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Les BAZAN de Flamanville

Le Chevalier de Flamanville, avec notes généalogiques et historiques


NDLR : texte de 1921, voir source en bas de page [1]


Au nord du Cotentin, sur le sommet du plateau granitique de Flamanville, dominant l’Océan, et qui, dentelé sous l’effort incessant des vagues, coupé de cavités sonores et mystérieuses, couvert d’une végétation de landes et chargé de monuments druidiques, semble un îlot breton encastré, avec ses falaises rudes et tout le tragique de son horizon, dans les molles et grasses prairies normandes, près d’un village qu’il protège, se dresse un château [2] de belle apparence, bâti à la mode du XVIIe siècle, au fond d’un parc à l’harmonieux dessin.

Ce fut la demeure des seigneurs de Flamanville, reconstruite par le plus célèbre d’entre eux, Hervé Bazan, [3] vers l’année 1655, après que Louis XIV en le créant marquis, de baron qu’il était, le garde des Sceaux Mathieu Molé, en lui donnant sa petite-fille pour femme, l’eurent élevé à l’apogée de la faveur et de la fortune.

L’histoire de sa famille, mêlée à toutes les guerres qui secouèrent durant des siècles le duché de Normandie, est pleine d’intérêt et mériterait de tenter un écrivain de plus vaste envergure qu’un érudit local. D’origine espagnole, le premier qui fit parler d’elle en France, fut Colin Bazan, fils de Robert, marié en 1375 avec la pupille du roi de Navarre, Jeanne de Gatheville, et dont la noblesse fut reconnue par lettres patentes du mois de février 1391. Il acheta le 7 mars 1406 et moyennant 1200 écus d’or de l’abbé mitré de Blanchelande, le fief de Flamanville, qui, dès l’an mil, avait fait partie du douaire de Judith de Bretagne, femme du duc Richard II. L’acte fut passé devant messire Jehan Breton, garde du scel des obligations de la vicomté de Coutances, il y était déclaré que les titres primitifs du fief avaient été détruits par les Anglais lors d’une incursion en Cotentin.

Dès lors, ce nom méridional de Bazan retentit constamment dans les luttes soutenues contre les Anglais durant toute la guerre de cent ans ; il devint synonyme de hardiesse et de vaillance et les fiers seigneurs normands, comme les Renty, les Beaumont, les Beuzeville, les d’Argouges, se disputèrent l’honneur de ses alliances.

Déjà Guillaume Bazan, gentilhomme de la chambre du roi Henri IV, chevalier de l’ordre de Saint-Michel, était l’un des personnages les plus considérables de sa province. Louis XIII, en août 1610, érigea sa seigneurie en baronnie et le gratifia d’une compagnie dans le régiment de Piémont infanterie ; il dut même en 1639, le gracier de la peine capitale que cet intrépide combattant avait encourue à soixante-quinze ans, pour avoir tué en duel le sire de Vaudricourt. En 1640 le délégué chargé d’établir le rôle de la noblesse du Cotentin rédigeait sur lui cette fiche retrouvée à la Bibliothèque Nationale : « Messire Guillaume Bazan, chevallier, sieur de Flamanville, est fort ancien, a esté homme de probitté, riche de vingt mille livres de rentes. »

Il avait épousé en 1596 Gabrielle de Renty qui lui donna Hervé ; veuf et sans enfant de Jeanne d’Argouges, épousée en 1634. Hervé se remaria en 1652 avec Agnès Molé, petite-fille du fameux garde des sceaux, qui lui apporta une dot princière.

Il était alors possesseur de la charge de Grand bailli du Cotentin, acquise 25.000 livres le 29 juillet 1643. Ce titre ne suffisait plus à son ambition, en mars 1654 il obtenait du Roi l’érection en marquisat de sa baronnie.

Les lettres patentes, conservées avec les manuscrits de Mangon dans la bibliothèque de la ville de Grenoble en Dauphiné, portaient que... Louis XIV avait accédé à ce désir parce que : « informé des grands, signalés et recommandables services rendus à la Couronne par notre très cher et féal chevalier Hervé Bazan, baron de Flamanville, bailly de nostre pays de Cotentin, tant en la dite charge qu’en toutes les occasions qui se sont présentées pour nostre service, tant dedans que dehorz le royaume, spécialement en Hollande dans les troupes françaises en qualité de volontaire, dans les troupes de cavalerie et infanterie es siège de Saint-Jean d’Angély, Clérac, Montauban, Montlhuc, la Rochelle, et en l’Isle de Ré à la défaite des Anglois où il avoit été blessé, Corbie et autres occasions, et que Jean Bazan, chevalier de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, avait été tué dans le gallion de Malthe lors de la bataille navale de la Rochelle, et Guillaume Bazan, Capitaine au régiment de Piémont, frère du dit Sr Bazan, baron de Flamanville avoit aussi esté tué à la bataille de Sedan, commandant les enfants perdus de nostre armée et que plusieurs autres de ses prédécesseurs servirent au service des Rois, nos prédécesseurs en plusieurs occasions où ils ont signalé, au prix de leur vie, leur courage et fidellité pour les biens et grandeur de ceste couronne : ce qu’ayant considéré et l’ancienne extraction et noblesse de la famille de Bazan, en notre province de Normandie... »

Sous la hautaine signature de Louis, le beau-père du nouveau marquis apposa la sienne, non sans valeur, puis le parchemin fut scellé d’un grand sceau de cire verte sur lacs de soie rouge et verte.

