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Vains - Notes historiques et archéologiques


NDLR : texte de 1845, voir source en bas de page.


Un carré long, dont l’angle sud-ouest s’ouvre et se projette en un triangle au sommet émoussé, figure assez bien le plan de la commune de Vains. La face de l’est, en très-grande partie, est limitée par un ruisseau qui afflue au Souliet, à peu de distance de son embouchure ; la face du sud, dentelée en vives arêtes par ses nombreuses pointes et entamée par la courbe pure de ses ports, animée par ses salines, ses hameaux, ses huttes de pêcheurs qui forment une ligne, une rue presque ininterrompue, est limitée et baignée par la capricieuse rivière de Sée, qui tantôt vient ronger ses mondrins et ses falaises, et tantôt étend devant elle une vaste nappe de grève blanche. A l’angle sud-ouest, se projette et s’élève un promontoire appelé Grouin-du-Sud, aiguisé en deux pointes, dont l’intervalle s’appelle la Chaise. Ce cap et celui vers lequel il s’élance, appelé Torin, forment comme deux môles gigantesques qui ferment le fond de la baie, et établissent la séparation entre le domaine des rivières et celui de l’Océan. La face occidentale est une courbe harmonieuse, un port comme on dit sur la côte, tournée vers Tombelène et le Mont-Saint-Michel, vers l’ouverture de la baie et le flot de l’Océan in pelago maris. [1] La face du nord est limitée par le ruisseau ou ruet [2] de Beaumanoir, qui la sépare de Genêts, et par une longue ligne conventionnelle.

La ligne du sud et celle de l’ouest, le rivage fluviatile et le rivage maritime, méritent une description particulière.

Un littoral dentelé par ses caps, ses mondrins, ses estacades, bordé d’une ligne capricieuse de maisons, salines enfumées, [3] huttes de pêcheurs auxquelles pendent les filets, fermes, cabanes de douaniers, bastionné par ses mondrins, soutenu par des digues en pierres, ou en tangue herbée, ou en cailloutis clayonné, baigné par les sinuosités de la rivière, ou bordé d’une arène bleuâtre, tantôt s’arrondissant en golfes gracieux, ou se hérissant de pointes aiguës, voilà le rivage de Vains le long de la rivière. Quand le soleil l’inonde de sa lumière multipliée par la réverbération des eaux et des sables, rien n’est beau comme ce rivage, avec la rivière et la grève d’un côté, et de l’autre la campagne couverte d’arbres, animée par les bruits des champs et le mouvement des habitations ; mais rien n’est plus triste et plus solennel que cette étendue silencieuse, un soir d’été, quand le promeneur las et rêveur regagne la ville qui murmure encore au loin. Un de ces soirs, un rêveur de nos amis, [4] sur cette grève de Vains crayonna quelques vers qui peignaient ce spectacle :

Sur la grève unie
Que l’onde aplanie
Vient baiser sans bruit,
Je viens voir l’étoile
Percer dans le voile
De la tiède nuit.

Là, dans le silence,
Mon âme s’élance
Dans le firmament,
Et puis sur la grève
Pour quelque beau rêve
Descend un moment.
...................
..................

et la déception qui suit le passage de l’idéal au réel, du rêve à la vie, figuré par cette rivière qui va douce et limpide dans la mer et que le reflux ramène amère et troublée :

Telle est l’onde lente
Que porte sa pente
Dans la vaste mer :
De son lit de mousse
Elle part eau douce,
Revient flot amer.

Le rivage entier de Vains présente trois ports, selon l’expression du pays, ou havres, selon Cassini, et trois pointes principales. Les trois ports sont le port du Rivage, celui de Gisors, et le Grand-Port ; les trois pointes sont le Coin-à-la-Carelle, et les deux pointes du Grouin-du-Sud. Ce littoral est fort intéressant pour la botanique. L’Erigeron du Canada, l’Euphorbe Esule, le Vulpin bulbeux, le Statice limoninm, Oleaefolia, et Armeria, le Troscart (Triglochin) maritime, la Sauge à feuilles de Verveine, le Glaucium maritime, le Sisymbre Sophie, [5] règnent dans toute la partie du sud.

Cassini marque un poste à Gisors, au Grouin-du-Sud, au Grand-Port.

Le Grouin-du-Sud est à la fois remarquable comme station botanique, comme position militaire, et comme site magnifique. Assurément, il y a peu de spectacles aussi saisissans que celui que l’on embrasse, lorsqu’au brusque détour du rocher de la Chaise, on se trouve en face de la baie, du Mont Saint-Michel et de la mer. Assis sur la dernière projection du rocher, sur la terre marine, [6] le spectateur fouille du regard l’intérieur des terres où s’enfoncent les deux rivières, la Sélune et la Sée, étalées dans le sable, immobiles et argentées, contemple l’étendue des grèves solitaires sur le fond desquelles se tache ça et là un point noir, pécheur, filet, oiseau, interroge les mille détails du Mont Saint-Michel, et perçant la brume dans l’évasement de la baie, saisit la mer lointaine et la voile fugitive. Des postes d’observation et de défense ont dû s’établir sur cette sentinelle avancée, à différentes époques, mais surtout dans les blocus du Mont Saint-Michel du XIIe siècle et du XVe. Comme ce promontoire est défendu de plusieurs côtés par la nature, et est commandé par le sol du côté de son isthme, c’est là qu’ont dû s’établir les lignes artificielles : mais si on peut les supposer, on ne peut les constater positivement, car le terrain n’offre pas de reliefs qui accusent des fortifications. [7] Avec les végétaux précédens, le botaniste trouvera là le Cakile maritime, la Germandrée botrys, le Buplèvre. C’est sous ce cap que se mêlent ordinairement la Sée et la Sélune. Resserrée entre les deux caps qui ferment la baie, la mer, qui s’annonce de loin par un sourd murmure et sa ligne houleuse blanchie d’écume, s’élève, sous ce roc, au plus haut degré, et forme cette barre qui annonce de plusieurs lieues le péril au voyageur, et qui, chargée par le vent, détachant sa frange éclatante dans les ténèbres de la nuit, et s’avançant avec un mouvement régulier, comme un être animé, comme un cétacé gigantesque, forme une des plus belles terreurs qui puissent étonner et émouvoir. [8]

Quelques ruisseaux sillonnent la surface de Vains et filtrent dans la grève, le Souliet, le ruisseau tortueux du Poulet, celui de Gisors, dont la vase est féconde en troscart, le Ruet de Maudon, qui se jette dans le Grand-Port, et vient de la Polinière, et celui de Beaumanoir qui se perd dans les sables entre Genêts et Vains.

Cette grève de Vains, sur laquelle rêva quelques vers le poète notre ami, fut encore choisie comme le théâtre d’une jolie légende par un conteur de notre connaissance, que nous avons déjà fait entrevoir. En voici le début : « Du temps qu’un ange aux ailes d’or planait sur le sommet de la plus haute tour du Mont, une croix ronde en granit, haute de cent pieds, suivant les chroniqueurs, s’élevait fièrement au milieu de nos grèves. On ne sait qui l’avait élevée ; mais lorsqu’au milieu des grèves inondées, on voyait se dresser au-dessus des flots mugissans sa colonne immobile, on était tenté de lui attribuer une origine surhumaine. A cette occasion je puis vous raconter une pieuse légende que j’ai apprise d’un habitant des côtes. Dans une jolie cabane, située sur le golfe de Gisors, vivait autrefois une famille de pêcheurs........ » [9]

Nous croyons qu’il manque quelque chose à la beauté solitaire des grèves : la vue de quelques bateaux glissant sur les courans ou voguant sur la mer étalée. L’homme est un élément nécessaire du paysage. Byron disait, « que la mer est belle, mais qu’un vaisseau la rend sublime ! » Bernardin de Saint-Pierre, « qu’un paysage est incomplet sans une maison, » et le poète latin appelle la mer Mare velivolum. [10] D’ailleurs il paraît qu’au siècle dernier le Grouin-du-Sud était un but de navigation et d’échange commercial. Expilly, dans un long article, principalement commercial, sur Granville, exposant les plaintes des patrons des navires sur l’impôt exigé pour l’entretien du feu du cap Trehel, dit :« Par exemple, un bateau partant de Grandville pour aller au Groin-du-Sud situé dans le fond de la baye du Mont St-Michel, laquelle fait presque une même baye avec celle de Grandville, pour y charger pour Regnéville, paye le droit en arrivant à Regnéville et le paye encore en faisant son retour à Grandville » [11] Il est plus explicite encore ailleurs : «  Baye du Mont Saint-Michel (à 6 l. s. de Grandville). Quelques gabarres ou bateaux de Grandville portent au Grouin-du-Sud, situé à l’embouchure de la rivière de Genêts ou d’Avranches, dans le fond de la baye, du moulage et des vins pour Avranches et autres lieux circonvoisins. Ils en rapportent du bois à bâtir et à brûler, du bordage et du cidre quand il est rare à Grandville. » [12] En parlant des rivières de l’Avranchin, Bruzen de la Martinière dit : « Elles portent des bateaux plats de vingt tonneaux, aussi loin que le flot les pousse, c’est-à-dire une lieue dans les terres. » [13]

