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1774. Mystifications


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n fin du règne de Louis XV/début de celui de Louis XVI, il était du dernier chic de se lier avec des étrangers et de les inviter chez soi pour parader avec eux devant ses amis : le seul critère de considération était de les avoir rencontrés à Versailles dans les salles et salons où ne s’exerçait aucun contrôle.

C’est ainsi que le ministre Maurepas (né 1701), qui jouait les mentors du jeune roi (né 1724) sous prétexte qu’il avait été ministre de Louis XV (et pour faire oublier qu’il avait été renvoyé du gouvernement et interdit d’entrée à la Cour), invitait fréquemment à sa table le prince de Chio et son fils, deux Grecs exilés et ruinés pour des raisons politiques

Il s’est trouvé qu’un jour, son maître d’hôtel habituel étant malade, Mme de Maurepas l’a remplacé par le maître d’hôtel de sa maison de campagne avec lequel les relations du ministre et de son épouse étaient plus familières et enjouées

Et voilà que, au cours du dîner, le prince de Chio père manifeste un grand trouble, s’excuse et demande à rentrer chez lui sans attendre le dessert : bien entendu, son fils s’empresse, un peu agité lui aussi, et le suit vers la sortie - ils sont dûment accompagnés par le maître d’hôtel intérimaire dont le ministre, coincé à table, remarque avec agacement le visage réjoui

Le lendemain matin, Maurepas demande à son domestique de s’expliquer : "comment ? Monsieur n’a pas reconnu ses invités ? - ce sont des princes grecs, et je les connais depuis plusieurs mois - c’est bien ce qu’il me semblait, Monsieur ne les a point reconnus ! - c’est bon : qui sont-ils donc ? - j’ai tout de suite reconnu le père et lui, de son côté, m’a bien remis - alors qui sont-ils ? - c’est Gros Guyot et le petit Pierre son fils. Ah, lui a bien grandi mais Gros Guyot n’a pas changé et je ne comprends pas pourquoi il dit maintenant qu’il est grec...."

En se disant de famille princière grecque pour mystifier un Roi trop bon et faible, le père avait obtenu une confortable pension et, pour son fils le commandement d’un régiment... mais on ne reconnaît pas toujours chez un autre le même biais que celui dont on use soi-même...

Ainsi, Maurepas fut reçu en tête à tête par Louis XVI, qui venait d’accéder au trône, pour le renseigner sur le protocole à respecter lors des funérailles (imminentes) de Louis XV. Arriva l’heure du Conseil. Le jeune roi, tout à sa timidité, n’osa pas congédier l’ex ministre qui entra sans façons, à sa suite, dans la salle du Conseil.

Invoquant la préséance de l’âge, il prend le siège principal et donne sciemment toute apparence d’avoir été nommé le premier des ministres... La personnalité pressentie, M de Machault, avait été retardé sur sa route et lorsqu’il arriva à Versailles, la place était prise... et fut gardée jalousement par l’usurpateur jusqu’à sa mort en 1781.

Geneviève de Brébisson

cf Mémoires de la comtesse de Boigne tome 1, voir Récits d’une tante : mémoires de la comtesse de Boigne, née d’Osmond. Tome I. Versailles. L’Emigration. L’Empire. La Restauration de 1814 / publiés intégralement, d’après le manuscrit original