Le50enligneBIS
> Paroisses (Manche) > tuv > Valognes > Histoire > Le dernier siège de Valognes (1649)

Le dernier siège de Valognes (1649)


Texte de 1879 ; voir source en bas de page. [1]


JPEG - 1.8 ko

e château de Valognes a un long et brillant passé dont l’histoire est intimement liée à celle de la ville. Edifié, dit-on sous Clovis, il fut longtemps une protection contre les ravages des barbares du Nord. Plus tard pris et repris pendant l’occupation anglaise et les guerres de religion, ses défenseurs tantôt vainqueurs, tantôt vaincus donnèrent toujours l’exemple du courage et de la bravoure.

Le dernier épisode de cette histoire est le siège du château pendant les guerres de la Fronde. Il a été écrit, en 1649, sur les registres de baptême, de la paroisse St-Malo, par une main inconnue qui sous le titre : ad futurum memoriam le recommande au souvenir de la postérité. C’est d’après ce texte que je ferai le récit de ce siège après avoir rappelé les circonstances dans lesquelles il eut lieu.

La lutte engagée contre l’autorité royale pendant la minorité de Louis XIV est une des plus tristes pages de nos annales. Pourtant les mémoires des héros et des héroïnes de cette guerre l’ont presque poétisée ; ils nous la représentent moitié sérieuse, moitié bouffonne ; les dentelles se mêlent aux cuirasses, les vers et les amours aux coups d’épées et aux batailles. Mais si on regarde la Fronde sous un jour plus véritable on trouve que sous l’apparence d’aspirations libérales elle ne fut que l’œuvre de viles intrigues et basses ambitions. Elle plongea le pays dans un abîme de calamités dont il sortit épuisé par quatre années de discorde pour se jeter aux pieds d’un monarque absolu. L’histoire nous apprend que souvent le despotisme est la punition de l’anarchie.

Le Parlement de Paris, s’était opposé à un édit de Mazarin que l’état des finances rendait nécessaire et qui établissait des impôts dont quelques-uns le frappaient directement. La régente ne pouvant accepter cette résistance fit arrêter les magistrats les plus séditieux mais les parisiens prirent les armes, dressèrent des barricades et firent délivrer les prisonniers. Devant l’émeute, la Cour se retira à St-Germain et engagea la lutte contre le Parlement et le peuple de Paris. Aux rebelles se joignirent bien des seigneurs parmi lesquels le prince de Conti, le cardinal de Retz, les ducs de Beaufort et de Longueville, furent les plus célèbres. Les uns redoutaient l’influence de Mazarin, continuateur de la politique de Richelieu contre l’aristocratie ; les autres cherchaient des avantages dans le trouble et le désordre.

La lutte ne se borna pas à Paris, dont le siège se réduisit à des escarmouches, des épigrammes et des chansons ; elle s’étendit en province.

La Normandie chargée d’impôts se laissa corrompre par les promesses du duc de Longueville, son gouverneur et embrassa le parti des révoltés tout en protestant de sa fidélité au Roi.

D’un côté, le duc d’Harcourt déploie une grande énergie pour maintenir dans l’ordre une partie de la Haute Normandie ; mais d’un autre côté, le comte de Matignon, lieutenant général de la Basse-Normandie, rassemble les seigneurs mécontents et lève des troupes contre la Cour.

Le Cotentin cependant resta dans le devoir ;le marquis de Bellefont, gouverneur de Valognes, offrit ses services au Roi et crut pouvoir lui annoncer que la noblesse du pays se joindrait à lui. C’est avec empressement que cette offre fut acceptée par une lettre du 21 janvier 1649, dans laquelle le Roi prescrit à ses fidèles de se mettre à la disposition du comte d’Harcourt qui commandait ses troupes en Normandie.

Aussitôt la réception de cette lettre, le marquis de Bellefont, plein de zèle pour la cause royale, arrête l’envoi au gouverneur de la province des impôts dont les recettes sont centralisées à Valognes. En même temps il fait publier dans la ville par un des soldats de la garnison du château, l’édit du Roi qui déclare le duc de Longueville, criminel de lèse-majesté et déchu de son commandement.

Cette nouvelle fait une profonde impression sur les habitants qui par fidélité au trône ont lutté pour la Ligue cinquante ans auparavant.

Mais la conduite du marquis de Bellefont ne manque pas d’attirer les ressentiments de la Fronde. Un cri d’alarme retentit bientôt dans la ville ; on annonce que le comte de Matignon sur l’ordre de Longueville, à la tête d’un brillant cortège de seigneurs et de troupes recrutées dans les garnisons de Bayeux, Saint-Lô, Coutances et autres lieux formant un effectif de six à sept mille hommes s’avance sur Valognes.

