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Reliques de saint Georges arrivées miraculeusement à Portbail, et miraculeusement transportées à Brix

Auteur : M. Couppey


Source :
Annuaire du Département de la Manche, Volume 15 - 1843 : Pages 168 à 170 (Histoire et Antiquités)


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oici une des légendes les plus anciennes concernant notre presqu’île. Don Lucas d’Achery, bénédictin de Saint-Maur, dont le Spicilége contient beaucoup de pièces curieuses, l’avait extraite des manuscrits de l’illustre abbaye de Fontenelle, dans la Haute-Normandie. Elle fait partie d’une vie du bienheureux Austrulphe, abbé de ce monastère, écrite en latin par un auteur qui s’exprime comme un contemporain des faits.

Vers le milieu du VIIIe siècle, un grand miracle arriva dans le district de Cherbourg, in pago Coriovallensi, pendant que le comte Richwin administrait ce pays. Sur le bord de mer, au lieu qu’on appelle Portbail (portus ballii), un jour de foire, le peuple assemblé vit arriver sur les flots, et se diriger vers le rivage une barque du milieu de laquelle s’élevait une petite tour, et cette barque s’arrêta devant la place même où la foire se tenait. La multitude, dans l’étonnement et l’admiration, n’osa y toucher et s’empressa d’informer de ce fait le comte et les principaux du clergé, qui se rendirent au lieu du miracle. S’approchant de près, avec une grande frayeur, mais avec une foi encore plus grande, ils virent, sur un des côtés de la tour, une petite porte scellée avec de la cire ; l’ayant ouverte, ils aperçurent, dans l’intérieur, un manuscrit des Evangiles sur de beau parchemin, d’un format élégant, écrit parfaitement en lettres romaines ; auprès du livre était une châsse dans laquelle ils trouvèrent une partie de la très-précieuse mâchoire du bienheureux Georges, martyr, avec d’autres reliques de divers saints et un morceau du bois de la vraie croix, le tout portant des inscriptions qui indiquaient la nature de chaque objet. Que faire de ces trésors ? où les déposer ? La question parut mériter qu’on en demandât la solution au ciel par des prières et des jeûnes, à la suite desquels il fut résolu qu’on attacherait deux vaches à une charrette sur laquelle la tour serait placée, qu’on laisserait ces animaux aller à leur gré, et qu’on bâtirait une église à l’endroit où ils s’arrêteraient. Les deux vaches, ainsi attachées, marchèrent par monts et par vaux, traversèrent les bois et les rivières dans un pays inégal d’où les routes romaines avaient disparu, et étaient remplacées par des sentiers étroits et difficiles ; elles s’arrêtèrent en un lieu qu’on appelait Bruce (Brucius) ; c’était alors le domaine d’un certain homme illustre. Tout le monde, clergé et laïques, qui avait accompagné la charrette, furent unanimement d’avis qu il fallait construire, en ce lieu même une église en l’honneur du bienheureux saint Georges, martyr, ce que le comte Richwin et les peuples qui lui étaient soumis exécutèrent sans retard. Deux autres églises furent bâties au même endroit, l’une en l’honneur de la sainte Vierge, l’autre en l’honneur de la sainte Croix. L’auteur de ce récit ajoute que, depuis cet événement et de son temps encore, il s’opérait une innombrable quantité de miracles dans ces trois saints édifices ; ce qui est surtout remarquable, c’est la description du lieu :

« Le village est situé sur le sommet aplati d’une haute montagne au midi de laquelle coule la rivière qu’on appelle Undva, qui en est éloignée de deux milles, plus ou moins. » Il est certain que cette topographie convient parfaitement au point culminant de la montagne de Brix, où est située l’église, et où se voient les ruines du château Adam. Le mot Undva est certainement celui de la rivière Douve qui coule à environ une demi-lieue de là. Peut-être que dans le manuscrit, maintenant anéanti vraisemblablement, le mot latinisé avait-il plus d’analogie encore avec le nom actuel de la rivière.