Dès le printemps de cette année 1654 Hervé Bazan fit démolir son vieux château féodal, trop peu en harmonie avec les splendides constructions du grand siècle et ses goûts fastueux et reconstruire sur son emplacement une grandiose demeure, digne des fleurons de sa nouvelle couronne, digne de sa fonction et aussi de la richesse des Molé.

Dans l’espace de trois années les constructions tout en granit de la côte, furent achevées, soit le Château avec la cour d’honneur, le bâtiment central et les deux pavillons saillants, élevés d’un seul étage avec leur double escalier, la chapelle, les beffrois ; tout autour, des jardins à la française étendirent la symétrie de leurs allées, le miroir de leurs pièces d’eau, le mystère des bosquets taillés.

Le marquis de Flamanville jouit peu de cette merveille qu’il commença d’habiter au mois de mai 1652, après y avoir donné une fête d’inauguration ayant fait époque dans les souvenirs des assistants. Il mourut en 1666 laissant quatre fils :

Charles-Mathieu, qui fut lieutenant des gendarmes du Roi et tué en 1693 à la bataille de Mantaille. Jean-Hervé, qui mourut en 1721, Evêque de Perpignan. Edouard-Nicolas, devenu Commandeur de Malte.

L’aîné Jean-René, succéda à son père, dans ses titres seigneuriaux de Marquis de Flamanville, Tréauville, Siouville et les Pieux. Suivant l’exemple paternel il chercha sa femme dans une famille de la noblesse de robe en épousant, sur le tard, en 1703 Marie-Anne le Camus, fille du premier Président de la Cour des Aides.

Soldat, comme tous les siens, il fut successivement sous-lieutenant des gendarmes écossais, en 1676, capitaine-lieutenant des gendarmes de Bourgogne en 1683, brigadier de cavalerie légère en 1696, maréchal de camp en 1702 ; il atteignit le plus haut degré de la hiérarchie militaire le 26 octobre 1704, lorsqu’il fut élevé au grade de lieutenant-général des armées du Roi.

Il mourut, vers 1715 ne laissant qu’un fils mineur, Jean-Jacques, marié dans la suite à Françoise Bonaventure de Mauconvenant de Sainte-Suzanne.

Sur ce Bazan peu de détails sont connus ; sa vie se passa à Paris, assez obscure ; le flambeau de la famille avait brillé de trop éclatantes lueurs avec Hervé et ses quatre fils, pour continuer encore longtemps à éblouir les générations. Homme violent et autoritaire ce fut lui qui eut la première idée de l’établissement du port de Diélette ; mais, comme il obligeait ses vassaux à prendre part aux travaux, chacun à son tour et par corvée, ceux-ci se révoltèrent et il y eut sur la côte des tumultes considérables dont il finit par être victime. Rappelé à Paris, le marquis de Flamanville reçut du Roi défense d’en sortir et il y mourut en 1752. Il n’eut qu’une fille Marie-Jeanne-Françoise-Elisabeth, marquise de Flamanville née en 1732.

Toute jeune encore, elle avait à peine quinze ans, elle fut mariée à un gentilhomme normand de son âge, pour être né au château de la Pinterie, près de Lisieux, le 5 décembre 1731. C’était Jean-Joseph Le Conte de Nonant, marquis de Raray, vicomte de Fauguernon, baron d’Angerville, premier cornette des chevaux-légers de la Reine.

Le mariage eut lieu le 14 mars 1747 à Paris où les Bazan avaient leur principal domicile.

La famille à laquelle un mariage apportait les titres et la fortune de la dernière des Bazan pouvait légitimement s’allier avec elle car elle comptait parmi les plus nobles et les plus anciennes de Normandie, avec de brillantes alliances et de hauts faits d’armes, portant comme blason : d’azur au chevron d’argent accompagné de 3 besants d’or.

Le premier connu était Colinet Le Conte, connétable de Navarre, vivant vers la fin du XIIIe siècle ; son fils Gilbert était en 1317 seigneur de Cernières et de Harel.

D’assez bonne heure la famille se divisa en cinq branches dont les membres obtinrent tous des situations enviables.

Celle de seigneurs de Cernières, Blanc buisson, Champdolent, le Mesnil-Froget, Aspremont, barons de Nonant, eut pour dernier représentant Pomponne-François Le Conte, marquis de Nonant, baron de Beaumesnil, lieutenant pour le Roy au gouvernement des baillages d’Évreux et d’Alençon, mestre de camp d’un régiment de cavalerie, qui mourut en 1654 à vingt ans, sans postérité.

