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LES DE MARY DE JOBOURG

extrait de "Une famille normande à travers 1000 ans" de Noël LANGLOIS histoire généalogique de la maison de Mary de Longueville - Coutances, typographie Notre dame - 1910


contribution collégiale de Annie DUBOIS, Daniel CHAUMONT, Gilberte MICHEL, Florence CARDE & jcd


extrait pages 238-243
"Une famille normande à travers 1000 ans" de Noël LANGLOIS
histoire généalogique de la maison de Mary de Longueville - Coutances, typographie Notre dame - 1910


CHAPITRE IX

LES DE MARY DE JOBOURG

La Hague. - Jobourg, église et falaises. - La Buhotellerie. - L'ancien établissement des de Mary dans la Hague.- Les fondations de Nicolas et de Charles de Mary à l'église de Jobourg. - Le Patronage. - Raumaresq. - Confrérie de Montchrist. - La légende du chevalier des Landes.

Au chapitre VI, nous avons quitté Nicolas de MARY, fils de Robert II, après le partage du 22 juillet 1464, et nous avons suivi son puîné Thomas II, et la descendance de celui-ci, les de MARY de Longueville. Mais avant d’arriver au XVIIIe siècle qui verra s’éteindre la lignée de Nicolas de MARY, nous croyons à propos de jeter un regard sur ce Nicolas III de MARY et sa race, la branche aînée des de MARY, les de MARY de Jobourg. — Nous allons donc nous absenter un moment des côtes granvillaises pour faire une excursion sur des rivages plus accidentés, dans la si pittoresque presqu’île de la Hague. A l’extrémité du sol français dans la Manche, aux confins maritimes de la Basse-Normandie, au Nord-Ouest de la presqu’île du Cotentin, s’allonge un promontoire trois fois échancré par les baies, — la grande anse Saint-Martin au Nord, la petite anse d’Ecalgrain à l’Ouest, la magnifique anse de Vauville au sud, — hérissé de falaises abruptes, enfonçant sa pointe hardie, le cap de la Hague, dans les tourbillons de raz Blanchard, formidable courant circulant à une vitesse de 16 Kms à l’heure entre Aurigny et le cap de la Hague, présentant son flanc au passage de la Déroute, au-delà duquel s’estompent dans la brume Sercq, Guernesey, Jersey.
Ce promontoire, c’est la Hague. La mer sauvage qui sape ses rochers, l’air, d’une âpre pureté, qui vivifie l’étrange contraste de vallons verdoyants entremêlés sans transition aux landes désolées que hantent les légendes, donnent une impression très spéciale de nature primitive, évoquent les âges antiques.
Sur une colline dominant l’âpre baie d’Ecalgrain et la rumeur de l’immense Océan, d’antiques pierres tombales sous lesquelles récemment on a découvert des urnes cinéraires, protégent les cendres des chefs celtiques aux longs cheveux roux, aux larges braies tombés par hécatombes pour défendre contre l’envahisseur romain la mystérieuse cité celtique, l’hypothétique Coriallo [1].
Plus tard, quand à l’invasion des Romains, pratique et civilisatrice, succéda l’invasion en hordes dévastatrices des hommes du Nord, La Hague fut un des premiers points du sol Gaulois où s’abattirent les pirates northmans. Mettant leur butin et leurs chevaux à l’abri du Hague-Dick, vaste retranchement de terre fermant la pointe de La Hague, dont on voit encore les débris, peut-être élevé par les Gaulois, en face de l’invasion romaine, en tout cas baptisé par les Vikings, les Normands firent de la Hague leur premier établissement en Neustrie et nulle part ils n’ont laissé des vestiges plus nets de leur type ethnologique et de leur dialecte.
Quand les iarls danois convertis couvrirent la Normandie de fondations pieuses, le doyenné de La Hague fut certainement de tout le diocèse de Coutances celui qui compta le plus de prieurés. Au XIIIe siècle, le Bienheureux Thomas Hélie, de Biville, fit de La Hague un foyer de régénération religieuse et à sa mort, un pays de pèlerinage.
Au centre à peu près de La Hague, se trouve la paroisse de Jobourg [2]. Jobourg, ce nom évoque pour le touriste les falaises de 128 mètres du haut desquelles un petit sentier escarpé conduit aux grottes légendaires de la grande et de la petite Eglise, du Lion, du Trou aux Fées, du Four de l’Ancien. Mais le nom de Jobourg est aussi suggestif pour l’archéologue. Les anciens étymologistes dérivaient Jobourg de Jovisburgus, bourg de Jupiter. Cette étymologie ne paraît pas très scientifique : la forme de Jovisburgus que nous verrons dans les chartes du XVIe siècle n’est pas la forme primitive, les chartes antérieures au XIIe siècle portent Jorborch, nom d’origine scandinave. Mais si Jobourg ne veut pas dire Jovisburgus, il n’en reste pas moins que certains ornements de la corniche extérieure de l’église de Jobourg, corbeaux de soutènement se terminant en pied de bœuf, pourraient bien être des matériaux empruntés à un ancien temple païen. Quoi qu’il en soit, l’église de Jobourg est fort curieuse, sa tour massive badigeonnée en blanc comme signal maritime, se dresse en un point de la presqu’île où l’on découvre la mer des deux versants, au nord et au Sud. A l’intérieur on admire les magnifiques arcades à plein cintre du chœur et une curieuse double crédence également en plein cintre, style roman disent les uns, mais d’autres prétendent qu’il faut dire romain, ce qui autoriserait la tradition faisant remonter l’église de Jobourg à Charlemagne ou à l’un des premiers Carolingiens.
Dans la paroisse de Jobourg, entre la route départementale de Cherbourg à Auderville [3] et de l’anse Saint-Martin, non loin du village Saint-Ouen, en Saint-Martin-d’Omonville-la-Petite [4], où, dernier vestige de l’antique chapelle Saint-Ouen, se dresse au-dessus d’un champ de pommes de terre avec un écriteau rudimentaire : Respect à Saint-Ouen ! une statue gothique en pierre du saint archevêque de Rouen, on rencontre une sorte d’oasis de végétation vigoureuse et touffue, bois épais, serres abandonnées où tout pousse vagabond et luxuriant, enfouissant un vieux manoir. On appelle actuellement cette propriété la Prairie, la Buhotellerie, du nom d’un récent propriétaire appelé Buhot. Son nom paraît avoir été Prayne nom du fief de la branche cadette des de MARY de Jobourg. En tout cas, c’est là que vécut et s’éteignit au XVIIIe siècle un rameau du moins de la branche ainée des de MARY. On devine sur un vieil écusson patiné par les siècles, au dessus de la porte principale, les roses en chef de l’antique blason des de Mary.

