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L’Abbaye de Savigny


NDLR : aujourd’hui Savigny-le-Vieux, canton du Teilleul ; ne pas confondre avec Savigny, canton de Cerisy-la-Salle.


NDLR : Texte de 1825 : Voir source en fin d’article


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armi les abbayes du département, je n’en trouve aucune dont les titres au premier rang soient plus évidents que ceux de Savigny. Sans doute depuis le retour de la Normandie à la France les revenus de Cerisy furent plus considérables. Comme forteresse, comme objet de fameux pèlerinages et comme dépôt de manuscrits nombreux et curieux, le Mont-Saint-Michel eut une importance particulière ; mais dans la hiérarchie monastique, la première place appartenait incontestablement à Savigny.

Les commencements de ce monastère furent si faibles qu’on en date communément la fondation de l’an 1112 ; cependant il existait antérieurement à 1105, puisqu’en fondant l’abbaye Blanche, [1] Guillaume, comte de Mortain, reconnaît expressément que Vital était dès ce temps abbé de Savigny. Adjuvante fratre Vitali tunc temporis abbate Savigniensi. J’ai prouvé dans l’article précédent que la chartre du comte de Mortain ne pouvait être postérieure à 1105 ou 1106.

Les auteurs du Neustria pia, et du Gallia Christiana sont d’accord sur ce point. [2]. Vital, chapelain du comte de Mortain, avait établi un monastère à Savigny dès le commencement du XIIe siècle. Au temps de l’historien Orderic Vital, son biographe et son contemporain, [3] on voyait encore les ruines des premiers bâtiments de l’abbaye.

Dans le cartulaire de l’abbaye de Savigny [4] on trouve l’acte de sa fondation, par Raoul de Fougères, différent de celui que donnent les auteurs du Gallia Christiana, [5] mais de la même date ; il est suivi dans le cartulaire, de la confirmation du roi Henri Ier. On voit, chose assez rare à cette époque, la déclaration que fait ce roi d’avoir souscrit cette confirmation de sa propre main et d’y avoir fait apposer son image. Ego Henricus Rex.... Manu mea subscribo et presentem paginam imagine mea consigno. [6]

Dans le même cartulaire où voit qu’en 1150, Henri, comte de Fougères, confirme les donations faites par son père Raoul, au monastère de Savigny. Parmi les témoins qui signèrent cet acte de confirmation, je trouve le nom de Geoffroy de Châteaubriant, de Castello Briencii. [7]

Henri de Fougères se fit religieux de Savigny la même année. Il rapporte cette circonstance dans la même chartre. [8]

A la même feuille du cartulaire on trouve une chartre de son fils Raoul. C’est probablement la conformité de son nom avec celui de son ayeul qui a induit en erreur l’auteur du Neustria pia pour le temps de la fondation de l’abbaye Blanche de Mortain, [9] et ce qui rend cette erreur excusable, c’est que souvent les descendants de ceux qui avaient fondé des abbayes prenaient aussi le titre de fondateurs. [10]

La première église de l’abbaye de Savigny, commencée par Vital, en 1112, n’était pas encore terminée quand il mourut. Elle fut achevée en 1124, par Geoffroy, son successeur, et consacrée par les évêques voisins, Turgis, évêque d’Avranches ; Richard, de Coutances ; Richard, de Bayeux ; Jean, de Séez ; et Hildebert, du Mans.

Cependant le monastère prenait chaque jour de nouveaux et rapides accroissements ; il formait successivement de grandes et de nombreuses colonies dans les états du roi Henri Ier, qui l’affectionnait et le protégeait spécialement. Ses successeurs, Étienne de Blois et Henri II, ne l’affectionnèrent pas moins. Le Maine, la Bretagne, la Normandie, la Touraine, l’Angleterre, le pays de Galles et l’Irlande se remplissaient de monastères de sa dépendance. L’église commencée par Vital ne répondait plus à l’importance que cette abbaye avait acquise depuis cinquante ans. Josse, neuvième abbé, jeta en 1173 les fondements de celle dont nous voyons les ruines ; il voulut lui donner une supériorité proportionnée à celle que l’abbaye avait acquise sur la plupart des autres.

Devenue mère de plus de quarante maisons de l’ordre de Citeaux, l’abbaye de Savigny voyait assister à son chapitre général les nombreux députés de tous les monastères de sa dépendance, dont plusieurs venaient des extrémités de l’Angleterre et de l’Irlande.

Est-il étonnant après cela que l’abbé Josse ait voulu construire une église digne de figurer parmi les cathédrales de Normandie ?

