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Île Tromelin - histoire


Découverte

L’île Tromelin, petite et plane, à l’écart des routes de navigation, n’est découverte qu’en août 1722 par le navire français de la Compagnie des Indes, la Diane, commandé par Jean Marie Briand de la Feuillée et elle est baptisée « Île des Sables » à cause des plages de sable blanc qui l’entourent complètement. L’île est décrite comme une « île plate de 700 toises sur 300 environ ». La Feuillée avait estimé sa position par 74° 51’ Est (par rapport au méridien de Ténériffe) et par 16° 19’ Sud.

« Ces coordonnées figurent également en 1739, dix-sept ans après cette première observation, sur une carte conservée dans les archives de la Marine, comme une petite tache à l’Est de Madagascar. En 1740, elle apparaît sur un autre document, mais avec des coordonnées différentes  : 53° 12’ Est et 15° 30’ Sud. En 1753, une troisième carte signale sa présence à une position qui a encore changé. Jean-Baptiste d’Après de Mannevillette, hydrographe confirmé et auteur d’un recueil de cartes qui fait autorité, le Neptune Oriental, la situe cette fois par 52° 32’ Est et 15° 55’ Sud, sans que l’on sache d’où il tire ces informations, car bien qu’il ait croisé dans ces parages, il n’a jamais réussi à l’apercevoir ».

Naufragés de Tromelin

L’île Tromelin a connu un épisode tragique surnommé les « naufragés de Tromelin ».

Dans la nuit du 31 juillet au 1er août 1761, L’Utile, frégate de la Compagnie française des Indes orientales affrétée par Jean-Joseph de Laborde et commandée par le capitaine Jean de La Fargue, fait naufrage sur les récifs coralliens de l’île. Le bateau parti de Bayonne en France avec cent-quarante-deux hommes d’équipage, après une escale à l’Île de France (actuelle île Maurice), avait embarqué cent soixante hommes, femmes et enfants malgaches à Foulpointe, sur la côte orientale de Madagascar, pour les emmener en esclavage sur l’île Maurice malgré l’interdiction de la traite décrétée par le gouverneur. Une erreur de navigation, due à l’utilisation de deux cartes contradictoires et à la navigation de nuit, fait échouer le navire sur les récifs de l’île Tromelin6.

Lors du naufrage, l’équipage et une soixantaine de Malgaches arrivent à rejoindre l’île ; mais les autres esclaves, enfermés dans les cales dont les issues étaient clouées chaque soir par peur d’une révolte7, périssent noyés. L’équipage récupère différents équipements, des vivres ainsi que du bois de l’épave. Ils creusent un puits, permettant d’obtenir de l’eau tout juste potable, et se nourrissent des vivres récupérés, de tortues et d’oiseaux de mer.

Le capitaine Jean de Lafargue, ayant perdu la raison à la suite de la perte de son navire, est remplacé par son premier lieutenant, commandant en second, Barthélémy Castellan du Vernet. Celui-ci fait construire deux campements sommaires, l’un pour l’équipage et l’autre pour les esclaves, une forge et, avec les matériaux récupérés de l’épave, fait commencer la construction d’une embarcation. Deux mois après le naufrage, les 122 hommes d’équipage restants y prennent place difficilement, laissant les Malgaches sur l’île avec quelques vivres.

Castellan promet à son équipage ainsi qu’aux soixante esclaves restés sur l’île de revenir les chercher. Cette promesse ne sera pas tenue car le gouverneur Antoine-Marie Desforges-Boucher refusera toujours au lieutenant Castellan de lui fournir un bateau pour retourner chercher les esclaves qu’il avait abandonnés. Les marins atteignent Madagascar en un peu plus de quatre jours et sont transférés à l’île Bourbon (aujourd’hui La Réunion) puis à l’Île de France (aujourd’hui l’île Maurice)).

Durant la traversée de Madagascar vers l’île Bourbon à bord du Silhouette, le capitaine Lafargue décède de maladie et Castellan demande par de nombreuses fois l’autorisation d’aller secourir les esclaves restés sur l’île. Mais le gouverneur, furieux que Lafargue ait enfreint ses ordres de ne pas importer d’esclaves sur l’Île de France (par crainte d’un blocus de l’île par les Anglais et donc d’avoir des bouches supplémentaires à nourrir), refuse catégoriquement5.