L’église de Vains, bâtie sur un petit tertre, sur le flanc du bassin de la Sée, se cache derrière les arbres. Sa petite tour s’élève à peine au-dessus du toit, et semble de loin flanquer l’église comme une tourelle flanque un château. Cependant cette tour est à elle seule l’église, aux yeux de l’antiquaire : après elle, il n’y a rien ou presque rien à voir. Carrée, légèrement pyramidale, à cause de ses trois retraits, contrebutée de pieds droits plats, jusqu’à la moitié de sa hauteur, revêtue de moyen appareil, cette construction romane accoste une église récente, entre le chœur et les transepts. Elle porte une flèche carrée en ardoise, et elle est percée de deux petites ouïes trilobées, romanes à la base et gothiques au sommet. On voit au-dehors le galbe d’une porte cintrée, et dans l’intérieur la maçonnerie en épi est très-bien caractérisée. Nous avons sous les yeux une de ces vénérables églises, à la grâce séculaire, que bâtit sur le littoral de la Baie [14] le fécond XIe siècle, quand la terrible prédiction de l’an 1000 fut passée sans se réaliser. On retrouve encore des vestiges de la primitive église à la base de la moderne, spécialement à la base du chœur. La croix romane est peut-être attestée par le piédestal rond, en forme de meule, dans lequel est maintenant plantée une croix de bois. Une croix jeune, carrée, sans proportion, démesurément longue, comme celles d’aujourd’hui, [15] s’élève sur un autre point du cimetière. Le reste de l’église date du siècle dernier : les transepts sont de 1717, le chœur de 1721, la nef de 1753. La vieille église romane tombait pièce à pièce, et le bel arc semi-circulaire était remplacé par la laide arcade en anse de panier. Cependant la façade occidentale a conservé deux objets quelque peu anciens, son portail, cintre rustique [16] de la fin du XVIe siècle, et sa fenêtre ogivale, plus ancienne, qui le surmonte et qui garde encore quelques fragmens de vitrail peint.

L’intérieur est presque dénué d’intérêt : pas de pavé ancien, pas de vieilles tombes. Les plus anciennes sont deux lames du siècle dernier qui recouvrent deux seigneurs du lieu, les La Bellière. Un autel du XVIIIe siècle, lourd, fastueux, avec deux rangs de colonnes torses superposées, luxuriantes de fleurs, de pampres, de grappes, de festons, est en contraste avec quelques vieux débris d’anciennes sculptures, tirées du prieuré de Saint-Léonard. Il y a cependant, sous une arcade creusée dans la paroi du chœur, un objet qui serait très-intéressant, s’il n’était horriblement mutilé : c’est une statue, dans le bloc informe de laquelle on reconnaît encore le type élancé de l’art du Moyen-Age. Les fonts doivent être fort anciens et pourraient remonter à l’époque du baptême par immersion : c’est une cuve monolithique simple, qui se vide dans une cuvette sillonnée de quelques entailles régulières, mais sans forme bien connue.

Cette paroisse est appelée Veim dans le Cartulaire du Mont St-Michel [17] et dans celui du Chapitre. Robert de Veim, par une charte de 1197, fit un accord sur le Moulin-le-Comte, en Bacilly, et « dedit dominicum bladum, moltam et piscariam anguillarum. » Elle est appelée Vaismum dans le Livre Vert [18] : « Quae omnia sita sunt in parochia de Vaismo. » Elle est orthographiée Vaysnum dans la Nomenclature de 1755. [19] Il est probable que ce nom est un nom d’homme. Nous trouvons dans le Domesday quelques mots qui s’en rapprochent : Wenesii uxor, Aluric Wans, Aluric de Weinhou (habitation de Wein.)

L’église de Saint-Pierre-de-Vains fut donnée au XIIe siècle par l’évêque d’Avranches, Turgis, à ses chanoines ; cette donation fut confirmée au commencement du XIIIe siècle par Richard de Subligny : « Nos Ricardus de Suligneio.... nostro decanatui in honorem ecclesie nostre ab illustri et pie recordationis episcopo Turgisio cui Deo auctore successimus institutum concessimus et presentis nostri pagina scripti assensu Capituli nostri firma stabilitate confirmamus et ut hujus decanatui institutio firma stet in perpetuum nostri sigilli impressione communimus et episcopali auctoritate roboramus. Si quis autem hanc nostri predecessoris.... sunt autem dccanatui huic aplicata ecclesia de Veim et census cemeterii et decime trium vavassorum in Veim scilicet Willelmi et Rogerii et filiorum Girardi et masura cujusdam Girardi cum decima de abbate Montis una pellicia grisata ad mensuram suppellicii decima de vineis episcopi de campo Bostri in manerio Sti Philiberti. » [20]

Elle devint la prébende du grand doyen. En 1648, cette église rendait 500 liv. [21] En 1698, elle valait 300 liv. ; outre le curé, il y avait trois prêtres. La paroisse payait 1,763 liv. de taille, et renfermait 320 taillables. Les personnes nobles étaient Jean de La Beslière et Louis Esnault. [22] En 1755, cette église était encore au grand doyen. [23] Vains-Saint-Léonard était de la sergenterie du Val-de-Sée et renfermait 195 feux.

Au XVe siècle, à l’époque de l’occupation anglaise, un curé de Vains, nommé Guillaume Aubert, prêta serment d’hommage au roi d’Angleterre. [24] Il souscrivit à une charte écrite sur une peau de veau entière pour une contestation entre l’église de Brecey et l’abbaye de Savigny. [25]

Non loin de la grève, sur un terrain plat, est le manoir de Vains. C’est un de ces châtelets du XVIIe siècle, qui succédèrent aux forteresses du Moyen-Age, dont ils gardèrent les noms, les dispositions et un lointain souvenir : c’est une de ces habitations du seigneur devenu homme de cour, comme le manoir de la Champagne. Les tours ont disparu, et ont été remplacées par le pavillon carré au toit aigu et aplati : le fossé est moins profond ; le pont-levis a fait place au pont fixe ; la meurtrière est devenue une fenêtre ; la porte étroite, devenue porte d’honneur, s’est agrandie en s’exhaussant sur son perron majestueux. Cette transformation éclate dans l’équipement militaire du noble au XVIIe siècle. Considérés comme un anneau de la chaîne des constructions seigneuriales, ces châteaux du XVIIe siècle ne sont pas sans intérêt. Ils sont très-nombreux encore : les châteaux de la Renaissance, qui se place entre eux et la forteresse féodale, sont beaucoup plus rares, et il n’y a guère de cette époque dans notre pays que le château de Marcilly et le manoir de Brion. Nous croyons que le château de Vains, qui est à quelque distance de la grève, repose sur un terrain où fut élevée à une époque reculée une forteresse, un chastel. Le bois voisin s’appelle le bois du Châtel ; sa chapelle se nomme la chapelle du Châtel. C’était peut-être un de ces châteaux posés au bord des fleuves — ces routes qui marchent - par lesquels les Normands et les Saxons pénétraient dans l’intérieur des terres. La chapelle du Châtel, dite aussi du Vertbois, est un antique oratoire élevé, dit-on, [26] au Xe siècle, qui, avec son extérieur peu ancien, conserve sous la boiserie de l’autel sa table en pierre. Elle avait aussi un calice, dont l’antiquité était renommée. [27] On y vient encore en procession : elle est citée dans la Statistique de M. Foucault sous le nom de Notre-Dame-du-Verbois, et taxée à 200 liv.

