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Une famille bourgeoise de Saint-Lo : les Le Pigny. (XIVe et XVIe siècle)


Texte de 1887 ; voir source en bas de page. [1]


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yant eu momentanément la bonne fortune de posséder le Cartulaire de la famille Le Pigny, qui habita Saint-Lo du XIVe au XVIe siècle, nous y avons puisé assez de renseignements pour la suivre depuis son origine jusqu’à sa fin. Ce sont ces renseignements que nous allons condenser dans cette note, divers membres de la famille Le Pigny ayant joué un certain rôle durant l’occupation anglaise de 1417 à 1450.

Le premier Le Pigny connu est Jehan Pegny [2] qui, en 1283, achetait six boisseaux de froment d’Emme, femme d’un nommé Symon Le Potier, de Saint-Geore-du-Bosc, [3] alias Lison, et de Martine, femme d’un nommé Yon, de Saint-Joires-d’Arel. [4] Si le contrat est muet et sur la résidence de l’acquéreur et sur sa qualité, il est probable cependant que Jehan Pegny habitait la paroisse de Lison, où l’on voit, vers le milieu du XIVe siècle, sa descendance achetant des rentes des uns et des autres, nobles et vilains, qui en froment, orge et avoine, qui en deniers, sans omettre les regards en pains, gelines, chapons, œufs, etc., etc.

Et ces vrais Normands ne dédaignaient pas les fonds de terre ! On les trouve, en effet, tantôt les achetant, tantôt les échangeant, mais ne les aliénant jamais, si ce n’est moyennant des rentes foncières, qui, dans ces temps, constituaient le plus clair des revenus.

En 1320, Richard et Robert, que nous avons lieu de croire fils de Jehan, portaient le titre de clerc, non peut-être qu’ils fussent engagés dans les ordres, mais certainement parce qu’ils avaient atteint un certain degré d’instruction. Guillaume et Philippe, fils de Richard, le prirent à leur tour, l’un en 1444, et l’autre l’année suivante ; ce qui permet d’affirmer que la famille tenait déjà un certain état.

Guillaume fut le premier qui se qualifia Bourgeois de Saint-Lo (1359). Jusqu’en 1370, il ne cessa d’habiter cette ville, où, concurremment avec son fils Thomas, il acquit rentes sur rentes, tantôt des mains d’autres bourgeois comme lui, tantôt de propriétaires de Lison, Cartigny, Castilly et autres localités circonvoisines. L’un et l’autre demeuraient en la rue de la Cour-l’Evêque, maintenant rue du Château, [5] probablement dans l’hôtel portant le n° 3, qui, jadis la propriété de M. Le Roy, seigneur d’Amigny, appartient aujourd’hui à M. Le Couteur, architecte.

Les visées du fils allaient et plus haut et plus loin que celles du père.

Nous le voyons, en 1400, acquérir au prix de 700 écus d’or à la couronne [6] de damoiselle Jehenne de Champeaux, veuve de Raoul de Crennes, [7] la nue-propriété des Fiefs d’Arel, antérieurement du Port, et de La Meauffe, situés l’un et l’autre à Rampan ; [8] la venderesse les avait recueillis dans la succession de son père Thomas de Champeaux ; l’acte passé devant Jehan Le Roy, clerc tabellion juré à Saint-Lo, sous Benest-Levillious, porte la date du 8 février. Comme ces deux fiefs ou membres de fief étaient tenus noblement, franchement et honorablement « à court et usage, simple gaige-plège », dès 1401, le nouveau propriétaire s’intitule seigneur de Rampan, dans un contrat du 9 juillet portant acquisition d’une rente d’un pain et d’un chapon avec l’hommage, que lui céda Robin Le Monnier, de Rampan. Il ne prend pas encore le titre d’Ecuier, ni même celui de Noble Homme, il se contente modestement de la qualité de Seigneur, inaugurant, en quelque sorte, ainsi l’ère des sieuries devenues si communes au XVIIe et au XVIIIe siècle. Qu’on ne croie pas cependant qu’il répudie la qualification de Bourgeois de Saint-Lo ; il en apprécie trop bien les avantages spéciaux pour ne pas s’en parer.

