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Gardien de phare


le métier

Gardien de phare est un métier consistant à surveiller la navigation maritime depuis un phare et à assurer le bon fonctionnement de celui-ci.

Le métier de gardien de phare varie considérablement selon le lieu où est bâti le phare.

Le métier comporte certaines responsabilités qui sont à assumer quel que soit le type de phare. Ces responsabilités sont les suivantes :

  1. allumage, surveillance et extinction du feu ;
  2. surveillance de l’horizon maritime (navigation et bon fonctionnement des autres phares et balises) ;
  3. surveillance de la visibilité, de façon notamment à lancer la corne de brume si cette visibilité devient trop mauvaise ;
  4. entretien du phare, et en particulier bien sûr du feu et de l’optique.

Le désœuvrement explique que les gardiens de phare exerçaient souvent des activités parallèles et complémentaires (tenancier de débits de boisson, peintre, serrurier).

Ce métier tend à disparaître dans les pays développés en raison de l’automatisation ; par exemple, aux États-Unis, l’ensemble des phares a été automatisé dans les années 1980.

histoire

Au Moyen-âge, des foyers ouverts sont aménagés aux sommets d’édifices militaires voire religieux (tel le phare de Saint-Mathieu). Les seigneurs accordent aux militaires ou religieux qui placent un fanal au sommet d’une tour des droits en compensation de l’entretien ce feu, notamment le droit de bris.

La profession de gardien de phare naît statutairement avec la création du service des phares et balises en 1806. La charge de l’allumage est confiée à des entreprises privées soumissionnaires jusqu’en 1848 (le ministère de la Marine passe des contrats de sous-traitance avec des entreprises chargées de fournir le combustible aux lampes et de recruter les gardiens). Après cette date, les gardiens de phares deviennent fonctionnaires. La profession ne présente guère d’attrait (désœuvrement, longues veilles sans intérêt, ce qui explique les nombreuses mesures disciplinaires pour alcoolisme et ivresse), si bien que les ingénieurs des phares et balises recrutent souvent d’anciens marins ou militaires (pour leurs qualités supposées de ponctualité, d’obéissance et de discipline) peu qualifiés ou des femmes, éléments loin de la légende forgée au XIXe siècle sur ces « veilleurs de l’infini » guidant les navigateurs dans la tourmente, et qui biaise la perception commune de ce métier.

Les gardiens appellent les phares de haute mer les « enfers  ». Les « purgatoires » sont les phares installés sur une île. Les «  paradis » désignent les phares situés sur le continent. En général, les gardiens commençaient leur carrière sur un « enfer », pour la finir dans un « paradis ». Mais, certains d’entre eux ont préféré passer toute leur vie professionnelle sur des phares de haute mer, y compris sur le plus difficile d’entre eux : Ar-Men.

Le développement de nouvelles techniques ou la nécessité d’apprendre les derniers règlements parus entraînent la professionnalisation du métier à la fin du XIXe siècle et surtout après les années 1930 qui voient la spécialisation du corps des gardiens en agents s’occupant des feux à pétrole ou des appareils électriques très simples, et agents chargés des feux électriques complexes et des appareils radio-électriques, appelés électro-mécaniciens de phare.

Après la disparition, à la fin des années 1940, de l’éclairage à la lampe à pétrole, puis l’automatisation des signaux et l’arrivée des balises de détresse, le quotidien des gardiens consiste essentiellement en des tâches de maintenance des groupes électrogènes et d’entretien du monument, et des relevés météorologiques et de marées. Dans les années 1950, il y a encore trois écoles de formation : Brest, Saint-Nazaire, cap Gris nez. Au fur et à mesure des départs en retraite, les gardiens ne sont pas remplacés. En 1991, l’État français arrête de former des électromécaniciens de phare. Il reste cependant encore des gardiens de phare auxiliaires, mais désormais, environ 200 contrôleurs des travaux publics de l’État spécialisés dans les phares et balises surveillent et installent l’appareillage électrique et électronique ainsi que les optiques des phares français.

Jean-Paul Aymond(voir son témoignage) et Serge Andron sont les deux derniers gardiens de phare permanents, celui de Codouan, qui ont pris leur retraite le 28 septembre 2012. Henri Richard, le dernier gardien de phare français, en poste au phare du Cap Fréhel, est encore en fonction en 2017.

témoignage de Jean-Paul Aymond

J'ai gardé un phare pendant 35 ans. Le jour de ma retraite, ça a été un déchirement

Par Jean-Paul Eymond, Ex-gardien de phare

source l’Obs

LE PLUS. Jean-Paul ne connaissait rien à la mer. Le seul bateau qu’il avait jamais pris, c’était le bac de Royan. Un jour de 1977, on lui a proposé de remplacer un des gardiens du phare de Cordouan, dans l’estuaire de la Gironde. Il a dit oui. Une traversée de 45 minutes, comme un saut dans l’inconnu. Il n’a quitté ce phare que 35 ans plus tard. Témoignage.