Vains a eu ses seigneurs portant le nom de la paroisse. Ainsi en 1197, selon la charte précitée, le seigneur était Robert de Verni. Radulfus de Veim est souscrit à la charte de donation du Fougerai, en Bacilly, en 1186. A la fin du XIIIe siècle, Raoul de Théville, évêque d’Avranches, était seigneur de Vains et de Chantore. [28] La série serait fort difficile à établir. Nous y retrouvons les Lancesseur, [29] que Monfaut trouva nobles au XVe siècle à Champeaux, où se trouve leur berceau à Lancessurie.

En allant de l’église vers l’antique prieuré de Saint-Léonard on voit, près du cimetière, la grange décimale, et on laisse à gauche un village appelé d’un nom qui fait espérer quelque terrible histoire, le Chêne-Maudit ; mais ce chêne était tout simplement un bel arbre qui existait encore, il y a quarante ans, et dont la racine projetée sur le chemin faisait maugréer les charretiers et les laboureurs : on arrive à un carrefour appelé les Trois-Croix. Malgré ce nom, il n’y en a que deux, et la base qui les porte n’a pu en avoir davantage : nous retrouvons donc ici cette dualité que nous avons signalée à Saint-Loup. Cependant, il serait difficile que la tradition se fût ainsi méprise, et nous pensons qu’il y en avait une troisième à part, peut-être à l’angle où l’on voit encore un tronçon arrondi. La présence des croix dans les carrefours indique souvent quelque événement tragique. Dans le nord on plantait généralement des croix dans des lieux consacrés par des faits importans : dans le midi, les passans faisaient des monceaux de pierres que l’on appelait des Mont-Joie. [30] Le fût des croix est rond et par conséquent roman ; la tête est polygonale et par conséquent gothique. On dit qu’elles furent élevées par deux filles appelées Manet : et en effet on lit le nom de Mane ou Manet à la base ; mais la date de 1617 annonce qu’elles ne firent que les restaurer.

A quelque distance des Trois-Croix, est une mine assez pittoresque et fort solide encore, qui ressemble aux restes d’une tour militaire. C’est la tourelle ébréchée d’un moulin à vent qui est ruinée depuis plus d’un siècle, et qui est déjà signalée comme ruine sur la carte de Cassini. Cette fabrique est d’un effet assez frappant pour le regard et l’imagination, et nous ne sommes pas étonné qu’elle ait ses légendes.

Le chemin des Trois-Croix conduit au bourg de Saint-Léonard, que l’on aperçoit de loin, sur sa hauteur, formant un triangle avec le Mont Saint-Michel et Tombelène, avec ses maisons serrées, dominé par la tour antique du Prieuré de Saint-Léonard, que les habitans appellent encore aujourd’hui, comme du temps de Robert Wace, au XIIe siècle, Saint-Lienard : A Diex en rendent grâces et à Saint-Léonart. [31]

Quand on est engagé dans sa longue rue qui se termine en pente dans la grève, vers la Chaussée, et encadre le Mont St-Michel, quand on suit cette route des pèlerins, [32] on reconnaît tout d’abord une antique localité, un gros bourg du Moyen-Age. Voici la grange décimale, voici le vieux puits, aux margelles monolithiques usées par le frottement, voici les vieux cintres rustiques. Voilà la halle ou le Porche, avec ses ogives trilobées et ses grandes arcades. A droite, vous laissez le champ du Marché, le champ de Foire, le champ de la Ville. Sur le point culminant, au centre, voici les deux grandes choses de cette époque, le Manoir et le Prieuré. [33] Ce bourg est le centre le plus populeux de la paroisse. Cette considération, son antiquité, sa jolie et forte église auraient dû en faire une paroisse et une commune. [34]

Saint-Léonard tire son nom d’un évêque d’Avranches qui évangélisait l’Avranchin [35] vers la fin du VIe siècle, Leodowald, successeur de saint Sever, cet évêque qui fit venir les reliques de saint Martin et bâtir à Avranches l’église de ce nom sur le lieu où elles avaient opéré des miracles. Le Gallia Christiana cite, à l’article de cet évêque, une phrase de Rob. Cenalis sur l’origine du nom de cette localité : « Habet ecclesiam suo nomine nuncupatam et villam, fanum Sancti Leonardi seu Sancti Leodevaldi, gallice Saint Leonard, seu Saint Leodevald. » [36] Ce nom est un exemple des altérations que peuvent subir les noms antiques. [37] Cependant, le même Cenalis donne ailleurs au nom de cet évêque une forme qui explique mieux le nom actuel : « Quem prioratum Sancti Leonardi crediderim ego appellandum Sancti Leodenaldi a divo Leodenaldo praesule quondam arboretano. » [38] Grégoire de Tours a conservé le nom de Leodovald. « Leodovaldus Abrincatinae, episcopus »

La jolie petite église romane de prieuré de Saint-Léonard est aujourd’hui transformée en habitation rurale : le chœur est une maison, la nef une grange et une étable, les zones de la tour sont des étages de chambres et de greniers : le toit conique porte une cheminée qui se dresse à sa naissance, et ressemble assez à une mitre avec un plumet. Assurément une ruine vaut mieux que ce remaniement des antiquités que nous appelons appropriation. Par exemple, les murs ébréchés et inexploités du moulin à vent de Vains n’ont rien qui choque le souvenir ou l’imagination : l’église de Saint-Léonard retouchée par nos petites et sordides mains, n’est plus même une ruine.

Une nef, une tour, un chœur, voilà l’église de Saint-Léonard. La nef n’a pas de portail : il est probable que l’entrée était latérale. La façade occidentale a conservé ses deux angles primitifs, et a été plus tard contrebutée par des pieds droits d’un appareil tout différent. Les flancs de la nef sont de beaucoup ultérieurs à la construction primitive. Tout le reste est roman. Le chœur, massif et carré, est flanqué de contreforts plats et percé à l’orient de deux fenestrelles cintrées allongées. Dans l’intérieur on voit encore un arrachement d’une des nervures rondes qui se croisaient sur sa voûte. La tour est la partie la plus remarquable. C’est une pyramide à trois retraits, posée sur quatre gros piliers auxquels sont collées des demi-colonnes arrondies, basées et chapitées. Elle se termine par un faîtage conique dont la corniche repose sur des modillons sculptés. Les ouïes sont des cintres lancéolés. Le bas de la tour, dénudé de son appareil, montre les os de ses flancs déchirés, c’est-à-dire ses pierres disposées en épi. L’élancement des cintres de cette église, leur svelte élégance, assignent approximativement la date de l’édifice : elle appartient à cette époque de transition dans laquelle le cintre en s’élevant, en s’élançant, finit par s’amincir et s’effiler en un angle, pour former l’ogive, c’est-à-dire à la fin du XIIe siècle. [39] M. Desroches dit que le Prieuré de Vains fut fondé par Guillaume-le-Conquérant, et que dès-lors le monument que nous avons sous les yeux est bien le monument primitif. [40] Cependant son architecture est trop avancée, c’est-à-dire ses lignes sont trop verticales pour se rapporter au XIe siècle. [41] Les arrachemens d’un mur dans le côté du nord semblent les vestiges des liens qui unissaient la maison prieuriale à l’église. Dans l’ombre et la poussière de la grange est encore la statue de saint Léonard, belle et grande statue peinte, dont la place serait dans une église ou un musée.

Le Prieuré de Saint-Léonard appartenait à l’abbaye de Caen. Il est cité dans les Rôles de l’Echiquier pour l’année 1198. « Homines de Sancto Leonardo debent c. l. pro rege. » [42] Un registre du Mont Saint-Michel, pour le XIVe siècle, établit un échange de franchises entre l’abbé de Caen et celui du Mont : « Item labbe de Caen est frans et ses hommes de Saint-Lienart au Mont et ceulz du Mont sont frans à Saint-Lienart. » Il y avait une prébende pour un chanoine de la cathédrale. [43] En 1648, selon le Pouillé, le Prieuré de Saint-Léonard, qui était à l’abbé de Caen, rendait 500 liv. En 1698, d’après M. Foucault, il était à M. de La Morman, et valait 1,500 liv. [44]

Saint-Léonard n’était point une paroisse, comme on l’a dit. S’il y avait quelque doute, il serait levé par ces mots du Livre Vert : « In parochia de Vaismo, in praebenda quae dicitur de Sancto Leonardo. »

Saint-Léonard avait ses foires et ses marchés : c’était un des principaux points d’approvisionnement du Mont Saint-Michel. Aussi retrouvons-nous le Porche, le champ de Foire, le champ du Marché avec son puits qui ne tarit jamais et dont la margelle monolithique est octogone. Les foires étaient franches : « Item nous entendons que les foires du Mont Saint-Michel sont dantel condicion comme les foires de Genez et de Saint-Lienart. » [45] Après l’église, le monument le plus intéressant est le porche, le souvenir du négoce après le souvenir religieux. C’est une vieille construction bâtie en cailloutis : dans le pignon, au bord de la voie, sont deux grands arcs circulaires qui annoncent une double galerie, et au-dessus deux fenêtres ogivales à deux lances trilobées, d’une coupe prismatique. Cette partie annonce le XVIe siècle. Sur la façade s’offre une jolie porte cintrée, avec un écusson, et dans l’autre pignon une porte semblable. On appelle cette construction le Porche : c’est ainsi qu’on appelle les vieilles halles à Ducey, à Pontorson, à Brécey Halas de Burceyo.

