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Les Origines de Barbey d’Aurevilly

par G. Du Boscq de Beaumont


• Texte de 1903 ; voir source en bas de page. [1]


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n a beaucoup parlé de Barbey d’Aurevilly depuis quelques mois, et le grand romancier bas-normand, surnommé avec tant de justesse le Walter Scott du Cotentin, a été, c’est le mot, « chicané » sur son nom et ses prétentions nobiliaires dont il avait peut-être eu la faiblesse d’exagérer l’importance. Le même reproche avait été déjà fait à Balzac et bien que la solution de pareils problèmes ne soit pas de nature à augmenter ou diminuer en rien une gloire littéraire, je vais essayer, dans l’intérêt de la vérité, d’apporter un peu de lumière en un débat où, de part et d’autre, il semble que l’on n’ait pas été suffisamment documenté.

Je vais tâcher de démontrer

I. Que Jules Barbey d’Aurevilly était d’origine noble ;
II. Qu’il n’avait pas usurpé son nom.

I

Je possède un dossier, composé de pièces originales, tant en parchemin qu’en papier, dont voici l’analyse :

Partage, devant Georges de La Fontaine et Jehan Mahy, tabellions en la vicomté de Saint-Sauveur-le-Vicomte pour le siège de Néhou, des biens provenant de la succession de Pierre Barbey, entre honorable homme Georges Barbey, de la paroisse de La Bonneville et Guillaume Barbey, frères, ses enfants (1581).

2° Vente, devant Jean-François Le Véel, notaire à Valognes, par Marie Charlotte Lelandais, bourgeoise du dit lieu, fille majeure de feu Jean-Robert et de Marie Françoise Vicq, à maître Vincent Barbey, avocat aux juridictions royales de Valognes, de divers immeubles situés audit lieu, à la Croix-Morville. Passé à Valognes, en la maison du sieur Barbey, rue du Vey-Salmont (1752).

Jusque cette époque, les Barbey ne sont donc que les petits bourgeois terriens dont on a parlé. Continuons à feuilleter notre dossier

Bail sous seing privé consenti par le sieur Barbey, écuyer, à Jean Hamel, aubergiste, bourgeois de Valognes, de quatre pièces de terre sises audit lieu, triage de la Lande-du-Genest (1767).

Vous avez bien lu : le sieur Barbey, écuyer ; quel événement s’est donc passé dans la vie de l’avocat aux juridictions royales de Valognes, entre les années 1752 et 1767 ? Une note insérée dans le volume 57 des Carrés d’Hozier [2] va nous l’apprendre.

Elle constate, en effet, que le 24 mai 1756, Vincent Barbey fut pourvu de l’office de Conseiller secrétaire du Roi, maison, couronne de France, en la chancellerie établie près la cour des aides de Clermont-Ferrand, aux lieu et place de Nicolas Feullye, décédé le 19 novembre précédent, pour en jouir, disent les provisions, « aux honneurs, privilège de noblesse et autres droits y attribués ».

Vincent Barbey prêta serment, le même jour, « ès mains » du Garde des Sceaux.

Voilà donc le mot de l’énigme : en 1756, Vincent Barbey se fit pourvoir d’une charge anoblissante de secrétaire du Roi. Aussi, neuf ans plus tard, d’Hozier fut-il en droit de lui délivrer un brevet d’armoiries timbrées dont la minute se trouve aux manuscrits de la Bibliothèque nationale, Nouveau d’Hozier, dossier Barbey.

Ce brevet commence ainsi :

Louis-Pierre d’Hozier, chevalier, conseiller du Roi en ses Conseils, juge d’armes de la noblesse de France, sur ce qui nous a été représenté par Vincent Barbey, écuyer, qu’il est en droit de jouir des privilèges, honneurs, prérogatives réservés à la noblesse du Royaume et entre autres au droit de porter des armoiries timbrées, mais que n’ayant trouvé dans sa famille aucun monument qui constate celles qu’il peut porter, etc...