Le 29 juin 2012, l’État français a décidé d’automatiser le phare de Cordouan et ma vie a changé. C’était le dernier phare occupé de France et j’en ai été l’un des gardiens, pendant 35 ans. Je représente une corporation qui a disparu aujourd’hui.

Gardien de phare, par hasard

Je suis arrivé dans ce métier complètement par hasard à l’âge de 25 ans. Pur terrien, j’étais maçon. J’avais un emploi stable, du plaisir à le faire et des perspectives de carrière. Mon parcours était tout tracé.

Et puis le 20 mai 1976, j’ai eu un grave accident du travail. Un tractopelle m’a roulé dessus, ma jambe a été gravement atteinte. Je suis rentré chez mes parents, à Vensac (Gironde), le temps de ma convalescence… Avec, de la part du médecin, une interdiction stricte de refaire de la maçonnerie.

Pendant ce temps-là, un homme a construit sa maison juste en face de la nôtre. Cet homme était gardien de phare, et nous avons sympathisé. Un jour, il m’a demandé ce que j’avais l’intention de faire après mon accident. Je lui ai dit que la sécurité sociale allait m’aider à me reconvertir… De but en blanc, il m’a proposé de venir faire un remplacement au phare de La Palmyre, dans la forêt non loin de Royan.

Je l’ai regardé avec des yeux ronds. La mer, la mécanique, l’électricité, je n’y connaissais rien. "T’es pas plus bête qu’un autre !", m’a-t ‘il dit. Soit. J’ai passé quelques entretiens, et fait mes premiers remplacements dans la foulée.

45 minutes de traversée, 14 jours de vivres

Le 13 février 1977, on m’a appelé pour me dire qu’on avait besoin d’un gardien au phare de Cordouan. Un phare en mer, à 30 minutes de bateau de la côte. J’ai accepté sans savoir où j’allais débarquer. Personne ne se souciait de cet endroit. Seuls les pêcheurs locaux y allaient aux grandes marées, il n’y avait pas de photos… Je savais seulement que le phare était entouré d’eau.

J’ai fait mes bagages : des draps, un réveil et de la nourriture pour 14 jours, soit la durée d’une vacation à Cordouan. 14 jours de mer, 7 jours à terre (puis 14 jours de mer, 7 jours de terre et à nouveau 7 jours de mer, dès 1982). C’était l’hiver, il faisait froid, je n’étais jamais monté sur un si petit bateau.

Ça tanguait si fort que je peinais à différencier la mer du ciel. Les marins ont bien vu que je stressais… Leur réaction ? "Oh, ça remue moins qu’hier !" Nous voilà bien.

Après 45 minutes d’une traversée pour le moins houleuse, j’ai posé le pied sur le phare. Une grande tour de près de 70 mètres, vieille de plusieurs siècles, cerclée d’une cour en pierre de taille. Elle était posée là, au milieu de l’eau. Un chef d’œuvre.

J’ai visité la cuisine, les chambres, la salle des machines. Et des pièces plus inattendues comme les appartements royaux mais aussi la Chapelle, au deuxième étage.

Arrivé au sommet du phare, c’est en voyant de la terre autour de moi que j’ai compris ce qu’étais une marée. Une mer qui lèche le bord du phare quand elle est haute, et qui se retire pour laisser place à une étendue de sable de près d’un kilomètre.

Et puis ma vie de gardien de phare a commencé.

(Presque) coupés de la terre

À Cordouan, il y a toujours eu deux ou trois gardiens en même temps. Chacun assurant un quart de 24 heures, pendant que l’autre se repose. Pour autant, ça n’empêche pas la solitude. Si l’on ne s’entend pas avec son collègue, l’ambiance peut tourner au vinaigre.

Avant 1982, nous n’avions que la VHF pour communiquer avec la terre. Le contact avec l’extérieur était donc restreint et se cantonnait à des rapports administratifs. À l’époque, j’étais marié et ma femme était enceinte de 6 mois. Ça n’a pas été facile de ne pas pouvoir se parler.

Et puis le téléphone est arrivé au phare, ce qui a légèrement amoindri la sensation d’isolement. Mais à l’époque de la VHF, nous avions des rendez-vous à heures fixes avec la terre : 8h15, 11h, 14h30 et 17h15. Pendant le premier appel du matin, nous donnions la direction et la force du vent, ainsi que d’autres données géographiques (comme la visibilité ou non des bouées et des feux autour du phare).

