Le50enligneBIS
> Paroisses (Manche) > abc > Cherbourg > Histoire > Arrivée à cherbourg des restes mortels de Napoléon.

Arrivée à cherbourg des restes mortels de Napoléon.

source : L’Indicateur de Bayeux [1] du 09 décembre 1840


L’Indicateur de Bayeux

JPEG - 1.8 ko

es restes de l’empereur Napoléon sont au port de Cherbourg !!! Tous les journaux de la capitale ont donné les détails de l’arrivée à Ste-Hélène de la frégate, des travaux de l’exhumation, des honneurs rendus au glorieux cercueil et des cérémonies qui ont eu lieu à cette occasion. Aussi ne porterons-nous à la connaissance de nos lecteurs que les faits qui se rattachent à l’arrivée de la Belle-Poule [2] à Cherbourg, faits moins connus et que nous trouvons soit dans les journaux de cette ville, soit dans notre propre correspondance. La frégate la Belle-Pouïe, commandée par S. A. R. le prince de Joinville, capitaine do vaisseau, et qui nous rapporte de l’île Ste-Hélène les restes mortels de Napoléon, avait été signalée dans la baie de Cherbourg, dimanche , sur les dix à onze heures du soir. Elle a mouillé sur la rade lundi 30 novembre, à cinq heures du matin, après 42 jours de mer. Aussitôt la nouvelle s’en est répandue en ville ; on s’empressait d’en avertir ses amis, on courait le dire à son voisin : il était à peine jour que déjà toute la ville savait l’arrivée de la Belle-Poule. On accourait sur les quais pour contempler cette frégate peinte en noir qui porte partout les signes de deuil.

Au lever du soleil, le stationnaire de la rade a salué le cercueil impérial de 101 coups do canon. Pareil salut a été fait par les batteries de terre. La corvette la Favorite, commandée par M. Guyet, capitaine de corvette, n’ayant pu suivre la Belle-Poule, n’est arrivée que le 2 décembre ; elle a mouillé en rade à neuf heures et demie du matin. La Belle-Poule et la Favorite, parties de Toulon le 7 juillet dernier, sont arrivées à l’île de Ste-Hélène le 8 octobre, après avoir touché à Cadix , à Ténérife et à Bahia.

Depuis jeudi, la population do Cherbourg ne cesse de se porter en foule au port militaire pour visiter à bord de la Belle-Poule le cercueil de Napoléon. Ce cercueil remplit presque toute la chambre ardente, située dans l’entrepont, près du carré des officiers. On ne voit point le magnifique sarcophage construit à Paris et qui contient les trois cercueils primitifs , il est lui-même renfermé dans un grand coffre de chêne, pour le préserver de tout abordage dans l’opération de l’embarquement et du transbordement.

Ce coffre, avec les cercueils qu’il renferme, pèse 2,200 kilog. Le tout est recouvert du poêle funéraire en velours, semé d’abeilles d’or, doublé d’hermine et bordé d’une splendide broderie d’or, méandre enlaçant de distance en distance le chiffre de Napoléon. Les angles sont ornés d’un aigle entouré d’étoiles, et surmonté de la couronne impériale, le tout brodé en or. Le milieu de ce poêle est orné d’une large croix do brocard d’argent. Sur la tète du cercueil est la couronne impériale, voilée d’un crêpe. Au pied est suspendue une lampe dorée. Les tentures du plafond et des bords de la chambre ardente sont on velours étoile d’argent, dans toute leur longueur, avec des cordons, des franges et des glands de même métal. Cette chambre est éclairée par six fanaux : un à chaque angle du cercueil, près d’une cassolette , et un à chaque côté de l’autel. L’autel est élevé sur l’arrière, contre la cloison qui sépare la chambre ardente du carré des officiers. Il est supporté par doux aigles dorés. Il est impossible de voir quelque chose de plus riche et de plus imposant ; c’est la majesté impériale dans toute sa pompe funèbre.