§ I er

Les de MARY dans la Hague du Xe au XVe siècle

L’établissement principal de la branche ainée des de MARY à Jobourg, remonte au XVe siècle, à Nicolas III, fils de Robert II.
Mais la présence des de MARY dans la Hague est, nous avons eu déjà l’occasion de le dire, beaucoup plus ancienne.
Peut-être même les iarls northemans, d’où descendent les de MARY, prirent-ils pour premier point de débarquement en Neustrie, le promontoire de la Hague.
Nous avons raconté la légende du mont Haguez et émis l’hypothèse que le jarl MŒREN pourrait bien être l’ancêtre de cette famille que les chartes appellent MŒMERIUM, MAIRÉ (Voir page 24).
Nous trouverons plus tard, à la fin du XVe siècle, plusieurs chartes relatives à diverses pièces de terre sises à Digulleville [5] , Saint-Martin [6], Herqueville [7] que Robert de MARY, réclamait « à droit de sang et proximité de lignage et que l’on appelle Raoul Maresq, Raoul Marest, Raoul Maresc, Raoumaresc, Raumares, Raulmares, aujourd’hui Raumarais, village de Digulleville, près des landes de Jobourg.

Or, dans une pièce de la même époque environ, que nous avons citée page 53, un pouillé de l’abbaye de Saint-Sauveur-le-Vicomte, nous trouvons le nom de MARY transformé en de MARAIS, Simon de MARY devient Simon du MARAIS ; Raoul de MARY : Raulx du MARAIS. Cette déformation est d’ailleurs conforme à la prononciation normande qui fait de l’i presque l’i anglais (aï), elle est conforme aussi à l’étymologie latine MAREIUM. D’autre part, l’usage de désigner les lieux par le nom du propriétaire ou de l’ancien propriétaire paraît répandu dans la Hague et particulièrement à Jobourg où le hameau Bouchard perpétue le souvenir de Hamon, dit Bouchard, l’un des trois gendres de Jean de la Hague, beau-frère d’un de MARY ; les hameaux Dannery, Thiébot, etc. le souvenir de familles de Jobourg, dont nous verrons les membres figurer dans divers actes des de MARY. Il est donc de toute vraisemblance que le nom de Raumaresc désigne les vieilles possessions dans la Hague, de Raoul de MARY, soit de Raoul le Vieux, le compagnon de Rollon, peut-être le légendaire MOEREN, soit de Raoul de MARY, dont la nièce épousa Robert Carbonnel, descendant des fondateurs du prieuré de Jobourg et dont l’arrière petite-fille, mariée à Raoul Morin, devait faire des générosités pieuses dans la Hague. Le village des Mères, dans l’anse Saint-Martin, rappellerait-il, lui aussi, les de MARY (MOEREIUM, MÉRI) et dans l’une des situations les plus pittoresques de ce pays, dans les côtils et les vallons qui débouchent en l’anse d’Ecalgrain, (MERQUETOT ne serait-il pas une corruption de MÉRYTOT, MARESCQTOT, le château de MARY.