Cassini indique près de l’église un manoir : il n’existe plus. Son souvenir reste dans la terre du Manoir, ou du Canon, du nom d’un des propriétaires, et dans les écussons qui se trouvent dans la maison fermière.

Le fief de Chantore, que possédait à la fin du XIIIe siècle Raoul de Theville, évêque d’Avranches, seigneur de Vains, est à la limite de cette commune et de Bacilly. Il n’y a plus rien des bâtimens. Il y a un autre Chantore en Bacilly, et un autre à Saint-Pierre-Langers, désigné dans le Livre Vert : Quasdam decimas apud Chantoires... Decima de Cantoriis.

Une des principales voies de Vains, celle qui passe au pied de la fabrique pittoresque du vieux moulin, s’appelle la Rue à la Belle, c’est-à-dire la Rue à la Belle-Hôtesse. Le cabaret de la Belle-Hôtesse s’épanouit au bord du chemin, avec son bouchon de gui, sa vigne palissadée et son espalier, et son ancre de drap rouge, clouée au volet, pour appeler les marins et les pêcheurs de ce canton.

Le cabaret de la Belle-Hôtesse nous a remis en mémoire une charmante poésie, qu’on trouve a la fin du Virgile de Heyne, les seuls distiques que l’on possède de Virgile, scène bachique pleine de vérité, de grâce et de mélodie, dont le principal personnage est la jolie hôtesse syrienne, Copa syrisca :

Copa syrisca, caput gracia redimila mitella,
Crispum sub crotato docta movere latus
 [46]

Il y a dans le Cartulaire du Mont Saint-Michel deux très-belles chartes, dont l’une est revêtue de la croix de Guillaume-le-Conquérant et de celle de la reine Mathilde, relatives au Moulin-le-Comte, en Bacilly, que ces actes mettent en Vains, molendinum Comitis in villa quae Veim vocatur. [47] Nous les citerons en leur lieu.

Le Moyen-Age avait planté beaucoup de vignes dans Vains. Nous citerons entre plusieurs celle des Mosles, désignée dans le Livre Vert, « pro vinea sita apud les Mosles. »

Un village de Vains s’appelle Patenôtre ; à quelque distance, en Genêts, sont les terres de l’Enfer et de l’Ave-Maria.

Trois autres noms donnent à réfléchir, les Linettes, le Camp ou le Dick. La présence entre ces deux villages d’une levée de terre d’une longueur de près de trois cents mètres, et en quelques endroits épaisse de dix mètres, appelée le Gros-Fossé, le Fossé-du-Diable, le Fossé-du-Dick, confirme les conjectures. Les champs contigus s’appellent aussi les Champs-du-Dick. Quelle que soit l’origine de ce retranchement, il est certainement très-ancien. Sa surface et ses flancs sont boisés : à la superficie, la terre est friable ; à quelque profondeur, elle est fort dure. L’agriculture rogne souvent ses larges flancs : il est difficile de dire quelle était sa largeur, et plus difficile encore prolonger cette ligne droite indéfinie et de rétablir la forme du camp. La longueur et la rectitude de ce tronçon font croire qu’il n’était pas elliptique ou circulaire.

A quelque distance, à un demi-kilomètre, passe une voie antique, probablement romaine, celle de Bayeux au Mont Saint-Michel, le chemin Montais, que suivit le Bâtard dans son expédition de Bretagne. [48]

Quelle est l’origine de ce retranchement ? Faut-il l’attribuer, selon les idées populaires, ou au diable qui construisit le Gros-Fossé en une nuit, à la suite d’un pacte, ou aux Anglais qui de là battaient Avranches ? De ces idées, l’une est une légende, l’autre n’est pas de l’histoire. Faut-il l’attribuer aux Romains, et y mettre ces troupes Dalmates dont le préfet résidait à Avranches, selon la Notice des Dignités de l’Empire ; Abrincatenis praefectus Dalmatarum militum ! [49]

Rien ne justifie cette hypothèse, rien même ne la fait naître. A quel peuple rapporterons-nous donc cette fortification ? En l’absence d’objets trouvés sur les lieux, en l’absence des traditions, les meilleurs, les seuls guides sont les dénominations locales. Cette levée s’appelle le Dick. A Jersey est le village du Dick, où se trouve le retranchement appelé le Catel ; le nord de notre presqu’île, la Hague, est coupé par le célèbre fossé appelé le Hague-Dick ; le confluent de la Taute et de l’Ouve, sous Carentan, s’appelle les Dicks ou le Haut-Dick. [50] Evidemment ces retranchemens, généralement à l’embouchure des rivières ou près de la mer, appartiennent aux peuples chez lesquels se trouve cette expression. Les peuples d’origine scandinave appellent un fossé dick : les Anglais se servent encore de cette expression. Ces peuples ne peuvent être que les Saxons ou les Normands.

On sait que des peuples scandinaves, qui occupaient la presqu’île du Jutland, sous le nom de Jutes, et qui s’intitulaient Saxons ou hommes aux courtes épées, [51] vinrent débarquer dans le nord de la Gaule, de 450 à 500. Pendant cette période, ils se répandirent dans la Neustrie, et en particulier, avec tant d’abondance, dans le Bessin, que son rivage s’appela Littus Saxonicum. Ils devinrent auxiliaires des rois Franks, et s’appelèrent Saxones Bajocassini. [52] Peuple navigateur et marchand, ils durent surtout se répandre sur les rivages de la Manche. Aussi retrouvons-nous gravées sur le sol un grand nombre de leurs expressions, généralement topographiques, les Hogues et les Hagues, ou hauteurs au bord des eaux, les Holmes ou îles et presqu’îles d’eau douce, les Houles, vallées en entonnoir. [53] Les Marches ou frontières ; Tanis, le Tanu, l’abbaye de Thane, Tanis dans le Bessin, l’île de Thanet, à l’embouchure de la Tamise, cent autres lieux de cette nature rappellent ou les Danois, ou les Thanes de leur aristocratie ; les Hou, les Hal, les Tot, les Torp, habitation, auxquels succéda le synonyme latin villa, sont très-communs dans notre topographie normande ; [54] les Dicks le sont presque autant ; le mot falaise est scandinave. [55] Les Landes, les Landelles, les Landières, [56] le Theil ou Delle, si commun dans le Bessin, [57] les Crot, les croûtes, ou portion de terre, [58] les Plessis, ou bois fermé, les Wast, terrains stériles, [59] telles sont les principales empreintes que les Saxons ont laissées de leur séjour sur notre sol. La connaissance exacte de la terminologie terrienne ou cadastrale enrichirait beaucoup le Glossaire saxon, écrit dans la multitude de nos villages et de nos champs. [60]

Toutefois il est difficile d’affirmer si ces mots viennent des Saxons ou des Normands.

Vers l’époque où les Saxons, ou Saisnes, couvraient le littoral de la Basse-Normandie, ils débarquaient en Angleterre, dans le territoire de Kent et donnaient leur nom aux comtés d’Essex, Middlesex et de Sussex, [61] et finissaient par conquérir tout le pays auquel ils imposaient leur langue, ce qui est le signe le plus complet d’une conquête.

Quand Charlemagne eut dompté les Saxons, au commencernent du IXe siècle, il en répandit dix mille dans ses états. Il en vint probablement dans la Basse-Normandie où les appelait surtout l’établissement de leurs compatriotes. Leur principal centre dans ce pays fut un canton désigné, dans les Capitulaires de Charles-le-Chauve, sous le nom de Otlinga Saxonia, petite colonie saxonne, petite Saxe. L’abbé Le Bœuf met cette colonie entre Bayeux et Isigny, et elle comprenait les villages de Saon et de Saonnet, qui ont tiré leur nom des Saxons.