Les anciens serviteurs de Napoléon à Sto-Hélène maintenant à Cherbourg , comme faisant partie de l’expédition qui nous ramène les cendres du grand homme , sont au nombre de cinq , savoir : 1° M. Marchand, de Paris, son premier valet de chambre, celui-là qui lui rendit les services d’un ami. Il a fait le voyage à bord de la Favorite. M. Marchand est le gendre du brave général comte Brayer. Il a appris on arrivant à Cherbourg la mort de son beau-père , et est parti vendredi pour Paris. 2° M. Noverraz , du canton de Vaud , son premier chasseur. C’est lui qui rasa l’empereur après sa mort. 3° M. Pierron , de Paris, son maître d’hôtel. 4° M. Saint-Denis , de Versailles, son bibliothécaire. 5° M. Archambault, de Fontainebleau, son premier piqueur. Ces cinq personnages débarquèrent à Ste-Hélène avec Napoléon, et ne quittèrent ce roc insalubre qu’après la mort de leur maître. Ils formaient là toute la maison de l’empereur et roi. Dans cet affreux exil où la barbarie anglaise renchérissait encore sur l’àpreté du sol et l’air mortel du climat, la cour de l’ancien maître du monde se composait, comme on sait, des généraux Bertrand et Montholon et leurs familles , du général Gourgaud et de MM. de Las Cases père et fils. Ces héros de la fidélité sont allés recueillir , où ils les avaient laissés, les restes mortels du grand conquérant qu’ils ont servi avec tant de gloire. Il n’a manqué que M. le comte de Las Cases, vieux et malade, qui n’a pu entreprendre le voyage et l’infortuné général Montholon !

L’état.brumeux de l’atmosphère n ayant point permis dès les premiers jours de se servir du télégraphe, c’est par estafettes que les communications entre Cherbourg et Paris ont eu lieu. La première estafette est arrivée mercredi soir. Depuis ce moment, la batterie de l’arsenal et le fort du Hommet tirent le canon de deuil de quart d’heure en quart d’heure.

Les deux saules pleureurs, les deux géraniums qui ombrageaient le cercueil de Napoléon ont été enlevés et embarqués sur la Belle-Poule, ainsi que les trois pierres qui recouvraient le premier cercueil, et qui ont été partagés aux équipages des trois bâtiments de guerre. Des médailles d’or, d’argent et de bronze frappées en France pour perpétuer le souvenir de cette cérémonie ont été distribuées aux équipages par le prince de Joinville. Sous la ligne , le prince ayant appris par une goélette Hollandaise que la guerre pouvait être déclarée, crut devolr se séparer de sa conserve, la Favorite, navire d’une marche inférieure, et qui d’ailleurs avait éprouvé des avaries. Il dégagea la batterie de tout ce qui pouvait nuire au jour de combat , il fit passer à bord de la Favorite les hommes non combattants, et il prit les dispositions les plus énergiques pour défendre à outrance le précieux dépôt qui lui était confié, en déclarant à son équipage qu’il était décidé à ne jamais amener. ’" Le moment de la séparation des deux navires fut touchant, les équipages montèrent sur les vergues et ces braves se saluèrent d’un triple hourra.

Toutes les personnes qui ont, à un titre quelconque, fait partie de l’expédition de St-Hélène, s’accordent à dire que M. le prince de Joinville s’est dignement acquitté de la grande et honorable mission qui lui était confiée. Tous affirment que non seulement le commandant de l’expédition a fait à St-Hélène ce que Français il avait à faire pour que la mémoire de l’empereur reçût tous les honneurs qui lui étaient dûs et que l’Angleterre lui contestait d’abord, prétendant que pour elle Bonaparte n’avait été qu’un général et non l’empereur Napoléon, mais qu’il a en outre accompli sa sainte mission avec la tenue solennelle, avec toute la pieuse et sévère dignité que le fils de l’empereur lui-même, remplissant pareil devoir, aurait pu déployer. Ce commandant avait également compris que le cercueil de l’empereur ne pouvait tomber aux mains de l’étranger, et décidé à faire couler son bâtiment plutôt que d’abandonner son précieux dépôt, il avait su faire passer dans le cœur de tout ce qui l’entourait la résolution énergique qu’il avait prise contre une éventualité extrême.

