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La naissance de la Normandie des 5 départements


BMS

La naissance de la Normandie des 5 départements
La division de la Normandie en départements, si elle ne se fait pas sans discussions et contestations, laisse intactes les limites provinciales et n'est pas aussi novatrice qu'il y paraît.

 

L’Assemblée constituante ne pouvait faire l'économie d'une réforme administrative, la sédimentation des subdivisions au cours des siècles ayant abouti à une telle situation de confusion que, selon le mot de Thouret, "l'habitude seule pouvait la rendre tolérable". Ecoutons à ce sujet le normand Tocqueville, dans son livre l'Ancien Régime et la Révolution : "Il y avait en France [...] toutes sortes de pouvoirs qui variaient à l'infini, suivant les provinces, et dont aucun n'avait de limites fixes et bien connues, de telle sorte que le champ d'action de chacun d'eux était toujours commun à plusieurs autres." En Normandie, si le cadre principal était constitué par les trois généralités, divisées en "élections" avec un subdélégué, ces entités n'avaient fait disparaître ni les bailliages, ni les diocèses, auxquels s'ajoutaient les greniers à sel, les maîtrises des eaux et forêts, etc. Mieux, on avait, en 1787, créé des assemblées provinciales, de Haute, de Basse, et de Moyenne-Normandie, et on avait introduit à cette occasion des mots appelés à faire fortune sous un autre sens : les départements, divisions des généralités, et les arrondissements, cadre électoral de base. Ainsi, et à titre d'exemple, la généralité de Caen était divisée en 9 "départements", dont celui de Bayeux, lui-même divisé en 4 "arrondissements" : Saint-Vigor-le-Grand, Balleroy, Trévières et Isigny. Mais, n'ayant rien supprimé, ce n'était qu'un motif supplémentaire de complexité.
Le principe d'une division uniforme et entièrement nouvelle du territoire ayant été adopté, l'Assemblée décida sagement que les départements seraient créés par division des anciennes provinces, et donc sans qu'aucun puisse chevaucher deux provinces. Ensuite, les députés de chaque ensemble provincial furent invités à présenter des propositions de découpage. Les députés normands y allaient travailler avec zèle puisque, en dépit des contestations et pétitions, la tâche était achevée à la fin de février
1790. On lit souvent qu'ils avaient opéré lentement! Que dirait-on de l'actuelle constitution des "pays" et des communautés de communes, qui demande souvent plusieurs années!

Finalement, le partage en 5 départements l'emporte
Le premier problème à résoudre avait été le nombre de départements à créer dans l'ensemble Normandie-Perche. Y en aurait-il six ? La ville de Lisieux surtout défendait ce chiffre, qui aurait pu faire d'elle un chef-lieu. N'y en aurait-il que quatre ? Un projet dans ce sens comportait pour la Basse-Normandie un département nord allant de Caen et de la Dives jusqu'à Coutances et Cherbourg, et un autre, sud, allant d'Alençon à Avranches. Finalement, le partage en 5 départements l'emportait par 59 voix contre 3, lors du vote du 17 décembre. La Manche, à l'ouest, et la Seine-Inférieure, à l'est, avaient été faciles à dessiner. La mer et les limites d'autres provinces dictaient largement leur forme. De même, le département de l'Orne découlait-il assez logiquement de l'ancienne généralité d'Alençon et de la nécessité d'englober le Perche. Mais beaucoup plus novateur était le département de Caen, à cheval sur les trois anciennes intendances : celle de Caen à l'ouest et jusqu'à la Vire; celle de Rouen au nord-est, à laquelle il prenait le pays d'Auge nord ; celle d'Alençon au sud-est, à laquelle il enlevait les secteurs de Lisieux et de Falaise. L'Eure s'insérait logiquement entre les départements de Rouen et de Caen.
Ces nouvelles divisions, il avait fallu les nommer. Tout ce qui rappelait trop l'Ancien Régime étant proscrit ; on renonça, à l'ouest, au nom de département du Cotentin, qui sentait le grand bailliage, pour adopter celui de la mer riveraine : la Manche. Ailleurs, ce furent les rivières qui l'emportèrent : Eure ; Basse-Seine, puis Seine-Inférieure ; Haute-Orne, Orne-Supérieure, et finalement Orne tout court. Pour le département de Caen, on pencha un temps pour Orne-Inférieure ou Basse-Orne. Par chance, l'un des députés normands, Delaunay, avocat à Bayeux, évoqua un jour l'histoire de ce vaisseau de l'Invincible Armada qui, en 1588, se serait échoué sur les rochers au large d'Asnelles. Il s'appelait le San Salvador, et il aurait donné son nom à ces rochers du Calvados, connus seulement des navigateurs. L'anecdote plut, et c'est dans l'enthousiasme qu'eut lieu le baptême du Calvados! On sait aujourd'hui que les rochers du Calvados ne doivent rien à un improbable San Salvador, et que ces "monts chauves" (calva dorsa) sont ainsi nommés bien avant l'Armada, mais qu'importe : l'histoire était plaisante!