La ville était sans défense, le vieux château semblait avoir accompli sa glorieuse carrière et en attendant sa démolition ordonnée on 1597, il servait de lieu d’internement à trois cents prisonniers espagnols de la guerre de Trente ans.

Bien que la place fût impropre à une grande résistance et dépourvue d’approvisionnements, le marquis de Bellefont, n’écoutant que son dévouement, s’y enferme avec quelques seigneurs des environs et une centaine d’hommes de la garnison, résolus à soutenir le siège tant que leurs faibles ressources pourront durer. Matignon, arrivé devant le château, somme ses défenseurs de se rendre, et, sur leur refus, il investit la place et en bat les murailles avec cinq grosses pièces de canon qu’il fait venir de Cherbourg, et parmi lesquelles est le Gros-Robin, dont le nom n’est pas encore oublié.

Cette artillerie est commandée par Jacques de Caillières, lieutenant du gouverneur de Cherbourg, et servie par 36 bourgeois de la ville.

Les assiégés se défendent avec vigueur, mais après quinze jours d’efforts impuissants, les vivres comme les munitions viennent à manquer et le vieux château capitule, ajoutant par cette noble défaite une page de plus à sa brillante épopée.

Ce fut le mardi de Pâques, 6 avril 1649, que le marquis de Bellefont, rendit la place au duc d’Harcourt, et par une singulière coïncidence, c’était un d’Harcourt qui, un siècle avant, avait fait lever le siège de la même ville aux protestants.

Les termes de la capitulation avaient été arrêtés la veille 5 avril ; ils sont trop honorables pour qu’il soit permis de les passer sous silence ; ils contiennent d’ailleurs d’intéressants détails. On les trouve dans une vieille histoire de Normandie, par Levavasseur de Masseville, éditée en 1722.

Conditions de la Capitulation du château de Valognes

JPEG - 1.8 ko

a garnison sortira mardi, à midi, tambour battant, mèche allumée par les deux bouts, balle en bouche, avec armes, chevaux, bagages et tous les meubles appartenant au sieur Gouverneur et autres étant dans la place.

Les munitions de guerre, demeureront, à la réserve de ce qu’il faut de poudre, balles et mèche pour fournir les bandoulières des mousquetaires.

Ledit sieur Gouverneur pourra emporter les munitions de bouche et faire conduire le canon à Saint-Pierre-Eglise.

Il lui sera fourni autant de charrettes qu’il en sera nécessaire pour transporter les bagages, meubles et munitions de bouche, malades, blessés et le canon, le jour que sortira la garnison pour aller au dit Saint-Pierre-Eglise, où ils attendront les ordres de M. le comte d’Harcourt, en toute sûreté pendant le dit séjour.

Il sera donné passeport pour envoyer un gentilhomme trouver M. le comte d’Harcourt, pour savoir de lui, le lieu où doit se rendre le sieur Gouverneur et sa garnison, avec les espagnols prisonniers au dit château de Valognes, et sûreté pour celui qui rapportera les ordres.

Il leur sera donné après cela, un sauf conduit pour aller au lieu qui leur sera ordonné par le dit sieur comte d’Harcourt ; pendant laquelle route il leur sera fourni des vivres pour eux et leurs équipages ; ils pourront prendre tel chemin qu’ils aviseront bien ; et ne seront tenus à faire que six lieues par jour.

Les gentilshommes et soldats de la dite garnison, pourront suivre le dit Gouverneur ou rester en leurs maisons sans être obligés de prendre aucun parti.

Les fermiers du dit sieur Gouverneur, jouiront en liberté, de leurs fermes dans leurs maisons dont ils lui pourront envoyer le revenu en toute sûreté, sans qu’il leur soit donné empêchement, non plus qu’aux procureurs du dit sieur en faisant payer ses droits et revenus.

Ledit sieur de Saint-Pierre, pourra se retirer en sûreté de ses biens et de sa personne, dans sa maison ; qu’il pourra cependant dans le mois, se retirer avec les autres gentilshommes, au lieu où sera le comte d’Harcourt ; pourquoi sera donné sauf conduit au dit sieur de St Pierre, ou qu’il pourra demeurer tranquille, dans sa maison promettant de ne prendre aucun parti dans aucune des armées.

Les armes, de quelque nature qu’elles soient, qui ont été prises aux bourgeois de Valognes, leur seront rendues le jour que la garnison sortira du château.

Les sieurs de Sébeville et de la Dauphinerie, pourront aller servir leur quartier près le Roy, sans qu’il leur soit donné empêchement ; pourquoi il leur sera donné sauf conduit.

