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Des moyens de populariser les caisses d’épargne dans les campagnes


extrait de Annuaire des cinq départements de l’ancienne Normandie Par Association Normande,Association normande pour les progrès de l’agriculture, de l’industrie, des sciences et des arts - 1839 Page 381


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Des moyens de populariser les caisses d'épargne dans les campagnes

Par M. Castel

L’établissement des caisses d’épargne et de prévoyance est une des plus belles, des plus utiles institutions du XIXe siècle. L’ouvrier laborieux et économe dépose dans ces banques philanthropiques l’excédant de ses recettes sur ses dépenses, pour augmenter son bien-être futur ; le domestique, pensant à l’avenir, leur confie une partie de ses gages, afin de se former peu-à-peu une honorable retraite.
Déjà presque toutes les villes possèdent des caisses d’épargne plus ou moins florissantes. Partout elles produisent d’admirables effets, en diminuant, parmi les ouvriers, l’usage et l’abus des liqueurs fortes, en leur donnant des idées d’ordre et de tempérance, en faisant naître en eux une salutaire émulation, en les rendant plus sobres, plus sociables, et par conséquent plus probes et plus intelligents. Mais ces caisses ne sont guère connues que dans les villes. Les habitants de la campagne ignorent presque tous qu’il existe, à quelques pas d’eux, une institution philanthropique qui peut exercer la plus heureuse influence sur leur avenir.

L’artisan des bourgs et des villages commence ordinairement par fonder un petit établissement industriel. Presque toujours il s’établit en maison de loyer : son premier soin, le but principal où doivent tendre tous ses efforts, doit donc être de se loger chez lui, de ne point employer une partie de ses épargnes annuelles pour acquitter le prix, de son bail. Qui peut mieux que la caisse d’épargne lui faciliter les moyens d’arriver promptement à ce résultat si désirable ? En y plaçant chaque semaine ou chaque mois une modique somme qu’il économisera sur ses dépenses, il se trouvera, au bout de quelques années, possesseur d’un petit capital qu’il aura insensiblement amassé sans nuire à son commerce. Alors il pourra acheter ou faire construire une maison, et se glorifier de son succès. Lorsqu’il possédera une habitation, il voudra avoir un jardin et un petit clos pour cultiver des légumes, du lin et du chanvre. L’heureux résultat de sa première entreprise l’aura encouragé et rempli d’ardeur, il se gardera bien d’aller dépenser au cabaret une partie de la légère somme qu’il place mensuellement à la caisse de prévoyance. Sa femme et ses enfants recueilleront le premier fruit de cette vie sage et laborieuse ; ils n’auront point la douleur de voir le chef de la famille dépenser le dimanche une partie de son gain de la semaine, et rentrer le soir ivre, grondeur, malade.

En développant dans l’artisan des campagnes l’esprit d’ordre et d’économie, les caisses d’épargne feront naître en lui l’amour de la famille. Le moraliste et le philanthrope ne se font pas d’idée combien est peu répandu dans les classes ouvrières, surtout dans celles des communes rurales, cet amour de la famille, lien providentiel des sociétés. La majeure partie des ouvriers non sédentaires quittent leur demeure de grand matin et n’y rentrent que le soir ; souvent quand ils arrivent, leurs enfants sont couchés, de sorte qu’ils ne les voient que le dimanche.

Privé pendant la semaine du bonheur de voir sa femme et ses enfants autour de lui, de recevoir leurs caresses, de prendre part à leurs occupations, l’ouvrier devrait jouir avec délices du seul jour qui lui est permis de s’entourer de sa famille : mais il n’a pas parfaitement la conscience de ses devoirs ; il n’est point familier avec les vertus domestiques. Habitué à la fatigue, aux privations, à une vie laborieuse et pénible, il s’ennuie chez lui, et va des lieux publics se mêler au bruit et aux agitations de la foule.

C’est donc l’amour de la famille qu’il importe de propager dans les campagnes. Il faut faire connaître aux hommes qui les habitent, combien il y a de charmes dans les caresses de leurs enfants, dans la conversation de leurs femmes, dans cette douce intimité qui s’établit entre des êtres unis par les liens du sang, les vertus sociales et la religion. Il faut leur inculquer des principes d’ordre, d’économie, d’attachement à leurs devoirs ; les amener à sanctifier le dimanche par la prière, la récréation et le bon exemple.

Les caisses d’épargne peuvent merveilleusement contribuer à produire ces bienfaits inestimables. Lorsque l’ouvrier intelligent connaîtra les avantages de ces institutions libérales, que la prévision de l’avenir l’aura fait songer à profiter de sa jeunesse, de sa force, de sa bonne santé pour se ménager des moyens d’existence futurs, il n’ira pas au cabaret dépenser en une heure le produit d’une journée de sueurs et de fatigues. Il placera l’excédant de ses recettes sur ses dépenses à la caisse d’épargne, afin de prévenir le besoin quand viendront la maladie et la vieillesse. N’allant plus dans les lieux publics chercher des émotions, il en trouvera au sein de sa famille, au milieu des êtres dont il est le père et le soutien.

