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Les corporations d’artisans et de commerçants à Coutances

(adapté de J.Toussaint, Coutances des origines à la Révolution, t.2)


Les corporations d’artisans et de commerçants à Coutances


(adapté de J.Toussaint, Coutances des origines à la Révolution, t.2)

Coutances n’a jamais été un centre commercial important ; si jamais elle a eu quelque vocation industrielle, celle-ci est très atténuée dès le XVIIe siècle. Aussi, les conditions économiques ne pouvaient favoriser la naissance d’un patriciat puissant : les familles de marchands, sitôt acquise une honnête aisance, tentaient de déboucher dans la magistrature, mais là elles ont rapidement et sans doute victorieusement été concurrencées par de riches souches paysannes qui, dans leurs villages, sont arrivées à créer une véritable bourgeoisie rurale. Si au début du XVIIe siècle les fils de laboureurs s’en vont en ville pour y faire fortune, au XVIIIe ils s’y établiront pour y vivre honorablement des richesses amassées par leurs parents, ce qui est l’indice d’une situation assez prospère des campagnes basnormandes sous l’Ancien Régime.

Le commerce et l’industrie ont besoin d’ordre et de sécurité pour naître et pour se développer. Les invasions nordiques leur furent totalement contraires. Dès l’époque ducale, on les voit demander au principe d’association un moyen de protection contre toutes sortes d’obstacles. Ce principe d’union et de solidarité mutuelle, dans le désarroi de toutes les institutions civiles et politiques, fut alors, avec l’administration religieuse, le seul où la société put se reprendre et commencer à se reconstituer .

Saint Louis a fourni un code à l’industrie et l’a réglementée, et l’évêque de Coutances, en 1318, donna des règlements aux tisserands de la contrée. Un registre contient les statuts de 21 corporations et donne leur date de constitution ou parfois de leur renouvellement :

Toiliers 1475
Drapiers 1480
Cordonniers 1489
Maréchaux 1502
Cuisiniers, pâtissiers 1573
Maçons, tailleurs, imagiers 1581
Serruriers 1581
Bastiers (maçons) 1581
Menuisiers 1587
Couvreurs d’ardoises 1601
Carreleurs (savetiers) 1601
Peintres, vitriers 1601
Selliers 1610
Chandeliers 1611
Estaminiers (potiers d’étain) 1613
Charpentiers 1614
Grossiers, mercier 1615
Chapeliers 1679
Poissonniers 1678
Bouchers 1679
Tailleurs d ’habits 1680


On peut évaluer l’importance de chacun de ces corps de métiers en relevant et en comparant le nombre de délégués qu’ils envoyaient pour soutenir leurs intérêts devant les autorités compétentes... chiffre vraisemblablement proportionné au nombre des membres adhérents : les toiliers et les maçons en fournissent chacun 30 ; les tailleurs, 26 ; les menuisiers et les cordonniers, 24 ; les merciers, 23 ; les carreleurs ou savetiers, 22 ; les charpentiers, 17 ; les maréchaux, 12 ; les estaminiers, 11 ; les drapiers, 10 ; les couvreurs d’ardoises, cuisiniers, pâtissiers, bastiers, serruriers, peintres-vitriers, 9 ; les selliers, 7 ; les chandeliers et les poissonniers, 5.

Ces chiffres montrent une plus grande importance du commerce et de l’industrie coutançaise au début du XVIIe siècle, sous le ministère de Sully et le règne de Henri IV, que par la suite. Des économistes ont supposé que le commerce coutançais a suivi le sort du port voisin de Regnéville, qu’il fut prospère tant que les gros navires ont pu pénétrer dans ce port naturel et qu’il a, au contraire, fléchi et a fini à peu près par s’éteindre quand le havre de Regnéville s’est ensablé.