La deuxième branche, des seigneurs de Brucourt, Villers, Durescu, Marquis de Fontain, Bretoncelles, Néry, Raray et Pierrecourt se divisa elle-même en trois rameaux.

Le premier prit fin sur l’échafaud révolutionnaire en la personne de Félix-Prosper Le Conte de Nonant-Bretoncelles, né en 1725, page de la petite écurie du Roy, Officier de carabinier, qui entré dans l’Ordre de Saint-Bruno, était en 93 Prieur du Couvent de Paris.

Notre jeune époux appartenait au second.

Le troisième s’éteignit de bonne heure dans la famille picarde des Saint-Delys.

Les deux dernières branches furent celles des Seigneurs de Saint-Aubin et des Comtes de Gisay.

Ce fut le rameau du mari de Mlle de Bazan qui fut le plus glorieux pour la famille : Il se détacha du tronc généalogique avec Félix Le Conte, deuxième fils, de Louis Le Conte seigneur de Villers, Malou, chevalier des ordres du Roy, gentilhomme de sa chambre, capitaine-enseigne de la Compagnie de cent hommes d’armes des ordonnances royales. Ce Félix épousa Françoise Anquetil le 14 décembre 1633 et en eut un fils Louis-Jacques qui, de Françoise de Mire, dame de la Pinterie, dont le château de ce nom, devint dès lors la résidence de la famille, eut deux enfants : Louis-François, des marquis de Pierrecourt et Jean-François.

Jean-François épousa à Paris le 26 février 1696 Marie-Lucie de Lancy, fille unique du marquis de Raray. Cette terre de Raray en Valois avait été érigée en marquisat par lettres parentes du mois de janvier 1634 en faveur de Henri de Lancy, grand-père de Mme de Nonant. Les deux époux parvinrent à un âge avancé et laissèrent trois enfants : le comte de Pierrecourt qui épousa la comtesse Vickaa, dont il n’eut pas de postérité ; le comte de Raray qui de Catherine de Comesfort n’eut qu’une fille : la marquise de Savigny ; enfin François Louis, dit le marquis de Néry. Né en 1697, il épousa le 11 mars 1731 Josèphe-Louise Le Chevalier d’Anphernel ; ce fut leur fils unique, Jean-Joseph, âgé de huit ans au moment de la mort de son père, en 1737, qui devint par son mariage avec Mlle Bazan, marquis de Flamanville.

Il est permis de supposer que leur union fut pareille à celle des jeunes nobles de cette période de l’histoire, pleine du dédain de ce que une mode bourgeoise appelait le bonheur conjugal. Dans ce dix-huitième siècle, brillant et libertin, cette paix du foyer n’était pas plus à sa place dans les châteaux comme à la cour, que les jeunes nobles dans les terres familiales.

Tous les mémoires de l’époque, les correspondances nous renseignent suffisamment sur l’état d’esprit et de cœur de la jeunesse dorée, qui savait d’ailleurs bien mourir, mais qui, lorsqu’elle ne menait pas dans les camps la rude vie de bataille, préférait à la chambre nuptiale le boudoir d’une Poisson ou les plaisirs épicés du Palais-Royal.

M. de Raray ne fut ni meilleur ni plus mauvais que ses pairs. Administrateur déplorable de ses affaires, il n’était pas marié depuis trois années qu’il avait été obligé,, pour réparer des pertes atteignant cent mille écus, de vendre ses terres de Raray, où sa mère était morte en 1743, et de Néry.

Dès 1750 il ne possédait plus que la baronnie de Fauguernon et le manoir de la Pinterie. Flamanville, plus somptueux et qui faisait plus d’honneur au jeune marquis fut choisi comme résidence ; les deux époux s’en vinrent l’habiter à la fin de cette année 1750.

Dans ce domaine où tous les luxes étaient possibles, mais dont le pittoresque du décor, avec les falaises sauvages de Diélette et la mer toujours agitée berceuse des rêves, devait en faire oublier les jouissances. Mme de Raray put espérer garder son mari.

Bientôt cette espérance devint une réalité, car il leur naquit un fils le 2 novembre 1751.

Le nouveau-né fut immédiatement baptisé dans la petite église du village bâtie en 1668, grâce aux libéralités d’Hervé Bazan, et qu’avait consacrée un acte de l’évêque de Coutances, Loménie de Brienne, daté du 1er décembre 1670.

Sa marraine, qui fut sa grand’mère maternelle, lui donna les prénoms de Marie-Bonaventure-Jean-Joseph Augustin ; à la cérémonie assistèrent le père et le grand-père qui signèrent sur le registre des baptistères ; l’abbé Louis, curé, clôtura l’acte.

Mme de Raray, lorsque le cortège revint au château, se crut assurée de la définitive conquête de son mari, fier d’avoir un fils au sortir à peine de l’adolescence.

Mais, parmi tous les beaux rêves d’avenir permis à une mère, elle ne fit sûrement pas le seul qui devait se réaliser. Plus que les marquis de Raray, barons de Fauguernon ses prédécesseurs paternels, plus que par les richesses et par les hauts faits des Bazan, ses aïeux maternels, il acquit la renommée à sa famille en prenant lui-même place dans l’histoire littéraire, à côté du marquis de Girardin, de Lord Davenport, de Mme Boy de la Tour, dont les noms sont unis à celui de Jean Jacques Rousseau, pour avoir été les hôtes du grand écrivain.