Notre Thomas, dont la mort survint vers 1402, laissa une nombreuse lignée. Il eut six fils : Jehan l’aîné, Richard, Jehan le jeune, Thomas, Bernard et Guillaume. Nous ignorons leur rang de naissance.

Un des deux Jehan, le jeune sans doute, était clerc-étudiant en la Faculté des Arts à Paris, de 1400 à 1405 ; en 1410, Thomas porte le titre de clerc escolier ; il devient ensuite prêtre, maître ès arts, licencié en décret, et curé de Catz. [9]

Les deux Jehan ne suivirent pas de loin leur père. Jehan l’aîné, qui vivait en 1411, n’existait plus en 1416, époque à laquelle eut lieu la liquidation de sa succession entre Marthe Marchant, sa veuve, d’une part, et d’autre part, Richard, Thomas, Bernard et Guillaume, frères du défunt. Dans le partage, qui comprenait huit lots, le 7e échut à la veuve ; il consistait en 9 sols de rente à prélever sur les conquets faits constant le mariage ; en 15 livres également de rente, sa vie durant, comme douaire sur les biens que le défunt possédait au jour de son mariage ou qui lui étaient échus depuis leur union ; enfin, en une quantité indéterminée des biens meubles « tant en fourreures, robes, joiaux, veselle d’argent, ustensilles d’ostel, or et argent monnoyé. » [10]

Cette brève énumération révèle le degré de prospérité auquel était parvenue la fortune des Le Pigny et cette prospérité n’a rien de surprenant si l’on remarque que presque toujours les acquisitions se faisaient au nom de plusieurs frères, sinon de tous. En associant leurs capitaux, ils en retiraient un plus fort bénéfice ; c’est pourquoi l’on constate qu’indépendamment de 10 livres de rente viagère attribuée à Chardine, femme de leur oncle Guillaume, ils lui délaissaient, par suite de la communité existant entre le dit feu Guillaume, feu Thomas, leur père, et Haizote, leur mère, « ung hostel butant à la place où l’on vend les simeneaulx [11] et ès murs de la forteresse », plus une indemnité de 200 écus d’or à la couronne, destinée à défrayer des dépenses d’une liquidation, quelque peu laborieuse, portée jusqu’au châtelet de Paris. Nul doute que dame Chardine n’eût eu à lutter contre la parcimonie de sa belle-sœur et de ses neveux.

La réunion de nombreux capitaux ressort plus évidente encore de l’adjudication passée à leur profit de rentes décrétées, en 1396, sur Jean Peronne qui devait aux Peignies "neuf XXxx xiij lt.", c’est-à-dire 3,613 livres tournois, qui de nos jours vaudraient environ 36,000 fr. Convenons que c’était un assez beau denier.

En présence de ce fait, nous nous figurons l’activité quelque peu rapace du père de famille Thomas, secondé par sa ménagère et par ses six fils, toujours en éveil, toujours à la piste d’une bonne affaire, connaissant les besoins de celui-ci, les appétits de celui-là, les faiblesses de tel autre, favorisant volontiers ces besoins, ces appétits, ces faiblesses pour en profiter, « quant mestier sera » comme disent les actes du temps. Ce mode de procéder apparaît nettement dans les rapports des Le Pigny avec Jehenne de Champeaux, dame de Rampan. D’abord, ils lui achètent, ainsi que nous l’avons dit, la nue-propriété de ses seigneuries, et bientôt l’usufruit qu’elle s’était réservé. Les 700 écus d’or, prix de la cession, ayant été dissipés promptement, selon toute apparence, la société Le Pigny traite avec Jehenne, le 8 mars 1403, de 15 sous tournois de rente, 1 pain, 1 chapon ; le 13 juillet, de 14 sous tournois, 1 pain et 1 chapon ; le 30 octobre, de 9 livres tournois de rente ; le 12 avril 1404, de 20 sous tournois de rente ; le 23 octobre 1405, de 40 sous tournois ; le 20 février 1406, de 16 sous.
Et il est de remarque que de ces ventes il en est qui sont causées : « Pour satisfactions faictes à la dicte demoyselle de Champeaulx, » qui leur vendit ainsi, en trois ans, 24 livres tournois de rente au prix de 265 livres et 5 sous tournois, plus 60 sous tournois de vin, représentant de nos jours près de 240 fr. de rente et un capital de 2,600 fr. environ.

