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Brix - Ancien château : château d’Adam


NDLR : Texte de 1824 : Voir source en fin d’article


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n suivant la route de Cherbourg à Paris, la grande paroisse de Brix est la première qu’on trouve dans l’arrondissement de Valognes. Deux anciens châteaux de barons ont existé dans cette paroisse. Je commence par le plus ancien : c’est celui qu’on appelle le château d’Adam.

On ignore dans le canton l’origine de ce nom. Je crois pouvoir la marquer d’une manière assez positive pour lever tous les doutes. C’est qu’il fut bâti sous les ducs de Normandie, rois d’Angleterre, par un seigneur de Brix, dont le nom de baptême était Adam. Nous verrons que plusieurs de ces seigneurs se nommaient ainsi, et, ce qui est bien plus important, qu’ils ont été les ancêtres des rois d’Ecosse, et notamment de ce fameux Robert Bruce, dont la mémoire est encore en vénération parmi les Ecossais qui conservent un reste de l’ancien esprit national.

Pour prouver ce que j’avance, je vais tâcher d’établir que la paroisse de Brix ou Bris s’est d’abord appelée Bruce ; que ce nom a souvent été écrit en France Bruis, qui se prononce absolument de la même manière ; que les Anglais ont conservé l’ancienne orthographe, tandis que le nom de Bruis a souffert encore une nouvelle altération chez nous, qui disons maintenant Bris ou Brix ; mais que ces différentes altérations ne sont pas inconnues aux anglais qui ont la prétention de descendre des anciens seigneurs de Bruce ou de Bruis. Long-temps avant la conquête d’Angleterre, long-temps même avant le traité qui céda notre province au duc Rol, (NDLR : Rollon) le nom de Bruce ( Brucius ) était donné à la paroisse qui porte aujourd’hui celui de Brix.

Dès le VIIIe siècle, le chronographe de l’abbaye de Fontenelle parle d’un lieu nomme Bruines, de manière à ne pas laisser douter qu’il signifie notre paroisse de Brix. C’est à l’occasion d’un reliquaire échoué à Portbail, qui fut apporté dans un chariot jusqu’au lieu nommé Brucius. Voici le passage de la chronique : « Ad eum locum pervenerunt qui usque nunc Brucius dicitur ; est autem idem locus in ardui montis planifie situs, cui ab australi parte fluvius adjacet qui vocatur Undva, distans ab eo loco plus minus millie duo. »

Toutes ces circonstances, le sommet applati d’une montagne où se trouvent l’église et la place du château d’Adam, la distance, la position, le nom de la rivière d’Ouve, les traditions locales, la dégradation du nom, tout se réunit pour ne laisser aucun doute.

Tous les généalogistes anglais [1] conviennent que Robert de Bruis, Bruce ou Brus, chef de cette illustre famille, vint de Normandie en Angleterre avec Guillaume le Conquérant, qui, après la bataille de Hastings, l’envoya soumettre le nord de l’Angleterre, et qui lui donna près de cent seigneuries dans les comtés d’York et de Durham. Skelton, dans le nord de l’Yorkshire, fut le chef-lieu de sa baronnie. Son fils s’appelait comme lui Robert, et son petit-fils Adam : celui-ci, né d’un premier mariage avec Agnès, fille de Fouques Laynel, hérita des biens d’Angleterre et de Normandie. Il combattit vaillamment contre les Ecossais à la bataille de North-Allerton, en 1133. Il mourut en 1162, laissant pour successeur son fils Adam, qui mourut en 1185. Après ce dernier Adam, je trouve trois Pierre Brus successivement. On parle en Normandie d’un troisième Adam, qui vivait au temps de la minorité de St. Louis, et dont le nom figure, dit-on, parmi celui des barons Anglo-Normands, qui, réunis aux Bretons, vinrent faire une incursion dans le midi du département, et prirent le château de La Haye-Pesnel. Je n’ai pu acquérir de preuves certaines qu’il y eût réellement un Adam de Bruis à cette expédition, mais les deux dont l’existence est indubitable suffisent pour faire retrouver l’existence du château d’Adam.

Ce n’est pas dans les baronnages d’Angleterre seulement qu’on doit chercher les noms de ces Adam de Brus. On peut prouver également, par les cartulaires de quelques abbayes du Cotentin, qu’ils habitaient dans leur château de Bris, aussi bien que dans ceux d’Angleterre.

