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Beauvoir - Notes historiques et archéologiques


  • Beauvoir s’associe à Pontorson le 1er janvier 1973, en même temps que Ardevon, Boucey, Cormeray, Curey, Moidrey et Les Pas, puis reprend son indépendance le 1er janvier 1989.
  • Texte de 1847 ; voir source en bas de page. [1]

    Et pour ce fuct la paroisse nommée Beauvoir
    qui avoit nom Austeriac.
    (Mss. du Mont Saint-Michel).

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l’ouest la grève, et des autres côtés des lignes idéales circonscrivent Beauvoir. Sur son sol bas et découvert se dessine le mamelon qui porte l’église et le village, et d’où l’on proclame la vérité du nom communal : la baie, la mer, la Bretagne, la Normandie se déroulent au loin sous les jeux d’une lumière mobile dont les divers instans offrent des tableaux nouveaux et merveilleux, qui sembleraient impossibles, s’ils étaient fidèlement imités par l’art. Les noms des villages, d’ailleurs très clair-semés, expriment bien la nature du sol, les Mares, le Bas-Pays, le Marais, les Hautes-Grèves. Au-delà du canal du Couesnon, qui coupe Beauvoir du sud au nord, il n’y a plus de villages, il n’y a plus que des maisons isolées, qui portent le nom de leur fondateur : la maison Rapinel, la maison Galland, la maison Berot, etc. C’est dans ce sol amphibie, que Wace a si justement appelé « la terre marine décha d’usqua Couesnun, » qu’a été creusé le canal de dérivation de cette rivière.

Un arrêté des Consuls, du 25 thermidor an VIII, sur le rapport des ingénieurs Anfray et Gugelin, prescrivit l’exécution d’un canal qui devait encaisser et diriger le Couesnon, et le détourner des digues de Dol qu’il détruisait. Partant du coude de la Foreolles, à l’ouest du bourg de Moidrey, il devait traverser la commune de Beauvoir, dans la direction de son ancien lit, à travers le Bas-Pays ou les grèves herbues, et devait rejoindre la Sélune et la Sée en rasant la Tour-Boucle, ou tour polygonale du Mont Saint-Michel. Quatre cent mille francs étaient tout d’abord affectés à ce travail. Trois mille ouvriers, ou soldats de discipline, se mirent à creuser dans ces lais et relais une tranchée, et des maladies ne tardèrent pas à les décimer. Ces sables humides et mouvans, jetés sur les bords, s’affaissèrent, et les marées d’août et de septembre de 1806 comblèrent la tranchée. Aujourd’hui c’est une dépression qui se prolonge sur une longueur de deux kilomètres environ, avec une largeur d’à peu près deux cents mètres, y compris les berges. L’affaissement des terres ou plutôt des tangues, les apports de la mer, les détritus des plantes aquatiques, les travaux de l’agriculture qui trace ses sillons jusqu’au bord de l’eau, ont diminué de près de moitié la profondeur du canal. Dans quelques cinquante ans l’on en cherchera en vain la place. Il est barré de distance en distance : ces barremens contiennent les eaux, et servent de chemin aux hommes et aux animaux pour passer d’un bord à l’autre, quoiqu’il y ait d’ailleurs des gués. Ce canal traverse un terrain original. C’est un sol de sable, bas et aquatique, coupé en compartimens rectilignes ; chaque champ est une île et un fort, dont les bords sont protégés par des douves, des digues et des contre-digues ; les chemins, coupés de rigoles, sont bordés de talus élevés comme des lignes de bastions ; l’eau ronge la digue et le chemin, ou l’un et l’autre se fondent et s’écoulent dans le fossé. Au sud s’étend une petite plaine qui reçoit une physionomie des plants de tamarix qui bordent les champs, et où se mêlent quelques pommiers nains. L’habitation d’un homme courageux, qui lutte depuis quarante ans contre la mer, apparaît sur cette terre déserte, comme un oasis, avec ses plantations de saules et de peupliers, en attendant peut-être que la mer avare reprenne son bien et ne l’emporte comme elle a emporté une jolie villa avec de beaux jardins, le cimetière de la maison centrale, la maison Devambez, et ces maisons dont on voit les carcasses, près des déchirures du rivage, comme d’énormes cétacés déposés par les flots et disséqués par le temps. Au-delà, c’est l’étendue solitaire et muette des grèves, bien plus triste que celle de l’Océan, qui a reçu de Dieu le mouvement et une voix, et de l’homme la barque et le vaisseau pour animer ses espaces sans limites.