Le Dick de Vains est-il l’ouvrage des Saxons ? Malgré toutes ces présomptions nous ne le croyons pas encore. Il doit moins être l’œuvre de peuples qui étaient admis ou tolérés par les rois franks, que d’autres Scandinaves qui s’imposaient par la force.

Quand d’autres Danois, les Normands, se précipitant, par la route des Cygnes, sur leurs barques légères, [62] eurent obtenu la Neustrie, ils retrouvèrent la colonie saxonne, l’Otlinga Saxonia, s’étendirent dans la Basse-Normandie, conquirent la péninsule de Coutances [63] jusqu’au-delà du Mont Saint-Michel, jusqu’au Coësnon. Ce fut une occupation complète : Rollon divisa au cordeau à ses chefs le sol de la Neustrie. Chaque portion devint un fief auquel le donataire appliqua son nom : la paroisse fut fondée et la féodalité reçut sa plus forte constitution.

Les pirates du Nord pénétraient dans l’intérieur des terres par les rivières, ces routes qui marchent. Leurs navires légers, dont la proue était élevée et ornée, avec un seul mât et une tour, arrondis comme ces navires danois d’aujourd’hui, qui roulent insubmersibles dans la vague, les portaient fort loin dans ces aestuaria [64] qui circulent dans les terres le long des coteaux. Quand le cor d’ivoire résonnait dans ces bassins, les populations fuyaient et priaient le ciel de les délivrer de la fureur des Normands. C’était une race indomptable que celui qui devait le mieux la connaître, le Conquérant, appelait orgueilleuse et fière à son lit de mort. Les barons et les cavaliers se cantonnaient dans les châteaux et les abbayes : les villes étaient abandonnées au pillage. Les laboureurs étaient sans défense et quelquefois, pour conjurer la fureur d’un ennemi païen, ils renonçaient à leur baptême en jurant sur le cadavre d’un cheval immolé. « La profanation des églises, la destruction des monastères, le meurtre de l’élite du peuple, l’esclavage des femmes nobles, le stupre des vierges.... des supplices inouïs.... dit G. de Jumiège. »

Les navires des Normands devaient surtout atterir à ces promontoires intermédiaires entre la mer et les rivières, d’où ils pouvaient à volonté s’élancer sur les flots ou dans les terres. Il nous semble voir leur flotille, celle de Hasting par exemple qui pilla les bords de la baie du Mont Saint-Michel, [65] rangée le long de nos caps et de nos îlots appelés Tombes. Craignant une surprise, ils avaient coutume de se retrancher sur ces promontoires, et ils s’y retranchaient ordinairement d’une manière gigantesque : ils les isolaient de la terre par des fossés, dont il reste un specimen qui est prodigieux, ce Hague-Dick qui isole la pointe de la Hague, dans une étendue de six paroisses, et que, dans un savant Mémoire, M. de Gerville a rapporté aux Normands. [66]

Un ancien historien, cité par lui, dit des hommes du Nord : « Sub divertis corum irruptionibus consederunt in variis promontoriis et locis ad munitiones aptis et ea optitne munierunt nullius incursum metuentes » [67] Avant la victoire du roi Elf-red sur les Danois, ceux-ci étaient enfermés dans un camp, près d’un bois, à l’endroit appelé aujourd’hui Woodland. C’est dans ce camp qu’il entra vêtu en joueur de harpe pour observer l’armée danoise. Les Normands étaient campés autour de Rouen, quand Rollon reçut les députés du roi Charles, et la proposition d’une paix qui fut jurée à Saint-Clair-sur-Epte. Guillaume de Jumiège décrit exactement leur camp : « Rollo et qui cum eo erant fecerunt sibi munimen et obstaculum in modum castri, munientes se per gyrum avulsae terrae aggere locoque relinquentes porta : spatium prolixae amplitudinis quod apparet ad tempus usque dici. » On reconnaît le camp, ou comme dit Wace le chatelet formé d’un fossé, avec une très-large porte. Quand Harold attaqua les Cambriens, retranchés à Offa, il éleva un retranchement parallèle. On retrouve encore les traces de cette double ligne de défense que l’on appelle aussi un dick, le Dick de Vat, Vat’s Dike. [68] Après leur débarquement à Pevensey, les Normands s’avancèrent vers la ville de Hastings, et près de ce lieu, tracèrent un camp, formé de fossés et de palissades. Les Anglo-Saxons occupaient une longue ligne de collines fortifiées par un rempart de pieux et de claies d’osier. La Tapisserie de Bayeux représente le roi Guillaume surveillant lui-même les travailleurs : l’un creuse la terre avec un outil semblable à nos pics, d’autres l’enlèvent avec des pelles étroites. Pour inscription il y a Castra [69]

Ces détails prouvent l’usage des camps chez les peuples du Nord. Mais le Dick de Vains doit-il être attribué aux Saxons ? Nous ne le croyons pas. La principale raison, c’est que les Saxons s’établissant pour ainsi dire par tolérance, sur le littoral de la Basse-Normandie, plus d’une fois auxiliaires des rois franks, soumis à leur autorité, ne devaient pas se défendre derrière des dicks.

Il n’y a donc que les Normands qui aient pu élever ces fortifications à l’embouchure de deux rivières, sur ce cap, qu’ils isolaient complètement par ce rempart. Les détails précédens sur leurs habitudes et leur tactique fournissent les plus fortes présomptions. Un passage de Robert Wace leur donne beaucoup de force et les élève presque à la certitude : c’est la description et l’itinéraire des ravages de Bier et de Hasting. [70] Après avoir suivi la marche des dévastations sur le littoral de la Manche, particulièrement dans la Hague et le Val-de-Saire, il énumère les îles et les cotes de la Normandie, sur lesquelles passe le fléau. Voici le passage dans lequel notre littoral est positivement désigné :

............Monteborc (Montebourg)
E li chatel de Chieresborc (Cherbourg)
Désirait Hastaingz par sa posnée. (orgueil)
De sa gent è de sa cuntrée
En plusors liex part la ruine
Ke firent la gent sarrazine,
En Auremen (Aurigny) en Guernesi (Guernesey)
En Saire (Cers ou Serk) en Erin (Irlande) en Gersi (Jersey),
E le rivaige cuntre Mont
De si ke en Bretaine sont.

Ces deux derniers vers, selon l’éditeur du Roman de Rou, signifient : Et le rivage vis-à-vis des lieux qui sont en Bretagne. M. Le Prévost ajoute avec raison que Wace, né à Jersey, devait bien connaître le pays. Il nous semble évident que le littoral oriental de la baie du Mont Saint-Michel jusqu’à Granville est désigné comme un des théâtres des ravages. Le même chroniqueur dit quelques vers plus haut :

Normendie ont avironée (cotoyée),
E Bretaigne tres qua la mée (mer).
 [71]

Trouvant deux camps sur cette côte, celui de Carolles et celui de Vains, sans nous prononcer positivement encore sur le premier, nous attribuons le second aux Normands : sa position est une raison impérieuse. Quant à l’autre, disons dès maintenant que sa magnifique position militaire semble en faire un exploratorium romain. Ainsi le Dick de Vains, tracé sur un promontoire qu’il sert à isoler, au bord du flot de l’Océan et à l’embouchure de deux puissantes rivières, de deux estuaires, comme parle Tacite, doit être un camp des Normands. Le Dick de Vains, en face des lieux qui sont en Bretagne, doit être une station de Hasting, dont les ravages embrassent toute la presqu’île, et qui commencés à l’est, d’après l’ordre du chroniqueur, à Saint-Marcof en la rivière, [72] doivent se terminer au sud, après l’excursion dans les îles normandes et l’Irlande, avant l’entrée en Bretagne.