Les compagnons d’un même métier, quand ils voulaient s’ériger en « corporation » avaient à franchir deux étapes. Ils devaient d’abord se faire connaître et autoriser par l’intendant de la généralité et les assises de Caen. Ils devaient ensuite comparaître devant le sénéchal de la prévôté de Coutances, à qui ils donnaient lecture de l’autorisation venue de Caen. Le sénéchal, après avoir enregistré cette autorisation, faisait jurer aux maîtres d’observer scrupuleusement les règlements de cette corporation, après quoi la publication en était faite à son de trompe dans les carrefours et lieux publics de la ville. Ces statuts enregistrés, contrôlés, certifiés véritables étaient signés par les maîtres-jurés en exercice.

Deux métiers ont eu, à Coutances, une importance spéciale : les drapiers, ou toiliers, tisserands et autres ouvriers du drap et du lin ; les tanneurs et ouvriers du cuir.

Les drapiers et tisserands
Les toiliers et drapiers sont parmi les plus anciens corps d’état. Leur constitution en corporations remonte à 1475 et 1480 ; mais ils avaient déjà des statuts établis par l’évêque de Coutances en 1318.

Les terrains de la région sont propices au lin et, à la fin du XVIIIe siècle, la profession de filandier primait toute autre activité. Deux quartiers surtout : la Croix-Quillard (au nord) et le Pont de Soulles (au sud, près de la rivière) possédaient des tisserands et des filandiers (voir les noms des rues « de la Filanderie » et « des Teintures »).
Dans un état de population datant de 1689, on trouve des ouvriers laineurs et des ouvriers fouleurs, professions qui ne s’exercent que là où il y a des fabriques de toiles et de draps. Dans un autre état de population qui est de 1666, on constate l’existence de très nombreux ouvriers tisserands, surtout dans les quartiers extrêmes.

Un rapport du 14 mars 1612 donne quelques règles propres à la corporation des « tissiers ».

« Par devant nous Gilles Dandouville, écuyer, sieur Dandouville, conseiller du roi, notre sire, lieutenant-général civil et criminel au bailliage du Cotentin, tenant les assises à Coutances ; en présence des conseillers tenant le siège présidial du dit Coutances ; et de maître Guy Le Comte, avocat et procureur du roy au dit lieu, sont comparus les maîtres du mestier de tissier, de tellier en toile coetys, droguets et ouvrages, de la ville de Coutances dont les noms ensuyvent .
« C’est à savoir : Gilles Boulleur, Nicolas Lerondel, maistres-jurés du dit mestier, Jean Potier, Germain Lecat, Jean de Lisle, Pierre Leroy, etc., pour rétablir et instituer... les statuts et ordonnances qui ensuyvent, en attendant qu’ils pourront recouvrer les statuts fait faire et dresser en l’année 1582 et qui ont disparu... »
Suivent des ordonnances concernant l’assistance aux offices liturgiques prescrite par la confrérie... puis des clauses professionnelles :
« Item tout apprentif du dit mestier sera tenu faire chef-d’œuvre, suivant les ordonnances du roy, sur peine d’amende de vingt sols, la moitié au roy et seigneur évêque de Coutances, l’autre moitié allant aux torches du dit mestier.
« Item tout apprentif sera tenu faire chef-d’œuvre du plus haut style en ouvrage dont il entend faire usage au temps à venir lequel lui sera ordonné par lesdits maîtres-jurés et gardes du métier, en présence du conseil de six autres maîtres délégués, chargés de surveiller le travail et d’empêcher toute fraude pouvant s’introduire dans la confection du chef-d’œuvre...
« Item, tous apprentifs ne pourront exercer le métier qu’ils n’aient travaillé sous maître le temps de trois années, pour satisfaire à leur apprentissage, sur peine de 10 sols d’amende... »
Cette durée de l’apprentissage variait avec les différents corps de métier et dépendait de leur difficulté, mais on voit que la préparation professionnelle - l’école d’apprentissage - était minutieusement surveillée, que la qualité de l’apprenti devait se prouver, à la sortie d’apprentissage, par un chef-d’œuvre présenté à un jury qualifié et contrôlé sévèrement. Après quoi il était reçu maître. « Il est ordonné que nul maître du dit mestier ne pourra tirer ni prendre aucuns tissands, lesquels auront travaillé sous autre maître, sans son consentement, sur peine d’amende... » […]
« Item, si aucun ouvrier passant par le pays veut besogner en icelle ville ou faubourgs, il fera une pièce chez l’un des maîtres et s’il veut plus besogner il payera une livre de cire, allant à la dite torche, et s’ils ne tiennent à le mettre en besogne, les-dits gardes seront tenus donner 18 deniers tournois aux dépens des dites torches pour lui aider à passer le pays. » […]
« Item, aucun maître dudit mestier ne besognera à la pièce que l’un des autres maîtres du métier aura ourdie, si ce n’est de l’accord et du consentement de celui qui l’aura ourdie, sur peine d’une livre de cire allant à l’entretien de la torche. » […]
« Item, aucun maître ne mettra en besogne nul ouvrier passant qui mène femme avec lui si elle n’est son épouse, sur la peine d’une livre de cire. » […]
« Item, après le décès des maîtres ou maîtresses ou leurs enfants, les torches du dit mestier seront portées par les susdits gardes et maîtres-jurés du mestier, lesquels seront tenus assister au convoi et enterrement ainsi que c’est usage et coutume... »

