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Les nombres de feux des paroisses de la Manche avant la Révolution

remis en forme pour le BIS avec l’accord et à la demande de l’auteur François Vulliod.
extrait de :
“La Normandie occidentale (la Manche) de la fin du Moyen Age au milieu du XIX siècle : étude démographique et économique”
par Francois Vulliod
Thèse de doctorat en Histoire, histoire de l’art et archeologie
université de Caen
La soutenance a eu lieu le 11-12-2018


sources et précautions d’emploi

Sources :

Les nombres de feux des anciennes paroisses de la Manche, qui figurent sur le tableau (onglet suivant), proviennent de sources diverses :

  • Les comptes de débite des évêchés : la débite était une contribution fort ancienne à l’entretien du luminaire de la cathédrale de chaque diocèse de la Province ecclésiastique de Rouen. Elle était fixée à l’équivalent d’un denier de cire par foyer de paroissiens. Les évêchés tenaient naturellement une comptabilité des sommes reçues à ce titre, et les montants perçus des différentes paroisses nous renseignent immédiatement sur le nombre de feux qu’elles comportaient. Il a été conservé un compte de 1278 pour l’évêché de Coutances, un de 1412 pour celui d’Avranches et un de 1494 pour celui de Bayeux [1].
  • Les rôles et comptes de monnéage : le monnéage était une redevance créée à la fin du xie siècle, que les habitants de Normandie s’étaient engagés à verser aux Ducs afin que ceux-ci s’abstiennent d’altérer la valeur de la monnaie. Cette taxe était prélevée tous les trois ans au taux fixe de 12 deniers par feu. Elle dura en théorie, au taux inchangé de 12 deniers tous les trois ans, jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. 1110 rôles concernent l’actuel territoire de la Manche ont été conservés [2], sur une période allant de 1389 à 1578, ainsi que deux comptes récapitulatifs datant de 1365 et 1368 relatifs à la vicomté de Coutances [3].
  • Les rôles d’une lourde redevance d’occupation (« aide ») imposée en 1421 par l’occupant anglais : elle fut levée, comme le monnéage, proportionnellement au nombre de feux (20 sous par feu pour le premier terme) [4].
  • Les rôles de taille et états de répartition de la taille entre les paroisses : la taille royale avait été créée en 1439, pendant la guerre de Cent Ans, pour permettre au roi Charles VI de créer une armée professionnelle apte à bouter les Anglais hors de France, et elle devint permanente. Elle fut pendant plusieurs siècles le principal impôt royal, avant d’être complétée au xviiie siècle par plusieurs impôts nouveaux. La taille était en Normandie un impôt portant sur les « facultés » (revenus ou patrimoine) des familles (feux). Il n’a été conservé des rôles relatifs à cet impôt que pour le xviie et le xviiie siècle [5], en assez petit nombre, et quelques « états de département » par lesquels la taille imposée à la Généralité de Caen était répartie entre les paroisses [6]. Le libraire Claude-Marin Saugrain a publié en 1709 [7] et en 1720 des listes récapitulatives des nombres de feux par paroisse pour presque toute la France.
  • Des rôles de prélèvement de la capitation : la capitation fut un impôt « exceptionnel » mis en place en 1695 afin de faire face aux dépenses énormes entrainées par la guerre de la Ligue d’Augsbourg. Il fut supprimé en 1698, mais rétabli dès 1701, pour ne plus disparaître jusqu’en 1791. C’était encore un impôt levé par feu, mais pour un montant individuel fixé nationalement en fonction de la profession ou du rang de chaque chef de famille. La capitation fut le premier impôt auquel les nobles furent astreints et les rôles établis pour le percevoir nous renseignent sur leur nombre [8].
  • Des rôles de prélèvement des vingtièmes : les « vingtièmes » furent un autre impôt nouveau levé au xviiie siècle pour faire face aux besoins financiers de la monarchie. Ils étaient fixés à 1/20ème (5%) des revenus fonciers des familles (feux). Ils avaient été précédés par d’autres impôts de même type : un « dixième » (au taux de 10%) de 1710 à 1718, puis de 1734 à 1736 et de 1742 à 1749 ; un éphémère « cinquantième » (en 1726) ; puis les « vingtièmes » se multiplièrent après un premier en 1750 : on ajouta un second en 1756, puis un troisième de 1759 à 1763 et de 1782 à 1786. Des rôles de vingtièmes (ou des impôts accessoires qui leur étaient proportionnels) ont été conservés en assez petit nombre [9].
  • Enfin les nombres de feux déclarés par les paroisses en 1789 en vue de la convocation des États généraux : le nombre de délégués qu’elles envoyaient aux assemblées primaires dépendait en effet du nombre de leurs feux [10] (2 représentants jusqu’à 200 feux, 3 de 200 à 300, 4 de 300 à 400, etc.).