Au voyageur qui visite pour la première fois le coquet village de Flamanville et qui, les yeux encore éblouis des beautés du château, revient sur la place de l’Eglise, le guide n’omet pas de montrer à l’angle du mur du parc, proche le calvaire, un petit pavillon octogonal, prenant jour sur tous ses côtés, ouvert sur la place et couronné d’une galerie ajourée de briques, et de lui apprendre : « Voici le pavillon que le dernier seigneur de Flamanville avait fait construire pour Jean Jacques Rousseau, lorsque pour fuir Paris, il lui avait promis de choisir comme refuge notre Normandie. » Et le guide d’ajouter : « Dommage qu’il ne soit point venu, quel honneur pour le pays, et quel profit, puisque tous les visiteurs de Flamanville sont déjà curieux de contempler la maison où il a failli habiter... »

La légende et l’histoire littéraire sont, en effet, d’accord pour reconnaître qu’il fut un moment question pour Rousseau d’accepter au mois de juin 1778, l’hospitalité que lui offrait le possesseur de Flamanville, avec lequel il avait d’étroites relations basées sur une estime confiante de la part du philosophe, sur une respectueuse admiration de la part du châtelain normand......

Ce lien entre Rousseau et l’un des leurs n’avait pas laissé indifférents les érudits normands. Le premier, Ragonde, régent du Collège de Cherbourg écrivait dans les Mémoires de la Société académique de Cherbourg en l’année 1833 et à propos des monuments celtiques de la commune de Flamanville : « Dans le dernier siècle cette Commune pensa devenir la retraite de J.-J. Rousseau et si la proposition de M. de Montmorency ne l’eut pas emporté sur celle du marquis de Flamanville, le séjour d’un grand homme aurait imprimé à ces lieux un tel caractère d’intérêt que je ne serais pas aujourd’hui le premier, à écrire quelques lignes sur des monuments dont l’existence nous rappelle un peuple qui vivait dans nos contrées voici plus de deux mille ans. »

Plus tard, dans l’Annuaire du Département de la Manche, de l’année 1860, un antiquaire de Normandie, Alexis Géhin de Vérusmor sous le titre : Le Domaine seigneurial et le Château de Flamanville, après quelques détails sur les Bazan et leurs successeurs, arrivant à Marie-Bonaventure-Jean-Joseph-Augustin, et s’inspirant de l’article de Corancez, suffisamment clair pour un écrivain au courant des généalogies normandes écrit : « Il termina ses jours à Lyon, dans les derniers mois de l’année 1778 ou au commencement de 1779. Selon les uns, il fut emporté par la petite vérole, selon les autres, et cette dernière version est la plus probable, il se brûla la cervelle. C’est lui qui comptant avoir l’honneur d’être l’hôte de J.-J. Rousseau, fit bâtir, pour loger l’auteur de l’Emile, le petit pavillon circulaire qui existe encore à l’extrémité du parc de Flamanville, près du village et qui porte le nom du grand écrivain qui ne vint point l’habiter. »

La bibliographie normande comprend encore bien des auteurs, ayant fait allusion à ce détail de l’histoire littéraire du XVIIIe siècle. Depuis Hip. Vallée, Cherbourg et ses environs, 1839, jusqu’à Arduin-Dumazet (Voyages en France), t. 6 et de Longuemare (la Normandie Monumentale, 1899). — En 1873 un Officier de marine, M. H. Jouan, écrivait dans ses Trois semaines de vacances dans le canton des Pieux : « On sait aussi que le château a failli avoir de la célébrité par la résidence de J.-J. Rousseau, pour lequel le marquis de Flamanville avait fait bâtir le pavillon que l’on voit à l’angle du parc sur la place de l’église. Mais le grincheux philosophe aurait été très malheureux si il n’avait plus vécu près de ce Paris où pourtant il se disait persécuté. Il faut convenir aussi qu’il aurait été bien mal logé dans cette petite tour. »

Pour clore, en 1877, M. de Pontaumont, Président de la Société académique de Cherbourg, qui avait paru ignorer l’épisode lors, qu’il avait publié dans le 22e tome des mémoires des Antiquaires de Normandie ses Notes historiques et archéologiques sur Flamanville, dans ses Olim de l’arrondissement de Cherbourg, p. 13, tint à y faire ainsi allusion : « On remarque dans le parc du château de Flamanville un pavillon solitaire qui avait été construit vers 1756 pour recevoir J.-J. Rousseau qui composait alors son roman de La Nouvelle Héloise. Rousseau ne l’habita point et accepta à cette époque l’hospitalité de Mmes d’Houdetot et d’Epinay dans la vallée de Montmorency. Etrange manie des gens de qualité de cette époque qui se disputaient un homme grossier et misanthrope dont les écrits tendaient à bouleverser l’ordre social ! »

Les documents sont malheureusement très rares sur ce Flamanville qui semble avoir été une de ces natures ardentes et passionnées, un de ces esprits ouverts mais faussés, comme l’aurore de la Révolution en vit éclore dans tous les milieux. Il eut été plein d’intérêt de le suivre de près dans sa courte carrière, mieux qu’avec de secs documents d’archives, car les quelques aperçus sur son intimité sont singulièrement captivants. Mais les papiers de sa famille se sont dissipés au vent des enchères ; en restait-il d’ailleurs encore beaucoup après l’incendie qui dévasta en 1870 le château de Malou où résidaient ses héritiers ?