Il est une autre fraction du peuple, très nombreuse dans les campagnes, à laquelle les moralistes doivent vivement s’intéresser : c’est celle des domestiques de ferme. Souvent ils quittent fort jeunes leurs parents. Leur instruction est ordinairement très bornée, et leur éducation morale et religieuse presque nulle. Abandonnés si jeunes à eux mêmes, ils marchent au hasard, leur intelligence s’étiole, leur cœur se ferme à toutes les émotions tendres : ils ne connaissent bientôt plus d’autres devoirs que d’exécuter avec plus ou moins de zèle les travaux qui leur sont confiés. II faut beaucoup de vertu naturelle à ces jeunes gens inexpérimentés, à ces jeunes filles délaissées, pour ne point s’abandonner à la pente sollicitante du vice et des mauvais penchants. Bien peu de maîtres veillent sur leur conduite, et s’occupent de leur inculquer des principes de morale et de religion : ils croient que leur devoir est rempli lorsqu’ils les ont envoyés à la messe. Que résulte-t-il de cette déplorable indifférence ? Les vieux domestiques pervertissent souvent les jeunes ; ils dépensent la majeure partie de leurs gages dans les lieux publics, et à la fin de l’année ils ne sont pas plus avancés qu’au commencement.

Avec de meilleurs principes et une plus active surveillance de la part de leurs maîtres, ils agiraient tout autrement. En effet, quel doit être le principal désir d’un domestique ? De gagner de l’argent, d’économiser sur ses gages une somme suffisante pour apprendre un métier, ou pour s’établir sur une petite ferme. Or, il doit songer continuellement à augmenter le précieux capital qui doit si puissamment contribuer à améliorer sa position. Tous comprendraient parfaitement ces vérités incontestables, si elles leur étaient présentées sous une forme perceptible et concluante. Malheureusement bien peu de personnes veulent se charger de cette honorable mission. La plupart des maîtres ne songent qu’à tirer le plus de travail possible de leurs domestiques ; ils s’inquiètent peu de leur état, ne font pas d’efforts pour le modifier, et les abus se perpétuent dans les fermes, au grand détriment des maîtres et des domestiques.

Un des meilleurs moyens qui puissent être employée pour combattre ce mal pernicieux et déplorable, c’est sans aucun doute de faire connaître dans les fermes l’utilité des caisses d’épargne, de procurer aux domestiques des moyens sûrs et honnêtes de changer un jour leur condition précaire en une honorable indépendance.

Pour arriver à ce résultat si désirable, les amis de l’humanité doivent invoquer l’appui des ministres des autels et des maîtresses de maison. Organes de la bienfaisance, les prêtres et les femmes peuvent prodigieusement coopérer à répandre les bienfaits des caisses d’épargne dans les campagnes, et surtout dans les fermes.

Ayant presque constamment leurs domestiques sous les yeux, connaissant leurs inclinations, leurs qualités et leurs défauts, les maîtresses de maison doivent évidemment avoir une grande influence sur eux. Armées de tous les prestiges du raisonnement et de la persuasion, elles peuvent seconder d’une manière efficace les amis du progrès, en faisant connaître à leurs serviteurs le but des caisses d’épargne, et en les engageant à y placer chaque année une partie de leurs gages. Ces recommandations seraient presque toujours couronnées de succès ; car j’ai remarqué maintes fois combien sait prendre d’empire moral sur les êtres qui l’entourent, une femme vertueuse, une mère de famille parfaitement pénétrée de ses devoirs.

Je suis fermement convaincu que si les maîtresses de maison voulaient s’en donner la peine, elles auraient bientôt fait de leurs domestiques des actionnaires zélés des caisses d’épargne. En augmentant le bien-être de ceux-ci, elles y gagneraient également, car ils deviendraient plus sobres, plus moraux, et par conséquent plus actifs et plus dociles.

Les desservants des communes rurales peuvent aussi puissamment contribuer à populariser les caisses d’épargne. En contact immédiat et permanent avec la classe ouvrière, ils ont sur elle l’influence que donne le caractère dont ils sont revêtus. Usant de cette influence pour vanter les bienfaits des caisses de prévoyance, ils peuvent décider beaucoup de leurs paroissiens à confier leurs économies à ces banques populaires. En agissant ainsi, ils ne feront pas une chose en dehors de leurs fonctions sacerdotales ; ils travailleront au contraire à là propagation de la foi ; car en rendant les ouvriers économes, ils sont sûrs d’en faire des hommes religieux et honnêtes.

Si MM. les curés et les maîtresses de maison voulaient prendre les caisses d’épargne sous leur patronage, elles seraient bientôt aussi populaires dans les villages que dans les villes. L’ouvrier prévoyant, le domestique prudent s’empresseraient de confier à ces établissements le fruit de leurs économies. En voyant augmenter leur modique avoir par des intérêts légaux, par des moyens honorables, ils béniraient ceux qui leur auraient fait connaître ce mode de placement sûr et avantageux.