Pour ne pas allonger trop cet article, je me contenterai d’indiquer la donation de l’église même de Bruis, à l’abbaye de Saint-Sauveur, par Adam de Bruis, en 1144, et confirmée en 1155 par Pierre de Bruis. [2] Je pourrais citer vingt exemples aussi authentiques où l’on rencontrerait le concours de la conformité des noms de baptême, de la famille et de la paroisse de Brix, qui, ainsi que les seigneurs Anglo-Normands que j’ai cités, portaient communément le nom de Bruis. Il me semble qu’on ne peut désirer un rapprochement plus complet de noms et de surnoms entre les Bruces d’Angleterre, d’Ecosse et de Normandie, et la paroisse que je vous désigne pour le berceau de cette famille ; et, ce qui compléterait encore l’évidence, s’il le fallait, c’est que la paroisse de Brix est la seule de son nom en Normandie, et qu’en conséquence des donations de l’onzième siècle faites à l’abbaye de Saint-Sauveur, l’église de Brix a toujours appartenu à cette abbaye. [3]

Il me semble démontré que notre paroisse de Brix est le berceau de la famille qui a donné à l’Ecosse le plus grand de ses Rois. Voilà un point très-important fixé d’une manière satisfaisante pour les Ecossais, et particulièrement pour les familles qui portent encore le nom de Bruce. Parmi ces familles, les principales sont celles des comtes Elgin et Aylesbury, et du chevalier Alexandre Bruce. Dans le cours de mes recherches sur les châteaux du département, j’espère trouver le berceau de plusieurs familles anciennes de la Grande-Bretagne ; mais nulle part je n’en rencontrerai un qui ait fourni une famille plus illustre et plus historique. Robert Bruce, qui mourut en 1329, vit dans sa jeunesse l’Ecosse réduite à l’état le plus triste et le plus abject, subjuguée par Edouard I : il vit périr par le glaive du vainqueur une partie de sa famille. Il sut en peu de temps tirer une vengeance éclatante des horreurs dont son pays avait été le théâtre ; faire éprouver aux Anglais des défaites sanglantes ; délivrer sa patrie, et la laisser, en mourant, au plus haut degré de gloire qu’elle eût jamais acquis ; il est glorieux pour la paroisse de Brix d’avoir donné son nom à la famille de ce héros.

L’origine du château d’Adam est peut-être moins incontestable. Il est pourtant assez difficile de croire qu’il n’ait pas été bâti par un des seigneurs dont il conserve le nom. Nous avons vu qu’il y en eut au moins deux de ce nom de baptême ; que l’un mourut en 1162, et l’autre en 1165. Je présume qu’il faut rapporter au premier la construction de château d’Adam, ainsi que presque toutes les fondations faites par les seigneurs de Brix aux abbayes de Saint-Sauveur et de Lessay.

Les annales du château d’Adam ne peuvent pas être longues : bâti vers le milieu du XIIe siècle, il était confisqué au commencement du XIIIe ; voilà pourquoi il n’en est pas fait mention dans les registres des fiefs de Normandie qui devaient le service militaire à Philippe-Auguste. La raison de la confiscation fut sans doute la même que celle de la plupart des châteaux de la Normandie : les seigneurs qui les possédaient, étant infiniment plus riches en Angleterre qu’en Normandie, ne purent longtemps balancer, quand ils furent réduits à l’alternative d’opter entre les deux pays.

Durant le court espace de son existence, on ne peut guères s’attendre que cette forteresse ait soutenu des sièges. Pendant son long règne, Henri II fut paisible possesseur de notre pays. Aucune guerre n’y amena Richard Cœur de Lion : nous voyons seulement qu’il y vint s’embarquer ou descendre à Barfleur. En 1194, il y débarqua avec une flotte de cent vaisseaux chargés de troupes destinées à secourir Verneuil. Un historien contemporain rapporte qu’il vint coucher à Brix. [4]

Jean-Sans-terre régna si peu de temps sur la Normandie que l’on ne peut s’attendre à des détails sur nos châteaux pendant le court espace de sa domination : il eut bien quelques guerres à soutenir contre Philippe-Auguste, avant d’être tout à fait dépouillé ; mais ces guerres se passèrent dans la Haute-Normandie, et, s’il n’eût pas souscrit quelques actes publics dans le Cotentin, nous douterions qu’il y fût venu.