Si le cap de Vains a vu les hordes du Nord retranchées derrière le Dick, s’il a vu au XIIe siècle les Normands bloquant des Normands dans le Mont Saint-Michel, deux frères assiégeant leur frère, il a aussi vu au XVe siècle les Anglais escarmoucher contre les Français sur ses rivages, et selon l’expression d’un historien local : « Divers engagemeus rougirent les eaux qui séparaient les deux armées. »

Plusieurs historiens ont parlé des événemens et des manœuvres qui amenèrent les Anglais sur nos rivages : Jean Chartier, dans son Histoire de Chartes VII, Berry, héraut de France, dans son Histoire chronologique du même roi, Guillaume Gruel, dans son Histoire du Connétable de Richemont, Duhaillan, dans son Histoire de France, ont plus ou moins clairement désigné les localités. Nous citerons d’abord leurs expressions, et nous tâcherons ensuite de les appliquer au terrain et de les concilier.

C’était en 1439. Avranches, occupée par les Anglais, était assiégée par le connétable de Richemont. [73] Talbot, qui venait d’être battu à Meaux, rassembla des troupes pour débloquer Avranches. Voici trois narrations contemporaines :

« Alors les dessus dicts vinrent mettre le siège devant la cité d’Avranches. Après quils eurent été devant cette ville l’espace de trois semaines ou un mois, le comte d’Orset, les sires de Talbot et de Scales assemblèrent une grande armée d’Anglois pour venir donner du secours aux assiégés, et à ce subjet se vinrent loger environ demie lieue près du siége, proche d’un village nommé Sainct-Leonard, sur les grèves de la mer ; là est la rivière de Sée sur laquelle est assis un pont, nommé le Pont-Gilebert, assez près dudict Avranches. Entre iceux Anglois et le camp des François, quand la mer estoit retirée il y avoit des gués par lesquels aucuns des François passoient souvent devers les Anglois ; là il y eut plusieurs journées de grandes escarmouches : cependant tousiours de nuit et de jour s’approchoit l’ost des Anglois de cette rivière laquelle passe au pied d’une montagne sur laquelle est assise la cité d’Avranches et a la veue et a un trait d’arc de distance des François qui gardoient icelle rivière, entrèrent plusieurs Anglois en leaüe pour la passer au droict de la cité d’Avranches. En effect ils passèrent tout outre ladite montagne pour entrer dedans la ville sans que les François fissent empeschement. » [74]

« Pendant ce temps mesmes estoit le siége devant Avranches. les Anglois s’assemblèrent de toutes parts pour venir faire lever ledit siége et arrivèrent iceux Anglois à une lieue près de ce siége ; mais quand les François le sceurent, ils partirent aussi tost de leur siége et vinrent au devant des Anglois au passage d’une petite rivière, dite de Sélune, [75] et là demeurèrent tout le jour les uns devant les autres. Et quand les Anglois virent quils ne pouvoient passer, sinon à leur grande perte et dommage, ils partirent de là où ils estoient venus, et allèrent devers le Mont Saint-Michel et là escarmouchèrent les Anglois et les François tout le jour. Et sur le soir quand la mer s’en fut allée et retirée les Anglois tastèrent et sondèrent avec leurs lances si en cet endroit ils pourroient passer ladite rivière que les François leur avoient empesché de passer. Si trouvèrent quils la pouvoient bien passer et eurent en considération que layant passée ils pourroient par après secourir leur ville par iceluy endroit. Et pour ce ils tinrent conseil et délibérèrent par ensemble ces Anglois que quand la mer se seroit retirée le lendemain au matin quils passeraient ladite rivière, jaçoit quil nestoit pas homme vivant qui ouc mais la veit passer a cheval ni a pied en y celui endroit. Si ordonnèrent les Anglois leur bataille le lendemain au matin et passèrent a beau-pied ladite rivière et leurs chevaux ce quils en avoient après eux et ainsi allèrent recouvrer et secourir leur ville d’Avranches. » [76]

« Il y avoit entre eux une rivière bien petite et tous les jours nos gens cuidoient combatre et y furent faicts plusieurs chevaliers... et comme nos gens cuidèrent passer cette rivière, il s’y noya deux ou trois gens de bien et demeurèrent lesdicts Anglois en bataille d’un costé et nos gens d’autre costé. Et quand ce venoit au soir, tout le monde s’en alloit coucher és villaiges, et loger leurs chevaulx. Et vous certifie quil estoit nuict quil ne demeurait pas a mon dict seigneur le connétable quatre cents combatans, et Dieu scait quil y endura. Et une nuict les Anglois vinrent gaigner un gué et le trouvèrent endroit la ville d’Avranches qui jamais navoit esté trouvé et par la vinrent gaigner la ville et prinrent Auffroi Prevost, et aucuns de nos gens qui faisoient le guet devant ladicte ville d’Avranches et les autres se retirèrent à la bataille qui estoit loing de là... tout le monde commença a tirer en Bretagne, sans ordonnance. » [77]

Au premier coup-d’œil ces trois récits paraissent difficiles à concilier, et la topographie des manœuvres n’est pas très-claire. En les examinant bien, on peut en tirer une exposition satisfaisante qui conserve toutes les parties essentielles des trois récits en les harmonisant. Voici comment nous raconterions ces manœuvres en nous servant de ces documens :

Repoussé du siége de Meaux, Talbot rassembla une armée en Bretagne in Britanny : [78] il s’adjoignit les généraux d’Orset et Scale, et se mit en marche pour débloquer Avranches. Arrivé aux bords de la Sélune, très-probablement à Pontaubault, il se trouva en face des Français qui avaient détaché la plus grande partie de l’armée de siége pour se porter au-devant des Anglais. Plusieurs jours se passèrent en observation et en escarmouches. Trop faible pour forcer le passage, Talbot, en escarmouchant, descendit le long de la rivière, dans les grèves vers le Mont Saint-Michel, et le soir trouva un gué en face de Saint-Léonard. Il passa la rivière à la faveur de la nuit et de la négligence des Français. Campé sur ce promontoire, d’un côté il donnait la main à la garnison anglaise de Tombelaine, de l’autre il surveillait les mouvemens de l’ennemi, et se montrait même à ses compatriotes qui pouvaient l’apercevoir du haut des remparts d’Avranches. En passant la Sélune, il avait, il est vrai, la Sée à franchir ; mais sa position était incomparablement meilleure : en remontant le cours de cette rivière, il pouvait arriver sous les murs mêmes d’Avranches, vers Pont-Gilbert. Là la rivière est plus étroite qu’à Pontaubault, le passage est plus facile, et la garnison anglaise, en entendant et en voyant la bataille, devait sortir, charger les Français et les écraser entre deux feux. C’est ce que comprit et fit le général anglais. La ville fut débloquée et les Français « prirent leur chemin pour aller passer icelle rivière la Sée (la Sélune) à Pontaubault, et allèrent loger sur les grèves en tirant vers Pontorson,  » sans ordonnance, ajoute un autre historien. [79]

Des historiens modernes ont raconté ces manœuvres et localisé les événemens : Richard Seguin a paraphrasé d’une manière vague les récits originaux. [80] M. Girard a placé Talbot à Saint-Léonard : « Talbot prit position sur la plage de Saint-Léonard. » M. Hairby, d’après Duhaillan, [81] est encore plus explicite : « The celebrated Talbot came with a force which had been collected in Brittany, made a lodgment at Saint-Leonard’s point, and, passing along the margin of the river Sée, which was between the two armies, gained Pont-Gilbert and entered the town near that quarter. » [82]

En résumé, la commune de Vains nous semble une des plus remarquables de l’Avranchin sous le triple rapport de la nature, du pittoresque et de l’histoire.

Source :

Notes

[1] Cette expression, antérieure à celle de in periculo maris, signifie peut-être la plage de l’Océan. M. Laisné l’a expliquée par le plein de la mer. Soc. d’Arch. d’Avran. 1844. Elle est dans la charte de Lothaire en 965.

[2] Ruet, contraction de Ruissel, Ruisset.

[3] Cassini en marque dix-neuf. Il y en a une quarantaine. C’est par une grave erreur que le Guide pittoresque du voyageur en France, de Didot, donne à Vains cent quarante-quatre salines. Le chiffre des salines des autres communes, établi sans doute sur d’anciens documens, est aussi exagéré. Cet ouvrage se trompe encore dans la liste de quelques grands hommes nés à Avranches : on y trouve un Aubin Gautier, qui n’appartient pas à cette localité. Il est bien probable qu’on a donné à cette ville un enfant de Coutances, Gualterius de Constanciis, que le Gallia Christiana appelle Wallerius, qui vivait à la fin du XIIe siècle.

[4] 12 juin 1839.

