans quelque ornière. Mais, depuis la Révolution, les hantours ont disparu.... »

[20] La chute d’un arbre a abattu le croisillon.

[21] M. de Gerville. Essai sur les Villes et Voies romaines en Basse-Normandie et Supplément.

[22] C’était le monument d’un guerrier mort depuis long-temps, ou la borne placée par les anciens hommes. Iliade, ch. XXIII, vers 330.

[23] M. Desroches dit, dans son Histoire du Mont Saint-Michel, que, dans ces derniers temps, une grande quantité de pièces d’argent ont été trouvées aux environs de cette pierre. Tom. I, p. 31. Une fouille faite par les habitans, qui cherchaient un trésor, fut signalée par l’apparition d’un essaim de guibets (éphémères), insectes endiablés qui les mirent en fuite.

[24] De bello Gothico, lib. IV, chap. XX.

[25] Nous trouvons cette tradition en Bretagne d’après M. Souvestre : « Près de Saint-Gildas, les pêcheurs de mauvaise vie sont réveillés la nuit par trois coups ; ils se lèvent.... se rendent au rivage où ils trouvent de longs bateaux noirs qui semblent vides, et qui pourtant enfoncent jusqu’au niveau de la vague. Dès qu’ils y sont entrés, la barque file... et elle ne reparaît plus : les pêcheurs sont condamnés à errer jusqu’au jour du Jugement. » Les Derniers Bretons, p. 110. Édit. Charpentier.

[26] Histoire de Normandie. Il y a deux Bouillon en Normandie : nous ne pouvons affirmer qu’il s’agisse ici de celui de l’Avranchin.

[27] Domesday, fol. 84. C’est le même nom que celui du Livre Vert.

[28] Dom Huynes, Hist. de la célèbre Abbaye et Cart.

[29] Th. Le Roy, Mss. intitulé : Livre des curieuses Recherches.

[30] Voir la Liste des 119.

[31] Registre des Dons, p. 73.

[32] Les patrons réels étaient l’évêque et Cléry.

[33] L’auteur doit d’utiles renseignements sur les Martin à un de leurs descendais, M. Martin de Bouillon, de Bréville.

[34] M. de Bouillon.

[35] Id. Toutefois, Th. Le Roy date de 1380 l’acquisition du fief de la Meilleraye par son monastère.

[36] Un Rainfrai est cité dans le Domesday

[37] Recherche de Montfaut.

[38] Une charte du XIIe siècle sur la donation de l’église de Carteret est souscrite par Th. de Leisels. De même pour celle de l’église de Champeaux, même siècle. Dans le détail des empiétemens de Th. de Saint-Jean, on lit : « In honore S. Paterni occupavit maximum partem Thome de Leysels. » Richard de Leisiax souscrivit à la charte de F. Pesnel sur l’église de Sartilly. G. de Leseaux est cité parmi les hommes liges du Mont.

[39] S’il entrait dans notre plan de faire la série des seigneurs des simples fiefs, nous pourrions aisément établir celle des Lezeaux. Le Cartulaire de la Luzerne, reconstitué par M. Dubosc, cite trois ou quatre Leisiax, Leisiaus, Lesiaus, Lisiaus.

[40] Cartulaire du Mont, fol. 124.

[41] Anno 1265 annotate sont in ista pagina nomina militum et armigerum qui debent custodiam Montis in tempore guerre. Cartul. fol. 124.