L’église de Beauvoir n’a de remarquable que sa position : c’est, pour le spectateur, un point de vue admirable, placé au sommet d’un triangle immense dont le rivage de Bretagne et celui de Normandie forment les côtés gigantesques, et dont la base est la ligne de la mer et de l’horizon, vaste plaine d’onde et de sable dans laquelle trône le Mont Saint-Michel. La tour de cette église fut bâtie en 1771, en même temps que celle des Pas, qui se termina en dôme ; mais celle de Beauvoir, exposée à la violence des vents, reçut la forme plus solide du coin de nos églises rustiques. Il reste de l’ancienne église deux fragmens de pignons, la tête d’une croix dont le fût est enfoncé dans une base creusée, semblable à un bénitier, et les deux contreforts du milieu. Le chœur a été refait en 1760 : il se pourtourne en abside. Un porche entre la nef et le chœur a été détruit. Il n’y a dans toute cette église d’intéressant qu’une fenêtre, espèce d’accolade trilobée, transition entre le trèfle du XVe siècle et l’accolade du XVIe. Sur la corniche du chœur sont insculptées des coquilles et des conques qui rappellent les unes les armes du Mont, auquel appartenait Saint-Michel-de-Beauvoir, les autres ces cornes d’animal ou ces cors en terre cuite avec lesquels cornaient les pèlerins, et dont parle G. de Saint-Pair dans sa peinture des pèlerinages. Le tableau du retable est l’œuvre d’un artiste, Lavente, dont les toiles se retrouvent surtout dans le diocèse de Coutances : c’est l’archange terrassant le dragon. Un autre, armorié de l’écusson du Mont, et représentant une Vierge, a été relégué dans la tour. Un curé de cette église, nommé Richard, qui offrit un vase d’argent au Mont Saint-Michel, figure dans le Nécrologe de l’abbaye, dressé au XIVe siècle. Cette église lui avait été donnée avant le XIIIe siècle, car il y a pour ce siècle au Cartulaire : « Littere Hamonis de Bellovisu de patronatu ec. de Bellovisu. »
Au Moyen-Age, elle rendait 15 liv. En 1648, elle valait 300 liv. En 1698, elle valait autant, et la paroisse, avec 52 taillables, payait 375 liv.
Sur la carte de Cassini est indiqué près de l’église de Beauvoir un manoir qui nous rappelle les mentions assez nombreuses de ses seigneurs dans les documens.
Depping dit que Henri II fit construire à ses frais le château de Belvoir, en 1170, aux frontières de Bretagne. Le manoir de Beauvoir est sans doute le souvenir de cette forteresse. Les seigneurs devaient avoir peu de droits sur cette paroisse, puisqu’en 1261 le Mont acquit la prévôté, les corvées et services de Beauvoir, et que d’ailleurs il avait le patronage. Le seigneur le plus souvent cité est Hamon de Beauvoir qui figure dans les Rôles de l’Échiquier à l’an 1198, pour la préfecture de Pontorson : « Ham. de Bello Videre x l. so. pro diff. » Il l’est aussi dans l’Inventaire des chartes du Mont où nous remarquons les articles suivans : « Quod W. de Bellovisu vendidit quoddam homagium. — L. Hamonis de Bellovisu de donat. viridarie. — Ejusdem de patronatu ecc. de Bello visu. — De dono prati du Bysson. — De redditibus de Bellovisu et de Passibus. — De hommagio in proch. de Tania de Passibus, de Cruce. » Un seigneur de Beauvoir, appelé Robert, fut au nombre des défenseurs du siège du Mont Saint-Michel, levé en 1427 : ses armes sont « au champ de sable à l’urne funéraire d’argent ». En 1494, P. de La Boissière, seigneur de Ducey, donna à l’abbaye de Montmorel la terre et seigneurie de Beauvoir « pour avoir part ès messes prieres et oraisons en ladite abbaye et pour la bonne faveur et singuliere devocion que icelluy seigneur avoit aux saints qui en icelle sont depriez. »

C’est sur le sol de Beauvoir que dut avoir lieu en 1426, pendant le siège, une rencontre entre les Français et les Anglais, racontée par le secrétaire même du chef des Français, le connétable de Richemont : « Pour ce que les Anglois faisoient de grandes courses et de grands maulx en Bretaigne M. le connestable veint emparer Pontorson et fuct environ la S. Michel. Et y vinrent des François et des Escossois avec luy... Et durant ce vinrent les Anglois un peu avant soleil couchant, qui estoient en nombre bien huict cents et saillit on hors aux champs et se mist on en bataille oultre le marais devers le Mont et ne scavoit on quelle puissance les Anglois avoient. Si feist le connestable d’Escosse descendre tous les gens d’armes et archers a pied, puis veinrent lesdicts Anglois jusques a un traict d’arc et y en eut deux ou trois qui se veinrent faire tuer en nostre bataille et y furent faicts deux ou trois chevaliers. Et quand les Anglois veirent la bataille, ils s’enfuirent en grand desarroy et en fuct prins et tue plusieurs ; mais pour ce que tout estoit a pied, ne peurent estre si fort chassez comme ils eussent ete qui eust ete a cheval. Apres que la place fuct un peu bien fortifiee, M. le connestable et le connestable d’Escosse et la plus part des seigneurs et capitaines sen allerent, excepte ceulx que M. le connestable y laissa. »

