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Thomas Pesquet - bio

Par Thibaut De Jaegher


Décollage réussi pour Thomas Pesquet, le plus jeune astronaute européen, du cosmodrome de Baïkonour (Kazakhstan) à destination de la Station spatiale internationale, où il doit passer six mois. Portrait de cet ingénieur Supaéro, rencontré en 2009 par Industrie & Technologies.

Son premier vol dans les étoiles, Thomas Pesquet l’a fait tout petit... dans une navette en carton fabriquée par son père. Le pas de tir n’était pas celui de la Cité des étoiles à Baïkonour en Russie ou Cape Canaveral en Floride mais celui de la maison familiale à Beauval-en-Caux, près de Dieppe en Normandie. « J’y restais des heures », sourit ce natif de Rouen, en s’empressant d’ajouter « mais ce rêve, tous les gosses l’ont eu ». Tous les enfants ont en effet un jour imaginé voler dans les étoiles, mais Thomas est l’un des rares à avoir réussi à se mettre en orbite. À 31 ans, l’ingénieur se demande pourtant encore comment il a pu attraper ce virus de l’espace. « Mes parents sont enseignants, mon frère aussi », s’étonne-t-il tout haut.

Il ne rêve pourtant pas. La combinaison bleue des astronautes européens lui colle bien au dos et son discours est clair, net, serein. Avec ses yeux bleus plantés dans les vôtres, il assure d’ailleurs qu’il n’avait aucun plan de carrière pour se retrouver aujourd’hui dans cette salle de réunion du centre d’entraînement des astronautes européens, à deux pas de l’aéroport de Cologne. Tout juste reconnaît-il qu’il a toujours eu cette idée d’espace logée dans un coin de sa tête.

Thomas a avancé pas à pas et a accumulé consciencieusement les compétences qui font le socle des bons astronautes. « Je n’ai pas tout le temps pensé à ça », nuance-t-il. Mais, pour ne nourrir aucun regret, il s’est appliqué à faire de ses études et de son temps libre une véritable rampe de lancement. Portrait de cet ingénieur aéronautique qui est en passe de réaliser son rêve de bambin : travailler dans les étoiles.

L'HOMME - Il vit tout à fond

Thomas Pesquet ne fait pas dans la demi-mesure. Depuis sa tendre enfance passée en Normandie, il s’est toujours donné à fond. Dans ses études, dans le sport, dans sa soif de littérature - il se dit maniaque des livres -, pour passer les concours d’entrée aux écoles d’ingénieurs... il reconnaît volontiers tout faire à 100 %. « Au quotidien, cela ne se passe pas toujours comme ça, pondère ce sportif à toute épreuve. Mais j’aime bien me donner les moyens d’obtenir ce que je veux. » Exemple ? Ses programmes de révision. Là où n’importe quel étudiant se contente de revoir avec soin l’ensemble des cours dispensés dans les amphis, Thomas, lui, aménage son temps pour pouvoir compulser en plus d’autres ouvrages de référence sur la matière à étudier.

Saxophoniste (il a fait partie de la fanfare de Sup’aero), adepte de tous les sports (course à pied, squash, basket, rugby...), il semble avoir l’oisiveté en horreur. « J’essaie de ne jamais remettre au lendemain ce que je peux faire le jour même. En deux heures, on peut réaliser beaucoup de chose, assure-t-il. Il faut juste le vouloir. Je ne dis pas que c’est facile tous les jours, mais je me fais violence pour tenir cette discipline de vie. » Pendant ses études d’ingénieur, il a, par exemple, profité de son temps libre pour passer ses brevets de pilote et de parachutisme. Pilote chez Air France, il ne manquait jamais une occasion de partir à la découverte de sa ville de destination, même si l’escale était courte. « Si on fait tout maintenant, on se rend compte que l’on a un temps fou pour faire les choses », insiste-t-il.