Ses parents, après sa naissance, quittèrent Flamanville ; la nostalgie de Paris avait repris le marquis de Raray, puis l’Hôtel Molé, où le jeune ménage habitait, paroisse Saint-Eustache, était plus au centre de la vie qu’il aimait mener que le manoir normand des Bazan. C’est là que le 18 juin 1754 une fille leur naquit, à laquelle furent données les prénoms de Monique-Sophie-Louise.

Entre temps Mme de Raray avait perdu son père le 28 novembre 1752 ; il fut enseveli dans le caveau des Molé, vis-à-vis l’autel de saint Jean, dans l’église Sainte-Croix de la Bretonnerie.

On était alors en pleine guerre de sept ans : M. de Raray, officier de cavalerie, comme tous ses prédécesseurs, y prit une part active : il fut même si grièvement blessé en 1759, à la bataille de Minden, où le maréchal de Contades fut battu par Brunswick, qu’il fut obligé de quitter le service avec le grade de lieutenant-colonel. Mais il resta à Paris : c’est là qu’il y perdit sa femme, le 12 avril 1761, à peine âgée de trente ans, frappée de ce mal mystérieux dont mouraient jeunes la plupart des membres de sa famille.

Elle avait testé le 15 mars précédent et fait des legs considérables aux pauvres des paroisses de Flamanville, Beaubigny, Tréauville et les Pieux, ainsi qu’à M. Villerval, précepteur de son fils. Elle recommandait sa fille, qui avait à peine sept ans, à la Présidente de Briçonnet et son fils au marquis de Pierrecourt, auquel de doubles liens d’amitié et de parenté l’unissaient.

Son corps fut inhumé à côté de celui de son père dans la même église de Sainte-Croix de la Bretonnerie. Le nom des Bazan, après plus de cinq siècles de gloire, était définitivement éteint.

Après ce deuil, le marquis de Raray quitta Paris et s’en fut résider dans son château de la Pinterie, à moins d’une lieue de Lisieux.

Son veuvage fut de courte durée : un an à peine la mort de sa femme, il s’éprit des charmes juvéniles d’une petite pensionnaire du couvent des Ursulines de Lisieux, âgée de seize ans, qu’il épousa dans la chapelle de sa maison, après une publication de bans de vingt-quatre heures, le 3 mai 1762. Elle répondait aux prénoms impériaux de Reine-Victoire et était fille unique de Messire Jacques-Henri de Durcet, seigneur de Saint-Arnoult-les-Bois et baron de Poncé, diocèse de Chartres, et de Marie-Charlotte de Terragon de Fontenay.

Le mariage eut lieu en présence de Antoine de Barbaroux, capitaine d’infanterie, chevalier de Saint-Louis et de Marie-Madeleine de Bonnechose, son épouse, représentant les parents de la mariée qui n’avaient pas jugé bon de se déranger.

Dès lors M. de Raray était devenu un parfait gentilhomme campagnard, aimant la vie champêtre dans ce beau cadre normand qu’est la vallée d’Auge, goûté de la noblesse locale toujours sensible à son prestige. Puis la Pinterie était un domaine personnel, et rapproché de la demeure de ses parents les Nonant-Pierrecourt, qui vivaient au château de Malou, près d’Evreux.

Sa femme lui donna un fils le 21 février 1765 ; tenu sur les fonds baptismaux par Messire Alexis-Bernard Le Conte, marquis de Pierrecourt, et par Antoinette de Tarragon, veuve d’Henri de Durcet, sa grand’mère ; il reçut les prénoms de Joseph-Antoine Alexis.

L’année suivante, 1766, M. de Raray, qui n’avait pu se guérir de ses blessures allemandes et avait traîné depuis sept années un corps malade et un cerveau affaibli, finit par perdre la raison et dut être interné dans l’asile de Villejuif. Un administrateur fut donné à ses biens dans la personne de M. Boudard, receveur des deniers de l’Evêché de Lisieux. Dès lors il disparaît de la scène du monde.

Son fils aîné Marie-Bonaventure-Jean-Joseph-Augustin avait peu connu les douceurs familiales : privé de sa mère par la mort, de son père par la folie, vivant chez son tuteur le marquis de Pierrecourt à Malou, avec de courts séjours à Flamanville, dont la solitude en face de l’océan devait peser à son âme tendre ou exacerber la névrose paternelle dont son être était empreigne, il était prêt à tous les enthousiasmes, comme à tous les désespoirs. Point final d’une race trop ancienne pour être forte, il était trop délicat pour résister au furieux galop du siècle finissant, mais sa nature devait pourtant le jeter dans la course. Il ne pouvait que s’y briser.

