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Dynasties de Potiers

Emmanuel Bouton


Dynasties de Potiers

Dynasties de Potiers

A vec Néhou et Vindefontaine, le centre potier de Sauxemesnil participa au développement de l’artisanat rural dans le Cotentin. Godiâos, bien sûr, marquis, vierges, épis de faîtage, statues d’églises... sont encore là dans les musées, sur nos toitures ou aux carrefours de nos chasses pour rappeler la qualité et le savoir faire des potiers de Sauxemesnil. D’après l’abbé Lerosier, curé de Sauxemesnil vers 1890, les potiers étaient déjà installés pendant la conquête romaine. La prospérité de Sauxemesnil, due au renom de sa production, fut grande au XVIII siècle. Son apogée se sîtue pendant le Premier Empire, mais déclina à partir de 1850. On dénombrait 16 potiers à la fin du siècle dernier et malheureusement en 1922 le dernier four fut éteint.

Il reste peu de témoignages pour vous faire découvrir qui ils étaient et leur manière de vivre. Nous savons que les potiers de Sauxemesnil étaient en conflit quasi permanent avec les autorités de l’époque. Ils durent batailler pour avoir accès aux fosses à terre, situées dans les forêts royales, élément indispensable pour assurer leurs productions et leurs revenus.

La visite des forêts proches de Sauxemesnil par l’intendant Chamillard est l’un des témoignages de la lutte des potiers pour défendre leurs intérêts professionnels . Voici un extrait de son procès verbal dressé en 1666. " Estans entrez en la dite garde... nous avons remarqué un ténément d’héritage presque enclavé dans la dite forêt et divisé en plusieurs pièces que... nous ont dit avoir été peffées au seigneur de Gouberville, lequel a subrogé jusque au nombre de douze maisons que nous avons remarqué avoir leurs ouvertures et sorties dans la forêt ; auprès desquelles maisons nous avons remarqué plusieurs fours à faire thuiles, pots et bouteilles de terre, ce qu’aiant recogneu estre

préjudiciable à la conservation de la forêt nous avons ordonné qu’à la diligence dudit Procureur du Roi les possesseurs seront assignez pour représenter les titres en vertu desquels ils possèdent des dits héritages et ont fait construire les dits bastiments. " Nous apprenons plus loin que " dans les gardes du Coud’ray et de Hettembosc les maisons peffées du seigneur de Gouberville " sont habitées par " les surnommez Le Poitevin, Le Sage, Le Blond, Lode, Montgardin, Pitrot "

L’intendant, en cherchant à assurer la protection du domaine forestier, autorisera seulement quatre potiers à prendre de la terre et construire des fours dans la forêt royale, mais après avoir vérifié leurs droits : Franqois Vallognes, Robert Mouchel, Honoré Mouchel et Estienne Le Poittevin, " de prendre de la terre propre à faire leurs ouvrages de poterie dans les forêts des verderies de Vallognes et Cherbourg en remplissant les fosses où ils tireront ladite terre comm’aussy de prendre le bois mort et pouny sans faire aucun délit suivant les ordonnances lequel nombre de potiers demeure réglé à quatre chefs de famille et à quatre fours seulement, un pour la famille des Vallognes, un pour la famille des Poittevin, et deur pour la familles des Mouchel, lesquels fours seront établis aur hameaux de Sequeval, de la Magdelaine, des Monts et de Monceaux, et ordonné que tous 1es autres fours à potiers seront démolis dans la quinzaine par les propriétaires d’iceux sinon abattus et niinez à leurs pais et dépens par les potiers susnommez ". Les autres potiers durent quitter les forêts. Ce n’était pas la première fois que les potiers étaient confrontés a ce genre de problèmes, mais des jugements avaient été prononcés en leur faveur en 1461, 1531 et 1575. En 1778-1782, les potiers représentèrent le procès verbal de Chamillard pour défendre, une fois de plus, leurs droits. Ils décidèrent le 29 août 1781 de désigner les procureurs afin de pouvoir continuer à prendre de la terre dans la forêt de Brix.

