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1573. Gabrielle d’Estrées - troisième partie


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CHAPITRE XIII.

DANS LEQUEL IL EST ENCORE PARLÉ DE LA BELLE GABRIELLE ET DE LA PRÉDICTION QUE LUI FAIT LA SORCIÈRE DE LA FORET DE BLOIS.

C’était peu de temps après la conversation que nous avons rapportée en notre précédent chapitre.— Après un cour séjour à Paris, le roi Henri s’était empressé de revenir en ses a délicieux déserts de Fontainebleau, » comme il se plaisait lui-même à appeler sa retraite favorite.

Il n’est pas indispensable, sans doute, d’apprendre au lecteur que la belle Gabrielle n’avait pas quitté le royal palais. Paris ne plaisait depuis longtemps que très-médiocrement à madame de Bcaufort.

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lle savait qu’elle n’était pas aimée du peuple, et chaque jour c’était pour elle quelque nouvelle avanie, quelque nouvel affront. Nous dirons à ce sujet certaine aventure qui, sans être cependant d’une grande importance, n’en affecta pas moins la maîtresse du roi.

La paix de Vervins venait d’être signée, c’est dire que la scène dont il s’agit se passait en i 598. —Notre roi Béarnais revenait de la chasse, selon son habitude. Vêtu très-grossièrement, comme toujours, et sans suite aucune. A peine avait-il avec lui trois ou quatre gentilshommes.

Sa Majesté Henri IV, dans le plus complet incognito, fut obligée de traverser la Seine, à peu près à la hauteur du quai Malaquais. En ce temps-là, il y avait un bac en cet endroit. Aujourd’hui, le’bac a été remplacé par le pont des Saint-Pères. C’est moins pittoresque ; mais plus commode.

Henri IV aimait on ne peut plus bavarder avec le peuple, surtout lorsque ledit peuple ignorait à qui il avait affaire. On a pu se convaincre, au reste, de cette manie du monarque pendant le séjour de ce dernier chez le meunier Brideloû.

— Perdioû, pensa notre roi gascon en considérant le batelier, ce drôle ne me connaît point, je vais savoir ce qu’il dit de la paix.

Et tout aussitôt, le" roi questionna le bonhomme.

— Certes, répliqua le batelier, j’ignore sur ma foi ce que c’est que celle belle paix dont vous me parlez, mais ce que je n’ignore point, c’est que sur tout il y a des impôls, et que cela n’est point fait pour m’égayer bien fort.

— Des impôls sur tout ! répéta le roi.

— Oui, sans doute, reprit Je batelier. Voir même sur ce pauvre batelet,’qui pourtant me rapporte tout juste pour ne pas crever de faim.

— Ne prenez point souci de cela, répondit Henri IV, le roi est bon diable el bien certainement, je le pense, il compte mettre ordre à tous ces impôts-là.

— Oui, répliqua le bonhomme, le Béarnais est assez bon diable, comme vous dites, mais...

— Mais ?

— Mais, continua le passeur, il possède pour le quart-d’heure une endiablée maîtresse qui lui coûte tant et tant pour ses belles toilettes et ses riches colifichets, que tous ses écus y passent et que c’est sur notre dos, à nous autres", que le roi est forcé de battre monnaie.

Les gentilshommes de la compagnie du roi ne purent réprimer un léger sourire, et le Béarnais, tout en hochant la tête, se prit à songer que le rustre, tout rustre qu’il élait, n’avait pas tout à fait tort.

— Apparemment, bonhomme, reprit-il ensuite, que si le roi agit de la sorte avec sa maîtresse, c’est qu’il lui est grandement affectionné.

— Morbieu ! s’exclama le passeur, voilà qui qme fait une belle jambe ! Qu’il lui soit our non affectionné mes impôts ne me sont moins durs à payer. Au reste,ajoulà-l-il en haussant-les épaules, votre roi, tout bon roi qu’il est, car enfin, c’esi un bon roi après loul.

— Eh ! bien ? interrogea Henri IV. -

— Eh bien ! poursuivit le batelier, c’esl un nigaud, votre roi, et un Jean-Farine, car enfin, sa belle Gabrielle est ni plus ni moins que le soleil, à ce qu’on dil, et il paraît comme ça qu’eiie luit pour tout le monde.

— Plaît-il ! fit le roi.

— Eh ! bien oui, quoi, c’est connu, si elle se fait caresser- par le roi, ça ne l’empêche pas de se faire caresser par les autres.

Le roi fit mine de rire bien fort, mais il aimait trop Gabrielle pour que sa gaieté fût sincère. Quoi qu’il en fût, il fit venir le lendemain le batelier au Louvre, el, en présence de Gabrielle, il lui fil répéter les paroles de la veille.

Gabrielle, au comble du dépit et de la colère,voulait que l’insolent fût châtié d’importance.

mais Henri IV s’y refusa.

— C’est un pauvre diable, dit-il, que sa pénurie aigrit contre vous, ma mie ; à compter de ce jour, je l’exempte do l’impôt qu’il paye pour son bateau, et je vous fais pari qu’il va partout, nia belle, chanter vos louanges !

Ce disant, le roi remit au batelier vingt-cinq écus d’or et la franchise de son bateau, le bateiier, radieux, saisit ses éeus et s’éloigna en chantant à tue-lêle le refrain populaire de « charmants Gabrielle. »

— Coquin, lui cria le roi, que disais-tu tantôt, el que dis-lu maintenant ?-

— Eh ! sire, répliqua l’autre en souriant avec malice, Paris vaut bien une messe !

Et. faisant sauter dans sa main ses vingt-cinq écur d’or, il descendit quatre à quatre l’escalier du palais el retourna à son travail.

— Le peuple ne m’aime pas ! murmura tristement.Gabrielle.

El elle pleura.

— Mes chères amours, dit Henri IV en baisant les beaux yeux de sa belle maîtresse, qu’importe que le peuple ne vous aime point, Je vous aime, moi, et c’est tout ce dont vous devez vous soucier.

Mais, malgré toutes les belles paroles de son royal amant, Gabrielle élait triste et parfois irritée de celle opposition permanente qui, de tous les coins du royaume, s’élevait contre sa fortune... Paris lui devint insupportable. Elic ne se pouvait montrer en public sans entendre des murmures railleurs cl d’indécentes’ plaisanleries. Si bien qu’en, attendant ce grand jour se qui devait la faire reine de France, elle jugea d’une haute contenance el d’une bonne politique de vivro silencieusement dans la royale demeure de Fontainebleau.

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source

La féérie illustrée - 18 juin 1859 - numéro 43