Le commerce de la toile
Le commerce se faisait beaucoup par mer. Le voisinage de la mer était donc source de profits. Des relations de commerce reliaient la côte coutançaise avec les Indes, où l’on exportait des draps, et les îles d’Amérique, les Antilles françaises. Les ports d’Agon, avec son havre, celui de Blainville et celui de Regnéville ont connu leur époque de prospérité et d’activité. Il y avait pour les habitants de ces côtes maritimes le revers de cette prospérité. C’était le service dans la marine royale et les canonnières gardecôtes. Heugueville, par exemple, fournissait 50 matelots en temps de guerre.

Le rapport de l’intendant de Gourgue (1689) constate qu’à son époque il se fait, à Coutances et dans son élection : « un grand commerce de toille et de coutil que l’on porte aux Indes et dont le débit est considérable. »
« La moitié des terres de l’élection, écrit M. Lemare (16), étaient cultivées en lin, et même d’après de vieux titres les fermiers de Gavray et de Cerisy avaient le droit de semer en lin les deux-tiers de leurs terres. » Tandis que les femmes filaient à la maison, les hommes, délaissant pour un temps le travail de la terre, s’adonnaient au tissage.

Les belles toiles de Coutances, les « Coutances » comme on les appelait, s’expédiaient partout en France, et même à l’étranger. Embarquées à Saint-Malo, elles étaient connues en Angleterre, en Espagne, jusqu’aux Indes. Elles durent être embarquées primitivement à Regnéville, après avoir été vendues aux foires d ’ Agon et de Montmartin-sur-Mer .
La foire d ’ Agon remontait aux ducs de Normandie. Elle se déroulait sur 8 jours, à la Pentecôte, et elle avait été établie par Jean Sans Terre, comte de Mortain et roi d’Angleterre, en 1201, à la veille du rattachement de la Normandie au royaume de France. Elle était célèbre dans toute l’Europe. Par la suite, elle fut transférée à Montmartin-sur-Mer, plus près de la Sienne et du port de Regnéville. Les vaisseaux d’Espagne, de Portugal, d’Angleterre, d’Irlande, de Flandre et de Hollande y venaient à grandes flottes. Ceux des îles hanséatiques y venaient aussi ; mais après plusieurs pillages par les Anglais, notamment en 1451, au lendemain de la guerre de Cent Ans, on éloigna de cette côte dangereuse la foire de Montmartin, qui fut fixée dans un faubourg de Falaise, à Guibray. La suppression de la foire de Montmartin ne supprima pas l’activité du port de Regnéville, ni la prospérité des manufactures de toile de Coutances.