Une lettre de Cherbourg du 2 de ce mois annonce qu’on s’attendait dans ce port à voir la frégate la Belle-Poule rester quelques jours en rade. Le bateau à vapeur la Normandie qui doit recevoir les restes de l’empereur pour les transporter au Havre , n’était point encore prêt. Les autorités de Cherbourg ont fait, le premier décembre, leur visite à bord de la Belle-Poule. Cette magnifique frégate offre l’aspect le plus majestueux : sa coque, peinte en noir, rappelle l’acte quelle vient d’accomplir et les hommes de l’équipage ont laissé pousser leur barbe en signe de deuil.

M. Isabey [3], peintre, est en ce moment à Cherbourg , afin de se trouver au débarquement du sarcophage de l’empereur Napoléon et de saisir l’ensemble d’une composition qu’il prépare sur ce mémorable événement. Mardi 8 décembre.

Nous apprenons que c’est aujourd’hui mardi , dans l’après midi, que le cercueil impérial sera transbordé de la frégate la Belle-Poule sur lo bateau à vapeur la Normandie, conformément aux ordres apportés de Paris par une estafette. La Normandie , accompagnée des bateaux à vapeur le Vèloce et le Courrier, va partir du port de Cherbourg le même jour dans la soirée, de manière Aso trouver le lendemain (mercredi 9) à l’entrée de la Seine pour pouvoir profiter de la marée de jour. Trois cents hommes de la Belle-Poule suivront jusqu’à Paris les restes mortels de l’empereur Napoléon. La Normandie est peinte en grisaille ; des N entourés de la couronne impériale ornent ses tambours de roues. Avant l’opération du transbordement du cercueil une grande cérémonie funèbre aura lieu à bord de la frégate. La garde nationale et les troupes de la garnison de Cherbourg seront sous les armes et borderont les quais du port militaire.

document relatif

Relation de ce qui s'est passé à Cherbourg à l'occasion du transbordement des restes mortels de l'empereur Napoléon.

Par Noël-Agnès, Nicolas Jacques (1794-1866), 1841

simple page en défilement vertical

double page en tournant les pages

Notes

[1] L’Indicateur de Bayeux [puis] L’Indicateur de Bayeux et Echo bayeusain réunis [puis] L’Indicateur de Bayeux et l’Echo du Bessin réunis. : journal commercial, agricole, littéraire, d’annonces et affiches judiciaires de la ville et de l’arrondissement [puis] journal politique et religieux, commercial, agricole et littéraire…

Parait de à partir de 1838 jusqu’au 19 février 1937 Bi-hebdomadaire puis hebdomadaire Éditeur/imprimeur : Gaston Colas à Bayeux Diffusion : Calvados Numérisé du 07 janvier 1840 au 21 décembre 1939

L’Indicateur de Bayeux naît sous la Monarchie de Juillet. D’abord feuille d’annones et presse d’arrondissement, il se transforme en journal politique sous la IIe République. D’orientation conservatrice et cléricale, il se partage le lectorat avec l’Echo Bayeusain. Son propriétaire, Gustave Delarue, est aussi l’imprimeur officiel de l’évêché. Il devient l’Indicateur de Bayeux et Echo bayeusain réunis en 1919. Le journal est uni au Courrier du Bessin en 1937 du fait de ses difficultés financières, dans un contexte où la presse bas-normande est victime des problèmes économiques nationaux et où elle souffre de la concurrence des grands journaux voisins à vocation régionale comme l’Ouest-Eclair.

[2] NDLR : ne pas confondre avec la Belle-Poule construite en 1932 qui elle est l’héritière d’une tradition de frégates de la Marine royale puis Nationale dont le nom serait issu d’un bateau corsaire célèbre sous François Ier, la Belle Paule.

  • La première fut une frégate de 26 canons, armée en 1765 à Bordeaux, et qui participa au premier combat de la guerre d’indépendance des États-Unis,
  • La seconde portait 40 canons et fut construite à Nantes entre 1801 et 1802. Capturée en 1806 par les Anglais, elle fut débaptisée pour servir dans la Home Fleet.
  • La troisième a été lancée en 1834. Ce fut elle qui ramena les cendres de l’Empereur de Sainte-Hélène en 1840.

[3] voir l’onglet "Eugène Isabey" de cet article