De longues rivalités
Le choix du chef-lieu de département a parfois été âprement discuté. Dans la Manche, c'est Coutances qui est retenu, mais Saint-Lô ne s'avoue pas vaincu et aura sa revanche en l'an IV. C'est le début d'une longue rivalité, dont un nouvel épisode s'est joué après la Seconde Guerre mondiale, quand Coutances redevint chef-lieu provisoire. Carentan, de son côté, "placée à peu près au centre du département", avait fait valoir en vain cet argument. Dans l'Orne, Sées et Argentan mettent aussi en avant leur position médiane, mais Alençon, réellement excentré, l'emporte en raison de son passé administratif. Ailleurs, Evreux, Caen et Rouen s'imposent naturellement, malgré les prétentions de Bernay et de Vire.
Autres combats, plus vifs, autour du choix des chefs-lieux de districts (nous dirions aujourd'hui arrondissements). La Manche en comptera 7, dont Cherbourg, malgré l'opposition déclarée de Valognes qui voudrait être le seul district du nord et a multiplié les démarches! Le ton est parfois très polémique : si Carentan traite La Haye-du-Puits de "bourgade misérable [...] dans un pays inaccessible", le même Carentan est accusé d'avoir "un air mortifère et désastreux causé par les marécages et par les eaux fétides et boueuses"! Granville, Villedieu auraient voulu un district pour elles seules! À l'autre extrémité, la Seine-Inférieure est divisée en 7 districts, et l'Eure en 6. Paradoxalement, Le Havre est évincé, malgré ses 25 000 habitants, au profit de Montivilliers, qui n'est qu'un bourg. Yvetot, écarté au profit de Caudebec, affûte ses arguments et aura sa revanche. D'autres, comme Aumale ou Gisors, ont essayé sans succès d'obtenir un district. De telles aspirations et déceptions existent évidemment ailleurs.

Les anciens diocèses
Avait-on fait table rase autant qu'on le dit parfois ? Paradoxalement, derrière les nouveaux départements, on retrouve assez facilement les anciens diocèses, même si on a dû parfois en regrouper 2 (Coutances et Avranches ; Bayeux et Lisieux). Or, ces subdivisions ecclésiastiques étaient nées, vers les V et VI siècles, en se calquant largement sur les "cités" romaines, elles-mêmes héritières des oppida et des pagi gaulois. Finalement, la Normandie des départements n'est pas si éloignée de la Normandie des tribus gauloises!
Nil novi sub sole! ("rien de nouveau sous le soleil")

 

LES NOUVELLES CIRCONSCRIPTIONS EN 1790 : DÉPARTEMENTS ET DISTRICTS

 

CALVADOS

EURE

MANCHE

ORNE

SEINE-INFERIEURE

chef-lieu

chef-lieu

chef-lieu

chef-lieu

chef-lieu

Caen 

Evreux 

Coutances 

Alençon 

Rouen 

districts

districts

districts

districts

districts

Bayeux

Bernay

Avranches

Alençon

Cany

Caen

Evreux

Carentan

Argentan

Caudebec

Falaise

Les Andelys

Cherbourg

Bellême

Dieppe

Lisieux

Louviers

Coutances

Domfront

Gournay

Pont-L'Évêque et Vire.

Pont-Audemer

Mortain

L'Aigle

Montivilliers

Vemeuil.

Saint Lô et Valognes

Mortagne

Neufchâtel et Rouen



source : Histoire de la Normandie (Roger Jouet et Claude Quétel)

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