Pendant une partie du temps de la construction de cette nouvelle basilique, [11] Josse envoya ses moines à l’abbaye de Barbery, une des dépendances de la sienne. [12]

Une seconde église, celle de Sainte-Catherine, se construisait en même temps à Savigny. Elle fut dédiée en 1181, et Simon, alors abbé, y fit apporter l’année suivante les restes de la dépouille mortelle du bienheureux Vital et de Geoffroy, les deux premiers abbés, avec ceux d’Adeline, sœur de Vital, prieure de Mortain ; de deux religieux de Savigny, Pierre et Hamon ; et d’un moine appelé Guillaume, morts en odeur de sainteté, et qui étaient en grande vénération dans le voisinage et dans l’ordre de Citeaux. Cette église de Sainte-Catherine subsista encore très long-temps. Claude de Bellay, cinquantième abbé, y fut inhumé. [13]

Je fais particulièrement mention de cette église, parce qu’on l’a souvent confondue avec celle de l’abbaye ; elle parait avoir été considérable. Les auteurs du Gallia Christiana se servent encore du mot Basilica, [14] et ce mot, qu’il ne faut peut-être pas toujours prendre à la rigueur, indique néanmoins une grande église.

Celle de l’abbaye qui nous occupe ne fut dédiée qu’en 1220 : les consécrateurs furent Robert Poulain, archevêque de Rouen ; Guillaume d’Ostilly, évêque d’Avranches ; Robert des Abléges, de Bayeux ; Hugues de Morville, de Coutances ; et Gervais, de Séez. [15]

D’après des mesures prises avec soin par Guillaume Liégard, prieur de Savigny, au milieu du siècle qui vient de s’écouler, voici les proportions de ce bâtiment :

Longueur intérieure (intra parietes) 247 pieds.
Largeur (idem) 80
Hauteur de la voûte sous clef, plus de 70.

J’ajouterai à ces mesures celles que je pris, mais trop à la hâte, en 1819. La croisée avait environ 150 pieds de longueur intérieure.

Au centre de cette croisée, entre chœur et nef, se trouvait le clocher surmonté par une flèche en charpente, et qui s’élevait à 200 pieds.

Ce clocher est entièrement détruit, mais on en trouve des imitations plus ou moins imparfaites à plusieurs églises de l’arrondissement de Mortain. J’en ai remarqué à Villechien, à Notre-Dame-du-Touchet, à Moulines et à Savigny-le-Vieux.

Malgré les soins qu’on a pris pour faire de cet édifice un monument digne d’une des mères de l’ordre de Citeaux, il y en avait plusieurs de plus vastes, de plus curieuses et de plus finies parmi les églises abbatiales de la Normandie.

Sous le rapport de l’architecture, celle de Lessay a toujours été bien plus digne d’être étudiée que celle de Savigny. Est-ce à l’époque de la construction de celle-ci, est-ce à la difficulté de travailler le granit, qu’il faut attribuer son infériorité sous beaucoup de rapports ?

Quoiqu’il en soit, ce n’était pas seulement l’église, mais l’ensemble des bâtiments de l’abbaye, qui annonçaient le monastère le plus considérable du département.

Même dans son état actuel, la réunion de ces bâtiments donne encore à une certaine distance une grande idée de ce qu’ils furent autrefois. Au premier aspect on croit voir encore un grand monastère. Le curieux qui veut aller plus près, qui veut étudier les détails, est bientôt détrompé ; il n’a plus devant les yeux que le triste spectacle d’une destruction très-avancée, d’un anéantissement prochain : ce n’est plus que le squelette informe d’un grand établissement.

Hormis le clocher, les principales parties de l’église subsistent encore, mais dans le plus misérable état de dégradation. Tout ce qui pouvait servir d’ornement a disparu ; les pavés ont été enlevés ; les pierres du sanctuaire n’attendent que des acheteurs.

Ce monastère présentait un groupe imposant de bâtiments dans une vallée à l’entrée d’un bois étendu. Il était situé aux anciens confins de la Normandie, du Maine et de la Bretagne : d’après la division actuelle de la France, il se trouve encore à la frontière de trois départements, Manche, Ille-et-Vilaine et Mayenne.

Le besoin de signaler les cartulaires de Savigny que j’ai retrouvés, me force d’abréger les détails que je pourrais vous donner sur la liste des abbés de ce monastère, bien plus nombreuse que celles des autres, mêmes les plus anciens. On peut consulter celle qui se trouve dans le onzième volume du Gallia Christiana. [16]

Les quatorze premiers abbés s’occupèrent beaucoup des anciennes constructions, de l’organisation primitive et des règlements intérieurs. Il paraît qu’au temps de Vital et de son successeur, les religieux suivaient la règle de St Benoît. Serlon lui-même, qui leur fit prendre celle de Citeaux, avait été, ainsi que son prédécesseur, moine de Cerisy, et conséquemment bénédictin. Le changement ne fut introduit qu’en 1147 ou 1148.

