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Carentan - Ancien château


NDLR : Texte de 1830 : Voir source en fin d’article


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elui-ci ne fut jamais une propriété particulière. Après avoir fait partie du domaine ducal, il fut réuni par Philippe-Auguste à celui de la couronne, auquel il a constamment appartenu jusqu’à la révolution, excepté pendant l’occupation des Anglais, le temps du Roi de Navarre et quelques instants durant les guerres de religion. Je n’ai donc aucune recherche à faire sur ses possesseurs, mais son importance comme forteresse nécessite un assez long article.

C’est dans l’historien Ordéric-Vital que je trouve la première mention de Carentan. Cet auteur avait environ trente ans à l’époque du séjour de Henri Ier à Carentan en 1106. Ce qu’il en dit est précieux pour donner une idée de ce lieu au commencement du XIIe siècle, et plus encore pour faire connaître les mœurs et les coutumes du pays à cette époque, ainsi que l’éloquence de la chaire, si toutefois on doit en juger par le sermon qu’y prêcha un des plus vénérables évêques de ce temps, où Vital était déjà connu, et ou Serlon de Savigny et Saint-Bernard allaient bientôt paraître.

En 1106, à la fin du Carême, Henri vint débarquer à Barfleur avec son armée. Il arriva à Carentan le Samedi Saint.

Serlon, évêque de Séez, vint l’y trouver, lui rendit hommage et y célébra la pâque avec ce roi. L’église (basilica), où il célébra l’office divin, était pleine de meubles et d’instruments aratoires que la crainte du pillage y avait fait apporter de tout le voisinage. Le prélat tira parti de cette circonstance pour peindre les malheurs d’un pays mal gouverné ; il commença par exhorter Henri à s’emparer du gouvernement des Etats de son frère.

Au milieu des graves réflexions que peut faire naître la politique de Serlon, il se trouve une tirade curieuse contre les longs cheveux, les barbes courtes et les souliers dont la pointe imitait la queue des scorpions. Ce morceau est précieux pour faire connaître les costumes adoptés alors en Angleterre et en Normandie. On y voit l’obligation où étaient les pénitents publics de porter les cheveux longs. « Ecce squalorem paenitentiae converterunt in usum luxuriae. »

Je regrette beaucoup que l’espace me manque pour donner ici en entier ce passage singulier ; mais la digression serait trop longue : je me borne à l’indiquer, et je reviens à ce qui regarde particulièrement le château de Carentan.

Ordéric-Vital ne dit pas positivement qu’il existât alors, mais ce qui en reste maintenant offre des parties de cette époque. On y voit, vers le Nord, une porte bouchée dont le travail est tout-à-fait roman.

On pourrait aussi discuter pour savoir si Carentan était un village ou une ville. Le mot vicus, employé par l’historien contemporain, semble favoriser la première opinion ; on pourrait objecter que l’église est appelée basilicu, nom qui n’indique pas l’église d’un village.

Depuis ce séjour de Henri Ier, un siècle s’écoule sans qu’il soit fait mention de Carentan. Le registre des fiefs de Philippe-Auguste nous apprend qu’il était au Roi au commencement du XIIIe siècle.

On voit aussi par Rymer qu’en 1199 le roi Jean-sans-Terre y souscrivit deux chartes et des lettres de créance à des ambassadeurs. [1] Ce monarque y était encore le 30 et 31 janvier et le 12 septembre 1200. [2]

D’après une notice sur Carentan, communiquée à la préfecture de la Manche il y a environ 25 ans, il paraîtrait que Carentan fut pris en 1142 par le comte d’Anjou sur Etienne de Blois. Ce fait vraisemblable n’est pas rapporté par l’historien du comte d’Anjou. On y parle de Cerencis. L’aurait-on traduit par Carentan ?

Suivant M. Le Franc, la reine Blanche en fit réparer les fortifications en 1190. Il y a au moins là une erreur de date ; en 1190 Blanche n’était pas reine, et Carentan ne lui appartenait pas.

J’ai lu ailleurs que ces travaux de la reine Blanche eurent lieu en 1230 ; cette date est plus vraisemblable, mais je ne connais pas de garant de son exactitude.

Quand les Anglais descendirent à la Hougue en 1346, les fortifications du château de Carentan pouvaient résister même à l’armée d’Edouard III. Il y avait une garnison de soldats génois qui étaient disposés à se défendre, mais les bourgeois rendirent la ville à la première sommation, et la garnison forcée à se retirer dans le château ne put y faire une longue résistance. Elle y obtint pourtant une capitulation honorable, tandis que les bourgeois furent emmenés en Angleterre. [3] Les fortifications furent démolies. Michel de Northbury, clerc du roi Edouard, qu’il suivit à cette expédition, dit que Carentan était alors aussi peuplé que Leycester. [4]

Peu de temps après, Charles-le-Mauvais, roi de Navarre, occupa Carentan qui faisait partie du domaine que le Roi de France lui avait cédé. Il en fit rétablir les fortifications.

