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Mortain - Ancien château


NDLR : Texte de 1828 : Voir source en fin d’article


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a dernière moitié du XIe siècle fut pour la ville de Mortain l’époque la plus remarquable. Néel de Saint Sauveur venait d’être disgracié quand le duc Guillaume donna le comté à son frère Robert avec un pouvoir beaucoup plus étendu que celui de ses prédécesseurs. A l’assemblée de Lillebonne, Robert joua un rôle très-distingué ; à l’expédition d’Angleterre il avait un des principaux commandemens ; personne ne fut plus largement récompensé que lui dans le pays conquis. Jamais le château de Mortain ne fut aussi brillant que de son temps et dans les premières années de son fils Guillaume ; mais après la journée de Tinchebray, ce château fut en grande partie démoli et ne se releva point ; et quoique deux de ses possesseurs soient devenus rois d’Angleterre, il avait perdu sa gloire et son importance : les comtes de Mortain l’habitaient rarement.

Sous la domination française, il appartint à des comtes titulaires, dont la plupart n’y résidèrent point. Nos rois le donnèrent quelquefois à titre de récompense. Dans les derniers temps, il appartint à des princes du sang ; mais aucun d’eux ne le vit : tous le laissèrent tomber en ruines.

Tel est à peu près le précis de l’histoire du château et du comté de Mortain. La suite de ses possesseurs est facile à recueillir. Elle a été donnée en grande partie par Laroque, dans son histoire de la maison d’Harcourt, et surtout dans la dernière édition de l’histoire des Grands Officiers de la couronne.

Je ne dirai rien des comtes antérieurs au règne de Guillaume-le-Conquérant, car je ne veux rien avancer sans preuves.

Environ deux ou trois ans après la victoire du Val-es-Dunes, remportée contre les habitants du Cotentin et du Bessin, le duc Guillaume sentant la nécessité de donner à notre pays des chefs sur lesquels il pût compter, jeta les yeux sur Robert, son frère utérin, qui s’était déjà distingué dans des expéditions militaires, et dont il connaissait l’attachement.

Il était mécontent de Guillaume Werleng, comte de Mortain ; il lui ordonna de quitter la Normandie et donna son comté à Robert qui en jouit tranquillement pendant le reste d’une longue vie. [1]

Le dévouement de Robert fut le plus grand titre de recommandation auprès de Guillaume-le-Conquérant. Si l’on en croit un historien contemporain, ce prince était un homme très-médiocre, crassi et hebetis ingenii hominem. [2]

Cependant il se trouva à des batailles fameuses ; il y commanda son corps d’armée, et sous les rapports militaires je ne crois pas qu’il ait jamais été blâmé. A la grande expédition de l’Angleterre, tout le Cotentin s’embarqua avec lui et combattit sous ses ordres à la mémorable bataille de Hastings. Si l’on en croit le Neustria pia et l’Obituaire de Grestain, où il fut inhumé, il mourut en 1090. [3] Il avait bâti l’église de Mortain.

Son fils Guillaume lui succéda comme comte de Cornwal et de Mortain, et posséda ses grands domaines assez tranquillement sous le règne de Guillaume-le-Roux ; mais sous celui de Henri Ier, sa position changea tout-à-fait. Robert Courte-Heuse éleva des prétentions à la couronne d’Angleterre. Le comte de Mortain prit son parti avec ardeur. Henri, plus fort et plus adroit que son frère, l’emporta, et Guillaume chassé des états de Henri, y perdit toutes ses possessions. Réduit à son comté de Mortain et à ses domaines de Normandie, bien faibles en comparaison de ceux dont il avait été dépouillé, il n’en fut pas moins un des plus fermes soutiens de Robert ; mais la lutte était trop inégale et le duc fut battu et pris à Tinchebray. Le comte de Mortain partagea son sort ; tous deux furent emmenés en Angleterre où celui-ci fut traité avec la dernière rigueur par Henri, qui le haïssait personnellement. « Crudeliter exoculavit eum nec sciri tam horrendum facinus poluit quoadusque regis aperuit mors secreta. »

Tous les biens du comte et tous ses châteaux en Normandie furent confisqués.

Un an avant la bataille de Tinchebray, Guillaume avait fondé l’Abbaye Blanche de Mortain. Il est impossible qu’il l’ait entièrement bâtie ; mais en examinant le travail de l’église et d’un petit cloître, on voit qu’elle ne tarda pas à être terminée.

Robert de Vitré fut fait comte de Mortain par Henri Ier. Il prend ce titre dans quelques Chartres de Savigny. Il l’eut peu de temps et ne fit rien de remarquable.

Etienne de Blois qui lui succéda ne quitta ce titre que pour aller, en 1135, se faire couronner roi d’Angleterre.