Le rapport de l’intendant de Vastan (1731) constate que :
« Il n’y a aucune manufacture d’ouvrages de laine dans l’élection de Coutances, mais uniquement des manufactures de toiles. […] 465 métiers ou environ, dans l’élection, fournissaient cette branche de manufacture, dont 90 métiers sont dans la ville ou les faubourgs, montés en toiles de différentes qualités, nappes, serviettes et coutils, le surplus dans les paroisses circonvoisines où l’on trouve des coutils, des toiles appelées blancardes et petites toiles rayées et à carreaux, métiers qui font vivre 4.650 personnes au moins ; le salaire d’un compagnon est de 7 à 9 sous par jour ; celui d’une fileuse 3 à 4 sous.
Les coutils de Coutances ont conservé ce nom, qu’ils soient fabriqués en ville ou dans les environs, parce que ce sont les marchands de Coutances qui les font fabriquer au dehors, afin d’éviter les droits urbains. Leur largeur varie entre une aune, 7/8, 3/4, 2/3 et une demi-aune. Le règlement de 1693 ne comporte que ceux de 3/4 ou de 2/3 d’aune, mais il convient que les trois autres laisses soient également autorisées. Ces coutils se consomment dans le royaume et sont envoyés à Paris, Lyon, La Rochelle, Bordeaux et autres villes ; la Bretagne en fait venir beaucoup, ainsi que les îles anglaises de Jersey et de Guernesey. On en fait des lits, des traversins, des tentes et autres bagages de l’armée, ainsi que des habits. Leur qualité est sérieuse, sans approcher toutefois des coutils de Bruxelles, plus fins et d’un prix moins élevé. Les fils qui servent à tisser les coutils de Coutances paient, à leur entrée en ville, un droit de tarif de 57 sous du cent pesant, et après fabrication six deniers par aune et 4 sous par livre. S’ils sont fabriqués à la campagne, comme toujours les chaînes, ils paient 46 sous, bien que le fil utilisé ait déjà payé 57 sous du cent pesant, et quand le tissu revient en ville après fabrication à la campagne, il paye encore six deniers par aune et 4 sous par livre, sans compter le droit d’aunage réservé à l’aunier-juré. Encore faut-il y ajouter le droit de la coutume qui, à la vérité, était de peu d’importance. Cette manufacture était peut-être plus forte à Coutances, au XVIIe siècle, qu’elle ne l’est au XVIIIe ; mais plutôt que diminuée, elle s’est surtout déplacée de la ville dans les paroisses environnantes. […]
Ce qui reste certain, c’est que si l’on compare la situation de cette manufacture des coutils dans l’élection, il y a quinze ans (vers 1715) à la situation actuelle (1731), on trouve qu’elle a augmenté des deux-tiers. […]
Les prix actuels des marchandises manufacturées à Coutances sont : les toiles de lin, de 1 livre 8 sous jusqu’à 4 livres 10 sous ; celles de chanvre de 1 livre 7 sous jusqu’à 3 livres 10 sous ; celles d’étoupe depuis 11 jusqu’à 20 sous ; les serviettes depuis 55 jusqu’à 160 livres la pièce de 48 aunes ; les nappes depuis 52 sous jusqu’à 7 livres 10 sous la pièce ; les coutils vidés depuis 30 jusqu’à 40 sous ; les non vidés depuis 22 jusqu’à 38 sous l’aune. Les petites toiles et à petits carreaux servent à différents usages et se répandent dans tout le royaume ; elles ont une demi-aune de largeur. […]
II est certain que la fabrique de la toile a diminué dans la ville de Coutances pour émigrer dans les faubourgs voisins. » En 1677, il n’y avait plus à Coutances que 5 filandiers, un imprimeur sur toile, 3 marchands et 56 tisserands. L’industrie n’y était pas morte, mais elle déclinait, au profit de Marigny, Cerisy et Canisy. Cela tenait à deux causes : la malfaçon et l’impôt. Les marchands coutançais, éblouis par les bénéfices faciles, manquèrent de prudence en ne prévoyant pas le déplacement inévitable de leur marché. Ils n’ont songé à réagir que lorsqu’il n’était plus temps. On tenta, sous la Révolution, de rétablir l’ancienne prospérité du marché à toiles : en vain. Coutances n’a plus jamais connu cette prospérité.