Nous, comme juge d’armes de la noblesse de France, avons réglé pour armoiries audit sieur Vincent Barbey un écu d’azur à deux bars adossés d’argent, et un chef de gueules chargé de trois besans d’or. Cet écu timbré et d’un casque de profil orné de ses lambrequins d’or, d’azur, d’argent et de gueules.

Poursuivons l’analyse de notre dossier.

Ratification devant Ambroise-Yve (sic) - François Le Barbanchon et Jean-Louis Burnouf, notaires à Valognes, d’une vente consentie par Jean Barbey, écuyer, sieur des Tesnières et N. Barbey, écuyer, sieur du Mottel, frères, demeurant à Saint-Sauveur-le-Vicomte, porteurs de la procuration de Vincent Barbey, écuyer, conseiller secrétaire du Roi, maison, couronne de France et de ses finances en la chancellerie prés la Cour de Clermont, leur père, passée devant de Glatigny, notaire à Saint-Sauveur-le Vicomte, à François Alexandre d’Aigremont, bourgeois de Valognes, de pièces de terre sises audit lieu, près l’enclos des dames religieuses. (Petit et Grand-Clos, La Quaisne, La Franquise), le tout contenant 15 vergées environ (1771).- Quittance d’amortissement donnée à M. d’Aigrement par MM. Barbey, père et fils (1773).

Enfin si l’on parcourt la liste publiée par MM. de La Roque et de Barthélémy, des nobles du bailliage du Cotentin qui participèrent à l’élection des députés de leur ordre aux Etats généraux de 1789, on y rencontre le nom de la dame Barbey, laquelle se fit représenter pour son fief de Taillepied situé près de Saint-Sauveur-le-Vicomte.

Pour ne dater que de 1756, la noblesse de l’écrivain n’en était donc pas moins, ce semble, bien réelle, et l’on ne peut plus dire maintenant que sa famille « n’avait jamais possédé ni titres, ni charges, ni offices. »

II

Avait-il aussi droit à son nom ? C’est ce que je vais m’efforcer d’éclaircir à présent.

En 1813, le maire de Saint-Sauveur-le-Vicomte s’appelait Barbey Daurvilly (sic) ; il était né en 1778, marié, et riche de 4.000 francs de rente.

Ce renseignement officiel (il provient du préfet de la Manche) se trouve aux Archives Nationales sous la cote F9 395. Ce même personnage figure dès 1808 sur la liste des gardes d’honneur à cheval de première formation du département de la Manche ; son nom est orthographié, cette fois, Barbey-Daurevilly et suivi de cette mention : Saint-Sauveur, propriétaire, fils de famille, soumis au Gouvernement.

Remarquons, en passant, que sur les listes des gardes d’honneur, la particule est souvent réunie au nom propre, remplacée par un trait ou supprimée. Ce nom d’Aurevilly - qui semble être un diminutif ou une variante d’Aureville, hameau de 62 habitants dépendant de Saint-Sauveur-le-Vicomte - était donc officiellement porté, sous le Premier Empire, par la famille du romancier ; peut-être son acte de naissance n’en fait-il pas mention. Cette lacune, si elle existe, n’étonnera pas quiconque est un peu au courant des anciens usages, alors que les surnoms terriens variaient souvent d’une génération à l’autre et ils auraient tort d’en triompher trop bruyamment, ceux que Victor Hugo baptisa un jour « Les chercheurs de poux dans la crinière des lions ».

         G. Du Boscq de Beaumont.

Notes

[1] Source : Notices, mémoires et documents publiés par la Société d’agriculture, d’archéologie et d’histoire naturelle du département de la Manche, vol 21, 1903, pages 79 à 83

[2] NDLR : En 1851, la Bibliothèque nationale acquiert ses archives. Cela comprend 136 volumes, 165 portfolios de documents et 200 paquets de preuves de noblesse, dits « carrés d’Hozier ».