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Véritable origine du blason de Cherbourg


NDLR : texte de 1873 : voir source en bas de page.


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armoiries de Cherbourg
armoiries de Cherbourg

Monsieur Le Poupet, en s’excusant de la spécialité de son récit, commence en ces termes :

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epuis quelques années nos concitoyens, en voyant les armoiries de Cherbourg sculptées au fronton de nos monuments publics, se persuadaient que ce blason, constellé de monnaies d’or et d’étoiles, avait une origine industrielle, et dérivait de cette charte toute commerciale du roi-duc Richard II, intitulée De libertatibus concessis inhabitantibus villae de Cherbourg ; data apud Westminster, 22 novembre 1382, [1] et d’où est venue la tradition des pairs-à-barons de notre port. En se reportant aux plus savants recueils héraldiques des derniers siècles, les habitants de Cherbourg avaient vu que les trois besans d’or de leurs armes signifiaient la Richesse, et les étoiles de sable le Commerce, emblèmes qui convenaient bien à leur ville dont le négoce était très florissant au moyen-âge. [2] D’autres érudits, et notamment M. Canel, le savant auteur de l’Armorial des villes de Normandie, leur avaient déclaré, il y a peu d’années, que les besans étaient une allusion au commerce important de Cherbourg au moyen-âge, et les étoiles l’attribut d’un port de mer. [3]

Tel était l’état des convictions générales, lorsque, contrairement à la jurisprudence héraldique, M. Victor Le Sens est venu entreprendre de prouver aux descendants de ces pairs-à-barons si commerçants du vieux Cherbourg, que leurs besans et leurs étoiles n’avaient rien de commun avec le négoce et que, dans toutes ces figures, ils ne devaient voir que des symboles ecclésiastiques.

A cet effet, il est venu nous affirmer que les besans témoignaient de la présence de nos pères en Terre-Sainte, et que ces besans, disposés en triangle, étaient le symbole de la Trinité et l’expression du rachat des captifs ; que cet écusson portait trois étoiles parce que ces astres sont les ornements de la Sainte Vierge, appelée l’Etoile de la Mer. [4]

Tâchons de prouver que cette définition n’est pas classiquement héraldique, et que les trois besans, aussi bien que les trois étoiles, ont, en blason, une portée autre que le sens tout clérical que leur assigne notre estimable monographe.

Les besans, en effet, n’ont aucun rapport avec les Croisades ou la Sainte-Trinité ; ils sont simplement le symbole de la Richesse et de la Fortune. Pour nous en convaincre, ouvrons Wulson de la Colombière, qui dit : « Les besans représentent la Richesse, et leur figure ronde la Fortune, à cause de sa versatilité et inconstance. » Le même auteur ajoute qu’on donnait, de son temps, des besans pour armes aux financiers qu’on anoblissait. [5] Bouillet cite un grand nombre de familles nobles et roturières qui reçurent des besans dans leurs armes ; parmi ces dernières familles se trouvent des marchands, des procureurs, des greffiers, des receveurs de deniers qui avaient acquis des armoiries en 1697, au prix de 20 livres. [6] Voilà des textes et des précédents assez sûrs pour être invoqués en faveur du blason commercial d’une ville riche au moyen-âge par son négoce.

Cette opinion sur les besans se trouve confirmée par de nombreux exemples d’armoiries dans Segoing, Palliot, Lhermite, Blanchard [7] et le P. Goussancourt, religieux célestin. [8]

Trouve-t-on dans ces auteurs la moindre preuve que les besans sont une allusion à la Sainte-Trinité ?
Quant à la version des étoiles de sable, elle n’est pas plus héraldiquement fondée que celle des besans. Ouvrons de nouveau La Colombière et lisons ceci : « Lestoile est l’image de la Paix et elle est un symbole de la Prudence. » [9]. Segoing, de son côté, dit « Les estoiles nous représentent le bon et le mauvais destin. » [10] Le sable signifie Prudence et Constance dans les adversités. [11] L’azur dénote l’activité et les mers. [12]

Ces définitions ne s’appliquent-elles pas très bien au commerce maritime, dont l’exercice, suivant nos codes, nécessite la bonne foi, la prudence et l’honnêteté, et où le destin et la mer jouent un grand rôle ? Constatons qu’en France un grand nombre de corps de métiers ou de professions libérales avaient adopté, dans leurs sceaux et bannières, l’étoile ou le besan. Les médecins et chirurgiens d’Allanche, les marchands de Vic, les tisserands d’Issoire, ceux de Saint-Flour portaient des étoiles d’or ou de sable. Les médecins et apothicaires de Pierrefort avaient choisi les besans d’or. [13]

Nous ne pouvons découvrir dans ces citations aucune allusion à l’étoile de la mer, célébrée dans les litanies et dans nos textes sacrés. Nous trouvons, au contraire, dans les auteurs, que les étoiles et les besans étaient très usités dans les armoiries commerciales. Remarquons en particulier que l’étoile est d’une fréquence extrême dans l’héraldique. Les Bonaparte portaient des étoiles dans leur blason. [14]. Segoing et Palliot citent 85 familles protestantes qui avaient dans leurs armes, trois étoiles rangées sur une seule ligne, comme celles de Cherbourg. [15] Bouillet donne un grand nombre de noms de marchands, de procureurs, de bourgeois retirés des affaires, qui avaient obtenu en 1697 des étoiles dans leurs armoiries. [16]

Certainement, les étoiles des écussons adoptés par ces familles protestantes, ne pouvaient avoir aucune affinité avec la Sainte-Vierge et la Trinité.