Le cartulaire de Savigny contient un grand nombre de chartres d’Etienne, comte de Mortain : elles sont antérieures à la mort de Henri. Bientôt après cet évènement, Etienne eut un compétiteur qui ne tarda pas à lui enlever les châteaux de ce comté. On voit dans ces guerres combien le château de Mortain avait été maltraité par Henri Ier, car il tint à peine deux jours, tandis que Saint-Hilaire, qui jadis ne lui était pas comparable, put soutenir un siège dans toutes les formes.

Le traité conclu en 1153 entre Henri, fils du comte d’Anjou, et le roi Etienne, donna à Guillaume, fils de ce dernier, le comté de Mortain. Il l’avait encore en 1158 quand le roi Henri II l’arma chevalier.

Ce prince partit ensuite avec Henri II pour l’expédition de Toulouse, et mourut au retour, en octobre 1159.

Après sa mort, le roi Henri garda le comté de Mortain, où il eut des guerres à soutenir contre les habitants, à la tête desquels étaient le seigneur de Fougères, ceux de Saint-Hilaire et de Saint-James-de-Beuvron. Il les battit à Dol et les fit prisonniers.

Peu après, pour satisfaire les habitants de Mortain qui demandaient un chef, il leur en donna un sous le nom duquel il pût continuer à gouverner ce pays. Ce fut Jean, le dernier de ces fils, âgé de huit ans. Ce prince, dans tous ses actes, prit le titre de comes Moritonii, jusqu’au temps où il devint à son tour roi d’Angleterre.

Au moment où Philippe-Auguste s’empara de la Normandie, il nomma comte de Mortain Renaud de Boulogne, fils de Matthieu et petit fils du roi Etienne.

Le nouveau comte ne répondit pas à l’attente du Roi de France. Il entretint des intelligences avec les ennemis, entra dans la ligue qui se forma contre Philippe, et combattit contre lui à Bouvines où il fut fait prisonnier. Le Roi donna le comté de Mortain à son fils, le comte de Clermont, qui épousa la fille de Renaud de Boulogne : des garnisons royales furent mises dans le château de Mortain, et le comté fut érigé en pairie.

En 1223, Louis VIII confirma cette concession à son frère [4] qui mourut dix ans après. Le comté de Mortain revint au roi St Louis [5] en 1251, après la mort de la fille du comte de Clermont, veuve de Gaucher de Châtillon.

St Louis donna le comté de Mortain à Guillaume, comte d’Artois, qui se contenta d’en toucher les revenus et ne résida pas dans le pays.

Par lettres datées d’Avignon, le 14 mars 1335, Philippe de Valois érigea le comté de Mortain en pairie, en faveur de Philippe, comte d’Evreux auquel [6] cette châtellenie avait été donnée, en 1325, par Charles-le-Bel. Il paraît qu’elle lui avait été apportée en mariage long-temps auparavant par Jeanne de France, sa femme, fille de Louis-le-Hutin. [7]

Après lui, Charles de Navarre son fils, connu plus particulièrement sous le nom de Charles-le-Mauvais, fut comte de Mortain. Ce prince était roi de Navarre et possédait aussi le Cotentin et le comté d’Évreux. [8]

En 1378, le connétable Duguesclin prit le château de Mortain sans beaucoup de résistance. Masseville dit qu’il en fit démolir les fortifications. [9]

Charles-le-Mauvais mourut en 1386, laissant pour héritier Charles son fils, auquel succéda Pierre de Navarre. A la mort de ce dernier, arrivée en 1412, [10] le domaine de Mortain revint à Charles VI qui le donna à Louis, duc de Guyenne, Dauphin de Viennois, mort sans postérité en 1415.

Dans l’année 1418, le comte de Mortain, nommé par Henri V, reçut l’ordre de tenir ses cours de justice à Vire : De curiis suis tenendis apud Vire. [11]

Ce comte s’appelait Edouard ; mais j’ignore à quelle famille il appartenait. Il mourut à Mortain, au commencement de 1419, et fut remplacé par Thomas Langholme, ainsi que nous l’apprennent les Rolles Normands de la tour de Londres publiés par Carte.

Le Roi de France, quoique dépouillé du comté de Mortain, continua d’agir comme s’il ne l’eût pas perdu. Après le comte Palatin, mort en 1423, il créa successivement comtes de Mortain Jean d’Harcourt et le comte de Dunois ; puis par lettres du mois de juillet 1423, il retira ce titre au comte de Dunois pour en investir Charles d’Anjou, comte du Maine, son beau-frère, fils de Louis d’Anjou, roi de Sicile. [12]

Cependant le duc de Bedford, possesseur réel du comté de Mortain, fit démolir le château. Les habitants de Vire, chargés de ce travail, s’y prêtèrent d’autant plus volontiers, que cette démolition assurait au château de Vire une supériorité décidée dans le pays.