[5] Ce littoral, si intéressant par sa Flore, ne l’est pas moins par sa Faune et sa Naïade. Il l’est surtout pour l’ornithologie. Il est très-regrettable que M. Canivet n’ait pas connu les populations ailées de la baie du Mont Saint-Michel, lui qui a exploré les dicks de Carentan, et les falaises de la Hague. Il aurait dû explorer ce littoral, pour faire son Catalogue des Oiseaux du département de la Manche. Il a donné aux musées de Saint-Lo et Avranches un éloge qu’ils méritent et qu’ils devraient s’efforcer de mériter plus encore en représentant les productions de la localité. L’ornithologie de la baie est assurément un cadre que le musée d’Avranches doit remplir. Alors il mériterait complètement l’éloge de M. Canivet. « Ces musées, fondés à Saint Lo et à Avranches, ont été en peu d’années rendus intéressans et vraiment dignes d’être visités, grâce aux soins d’hommes instruits autant qu’éclairés... M. Lemaistre, conservateur de la partie zoologique, et M. de Clinchamp, président de la Société d’Archéologie... » Catalogue. Avant-Propos.

[6] Robert Wace, Roman de Rou, v. 1858.

[7] Cassini marque un corps-de-garde au Grouin-du-Sud.

[8] Elle est dans sa force et sa beauté dans les marées de mars et de septembre. Les riverains appellent celle-ci la marée des Gâpas, parce qu’elle arrive dans le temps des batteries de sarrasin. On appelle gâpas les pailles poudreuses qu’éparpillent le fléau, le crible, le van.

[9] la Croix ronde des grèves, par E. de B. Voir des détails historiques sur cette croix dans l’article de Tombelène.

[10] Enéide, liv. 1er. - Arborum veliferarum nemus. (Chron. de Norm. p. 128.)

[11] Dict. des Gaules, art. Grandville. 1763.

[12] Détails étendus sur le commerce de Granville, à l’art. de Caen.

[13] Dict. Géograp. au mot Avranchin. La variation des courans et le peu de profondeur des rivières à morte eau sont des obstacles à cette navigation. On sait qu’un sloop a été lancé vers 1834 à Pont-Gilbert. Nous avons vu un bateau de Granville amarré à Pontaubault pour charger du granit. Des circonstances particulières pourraient raviver cette navigation. Par exemple, en ce moment les sauniers de la côte essaient l’emploi de la houille et reconnaissent un bénéfice de 3 fr. par jour avec ce combustible. Cette innovation pourrait appeler quelques bateaux.

[14] Les églises qui bordent la Baie ont presque toutes encore des fragmens de l’époque semi-circulaire ou romane.

[15] La croix la plus haute est la plus belle. Elle atteint le plus haut degré de perfection si elle est d’une seule pierre. Souvent sur ce fût maigre et dur, on pose un croisillon qui est lui-même fort long.

[16] Nous appelons ainsi la plupart des cintres de la fin du XVIe ou du commencement du XVIIe siècle, parce que nous les retrouvons surtout dans les mès, les manoirs et les fermes de cette époque.

[17] Fol. 116. Charte du XIIe siècle.

[18] NDLR : manuscrit de la cathédrale d’Avranches, écrit à la fin du XIVe siècle, par les ordres de Jean de Saint-Avit, évêque d’Avranches.

[19] Mss. de M. Cousin.

[20] Livre Vert, p. 23.

[21] Pouillé, p. 5.

[22] État de la Gén. de Caen.

[23] Mss. de M. Cousin.

[24] M. Desroches. Hist. du Mont Saint-Michel, t. II, p. 137.

[25] M. Desroches, t. II, chap. XV.

[26] M. Desroches, tom. 1er, chap. X.

[27] Il fut volé, il y a une dizaine d’années, dans l’église de Notre-Dame-des-Champs d’Avranches.

[28] Abrégé de la Vie des Évêques de Coutances, par M. Rouault, curé de Saint-Pair, p. 235.

[29] Lancesseur, antcessor, ancestor, ancêtre.

[30] Voir le Dict. de Moreri. Nous avons à Noirpalu, dans le chemin Montais, un tertre, une espèce de tumulus appelé Montjoie.

[31] Roman de Rou, vers 3,179. Le paysan du Cotentin et celui de Jersey, la patrie de Wace, parlent encore une langue plus voisine de celle du Roman de Rou que de la langue du siècle actuel.

[32] De même qu’on appelait au Moyen-Age Romieu celui qui faisait le pèlerinage de Rome, ainsi l’on appelait Michelot celui qui faisait le pèlerinage du Mont Saint-Michel. Ce mot est dans le Dictionnaire de l’Académie.

[33] Le manoir est indiqué près de l’église sur la carte de Cassini.

[34] Saint-Léonard est dessiné en lointain dans la Vue d’Avranches par M. Lecerf, et dans une des Vues du Guide, de Didot. Le Musée d’Avranches possède un petit tableau de M. Dupré représentant le Grouin-du-Sud, avec un groupe de vaches et de paysans, avec un Mont Saint-Michel en lointain.

[35] Un titre de ces premiers siècles du Moyen-Age, un Capitulaire de Charles-le-Chauve, appelle l’Avranchin Pagus Aprincatinus.

[36] Tom. XI. Eccl. Abrinc.

[37] Dans la période franque, deux civilisations étaient en présence et en lutte, la civilisation romaine et les populations germaniques. Ces deux élémens se révèlent surtout dans les noms propres de cette époque, dans les noms de saints et de prélats par exemple. Ainsi, pour ne pas sortir du diocèse d’Avranches, nous trouvons des noms d’origine différente dans ses évêques. Léonce, Nepus, Perpétue, Pair ou Paterne, Senier ou Senator, Sever, Fegase, sont des latins ; Leodowald, Childoald, Ragentram, Aubert, Ansegaud, Gualhert sont franks. Quand viendront les Normands, les noms Scandinaves, tous ces noms rauques qui se trouvent dans le Domesday, un peu adoucis par la latinisation, rempliront les chartes du XIe siècle. A l’article de Genêts, nous citerons une charte intéressante sous ce rapport.

[38] Hierarchia Neustriae, Mss.

[39] Il n’y a point de créations dans les œuvres de l’homme, il n’y que des déductions : l’ogive est le cintre croisé ou plutôt le cintre étiré.

[40] Histoire du Mont Saint-Michel, tom. 1er, p. 262.

[41] On peut comparer les baies de Saint-Léonard avec celles de Saint-Loup, et l’on reconnaîtra la différence des époques entre ces deux types. Le nom de vertical nous semble la formule essentielle de l’architecture gothique. Les Anglais ont le mot perpendicular mais ils l’appliquent à ce que nous avons plus justement et plus poétiquement appelé le flamboyant. Ils classent ainsi les grands styles : le style normand, ou notre roman ; le style orné, decorated style, c’est le beau gothique du XIIIe siècle ; le perpendiculaire, ou le XVe siècle ; le style Tudor, ou la fin du gothique, ce que nous appelons quelquefois, mais à tort, Renaissance.

[42] Stapleton, tom. II, p. 6. Après l’article de Genêts : Hoies de Gênez debent c. l. pro eodem.

[43] On voit encore à Avranches au haut du Grand-Tertre un fragment de pierre tombale sur laquelle on lit : Chanoine de Saint-Léonard.

[44] Etat de la Gén. de Caen.

[45] Mss. Registre, n° 14.

[46] Nous regrettons que l’étendue de ce tableau de genre, comme s’en permettait rarement la muse solennelle de l’antiquité, et son rapport trop indirect avec notre sujet, ne nous permettent pas de citer ces vers peu connus : (le Virgile de Heyne, ce trésor d’érudition, est peu répandu). Nous ne savons si ce point de vue a été remarqué, mais le poète a cherché assurément un effet intellectuel et musical de la prédominance de la voyelle a. Le cabaret de la Belle-Hôtesse, cette vignette que nous esquissons dans une page sévère, avec sa treille et son bouchon de gui, si éloquent pour le buveur, nous rappelle encore un charmant épisode du charmant Tristram Shandy, l’Abbesse des Andouillettes, et l’appel si amical et si persuasif du bouchon au postillon : Viens ici, beau postillon, mon ami. Une légende de M. de Saint-Victor nous rappellera, plus tard, un autre endroit de Tristram, le juron de mon oncle Toby et la larme de l’ange, qui écrit au ciel les fautes des hommes.

[47] Voir l’article de Bacilly.