Comme son père il fut officier : sous-lieutenant au régiment de Foix le 12 mai 1770, enseigne à piques aux Gardes françaises le 28 février 1772 ; il se fit recevoir chevalier non profès de l’ordre de Malte, puis le 7 juin 1776 chevalier d’honneur. Déjà depuis 1775 il avait quitté le service.

Vers cette époque, résidant à Paris, ses relations s’établirent avec Jean-Jacques Rousseau. Le chevalier de Flamanville, sensible et exalté, devait s’éprendre du philosophe dont la vie passionnée et les malheurs avaient fait, pour les précurseurs frivoles et inconscients de 93, une manière de héros de roman : le Saint-Preux de La Nouvelle-Héloïse. Puis, tout son extérieur, malgré ses efforts pour imposer sa solitude et exagérer son hypocondrie, était attirant : ses yeux pleins de flammes, sa voix qui savait devenir prenante, son geste instinctivement fraternel, forçaient la sympathie. Ce fut un des charmes de Rousseau, au déclin de sa vie, d’amener à lui l’affection spontanée et désintéressée des jeunes gens qu’un romantisme obscur tourmentait déjà, comme M. de Rosières, comme Jean Eymard ; et cette affection du chevalier de Flamanville était si complète qu’elle lui faisait répandre des larmes sur les infortunes de l’auteur des « Confessions ».

Il est dommage que jusqu’à ce jour leurs rapports soient peu connus ; ils seraient pleins d instructions sur les derniers mois du philosophe qui, contre son habitude, montrait toute confiance à son correspondant.

Par convention de famille, M. de Flamanville devait épouser sa cousine Cécile-Rose, fille du marquis de Pierrecourt, née le 24 août 1767. A cette époque les onze printemps de la demoiselle en auraient fait une trop jeune épousée ; Jean-Jacques venait de mourir au mois de juillet précédent, en octobre 1778. M. de Flamanville partit pour l’Italie. Mais, en revenant de Rome, comme il séjournait à Lyon, il y tomba malade et tout nous fait croire Corancez lorsqu’il ajoute que ce fut de la petite vérole. Bien que soigné à l’Hôtel du Parc, place des Terreaux, par un médecin connu, le docteur Antoine Raste, agrégé du Collège de Médecine, il dut s’aliter et mourut bientôt, le dimanche 31 janvier 1779.

Son obiit fut ainsi dressé sous le n° 807 E du registre de catholicité (ce qui prouve qu’il ne se suicida point). « M. Marie-Jean-Joseph-Bonaventure-Augustin Le Conte Denonan de Pierrecourt de Raray, marquis de Flamanville et chevalier d’honneur de l’Ordre de Malte, âgé d’environ vingt-sept ans, décédé d’hier à l’hôtel du Parc, a été inhumé par moi vicaire soussigné, ce premier février 1779 en présence des Sieurs Antoine Ratton, diacre et Saint-Joseph Guillot, clerc tonsuré. »

Le 24 janvier, en présence de sept témoins pris parmi les familiers de l’hôtel ou ses médecins, le docteur Raste, Jean Dufour, chirurgien, il avait dicté son testament à Messire Louis Barond, avocat au Parlement et notaire de la ville de Lyon. La maladie ne l’empêcha pas de le signer. Après avoir imploré la miséricorde divine, songeant d’abord à sa maison, il avait constitué diverses rentes viagères à Jean, Jean-Marie, Lajoye et Colin, ses quatre domestiques ; à son cocher une pension de quatre cents livres, à Lemoine, son chasseur, une pension de deux cents livres. Il avait offert un diamant qu’il portait au cou au comte de Balloy, son ami, une bague au chevalier de Prunelay, autre compagnon de sa vie parisienne, et institué son frère légataire universel, voulant que tous ses biens et que tout ce qu’il peut laisser par acte de dernière volonté, suivant la disposition des coutumes où ses immeubles sont situés, lui arrivent et appartiennent de plein droit.

Enfin, il avait institué le marquis de Pierrecourt son exécuteur testamentaire ; sa dernière pensée avait été pour sa jeune fiancée. Il priait son père « d’accepter la croix en diamant qu’il portait actuellement et de la faire monter à l’usage de Mademoiselle de Pierrecourt, sa fille. »

Ayant réglé ses intérêts temporels, après avoir reçu les secours d’une religion qu’il n’avait point abandonnée et que lui apporta Messire Demeaux, curé de la paroisse Saint-Pierre et Saint-Saturnin, il s’endormit de son dernier sommeil, bien loin de son pays natal, isolé des siens, entouré d’étrangers. Peut-être mourut-il sans regret de délaisser une vie dont il sortait jeune encore, n’ayant pas trente ans, mais qui ne lui avait apporté que des chagrins de famille et d’amitiés avec des tares physiologiques dont il n’aurait pu s’affranchir.