Castellan finit par abandonner et quitte l’Île de France pour rentrer en France métropolitaine fin août 1762. La nouvelle de cet abandon arrive à Paris et agite un temps le milieu intellectuel de la capitale avant que les naufragés ne soient oubliés avec la fin de la guerre de Sept Ans et la faillite de la Compagnie des Indes.

En 1773, un navire passant à proximité de l’île Tromelin les repère et les signale de nouveau aux autorités de l’Île de France5. Un bateau est envoyé mais ce premier sauvetage échoue, le navire n’arrivant pas à s’approcher de l’île. Un an plus tard, un second navire, La Sauterelle, ne connaît pas plus de réussite. Il réussit néanmoins à mettre une chaloupe à la mer et un marin parvient à rejoindre les naufragés à la nage, mais il doit être, lui aussi, abandonné par ses camarades qui ne peuvent accoster à cause de l’état de la mer et le navire doit quitter les parages de l’île. Ce marin fait construire, quelque temps plus tard, un radeau sur lequel il embarque avec trois hommes et trois femmes rescapés mais ce radeau disparaît en mer, sans doute en 1775.

Ce n’est que le 29 novembre 1776, quinze ans après le naufrage, que le chevalier de Tromelin, commandant la corvette La Dauphine, récupère les huit esclaves survivants : sept femmes et un enfant de huit mois. En arrivant sur place, le chevalier de Tromelin découvre que les survivants sont vêtus d’habits en plumes tressées et qu’ils ont réussi, pendant toutes ces années, à maintenir un feu allumé grâce au bois provenant de l’épave, l’île étant dépourvue d’arbres. Les survivants sont recueillis par Jacques Maillart, intendant de l’Île de France qui les déclara libres (ayant été acquis illégalement, ils ne furent pas considérés comme esclaves et n’avaient donc pas à être affranchis) et leur proposa de les ramener à Madagascar, ce qu’ils refusèrent. Maillart décide de baptiser l’enfant Jacques Moyse (Moïse), le jour même de son arrivée à Port-Louis le 15 décembre 1776, de renommer d’office sa mère « Ève » (alors que son nom malgache était Semiavou qui se traduit par « celle qui n’est pas orgueilleuse ») et de faire de même avec sa grand-mère qu’il nomme « Dauphine » d’après le nom de la corvette qui les a secourues. Le trio est accueilli dans la maison de l’intendant sur l’Île de France. Le chevalier de Tromelin est le premier à décrire précisément l’île qui porte désormais son nom.

Condorcet, plaidant l’abolition de l’esclavage dans son ouvrage Réflexions sur l’esclavage des nègres, paru en 1781 sous nom d’emprunt, relate la tragédie des naufragés de Tromelin afin d’illustrer l’inhumanité de la traite.

Nom

Au XIXe siècle, l’île de Sable est rebaptisée du nom de Tromelin, en 1825 sur un relevé hydrographique anglais mais seulement vers 1885 chez les francophones.

Expédition « Esclaves oubliés »

voir Les esclaves oubliés de l’île Tromelin (vidéo)
voir 4ème campagne de fouilles archéologiques à Tromelin 2013 (vidéo)

Une expédition archéologique « Esclaves oubliés » menée par Max Guérout, ancien officier de la marine française et directeur des opérations du Groupe de recherche en archéologie navale et Thomas Romon, archéologue à l’Inrap, a lieu d’octobre à novembre 2006. Elle est placée sous le patronage de l’UNESCO et du Comité pour l’histoire et la mémoire de l’esclavage. Les résultats des découvertes sont rendus publics le 17 janvier 2007. Les dix membres de l’expédition sondent l’épave de L’Utile et fouillent l’île à la recherche des traces des naufragés dans le but de mieux comprendre leurs conditions de vie pendant ces quinze années.

Selon Max Guérout, chef de la mission, "En trois jours, un puits de 5 mètres de profondeur est creusé. Cela représente un effort considérable." "On a retrouvé de nombreux ossements d’oiseaux, de tortues, et de poissons." "L’arrivée de ces naufragés a dû causer une véritable catastrophe écologique pour l’île." "On n’a pas l’impression que ces gens étaient écrasés par leur condition. Ils ont essayé de survivre avec ordre et méthode."