Le nom primitif de Beauvoir, Austeriac, devenu, selon l’usage, Austry, accuse une localité celtique : de l’autre côté de la baie était aussi Sessiac ou Sciscy. A quelle occasion le nom gaulois devint-il le nom roman de Belvoir ou de Beauvoir ? Une légende des chroniques du Mont nous apprend qu’en 709, lorsque les envoyés de saint Aubert revinrent du Mont-Gargan, avec des reliques de l’Archange, lorsque les populations se portaient au-devant d’eux du côté d’Austeriac, d’où ils contemplèrent l’œuvre du cataclysme qui avait changé une forêt en une plaine de sable, une femme aveugle, qui toucha les saintes reliques, recouvra la vue, et émerveillée de la lumière et du beau spectacle de la baie, elle s’écria : « Ha ! que il faict beau veoir ! »
Une autre chronique raconte le même fait avec quelque différence : « Et en apportant les joeaux precieulx de lattouchement dy ceulx furent par le chemin enlumines douze aveugles et aupres de la place une femme ancienne qui sen yssoit desvant aller apres ceulx qui les portoient et soudainement elle vit tout cler et pour ce fut la paroisse nommée Beauvoir qui avoit nom Austeriac. » [2]

Il y a encore sur Beauvoir une légende reproduite dans plusieurs manuscrits de l’abbaye : c’est celle de l’âne et du loup. Elle est racontée avec une couleur intéressante par un auteur de la fin du XVIe siècle, le célèbre P. Feuardent, dans un livre destiné aux pèlerins : « Anciennement ce rocher etoit une montagne toute environnee de bois et forets, environ six lieues de long et quatre de large, joignant d’un cote la terre ferme et de lautre la mer oceane et y demeuroient certains bons et devots hermites, servant Dieu en toute piete. Leurs nourriture et vivres leur etoient envoies par le curé dune paroisse autrefois nommee Austeriac, lorsquen leur necessite Dieu faisoit apparoistre un signe visible sur la maison de ces bonnes gens. Le porteur etoit un ane accoutume a faire ce service, lequel fut un jour rencontre par un loup qui le devora, qui par la même puissance et providence fut contraint de faire le même office que firent autrefois les corbeaux qui repurent Elie dans le desert, les ours qui rassassierent Elisee pres le Betel et les deux lions qui aiderent au grand saint Antoine a faire la fosse de saint Paul. » Le récit du Cartulaire est plus détaillé : nous n’en citerons qu’un fragment où l’on trouvera la preuve que Beauvoir s’appelait encore Austeriac à l’époque où il fut fait, c’est-à-dire au XIIe siècle. « ... Presbitero sustentabatur quodam de villa que dicitur numc Asteriacus taliter ei ferente auxilium : ut enim illic sine quo humana vita non potest exigi deerat victus fumo signifero discurrente altaque petente onerabat asellum dapibus dilectione vera sarcitis.... » Enfin cette légende a été racontée avec cette nuance de malicieuse naïveté qui caractérise les légendaires modernes, dans ce sonnet :

« Or de Beauvoir le serviteur unique,
Qui, dans les flancs d’un double mannequin,
Portait pitance, était une bourrique,
Qu’on attendit vainement un matin
.

Pour son malheur la bête pacifique
Avait d’un loup fait rencontre en chemin,
Loup criminel, qui, d’une dent inique,
Dévora l’âne et pilla le festin
.

Ce fut un jour de jeûne au monastère.
Le lendemain, dès l’aube et la prière,
Le loup survint chargé d’un lourd panier
.

Dans son œil triste on lit cette sentence
Que, dès ce jour où sa peine commence,
Du monastère il est grand panetier
. » [3]

Notes

[1] Source ; Avranchin monumental et historique, Volume 2, Par Edouard Le Héricher (Canton de Pontorson, pages 163 à 169)

[2] Mss. n° 24, fol. 47, Cartulaire et Neustria. Il y a en France plus de trente Beauvoir.

[3] Poème sur le Mont Saint-Michel, par M. J. Travers, Mémoires de l’académie de Cherbourg.