"  Le 29 août 1781, se sont assemblés les sindic et membres conposans la communauté des pottiers ou fabriquants de pots en terre de la paroisse de Sauxemesnil, présents par :

- Pierre-Joseph MOUCHEL dit Gros-Dos,
- François MOUCHEL dit La Marre,

- Jean MOUCHEL dit La Marre,

- Pierre MOUCHEL, fils Lienard, aussy dit La Marre

- Pierre MOUCHEL, fils Pierre, encore dit La Marre
- Pierre MOUCHEL, dit Balzac

- François MOUCHEL dit Le Darreaux
-François MOUCHE1., fils Michel, dit La Sablonnière
- Jean MOUCHEL, fils Pierre, dit les Valons
- Jean MOUCHEL, fils Jean, dit Brigade

- Robert MOUCHEL, dit Balzac
-Jacques MOUCHEL, fils Jacques, dit Grand- Robert
- Nicolas MOUCHEL, fils Robert, dit le Juge
- François MOUCHEL, fils Joseph, dit Muscadin
– Léonard-François
-Augustin LE POITTEVIN, dit Petit Curé
- Nicolas LE POITTEVIN, fils Jean, dit Le Poil
– Pierre LE POITTEVIN, fils Jean, aussy dit Le Poil
- Pierre LE POIïTEVIN, fils Nicolas, aussy dit Bibet
- Jean LE POITTEVTN, dit Jean Pot
- Jean LE POITTEVIN, pls Guillaume, dit Jarnet ceux-cy dessus dénommés, faisant fort pour les absents ".

" Lesquels, vû la contestation qui leur est apportée de prendre la terre convenable et nécessaire pour faire leurs pots dans les forêts de Brix, anciennement connues sous 1es verderies de Valognes et Cherbourg, contre et au préjudice de l’énoncé en leurs titres et de leur possession constante et suivie, au point que sur l’emparquement de leurs cheveaux, ils ont été dans la nécessité de présenter leur requête à Monsieur le Bailly de la Haute justice de Brix, maître particulier des eaux et forêts en dépendant, le 24 de ce mois, répondue et scellée led. jour, ont ensemble fait et constitué leurs procureurs généraux et spéciaur, led’it François Mouchel, dit la Marre,sindic, Jacques et François Le Poittevin, frères, dits Rabuquet, erergants lad proffemon de pottiers en lad paroisse de Sauxemesnil."

" Auxquels et à chacun d’eux, conjointement ou séparèment, l’un en l’absence de l’autre, ils donnent pouvoir de pour eux et au nom de lad commumauté signifper lad. requête à ceux qui se prétendent propriétaires de tout ou partie desd. forêts, dépendantes anciennement des verderies de Valognes et Cherbourg, et qui prétendent empescher les fouilles desd. pottiers, avec assignation pour comparoitre devant tous juges compétents, pour y procéder sur les pns de lad requête, ainsy et de la manière qu ’il apparriendra, produire et communiquer tous titres ef concessions de privilèges, poser tous faits de preuve, acbninist déchiré témoins s’il Ie faut, provoquer et demander toutes descentes et accessions de lieux, y faire tous soutiens, exercer tous dires et raisons, demander et se faira accorder tous actes, plaider, appeller, opposer et poursuivre en toutes cour et juridictions jusqu’à jugements, sentences et arrêts définitifs, les délivrer et faire mettre à leur erécution, faire tous voyages, séjourner tant que besoin sera, faire rayer et liquider tous dépens, domages et intérêts, en délivrer erécutoire, percevoir le montant, en donner quittance et générallement faire pour le maintien et la conservation des droits et privilèges de lad communauté ... "

La mentalité de la communauté semble avoir évolué, à l’aube de la révolution française, les potiers sont plus unis et revendicatifs qu’en 1666 pour défendre leurs droits.

Nous retrouvons trace de nos procureurs dans les cahiers de la paroisse. Les registres paroissiaux de Sauxemesnil (1676-1791) mentionnent parfois les professions lors de l’enregistrement des baptêmes, des mariages et des sépultures. Le premier acte faisant référence au métier de potier date de 1737. En 1759, la première naissance et en 1761 le premier décès.