L’auteur de cette narration qui atteste avoir vu la tour miraculeuse, dit qu’elle était haute de huit pieds, et large de trois pieds dans sa plus grande largeur ; qu’elle était de forme carrée à sa base, diminuant progressivement jusqu’à son sommet terminé en pyramide et couronné d’une petite pomme. Dans l’intérieur, il vit proprement lambrissée, la chambre où avaient été trouvées les reliques dont jamais on ne connut l’origine.

Suivant nos informations, la commune de Brix ne conserve aucun monument de ce miracle ; le culte de saint Georges n’y existe point ; on ne voit sa statue ni dans l’église paroissiale dont la patronne est Notre-Dame, et qui est probablement l’église dédiée à la Vierge dont il a été parlé plus haut, ni dans la chapelle Saint-Jouvin, située sur la Douve aux limites de Sottevast ; elle n’existait pas non plus dans l’église du prieuré de La Luthumière, dont le propriétaire actuel nous a énuméré tous les saints qui en décoraient, avant la révolution, l’autel et les murailles. L’église dédiée à saint Georges ne pouvait être que celle du château de Brix. Ce saint, représenté de temps immémorial avec les attributs d’un chevalier armé de toutes pièces, qui perçait de sa lance un dragon monstrueux auprès duquel était une jeune fille qu’il s’apprêtait sans doute à dévorer, devait plaire aux belliqueux habitants de nos vieux châteaux. Orderic Vital, qu’il faut toujours étudier quand on veut connaître l’histoire de l’ancienne Normandie, parle au commencement de son livre VI de l’aumônier du comte d’Avranches, qui avait l’habitude de raconter éloquemment aux personnes de la maison de son seigneur les aventures merveilleuses de plusieurs saints qui avaient porté les armes, tels que Georges, Démétrius, Maurice, chef de la légion thébaine, Sébastien, enfin Eustache, dont l’histoire prodigieuse figure dans les cantiques de Marseille, si connus et si chantés dans nos campagnes. De ce château, dont l’histoire est obscure, il ne reste plus que de gros pans de murailles, couverts de lierre et d’arbrisseaux, et des souterrains ténébreux où l’on n’ose pas trop pénétrer, parce que maintes fois le manque d’air propre à la combustion y a éteint la lumière que portaient les curieux. M. de Gerville a prouvé que de ce lieu sortit une race de valeureux Normands, qui, après la Conquête de l’Angleterre , fut la souche des Bruce qui fournirent des Rois à l’Ecosse. [1] Le château fut probablement confisqué et détruit lorsque Philippe-Auguste, ayant réuni la Normandie à la France, exigea des seigneurs anglo-normands, propriétaires de fiefs dans les deux pays alors disjoints, d’opter pour les uns ou les autres, parce qu’ils ne pouvaient, selon les principes fondamentaux du droit féodal, servir deux maîtres à la fois. Si les pierres inanimées de ces débris informes pouvaient parler, elles révéleraient sans doute une foule d’événements ensevelis pour nous dans une nuit mystérieuse ; elles citeraient les noms de Guillaume-le-Bâtard et de ses enfants, ceux des Tancrède et des autres barons du Cotentin, les hauts faits des croisades et des guerres de l’Ecosse, peut-être une lutte opiniâtre et désespérée contre le Roi qui, armé d’une sentence de confiscation rendue par les pairs de France contre Jean-sans-Terre, assassin, rentrait en possession d’une belle province qui, pendant trois siècles, avait été détachée de la France.

Notes

[1] NDLR : Voir Claude PITHOIS
1980 - Brix, berceau des Rois d’Écosse - Editions Charles Corlet, Condé-sur-Noireau - Réédité en 2002 (Editions Charles Corlet, Condé-sur-Noireau).
1998 - De Normandie au trône d’Écosse : La saga des Bruce - Editions Charles Corlet, Condé-sur-Noireau - Réédité en 2002 (Editions Charles Corlet, Condé-sur-Noireau).