Après la mort du duc de Bedford, Henri VI nomma encore un comte de Mortain : ce fut Edmond de Beaufort, duc de Somerset. [13]

En 1449, Mortain, comme les autres forteresses du pays, rentra sous la domination française. Nous avons vu que le château, démoli d’abord en 1106, puis en 1378, l’avait encore été par le duc de Bedford. Cependant en 1449 il fallut y donner l’assaut, et la place défendue par une très-faible garnison fit une si belle résistance qu’il n’y restait plus que cinq hommes en état de combattre quand elle fut prise.

Après que les Anglais eurent été chassés de la Normandie, le comté de Mortain fut possédé quelque temps par des princes de la maison d’Anjou et par Charles, frère cadet de Louis XI. [14] Ce roi avait cédé à son frère la Normandie et particulièrement les domaines de Mortain, de Saint-Sauveur-le-Vicomte et de Saint-Sauveur-Lendelin ; néanmoins ceux qui sur la foi de cette cession, faite par lettres patentes, s’attachèrent au jeune prince, en furent punis comme coupables de haute trahison. Le comté de Mortain surtout fut traité avec la dernière rigueur.

Charles VIII et Louis XII possédèrent le comté de Mortain, comme faisant partie de leur domaine particulier.

François Ier le donna en 1529 à Louis de Bourbon, comte de Montpensier, en échange de terres, situées dans les Pays-Bas et promises par le Roi à Charles-Quint. [15]

Le comté et le château de Mortain restèrent dans la famille de Montpensier jusqu’à la mort de Henri, arrivée en 1608. Celui-ci laissa une immense fortune à sa fille unique qui épousa, en 1629, Gaston de France, duc d’Orléans, frère de Louis XIII. De ce mariage naquit Louise d’Orléans, duchesse de Montpensier, plus connue dans l’histoire du siècle de Louis XIV sous le nom de Mademoiselle. Elle posséda le comté de Mortain jusqu’à sa mort en 1697.

Philippe d’Orléans, frère de Louis XIV, lui succéda en qualité de légataire universel. Il laissa à son fils, régent du royaume durant la minorité de Louis XV, le comté de Mortain, qui appartenait encore à la maison d’Orléans à l’époque de la révolution.

Dans son état actuel, le château de Mortain, placé au dessous de la ville, à peu de distance vers le couchant, offre des ruines, sinon bien caractérisées, du moins très pittoresques. Le centre en est occupé par une habitation moderne. L’ancienne enceinte était garantie d’un côté par un vallon étroit, et des autres côtés, par des fossés profonds, dont la partie intérieure, à moitié comblée, présente des revêtements en maçonnerie.

Il y avait au moins quatre tours, sans compter le donjon qui était au midi de l’enceinte. C’était une tour considérable, solidement établie sur un rocher fort élevé, et le plus escarpé, surtout à l’ouest et au sud-ouest, de tous ceux que je connais dans le département comme ayant été couronnés de forteresses. Il n’y a pas bien long-temps que ce donjon a été démoli : plusieurs habitants de Mortain se souviennent encore de l’avoir vu entier ; La seule tour qui existe maintenant se trouve sur la porte principale. Elle est d’une assez grande dimension, mais défigurée par un revêtement et une toiture moderne qui lui donnent l’apparence d’un colombier.

Il ne reste plus du côté de la ville aucune trace d’ouvrages avancés, et l’accès a été si bien aplani qu’on arrive facilement au château en voiture.

A peu de distance vers le nord on trouve un rocher qui forme une pyramide étroite, élevée et pittoresque, et quelques pas plus loin une très-belle cascade. Cette position est une des plus remarquables du département.

Source :

Notes

[1] Guill. Gemet., Liv. VII. Recueil des hist. de France, tome XI, p. 44. — Orderic Vital, Ibid p. 248 et tome XII, p. 660.

[2] Will. Malmesbury, rec. des hist. de France, tome XI. P. 189.

[3] Neustria pia, p. 529. — Hutchins (Dorset), le fait vivre jusqu’en 1093.

[4] Grands officiers de la couronne, t. I, p. 821

[5] Ibid t. III, page 103.

[6] Ibid p.104.

[7] Le Brasseur, hist. d’Evreux, p. 46 — Grandi officiers, tome I, page 282.

[8] Le Brasseur, hist. d’Evreux. Grands officiers de la couronne, t. I, p. 284.

[9] Hist. de Normandie, tome III, p. 361.

[10] Grands officiers de la couronne, tome III, p. 103 et 104.

[11] Rolles Normands, p. 257.

[12] Grands officiers de la couronne, t. III, page 104.

[13] Banks extinct. baronage, t. III, p. 667. Quand il fut nommé comte de Mortain, il n’était encore que, chevalier. Mss. de la bibliothèque royale.

[14] Laroque, hist. d’Harcourt, p. 428. Grands officiers de la couronne, t. II, p. 548, et III, p. 104.

[15] Hist. d’Harcourt et Grands officiers, ibid.