Dans la cité lyonnaise la mort de ce gentilhomme de passage ne fit pas grand bruit : aucune chronique locale ne la mentionne ; ni la sénéchaussée, ni le lieutenant de police ne s’en émurent ; les chevaliers de Malte, résidant à Lyon, semblèrent même l’ignorer et nul frère n’assista à ses funérailles. Le chevalier de Flamanville partit en modeste comme il avait vécu.

Dès qu’elle fut avisée du décès de son frère, Monique-Sophie-Louise, qui le 1er mai 1772 avait épousé le colonel Marie-François de Bruc de Montplaisir, marquis de la Guerche, attaqua le testament pourtant régulier en la forme du notaire Barond.

C’est que selon la coutume de Normandie le chevalier de Flamanville ne pouvait dépouiller de ses biens maternels sa sœur, seule héritière que la coutume lui reconnaissait.

Le testament fut donc cassé, et le 3 mai 1779, M. et Mme de Bruc firent procéder, comme héritiers bénéficiaires, à l’inventaire des biens délaissés par leur frère. La seconde marquise de Raray, comme tutrice de son fils mineur, Antoine-Alexis, s’y était fait représenter.

Ce fut Maître Jacques Lefèvre, notaire aux Pieux, qui dressa cet acte important dont la durée fut de plus d’une semaine. Ainsi furent inventoriés les papiers personnels du Chevalier, réunis en 5 liasses de 541 pièces ; les comptes de son intendant Le Rouge, que celui-ci affirma avoir soumis à son maître « en différentes fois l’année dernière, avant son départ pour Paris ». Me Lefèvre, dans la chambre du jeune homme, mentionna 18 paires de souliers ou de bottes, un vachon en peau d’ours, un habit brun, veste et culotte pareilles en paillettes en argent, un habit rouge, veste et culotte de drap pailleté en or et argent, un autre habit rouge avec une veste galonnée d’un petit galon d’or, un habit et une veste de soie noire tricottée, trois culottes de peau, dont deux blanches, une noire, deux jarretières de velours noir avec des agrafes d’argent, deux épées dont une avec une dragonne en or et cinq jeux de cartes à jouer. Il inventoria l’argenterie fort riche, les créances qui dépassent 10.000 livres, enfin, à côté d’ouvrages de bibliothèques, comme le Traité de la Noblesse, l’Histoire de Bretagne, une carte de Paris et de ses environs, il signala neuf volumes de musique, sans oublier une « flûte de buy garnie d’yvoire et un chalumeau d’ebeyne ». Toute la frivolité du dix-huitième tient dans ces quelques lignes.

Le 15 mai suivant au greffe des insinuations laïques du Bureau des Pieux, M. et Mme de Bruc déclarèrent la succession du chevalier de Flamanville. Ils détaillèrent les immeubles recueillis évalués 800.000 livres. Afin d’éviter toutes difficultés et vu l’importance de l’hérédité, le directeur des Domaines de Saint-Lô avait envoyé sur cette déclaration des instructions à son receveur.

Quatre jours après, l’abbé Louis, curé de Flamanville, certifiait que le marquisat de Flamanville appartenait à présent à. M. le marquis de Bruc, comme héritier de M. Le Conte de Nonant. Il ne restait plus à M. de Bruc qu’à prêter le serment de fidélité : il remplit cette formalité le 1er mars 1780, à Paris, devant Armand-Thomas Hue, marquis de Miromesnil, garde des sceaux de France « après s’être mis en devoir et posture de vassal ».

Dépouillé de la plus grande partie de la fortune de son frère, Antoine-Alexis de Nonant-Raray s’en consola en épousant sa fiancée, Cécile-Rose de Nonant-Pierrecourt, le 7 mars 1785. Gentilhomme campagnard, il figura dans l’assemblée de la noblesse du baillage d’Evreux réunie en cette ville le 16 mars 1789, pour le bailliage d’Orbec. Puis, avant les mauvais jours de la Terreur, qui sans doute ne l’aurait pas plus épargné que son beau-frère de Bruc ou son cousin le Prieur des Chartreux, il mourut chez son beau-père le marquis de Pierrecourt, au château de la Ferté-Imbault, près de Tours, moins âgé encore que son aîné, le 29 décembre 1792.

Il laissait trois enfants : Simplicie-Reine-Rose qui épousa à Versailles le 2 février 1807 le marquis de Prat ; et deux fils : l’un Achille né en 1793, mourut étant lieutenant au 8e régiment de chevaux-légers polonais, à Kowno, Russie, des suites de ses blessures ; l’autre Amédée, né en 1785 ; Officier supérieur de cavalerie, il se rallia à l’Empire, et fut décoré de la Légion d’honneur. Il épousa à Paris, en 1818, Rose-Charlotte de Vasserot de Vincy. Leurs descendants qui résidaient à la Pinterie sont tous morts aujourd’hui, mais depuis peu d’années, sans laisser postérité.