Notons aussi que les étoiles ont été introduites après coup dans le blason de Cherbourg, et cela après 1697, puisque l’Armorial de d’Hozier, dressé en cette même année, ne mentionne que les trois besans et nullement les étoiles. [17]

Avant de terminer, reconnaissons que M. Le Sens, interprète des armoiries de notre ville, a été mu par un pieux enthousiasme et que, par cela même, il a été entraîné à voir, dans le blason de Cherbourg, une sainte origine de Croisades et une source céleste qui ne manque pas de poésie. Ce qui nous confirme dans cette persuasion, c’est la lettre que nous écrivait, le 19 novembre 1861, le savant auteur de l’Armorial de Normandie, que nous avions consulté sur ce modeste débat. « Je comprends que M. Victor Le Sens tienne à son idée, qui est poétique ; mais la poésie a peu de chose à démêler avec le blason, dans son origine surtout. »

Source :
Mémoires de la Société nationale académique de Cherbourg, Volume 11 (1873)
• Récits d’une soirée d’hiver dans la Hague, par M. de Pontaumont

Notes

[1] Thomas Carte. Catalogue des rolles gascons, normands et français, conservés dans la Tour de Londres.

[2] Froissart. Liv. I. part. 1. chap. CCLXVII.

[3] Canel, lieu cité, p. 25. - Bazan, Doutes sur l’origine cléricale du blason de Cherbourg.

[4] Mémoires de la Société Impériale Académique de Cherbourg, 1861, pages 304 et 307.

[5] De la science héroïque traitant de la noblesse et de l’origine des armes, par Marc de Wulson, sieur de la Colombière, gentilhomme ordinaire de la Maison du Roy, p. 156. Paris, 1644.

[6] Bouillet, Dictionnaire héraldique de l’Auvergne, p. 184, 185, 186 et 187.

[7] Eloge des présidents du Parlement.

[8] Le martyrologue des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem. Paris, MDCXLIII.
J’ai omis à dessein de citer ici Lachenaye-Desbois comme héraldiste compétent. En parlant du Dictionnaire de la noblesse de cet auteur, Quérard dit, dans sa France littéraire, T. 1, p. 110 : « Ouvrage peu estimé, mais dont les exemplaires sont rares, parce que la plus grande partie a été détruite pendant la Révolution. » Lachenaye publia en outre les ouvrages dont les titres suivent : De l’astrologue dans le puits. Dictionnaire des vins et liqueurs. Dictionnaire domestique portatif. Le parfait Cocher, dont le duc de Nevers, son patron, était on réalité l’auteur. Ces ouvrages sont si peu en rapport avec l’héraldique qu’il est difficile de prendre au sérieux Lachenaye-Desbois et son dictionnaire de noblesse qui était une œuvre de gratitude et de déférence pour la maison de Nevers et ses amis.

[9] Wulson de la Colombière, lieu cité, f° 364.

[10] La science héraldique du blason, p. 60, Paris. 1675. – et Le Trésor héraldique de Segoing, avocat du parlement au conseil du Roy. Paris, 1657, p. 41.

[11] La science héraldique du blason, p. 41.

[12] Le trophée d’armes héraldiques. Paris. 1671. La noblesse civile et chrétienne. Paris, 1645.

[13] Bouillet, Histoire des communautés des arts et métiers de l’Auvergne, planches n° 20, 22. 24. 25, 31 et 35.

[14] Borel d’Hauterive, Revue de la noblesse T. 1. p. 214.

[15] Segoing, lieu cité, f° 171.

[16] Bouillet. Dictionnaire héraldique de l’Auvergne.

[17] Bibliothèque impériale. Etat des armoiries, des personnes et des communes de la généralité de Caen, dressé par d’Hozier, pour êtes soumis au Roy, Cabinet des Titres, n° 388. - Canel, lieu cité, p. 24.
La ville de Cherbourg est mentionnée dans cet état comme ayant payé 40 livres pour enregistrement de ses armoiries. Un grand nombre de bourgeois avaient à la même époque obtenu, pour 20 livres, des armoiries très belles et très nobles. Parmi eux se trouvait un certain Floxel Cantel, bourgeois de Cherbourg, qui reçut de gueules à trois croix d’argent et un chef de même chargé de trois mouchetures d’hermines. (Cabinet des titres., f° 312). Cette concession d’armoiries ne conférait pas la noblesse dont les lettres patentes, à cette époque, se vendaient 6.000 livres, plus les deux sols pour livre. (Chérin, abrégé chronologique – et Cabinet historique, janvier, 1862. p. 21)