Après la victoire de Cocherel en 1364, Duguesclin vint attaquer les places du Cotentin que tenaient les Navarrois. Pendant qu’il était occupé au siège de Valognes, Olivier de Mauny, un de ses lieutenants, vint assiéger Carentan. Le gouverneur navarrais fut obligé de se rendre à discrétion ; mais Duguesclin ayant été appelé en Bretagne avec la majeure partie de ses troupes, y fut défait et pris à la bataille d’Auray. Après cet événement, Carentan, avec les autres forteresses du Cotentin, rentra sous la domination du roi de Navarre, mais la possession en était alors précaire et peu importante. Les Français n’attendirent pas à le reprendre jusqu’à 1378. Ils en étaient maîtres trois ans plutôt. En 1375, avant d’assiéger Saint-Sauveur-le-Vicomte, le général français y passa une revue, où Guillaume d’Anneville fut reçu avec quinze gentilshommes de sa suite. [5] Voilà sans doute pourquoi cette place n’est pas nommée parmi celles du Cotentin que Duguesclin reprit en 1378.

En 1388 le comte d’Arondel, qui avait passé toute la belle saison sur les côtes de la Bretagne et de l’Aquitaine, vint, vers Noël, descendre à Cherbourg et passa près de Carentan avec son armée. La ville avait une forte garnison commandée par les sires de Hambye et de Courcy. Le général anglais n’osa attaquer la ville. Après avoir ravagé le Cotentin et le Bessin, il repassa le grand Vay et vint avec son butin et ses prisonniers se rembarquer à Cherbourg, et passa en Angleterre. [6]

Au commencement du siècle suivant (1404), le duc de Clarence fit une autre descente dans le Cotentin et y prit entre autres places Carentan, où il n’y avait pas de garnison suffisante ; toutefois il n’y forma pas d’établissement. Quelques années plus tard le fameux Talbot, qui commençait sa carrière militaire, fut envoyé avec cinq à six cents hommes dans le Cotentin ; mais il essuya un échec devant Carentan. Son détachement fut défait par les habitants du pays, et il eut beaucoup de peine à repasser les Vés avec un petit nombre des siens. [7]

En 1417, Jean de Villiers, capitaine de Carentan, le seigneur de Rochefort, Johan de Saint-Germain et Johan Mégéant, au nom des chevaliers, écuyers, bourgeois et habitants de cette ville, la rendirent par capitulation à Jehan de Robessart, à Guillem Beauchamp, chevaliers commis par le duc de Glocester. [8] Ce château et celui de Saint-Lô sont les seuls du pays où il soit fait mention d’artillerie dans les capitulations de cette année. Je ne prétends pas pour cela qu’il n’y en eût pas d’autres, et notamment dans celui de Cherbourg.

Après la prise de Saint-Lô, en 1449, le duc de Bretagne et le comte de Richemont firent investir Carentan. La garnison ne tint que trois jours ; les habitants furent remis en possession de leurs biens. [9]

Après l’expulsion des Anglais, plus d’un siècle se passa sans que la tranquillité de Carentan fût troublée par de nouvelles guerres. Les protestants s’en saisirent en 1562, le rendirent en 1563, le reprirent et le rendirent encore eu 1568. Enfin, en 1574, le comte de Montgommery s’en empara de nouveau et y fit faire, avec de grands travaux et de grandes dépenses, des fortifications dont on distingue facilement des restes à la partie Est du château.

Le comte de Lorge, son fils, fut chargé par lui du commandement important de cette forteresse devenue susceptible d’une longue défense ; mais la nouvelle de la prise du comte de Montgommery et de la mort de Colombières, jointe à la perte de Saint-Lô, jeta l’épouvante dans la garnison de Carentan ; elle tint peu de jours, et capitula le 28 juin 1574. Je possède une partie de la capitulation ; elle est trop longue pour trouver ici sa place.

Le maréchal de Matignon, peu de temps avant sa mort arrivée en 1597, reçut de Henri IV l’ordre de faire démolir les fortifications de Carentan, du château de Valognes, du fort et des ponts d’Ouve et de Barfleur. L’ordre fut exécuté pour les deux dernières places et différé pour Carentan et Valognes, dont les fortifications subsistèrent encore un siècle. [10]

Une grande partie du château de Carentan existe encore, mais il ne pourrait tenir contre une attaque sérieuse. On peut y étudier l’architecture militaire, dont il y a des modèles depuis le XIIe siècle jusqu’à la fin du XVIe.

Le donjon, démoli depuis vingt-cinq ans, était employé comme dépôt provisoire de poudres. On peut voir d’anciens plans de ce château dans les archives du génie militaire à Carentan, la Hougue et Cherbourg.

Source :

Notes

[1] Act. public., édit. de La Haye, tome 1, page 36.

[2] Itiner. Johannis. Archiv. de la Tour de Londres. Archeolog. Londinensis, tome XXII.

[3] Froissard de Buchon, tome II, page 300.

[4] Ibid.

[5] Généal. d’Anneville, onzième degré.

[6] V. le Froissart de Buchon, tome XI, page 473-4.

[7] Masseville, tome IV, page 64. — Chart. de Normandie, par Le Megissier, page 170.

[8] V. la capitulation dans Rymer.

[9] Monstrelet, tome III. — Gruel, hist. du Connétable.

[10] Hist. du Maréchal de Matignon, page 359.