Fait et conclu, le cinquième jour d’avril mil six cent quarante-neuf.
       Signé : Matignon, Bellefont.

JPEG - 2.1 ko

out honorable que fut la défense du château de Valognes, quelle tristesse pour notre ville pendant cette période de siège, imposant aux habitants les exigences de troupes en campagne, l’angoisse d’une défaite inévitable, la crainte de la famine et du triste cortège des maux, que la guerre civile entraîne avec elle.

Les termes de la capitulation nous apprennent déjà que les armes des bourgeois de la ville, avaient été prises par les assiégeants. Mais quels désordres durent commettre les soldats de Matignon, maîtres de la ville pendant le siège, et le temps qu’il s’y maintinrent après ! Le modeste clerc de la paroisse Saint-Malo, que nous citons, ne s’explique pas sur ces souffrances, mais on est frappé par la dernière phrase qui termine son récit laconique et discret : Dieu préserve Valognes de pareils malheurs que ceux qu’il a souffert pendant le siège.

Ces mots font bien penser que Valognes, traitée en ville conquise ne fut pas à l’abri des désordres qui affligèrent la province et qui sont confirmés par les mémoires du temps.

« Oh la bonne guerre pour le filou ! dit un pamphlet contemporain. Oh ! la triste guerre pour le bourgeois enfermé dans la ville comme captif, pour le marchand rencontré dans la campagne, pour les bœufs, vaches et moutons de plus de dix lieues à la ronde ! »

Le siège de Valognes, fut une diversion avantageuse pour la Cour ; en occupant une partie des forces des Frondeurs, celle-ci eût le temps de réunir des troupes.

Mais pendant sa courte durée, on fit de part et d’autres des propositions de paix, tout le monde se lassait de la guerre : les pillards seuls en profitaient et le peuple au nom de qui on la faisait, en était complètement victime. La convention de Ruel (11 mars 1649), termina la première phase de la guerre de la Fronde par une amnistie générale.

Huit jours après la capitulation du château de Valognes, on entreprit sa démolition qui fut bientôt interrompue par un ordre du Roi. Quarante ans plus tard, le 18 janvier 1689, trois cents hommes envoyés par Vauban, sur l’ordre du Roi, achevèrent la démolition commencée, ne conservant du château que la maison du Gouverneur et la chapelle. C’est encore une note inscrite sur le registre des mariages et sépultures de la paroisse Saint-Malo de Valognes, qui nous révèle ce fait. Quoique la rédaction de cette note soit d’une forme défectueuse, il est utile pour l’histoire d’en connaître le texte que nous donnons à la suite de ce travail. Elle nous apprend qu’il existait encore à ce moment un grand donjon, des courtines, cinq grosses tours avec des fossés de soixante pieds de profondeur, tels à peu près qu’ils étaient au XVe siècle. Le clerc, rédacteur des actes de catholicité, en voyant tomber ces glorieuses murailles, rappelle parmi leurs titres de gloire qu’elles furent plusieurs fois l’écueil des anglais et qu’elles soutinrent pour le Roi, le siège de dix huit jours dont nous venons de faire le récit. Enfin, la note indique comme cause qui inspira l’ordre de la démolition du château, la guerre que Guillaume d’Orange, avait déclarée à Louis XIV, protecteur de Jacques II. En cas de descente des Anglais sur nos côtes sans cesse menacées, le château de Valognes, aurait pu devenir pour l’ennemi un point d’occupation facilement ravitaillé par mer.

Ce n’est que cent ans après que disparurent ses ruines dont aujourd’hui il ne reste absolument rien, et à peine dans de vieilles maisons bâties à l’ombre de ses épaisses murailles, croit-on trouver quelques vestiges de la citadelle. Une place magnifique plantée d’ormes et de tilleuls qui porte le nom de place du château, aligne sa double rangée de hautes avenues sur l’emplacement même de l’ancienne forteresse, et l’imagination peut difficilement se reporter aux temps où l’on s’en disputait la possession. Pourtant que d’assauts meurtriers, que de sanglants combats, que de victimes tombées dans ses fossés, que d’actes de bravoure accomplis sur ses remparts, quels bruits et fracas de bataille ont été entendus, les derniers il y a trois siècles à peine, sous ses murs à jamais disparus !

C’est ainsi que s’en va la vieille histoire : les monuments disparaissent, les souvenirs les suivent ; c’est à nos sociétés archéologiques qu’il appartient de les graver dans l’esprit des générations modernes, auxquelles le clerc de la paroisse de Valognes, dédiait les récits qui vont suivre.