En complément, nous avons exploité quelques documents qui n’apportent des informations que sur une partie de la Manche :

  • La « prisée » (évaluation) du douaire de Jeanne d’Evreux (vers 1330) : il s’agit de l’évaluation détaillée des revenus des biens ou droits qui avaient été attribués en douaire à l’épouse de Charles IV. Cette prisée nous renseigne sur le nombre de feux de 45 paroisses situées dans les vicomtés de Coutances et Carentan, et deux dans la vicomté d’Avranches [11]. Ce document contient les plus anciens rôles nominatifs connus pour la Manche.
  • Des « informations » (enquêtes) sur les redevances dues au Domaine royal (vers 1390) : elles nous renseignent sur le nombre de feux demeurant pendant la période 1378-1392 de la guerre de Cent Ans dans une quarantaine de paroisses de la moitié nord de la Manche [12].
  • Le compte d’une « aide » levée en 1397 dans le diocèse d’Avranches : il s’agit d’un impôt levé pour permettre de payer les rançons de chevaliers qui avaient été faits prisonniers par les Turcs lors de la défaite de Nicopolis [13]. Il fut réparti entre les paroisses proportionnellement au nombre de leurs feux et le compte nous en indique donc le nombre.
  • - Le dénombrement des paroisses astreintes au guet à Coutances en 1428 : il nous indique le nombre de feux de 45 paroisses des environs de Coutances, qui devaient envoyer des hommes faire le guet de nuit « en la ville et forteresse de Coutances [14].
  • Les rôles du sel (1708) : il s’agit d’un dénombrement [15] par feu du nombre des personnes de plus de 8 ans des paroisses des Élections d’Avranches, Vire, Mortain et Domfront, entrepris dans le but de contrôler les droits des habitants à acheter du sel au tarif préférentiel de la région de « quart bouillon », qui faisait l’objet d’une fraude importante. Ces sources sont très souvent muettes sur le nombre de feux des principales villes, parce qu’elles avaient des statuts fiscaux dérogatoires qui rendaient inutile de procéder à des décomptes de feux : Granville et Cherbourg étaient exemptes de la plupart des impôts ; d’autres villes avaient obtenu le remplacement de la taille par un impôt indirect (« tarif ») ; d’autres encore furent à certaines époques « abonnées » (elles payaient un montant fixe d’une année sur l’autre).

Naturellement nous avons fait de nombreux contrôles de cohérence dans ces données, parce qu’on s’aperçoit facilement du fait que nombre d’entre elles étaient de simples estimations ou des approximations : dans certaines séries, la proportion de nombres multiples de dix est clairement anormale, ou certaines données affichent des variations invraisemblables par rapport à d’autres que nous savons exactes (quand elles découlent de rôles nominatifs). Nous avons également des rapprochements avec les nombres de naissances décennaux que l’on peut déterminer grâce aux registres paroissiaux, ou avec le chiffre de la population lorsqu’il était connu. Nous avons donc éliminé un nombre important de données douteuses.

Définitions et précautions d'interprétation :

Les nombres de feux des documents précédents désignent tous plus ou moins le nombre de « familles » ou, en langage moderne, de foyers fiscaux. Mais il y avait cependant des écarts dans la définition de ces familles ou foyers :

  • Les comptes de débite semblent refléter le nombre des familles au sens usuel (mais en fait nous n’en connaissons pas la définition précise).
  • Pour les le monnéage (et la capitation), les enfants adultes, les collatéraux hébergés, et les domestiques majeurs, étaient considérés comme des unités fiscales indépendantes, dès lors qu’ils disposaient de biens propres d’une valeur dépassant un certain montant.
  • Pour la taille, les enfants adultes non mariés, qui disposaient de ressources personnelles tout en résidant avec leurs parents, étaient rattachés au foyer fiscal de ces derniers, de même que les collatéraux ou ascendants et domestiques hébergés. En première approximation, on pourra considérer que les feux de débite ou de taille correspondent à peu près aux foyers fiscaux au sens moderne, et que les feux de monnéage étaient en moyenne plus nombreux d’environ 25%. Dans les tableaux, les nombres de feux de monnéage n’ont pas été retouchés, parce que le taux de l’écart par rapport aux feux de taille pouvait varier d’une paroisse à l’autre. Le lecteur corrigera lui-même cet écart s’il le juge utile.