Quoiqu’il en soit, les largesses faites par l’évêque de Coutances, Richard de MARY de Bohon, au prieuré de Vauville, auquel il condéda les églises d’Urville, Sainte-Croix, Digulleville, Eculleville, Vauville, prouvent les importantes possessions des de MARY dans la Hague au XIIè siècle.

Au XIIIè siècle, nous avons vu Emma de MARY, fille de Nicolas II de MARY femme de Raoul Morin, et son mari faire des donations à l’abbaye de Notre-Dame-du-Voeu de Cherbourg, à même leurs possessions de Saint-Germain à la Hague (Saint-Germain-des-Vaux) [8] . La charte d’Emma, dont nous avons donné la traduction et dont nous donnons le texte aux pièces justificatives, fournit un renseignement très intéressant pour l’histoire de la Hague.

C’est une vieille tradition confirmée par les études géologiques, que jadis, une vaste forêt s’étendait dans l’anse Saint-Martin. La légende a même singulièrement défiguré l’invasion, sans doute progressive, des flots, qui s’acheva au XIVe siècle. Les gens de Saint-Germain, raconte-t-on, désireux de se débarrasser des vipères et des loups qui infestaient la forêt de Saint-Germain à la Hague, allèrent consulter un vieil alchimiste ; celui-ci leur indiqua un remède radical : faire venir la mer dans l’anse pour noyer les reptiles et les fauves ; le remède réussit à merveille, mais la mer une fois introduite, ne s’en retourna plus. Quoi qu’il en soit de ce récit légendaire, un bénitier placé dans l’église actuelle de Saint-Germain-des-Vaux, est une relique de l’ancienne église, enfouie sous les eaux, du prieuré de Saint-Germain, donné en 1139 à l’abbaye de Cormery et dont le nom de Vieille Église, porté par une bande de rochers en mer, perpétue l’emplacement ; des fragments de tuf provenant de sarcophages des moines se voient encore dans le mur d’un champ au fond de l’anse Saint-Martin.

D’après la tradition, le village submergé s’appelait Omfreville (la villa d’Omfroy, Umfredivilla) ; est-ce d’Onfroy de la Hague, dont on retrouve le nom dans les chartes du XIe siècle, serait-ce d’Onfroy de Bohon, le frère de Richard II de MARY ?

Or la charte d’Emma de MARY stipule la donation à l’abbaye du Vœu "d’un quartier de froment de revenu annuel à la fête Saint-Michel, à la mesure d’Omfreville, dans la paroisse de St-Germain à la Hague à même le ténement de Thomas Troude. Sans doute quelques 50 ou 100 ans après la donation, la mer engloutit le ténement de Thomas Troude à Omfreville et il n’en resta que des vestiges de terre végétale et des troncs d’arbres putréfiés, ces "Couërons" qu’actuellement encore on retrouve à basse mer, dans l’anse Saint-Martin.
Au XIIIe siècle, nous voyons un de MARY, Simon II, intervenir dans les choses des alentours de la Hague, comme témoin dans la donation faite par Guillaume de Moyon, comte de Sommerset, du fief de La Haye du Rosel [9] aux chanoines de Brewtone en Angleterre, déjà propriétaire dans la région haguaise de la chapelle Sainte-Ergoueffe, en Surtainville [10].

C’est sans doute aussi au XIIIe siècle [11] qu’un de MARY épousa une des trois filles de ce Jean de la Hague, seigneur et patron de Jobourg, dont nous verrons souvent le nom évoqué dans les chartes du XVIe siècle.