En 1562, année où presque toutes les grandes églises de Normandie furent pillées par les calvinistes, l’abbaye de Savigny fut extrêmement maltraitée. Ils massacrèrent César de Brancas qui venait d’être nommé abbé, détruisirent l’orgue, brûlèrent la charpente de l’église, emportèrent les cloches et les vases sacrés qui étaient d’une grande richesse, et pillèrent le trésor. [17]

Claude du Bellay, abbé depuis 1588 jusqu’en 1609, s’occupa beaucoup à réparer les dommages considérables que l’église avait essuyés dans cette circonstance, et fit reconstruire une partie des bâtiments. En mourant, il légua de fortes sommes pour continuer ces travaux. Il fut inhumé dans l’église de Ste Catherine. [18] Son épitaphe, qu’on peut voir dans le Gallia Christiana, est une servile imitation de celle de Raoul de Thieuville, évêque d’Avranches, mort en 1292. Il est surprenant qu’au commencement du XVIIe siècle, à une époque où le goût de la bonne latinité dominait, où l’on écrivait, pour ainsi dire, mieux en latin qu’en français, on n’ait pas été tenté de faire une bonne épitaphe, et qu’on se soit contenté d’en singer platement une, que le temps seul de sa composition pouvait faire excuser. [19]

Ordéric Vital, moine de Saint-Évroult, historien presque contemporain de la fondation de Savigny, parle en termes magnifiques des puissants effets de l’éloquence du bienheureux Vital, premier abbé de ce monastère. Suivant cet auteur bien connu (et qui va le devenir encore davantage, grâces aux travaux de M. Louis Dubois et de mon excellent ami M. Auguste Le Prévost), [20] rien ne résistait à ses prédications : le peuple, les grands, les rois étaient également entraînés par son éloquence irrésistible ; une foule immense accourait pour l’entendre ; tout le monde se retirait touché ; tous se convertissaient. [21]

L’éloquence de Serlon, quatrième abbé, est également vantée par un historien contemporain [22] dont voici les paroles : In diebus illis praeerat in domo Savigniensi vir venerandus nomme Serlo, valde litteratus et cujus eloquium audientibus erat acceptabile super mel et favum.

Ne semble-t-il pas que cet auteur a voulu peindre un des derniers successeurs de Serlon, Massillon, abbé de Savigny depuis 1741 jusqu’en 1742 ? Je n’ai besoin que d’indiquer ce grand homme, il est au-dessus de tous les éloges. Aujourd’hui les sermons de Vital ne sont plus connus. Ceux de Serlon, recueillis par un savant religieux (D. Bertrand Tessier), seraient à peine lus par les plus infatigables amateurs du moyen âge, tandis que ceux de Massillon seront admirés aussi long-temps que le goût de la saine éloquence ne sera point éteint ; mais si l’avantage du mérite réel appartient incontestablement à l’évêque de Clermont, le succès des prédications n’est pas moins décisif en faveur de ceux qui le précédèrent dans le XIIe siècle comme abbés de Savigny. De leur temps l’Angleterre et la Normandie, après une longue suite de désastres, étaient rentrées dans l’ordre, mais les cœurs saignaient encore : St-Bernard, Vital et Serlon les trouvèrent retrempés par le malheur. Tous leurs auditeurs étaient disposés à sentir le besoin et à goûter les avantages de la religion.

Source :

Notes

[1] Ex Acherii spicilegio. tom. XIII, in 4°, P. 298.

[2] Neust. pia, p. 676. — Gall. Christ. XI, col. 541.

[3] Dans le huitième livre de son histoire ecclésiastique, Orderic donne particulièrement la vie du bienheureux Vital. Cette vie est insérée dans les Bollandistes, au 7 janvier.

[4] Instrum. dioc. Abrinc. col. 110.

[5] Cartulaire, p. VIe recto.

[6] Ibid. fol. X et XI.

[7] Ibid. p. XI.

[8] V. supr. p. 40.

[9] V. Neustria pia, p. 677.

[10] Gall. Christ, col. 544.

[11] C’est le nom que les auteurs du Gall. Christ. donnent à l’abbaye de Lessay, et certainement celle de Savigny le méritait bien davantage. — V. col. 920 : Basilicam inchoavit, Basilicam absolvit.

[12] Acherii spicil. tom. VIII, in 4°, p. 278.

[13] In aede Sanctae Catharinae nunc diruta. — Gall. Christ, col. 551.

[14] Ibid. Col. 547.

[15] Ibid.

[16] Col. 542 à 552.

[17] Gall. Christ., col. 550.

[18] Ibid col. 551.

[19] V. Gall. Christ. XI, col. 487 et 551.

[20] Directeur actuel de la société des Antiquaires de Normandie.

[21] Voir dans Orderic Vital, lib. VIII, apud. Duchesne, Normann. script. p. 715 et seq.

[22] Apud. Acherii spicileg. édit. in 4°, tom. X, p. 374.