Extrait du registre des actes de baptême de la paroisse Saint-Malo de Valognes (année 1649) - (Relation du siège) Ad futuram memoriam

JPEG - 1.8 ko

an mil six cent quarante-neuf, le mardy 23e jour de mars, viron deux heures après midy, le château de Valognes, dont était commandeur le sieur de Bellefont, fut siégé par l’armée du sieur Matignon, composée de la noblesse du pays et des troupes qu’il avait levées dans les villes de St-Lô, Coutances, Carentan, Bayeux et autres lieux faisant en tout six à sept mil hommes. Et le mardy de la feste de Pasques, six avril ensuivant, la place s’étant rendue à composition, le dit sieur de Bellefont, en sortit avec armes et bagages, tambour battant avec la garnison et fut conduit à Saint-Pierre. Les personnes les plus considérables de la garnison étaient les sieurs de Saint-Pierre et Sebeville, oncles du dit sieur de Bellefont, les sieurs de Sainte-Marie, Taillebois, de Heville, la Dauphinerie, Saint Luc, lieutenant du château, et du Longprey, Poisson et le Castelet Prieur.

Les maréchaux de camp de l’armée du dit sieur de Matignon étaient les sieurs de Canisy, de Longaulnay, de Francqueville.

Le chasteau fut battu par cinq gros canons du nombre desquels était le gros Robin, fait venir de Cherbourg par le sieur de la Luthumière, gouverneur du dit lieu.

Le sujet de cette guerre a esté que les troubles ayant éclaté à Paris, le 6e de janvier 1649, entre la Royne régente mère du Roy Louis XIV, que Dieu conserve, le duc d’Orléans oncle du Roy, le prince de Condé et quelques autres princes et seigneurs joints avec ladite Royne d’une part, et le Parlement et le peuple de Paris, secondés des princes de Conty, ducs de Longueville, de Beaufort, d’Elbeuf et autres seigneurs.

Le duc de Longueville, pour s’opposer au comte d’Harcourt, auquel la Royne avait donné le gouvernement de Normandie, se rendit à Rouen, où il fut reçu. Le sieur de Bellefont, estant ensuite venu à Valognes y fit publier par un des soldats du chasteau la déclaration du Roy, qui portait que le duc de Longueville, était déclaré criminel de lez-majesté et son commandement de Normandie donné au comte d’Harcourt, et se saisit des deniers de la recette, ce qui obligea le duc de Longueville d’envoyer l’ordre au sieur de Matignon, son lieutenant, au commandement de la Basse-Normandie, de siéger le dit chasteau de Valognes. Ce qui ayant été faist comme il est dit cy-dessus, le dit chasteau huit jours après commença à être démoli et aurait esté entièrement razé alors, si par ordre du Roy, on n’eût pas fait cesser la démolition de la place qui fût beaucoup endommagée.

Extrait du registre des actes de mariages et sépulture de la paroisse Saint-Malo de Valognes (1689) - (Démolition du Château). Ad futuram rei memoriam

JPEG - 2.1 ko

ieu préserve Valognes, de pareils malheurs que ceux qu’il a souffert pendant le siège.

L’an mil six cent quatre-vingt-neuf, le 18 janvier, par ordre de Louis XIV Roi de France, de présent régnant ont été attachés 300 hommes au porte et pont du château de Valognes, petites courtines du fond du fossé vulgairement nommé fosses brais, ensuite aux grandes courtines, au grand dongeon, à cinq grosses tours sapées par le pied et renversées dans le fond du dit fossé de largeur et de profondeur de plus de 60 pieds ; ont seulement conservées la maison du gouverneur et la chapelle de devant, qui dans les siècles passés avait esté l’escueil des anglais, ennemis y ayant esté battus plusieurs fois sous Charles septième en 1450 et sous Henry sixième. Kiriel un des plus braves capitaines des anglais y fut battu et obligé lever le siège qu’il y avait mis avec perte de 800 hommes et de plus de quatre-vingts officiers tués et faits prisonniers. De nostre siècle, en 1649 le mois d’avril, soutient un gros siège, l’espace de dix huit jours de tranchées ouvertes dans l’intérêt du Roy contre les princes.

La cause de ce trouble à Valognes, et renversement d’un si beau château, Guillaume-Henry de Masseau prince d’Orange, beau-fils de Jacques Stuart, Roy d’Angleterre, dont il a usurpé la couronne, chassé de son royaume, obligé de passer en France, prendre azile sous la protection du Roy ainsi que la Reine son épouse, son fils le prince de Galles, pourquoi cet usurpateur a déclaré la guerre à la France, perdre la Normandie. [2]

             A. FAGART.

Notes

[1] Source : Mémoires de la Société archéologique, artistique, littéraire et scientifique de l’arrondissement de Valognes (1878-1879)

[2] NDLR : nous retranscrivons cette dernière phrase telle que publiée dans la source