Ce Jean de la Hague, laissait trois filles. L’aînée épousa un Carbonnel, descendant sans doute de ce Robert Carbonnel, que nous avons vu épouser au XIIè siècle, Jeanne, fille d’Alexandre de MARY, mariage que l’oncle de l’épouse, Raoul II de MARY, célébra en faisant une donation à l’hospice de Saint-Thomas le martyr à Saint-Sauveur-le-Vicomte, descendant aussi de Guillaume de Carbonnel, fondateur en 1165, du prieuré de Jobourg : la seconde épousa le seigneur de MARY, la troisième « un surnommé Hamon, dit Bouchard » (Voir plus loin).

Au XV siècle, nous avons déjà vu Robert II de MARY, ce chevalier dont nous avons raconté les rapports avec les Anglais, qu’il servit d’abord et par lesquels il fut persécuté lors de son retour à la cause française, réunir en sa personne les seigneuries de Mary, de Longueville, dont il prit possession à la mort de Jehan Costard, son beau-père, et de Jobourg.

Nous voyons comment il acquit Longueville. Nous ne le voyons pas acquérir Jobourg.

Dans une des pièces que nous citerons plus loin au sujet des querelles sur le patronage de l’église de Jobourg, nous voyons que les Le Cocq en revendiquant ce patronage, après s’être réclamés d’Hamon, dit Bouchard, par les de La Meulle, se réclamaient ensuite de Robert de MARY, écuyer (sans doute Robert III, petit fils de Robert II), dont ils avaient acquis le fief, à cause de messire Jean de la Hague « dont ils disaient que ledit de MARY était l’un de ses héritiers ». La seigneurie de Jobourg venait donc à Robert II de MARY, de son ancêtre Jean de la Hague. C’était un vieil héritage de famille.

Ainsi que nous l’avons déjà dit dans l’histoire de Thomas de MARY de Longueville, lorsqu’en 1463, Robert II de MARY mourut, il laissait deux fils, Nicolas, l’aîné, et Thomas, et deux filles, Jehanne, prieure de Saint-Michel-du-Boscq et Mariette.

Le 22 Juillet 1464, au fief patronymique de MARY, en Saint-Côme, par devant les tabellions de Sainte-Marie-du-Mont, ils se partagèrent la triple seigneurie de leur père : tandis que Thomas recevait Longueville, Nicolas, l’aîné prenait MARY et JOBOURG, avec le fief de Vascogne, et se chargeait de doter Mariette pour son mariage.

Ainsi se détachait du tronc primitif la branche des de MARY de Longueville, aujourd’hui seule subsistante ; ainsi se fondait la branche moderne des de MARY de Jobourg.

Notes

[1] (1)D’après M. Lucas : La Hague jusqu’au temps de Guillaume Le Conquérant. Paris, E. Leroux, Editeur. — 1903.

[2] Jobourg, arrondissement de Cherbourg, canton de Beaumont-Hague, 418 habitants, 1015 kms²

[3] Auderville, arrondissement de Cherbourg, canton de Beaumont-Hague, 412 habitants, 433 kmq. C’est sur cette paroisse d’Auderville que se trouve le Cap de la Hague.

[4] Omonville-la-Petite, arrondissement de Cherbourg, canton de Beaumont-Hague, 279 habitants, 614 kmq. Cette paroisse est connue dans le pays sous le nom de Saint-Martin, le nom d’Omonville est réservé à Omonville-la-Rogue.

[5] Digulleville, arrondissement de Cherbourg, canton de Beaumont-Hague, 801 habitants, 789 km²

[6] Saint Martin, Omonville-la-Petite.

[7] Herqueville, arrondissement de Cherbourg, canton de Beaumont-Hague 156 habitants, 291 kmq., entre les falaises de Jobourg et l’anse de Vauville.

[8] Saint-Germain à la Hague, appelé aussi et actuellement Saint-Germain-des-Vaux, (Sanctus Germayn e Vadis), arrondissement de Cherbourg, canton de Beaumont-Hague, 520 habitants 635 kmq. Au N.-O. de l’anse Saint-Martin.

[9] Le Rosel, arrondissement de Cherbourg, canton des Pieux, 325 habitants, 558 km².

[10] Surtainville, arrondissement de Cherbourg, canton des Pieux, 937 habitants, 1453 km²

[11] Dans une charte de 1502, que nous étudierons plus loin, il est compté 7 générations entre François du Moncel, vivant à cette époque et Jean de la Hague. 7 générations représentent environ 225 ans, Jean de la Hague, serait, d’après ces calculs, mort dans la seconde moitié du XIIIe siècle.