Un journal de bord anonyme, attribué à l’écrivain de l’équipage, est retrouvé. Des soubassements d’habitations fabriquées en grès de plage et corail sont également mis au jour (les survivants transgressèrent ainsi une coutume malgache selon laquelle les constructions en pierre étaient réservées aux tombeaux). On retrouva aussi six gamelles en cuivre réparées à de nombreuses reprises et un galet servant à affûter les couteaux. Le feu du foyer est maintenu pendant quinze ans grâce au bois provenant de l’épave, l’île étant dépourvue d’arbres.

Une deuxième expédition organisée en novembre 2008 n’a pas permis de retrouver les sépultures observées en 1851 par un officier de marine anglais. Toutefois les restes de deux corps ont été mis au jour lors du creusement des fondations d’un bâtiment de la station météo. Trois bâtiments construits à l’aide de blocs de corail ont été découverts, dont la cuisine encore équipée des ustensiles de cuisine et en particulier de récipients en cuivre réparés à plusieurs reprises, témoignant de l’industrie des esclaves et de leur énergie à survivre.

Une troisième mission archéologique a eu lieu en novembre 2010. Elle a permis la découverte de trois nouveaux bâtiments et de nombreux objets, dont deux briquets et des silex, qui ont élucidé la technique utilisée par les naufragés pour rallumer le feu.

La quatrième expédition dont Thomas Romon est désormais co-directeur, a lieu en septembre/octobre 2013. D’une durée de 45 jours, elle a permis de relever de nombreux outils, des foyers et de comprendre l’aménagement du lieu, réalisé en quatre phases d’habitation.

En 2016, une exposition présentant les résultats des différentes campagnes de fouilles, intitulée « Tromelin, l’île des esclaves oubliés », a été présentée conjointement en France métropolitaine et dans les DROM : au musée Stella Matutina à Saint-Leu (île de La Réunion), au château des ducs de Bretagne à Nantes, à la Maison d’Agglomération de Lorient, au musée d’Aquitaine à Bordeaux, au musée départemental d’archéologie et de préhistoire de la Martinique à Fort-de-France25,26, au Musée Basque et de l’Histoire de Bayonne de juin à novembre 2017, et enfin au Musée de l’Homme à Paris du 13 février 2019 au 3 juin 2019.

Le naufrage de l'Atieth Rahamon

Par la suite, l’île Tromelin connaît d’autres naufrages.

En 1830, le capitaine Laplace reçoit pour mission de reconnaître l’île et de s’assurer qu’il n’y ait pas de naufragés. Ne pouvant y aborder, il se contente d’en faire le tour, notant la présence de cabanes abandonnées. Il calcule aussi la position de l’île avec 15° 38’ Sud et 52° 11’ Est. Cette position n’est rectifiée qu’en 1955 par le révérend père Cattala qui travaille pour l’Observatoire de Tananarive avec 15° 53’ Sud et 54° 31’ Est.

Le 23 novembre 1867, le trois-mâts indien Atieth Rahamon, commandé par le capitaine Samuel C. Hodges, appareille de Port-Louis (Maurice) à destination de Bombay, chargé de 10 474 sacs de sucre avec deux passagers. Le 26 novembre, il fait naufrage au sud-est de l’île Tromelin. Équipage et passagers débarquent sur l’île. Une embarcation non pontée est envoyée pour chercher du secours. Les rescapés sont finalement sauvés par le brick français Pionnier (capitaine Delaselle), les 21 et 22 décembre. Cinquante-sept rescapés survivent sous des tentes faites avec les voiles du navire. Ils sont secourus trente-trois jours plus tard. Pendant leur séjour un cyclone très violent balaye l’île, dont rend compte le journal de bord du capitaine :

« […] Les tentes sous lesquelles nous vivions sont mises en pièces par le vent et les petits arbustes dont l’île était partiellement couverte, sont complètement arrachés au niveau des racines […] il est absolument impossible à qui que ce soit de résister à la force du vent sans se tenir à quelque chose, au risque d’être emporté et jeté à la mer. »