En second lieu, certaines sources nous donnaient un nombre total de feux (imposables, pauvres, exempts et nobles) ; d’autres le seul nombre des feux imposables. Les nobles ne payaient pas la taille ; les mendiants et indigents ne payaient aucun impôt, mais selon des règles spécifiques à chacun d’eux ; certaines professions (comme cordiers, verriers, maîtres de poste) étaient exemptées, également avec des règles variables ; les ecclésiastiques étaient exemptés de la quasi-totalité des impôts. Lorsque nos sources des xviie et xviiie siècles ne donnaient, pour une paroisse donnée, que les feux imposables, nous leur avons ajouté le nombre des nobles, que nous pouvions trouver par ailleurs (dans les recherches de noblesse, les rôles de ban et d’arrière-ban, les rôles de capitation, etc.), et un nombre estimé de pauvres que nous avons pris, de façon prudente, égal à 7% des feux taillables. Nous n’avons pas appliqué ce redressement pour les pauvres aux données antérieures au xviie siècle, parce que nous savons que leur nombre a pu varier localement de façon brutale et aléatoire pendant la guerre de Cent Ans : nos données sont donc inhomogènes pour les plus anciennes d’entre elles. Nous avons systématiquement exclu les ecclésiastiques de nos décomptes (ils ne représentaient que 0,6% de la population).

Rappelons que le nombre moyen de personnes par feu était anciennement (xviie siècle) voisin de 4,5 en moyenne. Il décrut au xviiie siècle jusque vers 4,1 à l’époque de la Révolution. Ce nombre était toujours plus faible dans les plus grandes villes (inférieur à 4).

Dans les tableaux, nous avons indiqué en caractères gras les nombres de feux complets (nobles et pauvres inclus) directement issus des sources historiques ; en caractères maigres, les nombres de feux imposables seulement (hors nobles et pauvres) ; en italiques les nombres de feux redressés (après réintroduction des nobles et des pauvres).

Classement géographique des paroisses :

Nous avons classé les paroisses par Élection [16], de façon à faciliter la comparaison de l’évolution du nombre de leurs feux avec celle des paroisses voisines. La carte [17] ci-après indique les ressorts des Élections que nous avons utilisés, c’est-à-dire ceux qu’elles eurent après 1691.

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Notes

[1] Auguste Longnon : « Pouillés de la province de Rouen », in Recueil des historiens de la France, 1903

[2] Michel Nortier, « Contribution à l’étude de la population de Normandie », in Cahiers Léopold Delisle, 1970 n°19 : rôles de fouage de 1368 à 1419 ; 1973 n°22 : rôles de fouage de 1422 à 1458 ; 1976 n°25 : rôles de fouage de 1461 à 1497 ; 1981 n°30 : rôles de fouage de 1500 à 1515 ; 1990 n°39 : rôles de fouage de 1518 à 1533. Fonds Nortier, Archives départementales de la Manche, 6 J 6 : éléments rassemblés par M. Nortier en vue d’une suite inachevée aux « Contributions » pour la période 1535-1578.

[3] Michel Nortier, « Aperçus sur la population de la vicomté de Coutances vers 1365-1368 », in Notices, mémoires et documents publiés par la Société archéologie et d’histoire de la Manche, vol. 65, 1957

[4] Michel Nortier, « Contribution à l’étude de la population de Normandie », in Cahiers Léopold Delisle, 1971 n°20

[5] Archives de la Manche : C1-C193, C512-581, 1C à 6C ; Archives du Calvados : 2C 2342-2350, 2C2449-2483, C4401-4416, C4460-4464bis, C4472-4475, C4481-4483, C4490-4496, C4406-4408

[6] Archives du Calvados : 4C1105, C4408, C4459, C4469-4470, C4479-4480, C4487-4489, C4503, C4511 ; Jacques Dupâquier, Statistiques démographiques du bassin parisien (1636-1720), Paris, Gauthier-Villars, 1979, p. 139-210

[7] Claude-Marin Saugrain, Dénombrement du royaume par généralités, élections, paroisses et feux, 1709. Les chiffres étaient vieux d’une vingtaine d’années.

[8] Archives du Calvados : C4619, C4631-4636

[9] Archives du Calvados : C8199-8210, C8225-8255

[10] Archives nationales, Ba 35, liasse 70

[11] Bibliothèque nationale, nouv. acq. fr. 1455 (copie du XIX° s. : nouv. acq. fr. 21660) ; Archives nationales, KK292

[12] Archives nationales, registres P1906 à P1913

[13] Abbé E.-A. Pigeon, « Le diocèse d’Avranches », in Mémoires de la Société académique du Cotentin, 1880, p. 279-284

[14] Bibliothèque nationale, ms. fr. 26061, n°964

[15] Archives nationales, G7 217

[16] Entité fiscale au sein de laquelle était opérée la répartition des impôts entre les paroisses.

[17] D’après P. Gouhier et al., Atlas historique de Normandie, Caen, CRHQ, 1967