Outre les seigneurs de Brix qui, suivant les généalogistes Anglais, portèrent le nom d’Adam, j’en trouve un, dans l’historien Siméon de Durham, qui mourut en 1144. [5] J’ignore pourquoi celui-ci a été omis dans les généalogies de cette famille. Serait-ce parce qu’il n’aurait eu de propriétés qu’en Normandie : alors ce serait probablement à lui qu’il faudrait rapporter l’origine du château qui fait l’objet de cet article. Quoiqu’il en soit, quelques années de différence ne changent rien à la question : l’origine du château d’Adam sera toujours la même.

L’emplacement du château d’Adam est à l’extrémité orientale de la hauteur sur laquelle est située l’église de Brix : il est à très-peu de distance de cette église, vers le levant, sur un terrain escarpé au nord et à l’est. Le côté de l’église qui est à peu près uni, était défendu par beaucoup de retranchements : on y remarque encore la place d’un large fossé.

En suivant les traces de la maçonnerie de cette forteresse, on voit qu’elle était une des plus étendues du pays. Il ne reste plus que des fondements, des masses détachées de l’ancienne maçonnerie et quelques souterrains voûtés et comblés en majeure partie.

Quoique ce château eût été démoli au commencement du XIIIe siècle, il en restait encore de grands débris dans le XVIe ; ils furent employés à la construction de l’église actuelle.

Les barons de Bruis avaient droit de séance à l’échiquier de Normandie, parmi les premiers de la province.

Les anciennes armes de ces seigneurs étaient d’argent au lion rampant de gueules. Les armes que portent ou écartellent aujourd’hui les Bruces, sont celles d’Annandale. [6]

Richard de Bruis, qui appartenait à la même famille, fut évêque de Coutances, depuis 1124 jusqu’en 1131.

Les souvenirs historiques qui se rattachent à la paroisse de Brix et à la famille qui en tire son nom sans le savoir, m’ont fait un devoir de m’en occuper particulièrement. Le berceau d’une famille alliée aux premiers ducs de Normandie, qui fournit au Conquérant un de ses principaux capitaines ; à l’Angleterre, plusieurs de ses premiers barons ; à l’Ecosse, le plus illustre de ses Rois ; des ancêtres aux Stuarts, qui occupèrent long-temps les trônes d’Ecosse et d’Angleterre, n’était pas connu ; il méritait de l’être : mes assertions étaient nouvelles, j’ai dû les accompagner de preuves et d’éclaircissements. Si la nature de cette lettre m’a forcé à me borner au précis de ces preuves, je n’en suis pas moins prêt à fournir de plus amples détails et des pièces justificatives à ceux qui m’en demanderaient.

Source :

Notes

[1] Dugdale’s Baropage. Banks’s Extinct Peerage, tome 1, p. 44. et seqq. Collin’s Peerage. ed. Brydges, tome 5, pag. 107 et seqq. Monastic. Anglic. tome 5, p. 148. Domesday book, Yorkshire. Douglas, Peerage of Scotland.

[2] Ex cartul. membranacco abb. Sti. Salvator. Vicecom. penes nos, p. XXX, recto et verso.

[3] V. le livre noir de l’Evêché de Coutances, et les registres des cures du dioc., dressés en 1666 et en 1737. Il n’y a pas jusques dans les généalogies anglaises des Bruce qu’on ne puisse aussi trouver le nom de Bris ou de Brye : je vois le premier de ces noms dans le Baronetage à l’article de sir Alexander Bruce, et le dernier dans le Pairage Eteint de Banks, tome 2, p. 630.

[4] In festo sanctorum Nerei et Achillei ( le 12 de mai).

[5] 1144. Hoc anno obiit Adam de Bruis. Hist. Continuata apd. Twysden, col. 276.

[6] NDLR : Robert de Bruce ou de Brus († 1142), 1er lord d’Annandale, fut un baron et chevalier scoto-normand du XIIe siècle. Il est le fondateur de la maison de Bruce qui accéda au trône d’Écosse en 1306.