A la lecture des registres, nous vous proposons ci-dessous la liste des procureurs augmentés de mentions concernant leur état civil.. Ceci à partir des 3 listes (baptêmes, mariages et sépultures) jointes en annexe relevant tous les actes où la profession de potier est indiquée. Il faut savoir que l’enregistrement des actes accompli par le curé de la paroisse dépendait de sa bonne volonté et de sa culture. A ceci s’ajoutent les erreurs dues à l’utilisation des prénoms (le premier prénom n’était pas forcement utilisé usuellement), la répétition des mêmes noms de famiUe, les enfants portaient aussi les mêmes prénoms que leurs parents. L’ajout des avernoms permet de s’y retrouver pour construire les familles de potiers.

- Pierre-Joseph MOUCHEL dit Gros- Dos, marié avec Jacqueline GALIE
- François MOUCHEL dit La Marre, marié avec LE POITTEVIN Marie Anne
- Jean MOUCHEL dit La Marre,
- Pierre MOUCHEL, fils Lienard, aussy dit La Marre, marié avec Marie BOURDON
- Pierre MOUCHEL, fils Pierre, encore dit La Marre Fils de Pierre MOUCHEL et Marie MOUCHEL. Marié avec Marie LEVALLOIS le 27 novembre 1773
- Pierre MOUCHEL, dit Balzac
- François MOUCHEL dit Le Darreaux
- François MOUCHEL, fils Michel, dit La Sablonnière
- Jean MOUCHEL, fils Pierre, dit les Valons
- Jean MOUCHEL, fils Jean, dit Brigade
- Robert MOUCHEL, dit Balzac Fils de Pierre-Joseph MOUCHEL et Marie GUILLOT Marié avec Marie PICOT le 27 octobre 1770
- Jacques MOUCHEL, fils Jacques, dit Grand-Robert
- Nicolas MOUCHEL, fils Robert, dit le Juge Fils de Robert MOUCHEL et Françoise DUREL Marié avec Jeanne Thérèse BOURDON le 23 novembre 1773
- François MOUCHEL, fils Joseph, dit Muscadin Léonard-Frangis
-Augustin LE POITTEVIN, dit Petit Curé, marié avec Jeanne MOUCHEL
- Nicolas LE POITTEVIN, fils Jean, dit Le Poil fils de Jean LE POITTEVIN et Roberte MOUCHEL Marié avec Catherine LE POITTEVIN le 29 janvier 1780
- Pierre LE POITTEVIN, fils Jean, aussy dit Le Poil
- Pierre LE POITTEVIN, fis Nicolas, aussy dit Bibet, marié avec Catherine LE POITTEVIN
- Jean LE POITTEVIN, dit Jean Pot
- Jean LE POITTEVIN, fils Guillaume, dit Jarnet

C’est un fait notable que deux familles se partagent l’industrie potière de Sauxemesnil. Les Mouchel et les Le Poittevin ont marqué l’histoire de la commune jusqu’à l’extinction du dernier four. Pour conserver leur savoir faire et leur patrimoine, ils se marieront entre eux. Ce comportement existait auparavant. En 1686 à Sauxemesnil vivaient les couples suivants :

Louis LE POITTEVIN et Catherine MOUCHEL, Marin LE POITTEVIN et Marie MOUCHEL, Thomas LE POITTEVlN et Marguerite MOUCHEL, Thomas LE POITTEVIN et Sussanne MOUCHEL, Michel LE POITTEVIN et Renée MOUCHEL, Jean LE POITTEVIN et Marie MOUCHEL, Jean François I.E POITTEVIN et Catherine MOUCHEL.

Nous ne savons pas s’ils étaient potiers ou laboureurs. Toujours est-il qu’ils vivaient déjà en circuit fermé.Les secrets de fabrication et le tour de main devaient faire partie de l’héritage. C’est aussi, peut-être, une manière de sauvegarder leur position sociale dans la hiérarchie du village. Pour se différencier, ils se donnèrent des surnoms (avernoms). Nous les connaissons pour la plupart, il suffit de consulter l’annuaire téléphonique. Nous les retrouvons même sur la carte d’état major. Peut-être que certains de nos concitoyens et lecteurs habitent dans un ancien atelier de potier...

Emmanuel Bouton