Tanneurs et ouvriers du cuir
Le travail des peaux fut une industrie essentielle à Coutances. Il aurait remonté à l’époque gauloise : Cosedia (l’un des noms primitifs de Coutances), qui serait une fondation grecque, était située sur l’emplacement du quartier du Pont de Soulles (le nom Cosedia, viendrait du mot grec Kôs, Kôos, toison).

Un diplôme décerné à un parcheminier du Pont de Soulles, en 1761, montre le fonctionnement de la corporation. Le postulant, après avoir accompli cinq années d’apprentissage et trois années de_compagnonnage et subi l’épreuve du chef-d’œuvre, présentait sa requête au bailli du Cotentin. Il devait être porteur d’une pièce attestant qu’il avait passé l’examen devant les maîtres ou jurés du métier, lesquels déclaraient par signature le postulant apte à entrer dans leur corporation ; d’une quittance signée du préposé au recouvrement des finances constatant qu’il a payé au trésor la somme de 37 livres 10 sols, droits exigés pour l’exercice de la profession ; d’une autre quittance attestant qu’il a payé la cire pour l’entretien des torches du métier et autres droits dus à la communauté. Ces formalités remplies, le lieutenant-général de police du bailliage par lettres patentes, du consentement du procureur du roi, et après avoir reçu le serment du suppliant, le déclarait admis « à tenir ouvreur et à exercer dans la ville de Coutances et banlieue et non ailleurs la profession de tanneur, corroyeur, hongroyeur, peaussier, mégissier et parcheminier ; l’autorisait à jouir des privilèges et exemptions attachés à ladite profession avec obligation de se conformer aux statuts, règlements et charges y afférents ». Il était aussi défendu d’acheter des cuirs ailleurs qu’à la halle et avant six heures du matin de Pâques à la Saint-Michel et avant huit heures de la Saint-Michel à Pâques. Les maîtres ne pouvaient exposer leurs souliers en vente avant onze heures en hiver et dix heures en été.

Autres exemples de règlements des corporations

Certaines observances étaient à peu près communes à chaque corporation. Une élection, généralement triennale, désignait le chef, qu’on appelait le garde-torche, et de deux à six maîtres-jurés qui représentaient la corporation dans les affaires à débattre et défendaient ses intérêts. Ils étaient chargés d’inspecter leurs membres, visitaient chaque semaine les boutiques et ateliers de leur corps d’état, s’assuraient si les statuts étaient observés, la matière première de bonne qualité, la confection convenable. S’ils établissaient une contravention, ils faisaient payer les amendes fixées par les statuts ou même pouvaient faire saisir les marchandises, à la charge d’en prévenir la justice dans les vingtquatre heures. Ils veillaient, en outre, à ce que les marchandises fussent apportées au lieu habituel et mises en vente aux heures fixées. Ils empêchaient les regrattiers, c’est-à-dire les revendeurs de faire leurs achats avant l’heure. Inspecteurs de l’apprentissage, ils présidaient à la confection du chefd’œuvre, et jugeaient, avant de délivrer le diplôme de maître, si le chef-d’œuvre était bon et suffisant. A l’expiration de leurs trois ans, ils avaient des comptes à rendre, sous la garantie de tous leurs biens meubles ou immeubles, qui se trouvaient ainsi frappés d’une hypothèque légale.
Des règlements limitaient le pouvoir du maître. Par exemple, il ne pouvait avoir qu’un seul apprenti pour une période qui variait de deux à cinq ans. Interdiction aussi de prendre l’apprenti ou le compagnon d’un autre maître. Obligation d’exercer leur activité d’une façon ostensible, dans leur atelier ou leur boutique, dans le délai des heures déterminées, de livrer leurs marchandises aux lieux également fixés (halles ou marchés) munies d’une marque de fabrique. Les estaminiers avaient même deux marques de fabrique, une pour l’étain sonnant, c’est-à-dire pour le métal des cloches, et une autre pour l’étain commun.
Les veuves pouvaient continuer le commerce de leur mari à certaines conditions ; si elles épousaient un compagnon du métier, celui-ci était exempté d’une partie des droits exigibles pour les lettres de maîtrise. Des précautions étaient aussi prises contre les ouvriers étrangers : ils ne pouvaient séjourner plus de huit jours dans la ville de Coutances sans accomplir les conditions requises et payer les droits imposés aux compagnons pour devenir maîtres. Ces dispositions devaient restreindre beaucoup le compagnonnage dangereux pour la société.
L’apprentissage variait de deux à cinq ans. Il fallait cinq ans pour produire son chef-d’œuvre de menuisier ou pour devenir peintre-vitrier. Ces derniers, d’ailleurs, qui pratiquaient le vitrage au plomb ou la peinture sur verre, n’estimaient pas qu’ils exerçaient un métier mais pratiquaient un art.