Elevés à si bonne école, les Le Pigny continuèrent leurs agrandissements jusqu’en 1440, date extrême des actes de leur cartulaire. Leurs opérations se portèrent de préférence sur les paroisses de Saint-Lo, Rampan, La Meauffe, Saint-Georges-Montcocq, ainsi que sur celles de Trelly, Saint-Denis-le-Gast et autres localités des environs de Gavray, d’où leur mère semble originaire, [12], ajoutant de nouvelles rentes aux anciennes, ajoutant sans cesse au domaine seigneurial de nouvelles dépendances. Nous avons, dans ce qui précède, envisagé les Le Pigny au point de vue privé nous les trouvons aussi mêlés aux affaires publiques.

Le roi d’Angleterre, Henri V, profitant de la folie intermittente de Charles VI, des trahisons de la reine de France, Isabeau de Bavière, des compétitions des grands feudataires de la couronne, s’était jeté sur la Normandie qui, deux fois, depuis Guillaume-le-Conquérant, avait été détachée de son empire et deux fois avait été reconquise sans pouvoir y être définitivement incorporée.

Les Le Pigny prirent, à leur honneur, le parti de la France. Jehan, l’un d’eux, combattait dans les rangs de l’armée nationale, car Henri V accordait, le 2 avril 1418, « délai à Jacques Pollette des héritages à Jehan Le Pigny jusqu’au 1er mai, à luy par don du roy ; » [13] sa fidélité à son pays lui avait valu les honneurs de la confiscation.

Thomas, Bernard et Guillaume, probablement ses oncles, suivirent son exemple. Ils se renfermèrent dans le château de Saint-Lo pour le défendre contre l’envahisseur, car, le 11 février 1419, le roi d’Angleterre leur donnait « un respit d’un mois de leurs fiefs et revenus à eux rendus par le roy suivant la composition de Saint-Lo. » Ils durent toutefois prêter postérieurement serment de fidélité au Conquérant. [14]

Quant à Richard, il lui fut adressé, le 20 septembre 1419, une expédition du don à lui fait par le roi de ses fiefs situés aux bailliages de Caen et du Cotentin, avec ordre aux baillis de le laisser jouir [15] soit qu’il eut, comme les siens, fait partie des défenseurs de Saint-Lo, soit qu’il eut accepté la domination Anglaise comme tant de Nobles d’ancienne lignée.

Mais s’il eut un moment de faiblesse, un de ses neveux, sinon son fils, nommé comme lui Richard se rallia promptement au parti Français ; il figure, en effet, en 1468, comme Lance à cheval, dans la compagnie de messire Jehan d’Estouteville, chevalier, seigneur de Bricquebec et capitaine de Saint-Lo. [16] Montfaut l’avait trouvé noble à Saint-Lo, en 1463, sans cependant mentionner ni Bernard, ni Thomas, quoi que leurs noms se rencontrent avec celui de Richard dans les comptes de la baronnie de Saint-Lo rendus aux années 1445 et 1446, [17] et qu’on voie en 1462, noble homme Bernard Le Pigny, écuier, seigneur de Rampan, donnant à Heizote, femme de Philipot Béchue, de Notre-Dame-de-Saint-Lo, 25 sous tournois de rente sur 50 sous tournois qu’il avait à prendre sur l’hôtel du dit Béchue. [18] Peut-être Bernard mourut-il dans l’intervalle de 1462 à 1463.

Toutefois, le 30 mai 1470, un Bernard Le Pigny était qualifié de noble homme, immédiatement après Bernard Le Marinel, dans l’acte de fondation d’une Librairie ou bibliothèque annexée à l’église Notre-Dame-de-Saint-Lo par messire Jean Boucard, évêque d’Avranches, et messire Ursin Thiboult, chanoine de Bayeux. Ce fut le dernier du nom.