[48] La voie romaine de Coutances à Rennes s’était ralliée à celle de Bayeux qui passait entre Genêts et Vains, et servait aux derniers ducs de Normandie pour aller au Mont Saint-Michel et à Pontorson. (Supplément aux Voies Romaines, par M. de Gerville.)

[49] Notitia Imperii. Voir dans le Commentaire de Pancirole les détails curieux qu’il donne sur l’armement de ces soldats.... leur bouclier blanc bordé de rouge. Voici ce développement : « Abrincateni sunt Celto Galliae gentis. Abrincates sub ducs tractus Armoricani et Nervicani. In alba parma argenteum orbem circulo luteo inclusum gestabant, supra quem atius minor orbis purpureus pendet, parmae rubeus limbus circumdat (symbole de l’unité et de la variété de l’Empire) manuscripti coloribus variabant.... cum suo merebantur magistro. » (Commentaire de Pancirole, p. 132.)

[50] Un naturaliste, l’auteur du Catalogue des Oiseaux de la Manche, semble employer ce mot comme nom commun : l’hirondelle de rivage niche le long des falaises et des dicks....... Le hibou se trouve en abondance, l’hiver, le long des dicks et dans les basses prairies......

[51] Sax, épée courte.

[52] D’après la Notice des Dignités de l’Empire, Grannonum, que l’on croit être Portbail (M. de Gerville), et qui du moins était dans la deuxième Lyonnaise, est dite in littore Saxonico. Voir la Notice et Stapleton, t. 1er, p. 38.

[53] Nous n’avons pas besoin de localiser ce mot : les Hogues, Hougues, Hagues, Hoquelles sont partout. Nous avons le Homme, affixe de Saint-Quentin et de Poilley, situés sur les presqu’îles de la Sélune ; ailleurs est le Homméel, le Holme, ancien nom de l’île Marie sur l’Ouve. Il y a la Houle à Granville et à Ducey. Le mot houle, creusement du flot, vient de là.

[54] Citons seulement deux groupes similaires : Bréhou, Bréhal, Bréville, habitation de Brée ; Quettehou, Quettreville, Quettot, habitation de Quetter. Voir notre Introduction aux étymologies des noms de l’Avranchin. (Revue archéol. du département de la Manche.) Dans l’Avranchin, nous ne connaissons que deux Tot, Pretot et Catertot en Saint-Planchers.

[55] En allemand fels, et en islandais fell, roche.

[56] Dans le Bessin, il y a la terre de Friland (free land, terre libre. M. Pluquet, Essai sur Bayeux.

[57] II y a le Theil et le Montheil en Saint-Pierre-Langers. Les delles, (deale, portiuncula terrae. Rob. Cenalis) sont si communs dans le Bessin que M. Pluquet en cite une centaine ; elles sont accompagnées d’affixes du nord. Nous en citerons une qui est composée d’élémens saxons, la delle des Norreis (gens du nord) a Saon. Le nom de dellage signifie encore le nombre de sillons qui se labourent dans le même sens.

[58] Nom très-répandu dans la Basse-Normandie. Dans l’arrondissement d’Avranches, il y a les Croûtes dans les Pas, les Croûtes-Baron en Huynes, la Croûte en Macey, la Croûte en Ardevon.

[59] Nous avons notre Terre-Waste, Terra-Wasta, dans les Chartes et les Rôles de l’Echiquier. Citons les Saint-Vast, Martinvast, Sottevast, Brillevast, le Gast, l’analogue de notre Terregatte. Rob. Wace dit le Wast et le Gast pour le ravage.

[60] Quand nous publiâmes nos étymologies des noms topographiques de l’Avranchin, un des auteurs des Recherches sur le Domesday, M. de Sainte-Marie, nous fit engager à porter nos investigations sur les noms de village. Nous l’avons fait, selon notre pouvoir, dans le cours de cet ouvrage et nous concevons le plan d’un beau travail qui grouperait selon la chronologie et l’étymologie tous les noms normands, même ceux des champs. L’ouvrage dans lequel M. Edelestand du Méril a associé à l’étendue et à la profondeur de la pensée une extrême érudition, comme on n’en voit guère qu’au-delà du Rhin, les Prolégomènes de l’Histoire de la poésie Scandinave, renferment un glossaire d’expressions de la Basse-Normandie dérivées des langues du nord et importées par les Saxons et les Normands. Un antiquaire de notre connaissance ne lit jamais de journal de petite localité, sans interroger avidement ces annonces judiciaires où se trouvent les noms des champs et des villages.

[61] EastSeax. West-Seax. Meddleseax. Chron. Sax. p. 12 à 30. Edit, Gibson.

[62] Voir la forme des nefs normandes dans la Tapisserie de Bayeux et un Mss. de la bibliothèque royale. La proue était ornée : il y avait un mât et un château :« Regia navis (celui d’Elfeg) aureis restrata draconibus. » Vita Elfegi. Anglia Sacra, p. 85.

[63] Constanciensis.

[64] Tacite, Agricola. Les embouchures des trois rivières de l’Avranchin sont des aestuaria.

[65] Voir dans le Roman de Rou, ces ravages et quelques localités dont la nom est perdu. La géographie ancienne de Wace n’est pas d’ailleurs très-sûre : il appelle Avranches Ausonia

[66] En Normandie a gent mult fière
Jo ne sai gent de telle manière,
Chevaliers sont pros et vaillanz
Par totes terres cunqueranz
Orguillos sont Normant et fier,
E vanteor et bonbancier.
(Rom. de Rou.)

[67] Mém. des Antiq. de Normandie, tom. VII. Prolongé jusqu’aux deux rivages, le Hague-Dick rappelle la retranchement romain d’entre l’Ecosse et l’Angleterre appelé vallum Antonini, vallum Hadriani, postea Severi.

[68] Roman de Rou, v. 1,216.

[69] Description de la Tapisserie par Lancelot, t. VIII des Mém. de l’Acad. des Inscriptions.

[70] Nos vieux historiens normands sont nos véritables classiques : aussi ont-ils besoin d’être commentés comme ceux de l’antiquité grecque et romaine, On connaît le bon commentaire de MM. Pluquet et Le Prévost sur le Roman de Rou. Cette description des ravages de Hasting est remplie de noms de lieux inconnus, et sa géographie présente des difficultés comme celles de l’Iliade et de l’Odyssée. Ce serait un curieux travail que celui qui fixerait la place de Revonminic, Abillant, Garillant, Bruschamport, etc. Il est probable que Revonminic ou plutôt Revenmenil, est Réville ; mais il est certain, malgré la note de M. Pluquet, que Erin est l’Irlande, la verte Erin des Bardes, l’émeraude des mers.

[71] Roman de Rou, v. 280.

[72] Nous nous sommes complu dans cette étude du Dick de Vains, parce qu’il est très-important, et parce que l’étude des antiquités normandes, préjudiciée par la prédominance trop exclusive des antiquités romaines, offre pour nous un intérêt d’utilité et d’originalité qu’on ne lui reconnaît pas assez généralement. L’archéologue aime le très-antique et se plaît à vieillir ce qui est ancien. Ce défaut du reste doit paraître fort atténué aujourd’hui pour ceux qui connaissent les généalogies hébraïques ou grecques que forgeaient nos historiens des deux derniers siècles. Dans cette étude d’un retranchement, nous avons trouvé moyen de faire entrer des détails historiques, et comme dit Pline le Jeune : « Historia quoquo modo scripta délectat. » Il serait à désirer que le mot dick, qui est resté dans la langue générale sous la forme de digue, restât dans celle de l’archéologie, comme tumulus, menhir, pour désigner les campemens des hommes du Nord.

[73] Sans être pourveu d’artillerie, ne manœuvres, ne argent. G. Gruel, Vie du Connétable, tom. VIII de la collect. Petitot.

[74] Hist. de Charles XII, par Jean Chartrier.

[75] Il y a une variante, Coesnon ; mais l’erreur est évidente.

[76] Hist. chronol. de Charles VII, par Berry, héraut de France.

[77] Hist.du Connétable de Richemont, par G. Gruel, collect. Petitot, t.VIII. Voir l’article de Pontaubault.

[78] M. Hairby, Shetches of Avranches, p. 54, d’après Duhaillan.

[79] G. Gruel.

[80] Hist. milit. des Bocains, p. 311.

[81] Hist. de France, liv. xxv.

[82] Descriptire and Historical Shetches of Avranches, p. 70.