J’ai fait équipe avec 14 gardiens différents, dont Serge Andron et Daniel Luceyran pendant 28 ans.

Pêcher pour manger frais

Nous n’avions pas de congélateur… 14 jours de vivres dans un frigo, ça s’entasse et ça périme. On allait à la pêche si l’envie de manger frais nous prenait. Difficile aussi d’emmener du pain, qui sèche ou qui moisit au bout d’une semaine.

En 1977, nous n’avions qu’une seule poêle pour deux. Si les collègues ne s’entendaient pas, il leur arrivait de ne pas la laver après usage. Ou de piquer du vin et de la viande dans les affaires de l’autre. Des petites choses anodines qui peuvent très vite devenir difficiles quand vous êtes isolé. Quand ça se passait bien en revanche, on partageait les repas de midi et du soir.

Le travail de gardien de phare était réglé comme du papier à musique. C’était un travail de service que l’on faisait la nuit : veiller à ce que tous les groupes électrogènes fonctionnent, qu’il n’y ait aucun dysfonctionnement d’ordre mécanique au niveau de la lanterne, mais aussi que le faisceau soit visible.

Avant 1948, le phare n’était pas électrisé. Il fallait rester à côté du feu, l’entretenir et le raviver si besoin. Les gardiens dormaient dans une chambre de veille à la vigie. Quand je suis arrivé, il y avait un système d’alarme au rez-de-chaussée, qui nous alertait s’il y avait un problème là-haut.

Si nous rations un appel, la terre savait qu’il y avait un problème et nous envoyait de l’aide. Le reste du temps, nous entretenions le bâtiment tout en accueillant les éventuels touristes.

Une vie entre deux mondes

Il ne faut pas le cacher, c’est très difficile d’avoir une vie de couple quand on est gardien de phare. Quand je suis arrivé à Cordouan, ma femme était enceinte de 6 mois. Elle a accouché, j’ai dû attendre de revenir à terre pour la voir, elle et mon fils. Même chose quand elle a eu de graves problèmes de santé, elle y a fait face seule. Nous avons eu un autre enfant, mais nous avons fini par divorcer.

On ne se fait pas à cette distance. Les 10-15 premières années, mes gamins me manquaient énormément. C’était toujours la même boule au ventre au moment de monter dans le bateau. Mais avec le temps, j’ai fini par apprendre à faire la part des choses : ne pas penser à la terre quand je suis en mer, et inversement. Sinon, tu ne tiens pas le coup et tu t’effondres.

D’autant qu’on peut devenir vite parano. Certains s’amusaient à faire courir des rumeurs : "Tu sais pas ce que fais ta femme quand t’es pas là. T’inquiète, on s’occupe bien d’elle…" Un jour, un collègue s’est tiré une balle à cause de ça. Il s’est raté, mais cela donne une idée de la tension qu’on peut ressentir si l’on ne se blinde pas.

35 ans arrimé à mon phare

En 2005, l’État a initié de gros travaux (plus de 4 millions d’euros) au phare pour renforcer ses fondations et sa structure, avant de prendre la décision de l’automatiser. En tant qu’ancien maçon, on m’a demandé de les surveiller.

Pendant 8 mois, j’ai fait des allers-retours entre la terre et la mer, ce qui m’a permis d’organiser des rencontres avec des élus locaux et leur montrer ce qu’est ce phare, qui est classé monument historique, et d’assurer la transition avec les guides touristiques qui allaient maintenant l’occuper.

Le 29 juin 2012, j’ai quitté définitivement mes fonctions de gardien du phare de Cordouan. Sur le moment, j’ai eu beaucoup de mal à gérer ça. C’était comme une séparation. J’ai passé 35 ans de ma vie arrimé à ce lieu si particulier… La page ne se tourne pas du jour au lendemain.

Autour de moi, tout le monde se demandait ce que j’allais bien pouvoir faire de ma vie maintenant. À force de me poser la question à maintes reprises, j’ai fini par flancher. Je me suis éloigné des gens… Ça a été une période très compliquée.

J’ai mis 6 mois à reprendre pied, depuis ça va mieux.

Mais Cordouan n’est pas un phare que l’on oublie. Tout n’a pas toujours été heureux ici, j’ai traversé bien des épreuves, vécu beaucoup de très beaux souvenirs aussi. Le principal, c’est que je suis toujours là pour en parler.

Propos recueillis par Henri Rouillier.