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Le château du Rozel



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Château du Rozel


Texte de 1899 (voir source en bas de page)

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e voyageur qui dirige ses pas du bourg de Bricquebec vers la côte occidentale du département de la Manche, traverse d’abord un pays d’aspect un peu sévère, mais vivifié par les senteurs marines, puis arrive enfin aux hauteurs couvertes de bruyères qui environnent les Pieux.

Là, son regard s’étend sur un vaste horizon : au loin, l’océan s’ouvre devant lui, tandis qu’à ses pieds une vallée verdoyante semble longer le rivage, depuis le Pou ou cap du Rozel, jusqu’au petit fort de Sciotot, où elle se termine au pied des hautes falaises, s’élevant vers le nord dans la direction de Flamanville.

C’est au centre de cette vallée et à un mille environ de la plage que se trouve le château du Rozel et le hameau qui l’environne, enfoui dans la verdure et les ombrages séculaires.

Le Bus, ruisseau dont le nom se rencontre fréquemment dans les vieilles chartes des monastères voisins, coule doucement entre les collines boisées qui contrastent avec l’aridité du rivage prochain ; il passe non loin du château, manoir d’aspect féodal. On reconnaît facilement dans celui-ci l’ancienne demeure modernisée, où naguère habitèrent les barons normands, seigneurs du lieu.

Ces derniers portaient le nom du Rozel, encore illustre en France et surtout en Angleterre. Une branche des du Rozel se fixa de l’autre côté du détroit, après la conquête et devint la branche des Russel. Quant au nom français des Rozel, il subsiste en Basse-Normandie. [1]

Ce nom de Rozel, que porte le cap aussi bien que le château et la famille qui le posséda originairement, paraît de la plus ancienne origine.

Une histoire anglaise de la famille Russel dit qu’il leur fut assigné par les premiers étrangers établis en Neustrie. En effet, suivant Roquefort, Rozel signifie une tour ou un promontoire hardi au bord de l’eau, le mot étant composé de roz, tour du jeu d’échecs, et el qui veut dire eau.

Situé dans l’ancienne baronnie de Bricquebec, le château du Rozel, d’après certains auteurs, était connu et habité dès l’an 1012. Mais comme il n’est pas de charte qui en fasse mention avant 1066, nous pouvons reporter à cette date lointaine le premier souvenir authentique se rattachant aux seigneurs du Rozel. Selon l’auteur de l’Histoire militaire des Bocains, le château, aussi bien que la terre du Rozel, étaient une portion de leur apanage comme branche cadette des Bertrand, barons de Bricquebec. Le chef de cette maison prenait le titre de sire et premier baron du Bocage ; on le regardait comme inférieur seulement au baron de Saint-Sauveur, qui porta dans la suite le titre de vicomte de la Manche.

Le château est situé sur une petite éminence ; il est entouré de chênes et de châtaigniers séculaires. A l’angle occidental, s’élève une tourelle de pittoresque aspect. Un mur crénelé, couronné de lierre, l’environne et, du côté de la mer, donne, entre deux tours, accès à une cour intérieure. Tout cet ensemble a grand air et fait honneur à celui qui l’a restauré, car, à la Révolution, il avait été presque détruit sur l’ordre de Carpentier, représentant de la commune dans le département de la Manche. Seules, les deux tours à moitié ruinées sont restées témoins de cet acte de vandalisme. Quant à l’ancienne terrasse, également démolie à la même époque, il n’en reste plus trace.

On arrive au château par une chaussée qui longe le Bus. Le ruisseau est étroit ; il coule pur et limpide entre deux rideaux d’aulnes et de roseaux. C’est sans doute cette circonstance coïncidant avec le nom de la famille du Rozel qui fit prendre, comme armes, à une branche de cette maison : d’argent aux trois roseaux de sinople fleuri de sable 2 et 2. Ainsi blasonnaient du moins les du Rozel [2] qui, en 1204, firent hommage du fief à Philippe-Auguste.

Le ruisseau, au-dessus du manoir et dans la direction des Pieux, fraye sa route entre deux rangées de collines, couvertes tantôt de bruyères brunes à fleurs pourprées, tantôt d’arbres d’une végétation luxuriante. Du sommet de ces hauteurs on aperçoit les ruines du moulin du Rozel, le même sans doute que Jourdain Russel, seigneur de Barneville, appelait « molendinum Buys », dans une charte du XIIe siècle par laquelle il confère au prieuré de la Taille l’église de Saint-Pierre du Rozel [3] comme apanage. C’est sans doute aussi ce moulin qui devait fournir les six mesures de farine que Lucie du Rozel légua, en 1222, comme don annuel à l’église de Coutances.

Ce moulin, qui est tout proche du château, en dépend toujours ; il a été transformé en ferme, mais a conservé son cachet d’ancienneté et donne une note très pittoresque à cette partie du domaine.

C’est un devoir pour nous, en terminant cette notice, d’adresser nos remerciements à M. le comte de Courtivron, propriétaire actuel du château du Rozel. M. de Courtivron nous a procuré, notamment sur la famille du Rozel, qui est la sienne par alliance, les renseignements les plus complets et les plus intéressants. Ajoutons que le château du Rozel n’a pas cessé d’appartenir à la même famille depuis l’époque reculée à laquelle nous avons pu faire remonter cette notice ; c’est là un fait assez rare et qui mérite d’être signalé.
            P. de Longuemare.

Source :
La Normandie monumentale et pittoresque, édifices publics, églises, châteaux, manoirs, etc.
• La Manche : 2eme partie, date d’édition : 1899 - pages 61 et 62

Notes

[1] Les du Rozel de Saint-Germain habitent, près de Condé-sur-Noireau, le château de Saint-Germain-du-Crioult.

[2] La branche bas-normande, par un jeu de mots analogue, porte de gueules aux trois roses d’argent 2 et 1.

[3] NDLR : voir photo sur wikipedia