Sa descendance se fondit-elle par alliance dans la famille Clerel qui, en 1444, tenait du baron de Saint-Lo le fief noble de Rampan, dont le chef était assis en la paroisse de Saint-Georges-Montcoq ? Il serait permis de le penser, car, à la fin du cartulaire des Le Pigny, folio 144 on lit : « Le jour monseigneur Saint-André, en oust, mil cinq cens et ung fut la chapelle de Rampen beneye par monseigneur levesque de Porfitte, [19] as prières de mon cousin Guillaume Clerel, escuier ; Hervieu Furet, Mestre Robert Leraide, Messire Gervais le Canu, capelain de Rampen, Messire Robin Lerouyer, Messire Estienne Rampen, Messire Guille Tostain, Messire Jehan Lemière, tous prestres, et avecque les dits... ung des religieux de Sainte-Barbe, Gilles Cappelle et plusieurs autres personnes. » signé Bernart.

Cette signature d’un seul prénom a quelque chose de touchant, de mélancolique même. On dirait que le dernier des Le Pigny qui l’a tracée, sachant son nom condamné à s’éteindre avec lui, n’a pas voulu l’écrire. Elle nous reporte, pour ainsi dire aux. dernières prières que le prêtre dit sur une tombe prête à se refermer et dans lesquelles le prénom du défunt est seul prononcé. La famille Le Pigny portait : De gueules aux trois peignes d’or, deux et un. Leurs armoiries étaient donc parlantes. D’après Toustain de Billy, on les voyait dans l’église Notre-Dame de Saint-Lo, sculptées à la voûte de la chapelle Saint-Georges, aujourd’hui Saint-Thomas. [20]

        Lepingard

Notes

[1] Source : Notices, mémoires et documents publiés par la Société d’agriculture, d’archéologie et d’histoire naturelle du département de la Manche, 1887 (p. 165 à 173)

[2] Ce nom s’orthographie de diverses manières : Pegny, Paigny Le Pegny, Le Paigny, Le Pegnie, Le Pigne, Le Pigny.

[3] Archives du département de la Manche. On trouve dans le cartulaire manuscrit de l’Abbaye de Saint-Lo, par M. Dubosc, archiviste, page 38, : « le Fief Graffard assis à Saint Joire du Bosq à présent appelé Saint-Georges-de-Lison. ». – Lison commune du Calvados, arrondissement de Bayeux.

[4] Cartulaire imprimé de la Perrine, page 22. Airel, département de la Manche, arrondissement de Saint-Lo.

[5] Cartulaire de Notre Dame de Saint-Lo de 1437.

[6] L’écu d’or valant 22 sous 6 deniers tournois, les 700 écus auraient aujourd’hui une valeur de 15 à 16,000 fr. environ.

[7] Un manoir de Champeaulx existait rue Verte Rue. De notre temps, il a été la propriété de la famille Yver et du général Achard. Il appartient maintenant à M. G. Rauline, député et membre de la Société d’Archéologie. On trouve des Le Menuet de Champeaux. Les Le Pigny et les Le Menuet ont, au XVe siècle, possédé des hôtels dans la Verte Rue.

[8] Rampan : Commune du département de la Manche arrondissement de Saint-Lo.

[9] Catz : Commune du département de la Manche arrondissement de Saint-Lo.

[10] Quittance du 2 février 1416.

[11] Cette place était située au haut de la rue Porte-Torteron, maintenant rue Porte-au-Lait. Le Simenel ou Seminel était une sorte de gâteau ou mieux de Pain amendé. Le Garot sans doute.

[12] Communes du département de la Manche, arrondissement de Coutances.

[13] Registre des dons, confiscations, maintenues et autres actes faits dans le duché de Normandie pendant les années 1418, 1419 et 1420 par Henri V roi d’Angleterre. - Charles Vaultier, p. 14.

[14] Registre des dons, confiscation, etc. p. 40. – La reddition de Saint-Lo est du 12 mars 1418.

[15] Id. p. 120.

[16] Archives départementales. Ville de Saint-Lo. – Affaires militaires.

[17] Archives départementales. Baronnie de Saint-Lo. Comptes de la baronne par Philippin Damian, mesnager de monseigneur l’évêque de Coutances, baron de Saint-Lo.

[18] Archives de l’hôpital de Saint-Lo.

[19] Guillaume, évêque de Porphyre in partibus, suffragant de Geoffroy Herbert, évêque de Coutances. (Toustain de Billy : Histoire ecclésiastique. T. 2, p. 329).

[20] Toustain de Billy, Histoire de Saint-Lo imprimée, p. 149