Le chef-d’œuvre pour un jeune serrurier était, naturellement, d’œuvrer une serrure originale.
L’apprenti sellier, au bout de trois ans, était mis en chambre ou en ouvroir dans l’hôtel d’un des maîtres, et sous la surveillance de maîtres qui ne devront lui donner aucun conseil, il devait « fabriquer un corps de selle pour haquenée ou mule à l’usage de femme avec les arçons et les harnais ».
L’apprenti carreleur ou savetier devait « mettre en une vieille botte une rosette de cuir neuf, plus relever une pantoufle ou mule, plus coudre une cornière de cuir fort à un soulier ou pantoufle et bien et dûment appliquer le vieux cuir avec le neuf, lequel chef-d’œuvre sera exécuté en la présence de gardes et jurés ».
Le travail devait être exécuté publiquement et non en cachette, de manière à pouvoir être surveillé. Il était expressément défendu aux cuisiniers de « travailler en chambre ou grenier ». Nul ne pouvait non plus exercer deux métiers à la fois, même s’ils avaient des rapports.
« Nul du métier de bastier ne pourra faire besogne de sellier. » C’était la protection du métier contre le double emploi.
Les corporations veillaient beaucoup à la qualité de la marchandise qu’elles livraient à leurs clients. Les poissonniers avaient des règlements sévères pour garantir la fraîcheur de la marée. Il y avait à Coutances un garde et un maître, élus tous les trois ans, pour visiter le poisson frais et salé et séquestrer celui qu’ils jugeaient « indigne d’entrer dans le corps humain ».
Les statuts des chandeliers étaient tout aussi sévères sur la qualité du suif qu’ils employaient. Ils leur interdisaient d’introduire de la graisse de porc dans les chandelles ; d’exercer un autre métier que le leur ; de vendre leurs marchandises eux-mêmes, mais leurs femmes en avaient le droit ; de la vendre dans la rue ou ailleurs qu’au marché... Ils interdisaient aux bouchers de mettre ensemble le suif de plusieurs bêtes, ou du suif de deux jours différents.
Les estaminiers, c’est-à-dire les potiers et fondeurs d’étain, possédaient un étain étalon dont la qualité devait être reproduite dans tous leurs ouvrages. Les maîtres de la corporation avaient tenu à ce qu’il existât une table d’étain bon et loyal pour le profit du bien public. Sur cette table, les maîtres et jurés du métier devaient appliquer leur marque et estampille. On en détachait un petit échantillon, remis à chacun des maîtres, afin qu’ils puissent confronter la qualité de leur marchandise avec celle de la table étalon. L’étain sonnant (les cloches) et l’étain commun avaient des marques différentes
La solidarité professionnelle était établie chez les estaminiers, et si l’un d’entre eux versait dans un procès, « les autres maîtres seront tenus passer procuration pour défendre la chose aux communs dépens ».
Sans doute par crainte des faussaires, « aucun maître ou apprenti, valet ou domestique, n’achètera vaisselle plate (d’étain) s’il ne connaît bien la personne qui la vend », sous condition d’en avertir la justice.