Ce rythme, ses proches le supportent. « J’ai la chance d’avoir une compagne qui a les mêmes envies que moi sur ce plan », confie-t-il. Et, en fin de compte, il n’y a qu’au centre d’entraînement des astronautes européens qu’il aura dû mettre de côté son désir d’accroître ses connaissances dans les domaines les plus variés. « Je pense que l’entraînement a été conçu pour que nous soyons tout le temps à 100 % de nos capacités. » Thomas a bien essayé les premiers jours de se remettre à l’allemand mais le programme d’enseignement est si dense qu’il a dû abdiquer. « Je m’y remettrai dès que j’aurai appris le russe ! » Si on lui en laisse le temps... Les anciens astronautes confessent volontiers qu’ils se sont retrouvés au bout de quatre ans au pied d’une fusée sans avoir eu le temps de dire « Ouf ! ».

L'INGÉNIEUR - Objectif espace

En bon ingénieur, Thomas aime mettre des chiffres dans sa vie. Un astronaute ? « Quatre-vingt-dix pour cent du temps en entraînement et 10 % en mission. » Un ingénieur ? « À 95 % technologique et scientifique. » Un pilote de ligne (il était pilote chez Air France jusqu’en juin) ? « À 95 % opérationnel. » Les compétences accumulées au fil de ses études et de ses hobbies ? « J’ai fait ça à 75 % parce que ça me plaisait et à 25 % pour devenir astronaute. »

Au-delà des formules, l’ancien élève de prépa scientifique du lycée Corneille à Rouen s’est appliqué à se construire un profil d’homme de l’espace, « brique par brique ». Ses études à Sup’aero en sont une de taille. Il a profité de ses trois années d’école pour se spécialiser dans le domaine spatial. « C’est le côté scientifique du métier. Les connaissances acquises pendant mes études me permettront de mener à bien des projets de recherche que tout astronaute développe lorsqu’il est au sol. »

Thomas entend aussi mettre à profit sa position exceptionnelle pour revaloriser les sciences. Transmettre sa passion aux jeunes générations fait partie intégrante de sa mission. Il veut lutter contre l’image du « chercheur barbu dans un bureau pourri », comme il le dit. L’objectif ? Recruter des bataillons de jeunes prêts à embrasser une carrière scientifique. « Nous n’aurons jamais assez de matière grise disponible pour répondre aux défis technologiques qui nous attendent, ne serait-ce qu’en matière d’environnement. »

L'ASTRONAUTE - Un conquistador des étoiles

Trajectographie, orbite, rendez-vous spatiaux, sports, cours de pilotage de véhicules spatiaux... Le métier d’astronaute, Thomas est en train de l’apprendre dans le centre d’entraînement européen, basé à Cologne. Indigeste, la formation comprend notamment trois mois d’apprentissage intensif au russe (les Européens s’envolent souvent pour l’espace à partir de la base russe). Cet enseignement - le plus difficile à ingurgiter selon Thomas - prévoit notamment un mois d’immersion à Saint-Pétersbourg dans une famille russe pour parfaire son apprentissage.

La formation dure dix-huit mois au bout desquels les stagiaires sont certifiés astronautes. Ils sont alors éligibles à une mission. Qui elle-même nécessite trois années de préparation et d’entraînement. « Au mieux, si tout se passe bien, je pourrai espérer aller dans l’espace dans quatre ans », sourit Thomas.

Un parcours de patience plus que du combattant qui n’effraie pas le Normand. Il se voit en héritier de Christophe Colomb. « Nous sommes des découvreurs. Nous sommes là pour poser des jalons, acquérir de l’expérience pour un jour, pourquoi pas, installer une présence humaine permanente sur la Lune. » Thomas ne se pose pas de questions. Pour lui, la découverte, la nouveauté est intrinsèquement bonne. Le risque ? Il semble calculé. L’apparente inutilité des missions spatiales ? Il la réfute en prenant pour exemple la station spatiale internationale. « Là-haut, nous apprenons à recycler tout ce que nous rejetons : l’eau, l’énergie... C’est une expérience qui pourra être utile demain sur terre. » Mais, pour éprouver cette frugalité, Thomas devra encore patienter un peu. Trois années seront nécessaires au minimum pour transformer la navette en carton de son enfance en un vaisseau spatial... pour de vrai.