Pendant ce temps, survivant à ses fils, le vieux marquis de Raray, vivait à Villejuif. Il n’y mourut que le 19 octobre 1808. Avait-il eu un troisième fils ? La question peut se discuter. En 1793, fut enfermé à la Force, comme prévenu d’émigration, un jeune homme prétendant se nommer Charles-Hippolyte, et être le fils de Jean-Joseph de Nonant-Raray et de Marie-Reine-Victoire Durcet. Le 27 fructidor an VII, le procureur de Caen écrivait au ministre de la police : « Nous croyons pouvoir vous assurer que le nommé Ch.-Hippolyte Raray, dont il est question dans notre lettre du 22, prévenu de tentative d’émigration est bien celui qui est porté sur la liste générale des émigrés d’après la liste particulière arrêtée le 31 janvier 1793. »

Quel était ce Raray ? Les membres de cette famille étaient alors assez nombreux pour qu’un policier s’embrouille dans leur généalogie. Si le prisonnier de la Force était selon ses assurances fils du dément de Villejuif, il ne pouvait être qu’illégitime. Mais il y a tout lieu de voir en lui un imposteur ; cette lettre est trop précise pour permettre d’en douter : « Caen le 27 frimaire an VII. Au ministre de la Police Générale. Depuis la lettre que nous vous avons adressée le 27 fructidor dernier pour vous accuser réception des pièces relatives au nommé Charles-Hippolyte Raray, détenu à la Force, jointes à votre lettre du 22 du dit mois, nous avons pris sur la famille Raray les renseignements que nous croyons suffisants pour vous mettre à même de prononcer sur le sort de l’individu se disant fils du cy-devant marquis de Raray.

Il résulte de ceux que nous informe l’Administration municipale du canton de Moyaux que Jean-Joseph Le Conte-Nonant, cy-devant marquis de Raray, détenu à Villejuif pour cause de démence depuis l’année 1766, a épousé en premières noces Marie Jeane-Françoise Bazan dite dame et marquise de Flamanville et que de ce mariage sont sortis un fils surnommé le marquis de Flamanville mort à Rouen il y a environ vingt ans et une fille actuellement veuve du cy-devant marquis de Bruc, domiciliée à Rouen ; qu’il a épousé en deuxièmes noces Marie-Reine-Victoire de Durcet et que de ce mariage n’est né qu’un fils nommé Joseph-Antoine-Alexis Le Conte-Nonant qui est celui inscrit sur la liste des émigrés d’après celle particulière arrêtée par l’administration de ce département le 30 janvier 1793. Comme il résulte des pièces que vous nous avez adressées concernant Ch.-Hippolyte Raray, qu’il se dit né à Tours, paroisse Saint-Jacques, nous avons écrit à l’Administration du département d’Indre-et-Loire, qui nous a répondu qu’elle n’a aucune connaissance que des nommés Raray n’aient jamais habité la Commune de Tours et que au surplus il n’y a jamais eu de paroisse à Tours sous le nom de Saint-Jacques.

Il paraîtrait donc, citoyen Ministre que l’individu détenu se disant le fils du cy-devant marquis de Raray détenu à Villejuif, déguise ses vrais noms, mais pour vous mettre plus à portée de prononcer nous vous adressons les lettres de l’administration d’Indre-et-Loire et de l’administration municipale de Moyaux et les pièces annexées, et nous ne nous faisons aucun doute qu’il ne vous restera rien à désirer. »

Le château de Flamanville resta en la possession de la marquise de Bruc qui avait cédé en 1808 la baronnie de Fauguernon, jusqu’à sa mort survenue à Cherbourg le 17 juillet 1820. Seule elle survivait à tous les siens, ayant vu mourir successivement après ses deux frères, son mari dans la prison de Nantes en 1794, sa belle-mère à Poncé le 28 mai 1807, puis son père.

La perte qui lui fut la plus cruelle fut celle de sa fille unique, Modeste, épouse du marquis de Clermont-Tonnerre, qui mourut sans postérité en 1810 à l’âge de vingt-quatre ans. Le mal inexorable des Bazan la frappait, elle aussi, après une génération.

Mme de Bruc, oubliant ses neveux et sa nièce la marquise de Prat, légua son château et sa terre de Flamanville au marquis Yves de Sesmaisons, son allié. Le domaine appartient aujourd’hui aux héritiers de M. Charles Milcent, ingénieur, qui l’avait acquis en 1888 de la famille de Sesmaisons et moyennant 240.000 francs. M. André Rostand, maire et conseiller général de Flamanville, en est aujourd’hui propriétaire ; tous les lettrés, tous les amis du passé se réjouissent de savoir la vieille demeure des Bazan en la possession de cet homme de goût qui est aussi un historien de valeur.

Destinée imprévue des hommes ! et qui montre combien la pensée survit à l’action. A peine quelques érudits ont-ils conservé le souvenir des Bazan ou des marquis de Raray, le dernier de leurs descendants, qui eût pu se parer des plus beaux titres, mais que l’on connaît seulement sous le nom de Chevalier de Flamanville, subsistera dans l’histoire, seul de sa race, parce qu’il voulut un jour offrir l’hospitalité à Jean-Jacques Rousseau !